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17/10/2023 | FRANCE | N°22NT01065

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 17 octobre 2023, 22NT01065


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société la Poste a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 29 mai 2018 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de la région Pays de la Loire lui a infligé une amende totale de 18 000 euros pour manquement à la tenue de documents de décompte individuel du temps de travail pour 36 salariés sur le site de la plateforme de préparation et de distribution du courrier de l'établissement de ..

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société la Poste a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 29 mai 2018 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de la région Pays de la Loire lui a infligé une amende totale de 18 000 euros pour manquement à la tenue de documents de décompte individuel du temps de travail pour 36 salariés sur le site de la plateforme de préparation et de distribution du courrier de l'établissement de ..., subsidiairement de réformer cette amende en lui substituant un avertissement, en tout état de cause, en réduisant son montant.

Par un jugement n° 1805558 du 11 février 2022 le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de la société la Poste.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoire complémentaires enregistrés les 8 avril 2022, 28 mars 2023 et 15 septembre 2023, la société la Poste, représentée par Me Rossignol, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 11 février 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 29 mai 2018 portant amende administrative de 18 000 euros ;

3°) subsidiairement, de procéder à la substitution de l'amende administrative du 29 mai 2018 par un avertissement ou, très subsidiairement, à une réduction de son quantum ;

4) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est entaché d'irrégularité : d'une part, il n'a pas répondu au moyen, présenté dans le mémoire du 20 septembre 2021, tiré de ce que l'administration ne justifiait pas avoir mis le parquet en mesure de diligenter des poursuites pénales conformément à l'article L.8115-2 du code du travail ; par une décision du 24 juillet 2019, le Conseil d'Etat a jugé que ces dispositions ne visent pas seulement à assurer le principe non bis in idem mais qu'elles instaurent une priorité au parquet qui doit être en mesure d'exercer les poursuites pénales qu'il estime nécessaire ; d'autre part, il n'a pas davantage répondu au moyen tiré de la violation de l'article D.3171-1 du code du travail ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé que les dispositions de l'article R. 8115-10 du code du travail ne méconnaissaient pas le principe des droits de la défense et que ce principe avait, au cas d'espèce, été respecté s'agissant de la Poste ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé que les dispositions des articles 61-1 et 28 du code de procédure pénale, qui ont une portée générale et s'appliquent à toutes les investigations de recherche des infractions du code du travail par les agents de contrôle de l'inspection du travail, n'étaient pas applicables à l'audition de M. A... ;

- la sanction contestée est intervenue en violation de l'accord national du 7 février 2017 ;

- le tribunal a méconnu les articles D. 3171-1 à D. 3171-8 du code du travail qui ne s'appliquent pas dans le cadre d'horaires collectifs ; ni l'absence d'uniformité des horaires ni l'existence des dépassements hétérogènes ne sont incompatibles avec la notion d'horaires collectifs ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé que les documents de décompte du temps de travail n'avaient pas été transmis à l'inspection du travail ;

- c'est à tort que le tribunal a retenu une méconnaissance structurelle des normes régissant les horaires de travail ;

- elle justifie de sa bonne foi ;

- les dispositions de l'article R. 8115-3 du code du travail ont été méconnues dès lors qu'aucun manquement concernant les salariés intérimaires n'est caractérisé ;

- la décision contestée est entachée d'une erreur de droit ; en matière de sanction administrative, l'administration est soumise au principe de légalité des délits et des peines ; le Conseil d'Etat a jugé que l'administration n'avait pas le pouvoir d'écarter le régime des horaires collectifs en vigueur pour sanctionner le défaut d'application des modalités de décompte du temps de travail spécifiques aux horaires non-collectifs qui n'étaient pas applicables.

Par un mémoire enregistré le 28 février 2023, le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, renvoie à la sagesse de la cour la solution du litige.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coiffet ;

- et les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La société la Poste a fait l'objet d'un contrôle effectué par l'inspection du travail au sein de son établissement de ..., les 23 mai, 9 et 13 juin 2017. L'inspection du travail a relevé la diversité des horaires des agents de distribution de courrier et en a déduit qu'ils devaient être regardés comme appliquant des horaires non collectifs régis par les articles L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail, obligeant notamment à établir un décompte individuel du temps de travail. Sur le fondement des dispositions des articles L. 8115-1 et L. 8115-3 du code du travail, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de la région des Pays de la Loire a infligé à la société La Poste, le 29 mai 2018, une amende administrative d'un montant total de 18 000 euros s'agissant de trente-six salariés de droit privé, pour des manquements à l'obligation de tenue de documents de décompte individuel du temps de travail lorsque les salariés d'un établissement sont soumis au régime d'horaires individualisés. La Poste relève appel du jugement du 11 février 2022 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette sanction.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. La société la Poste soutient que la décision contestée du 29 mai 2018 est entachée d'une erreur de droit et que l'administration a méconnu le principe de légalité des délits et des peines qui est applicable en matière de sanction administrative.

3. En premier lieu, tout d'abord, le premier alinéa de l'article L. 3171-1 du code du travail prévoit que : " L'employeur affiche les heures auxquelles commence et finit le travail ainsi que les heures et la durée des repos ". L'article D. 3171-1 du même code précise que : " Lorsque tous les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe travaillent selon le même horaire collectif, un horaire établi selon l'heure légale indique les heures auxquelles commence et finit chaque période de travail. / Aucun salarié ne peut être employé en dehors de cet horaire, sous réserve des dispositions (...) relatives au contingent annuel d'heures supplémentaires (...) ". L'article D. 3171-4 de ce code prévoit en outre qu'un double de cet horaire collectif est adressé, avant son application, à l'inspecteur du travail.

4. Ensuite, aux termes du premier alinéa de l'article L. 3171-2 du même code : " Lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés (...) ". L'article D. 3171-8 précise que : " Lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe (...) ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, la durée du travail de chaque salarié concerné est décomptée selon les modalités suivantes : / 1° Quotidiennement, par enregistrement, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d'heures de travail accomplies ; / 2° Chaque semaine, par récapitulation selon tous moyens du nombre d'heures de travail accomplies par chaque salarié ".

5. Enfin, le premier alinéa de l'article L. 3171-3 du code du travail prévoit que : " L'employeur tient à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail (...) les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. " Le premier aliéna de l'article L. 3171-4 du même code dispose que : " En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. ". Les manquements aux dispositions relatives à la durée du travail, à la répartition et à l'aménagement des horaires sont pénalement réprimés selon les dispositions figurant aux articles R. 3124-1 à R. 3124-16 de ce code.

6. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que l'employeur doit être en mesure de fournir à l'inspection du travail, dont les agents de contrôle sont chargés, en vertu du deuxième alinéa de l'article L. 8112-1 du code du travail, de veiller à l'application des dispositions du code du travail et des autres dispositions légales relatives au régime du travail, ainsi qu'aux stipulations des conventions et accords collectifs de travail, de même qu'au juge en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, les documents leur permettant de contrôler la durée du travail accomplie par chaque salarié. Lorsque le travail de tous les salariés d'un même service ou atelier ou d'une même équipe est organisé selon le même horaire collectif par l'employeur, le cas échéant après conclusion d'un accord collectif, il doit informer les salariés par affichage des heures auxquelles commence et finit chaque période de travail et adresser, avant son application, le double de cet horaire collectif à l'inspection du travail. Dans les autres cas, un décompte des heures accomplies par chaque salarié doit être établi quotidiennement et chaque semaine.

7. En second lieu, en vertu de l'article L. 8115-1 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable : " L'autorité administrative compétente peut, sur rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1, et sous réserve de l'absence de poursuites pénales, prononcer à l'encontre de l'employeur une amende en cas de manquement : (...) 3° A l'article L. 3171-2 relatif à l'établissement d'un décompte de la durée de travail et aux dispositions réglementaires prises pour son application (...) ".

8. Le principe de légalité des délits et des peines, qui s'étend à toute sanction ayant le caractère d'une punition, fait obstacle à ce que l'administration inflige une sanction si, à la date des faits litigieux, il n'apparaît pas de façon raisonnablement prévisible par l'intéressé que le comportement litigieux est susceptible d'être sanctionné. Par suite, les dispositions mentionnées au point précédent ne sauraient permettre à l'administration, sauf pour elle à remettre en cause le principe de l'organisation du système de l'horaire collectif, de sanctionner un employeur à raison d'un manquement à l'obligation, attachée à des horaires non collectifs, d'établir un décompte de la durée de travail de chaque salarié selon les modalités rappelées au point 3, s'agissant de salariés dont le travail est organisé selon un horaire collectif.

9. Il résulte de ce qui vient d'être dit que la société la Poste est fondée à demander l'annulation de la décision contestée du 29 mai 2018, entachée d'une erreur de droit, par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire lui a infligé une amende administrative de 18 000 euros.

10. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, que la société la Poste est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande dirigée contre la décision contestée du 29 mai 2018.

Sur l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société la Poste d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1805558 du 11 février 2022 du tribunal administratif de Nantes et la décision du 29 mai 2018 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à la société la Poste la somme de 1500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société la Poste et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Une copie en sera adressée à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire.

Délibéré après l'audience du 2 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Gaspon, président de chambre ;

M. Coiffet, président assesseur ;

Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2023.

Le rapporteur,

O. COIFFETLe président,

O. GASPON

La greffière,

I.PETTON

La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°22NT01065 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT01065
Date de la décision : 17/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : DARTEVELLE et DUBEST

Origine de la décision
Date de l'import : 22/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-10-17;22nt01065 ?
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