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10/10/2023 | FRANCE | N°21NT02179

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 10 octobre 2023, 21NT02179


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 4 juillet 2016 par lequel le maire de la commune de l'Ile-de-Bréhat a délivré à la SCI Le Gardeno un permis de construire pour la réalisation d'une extension de la maison d'habitation implantée sur les parcelles cadastrées section AC n°s 227, 230 et 396, situées au lieu-dit " Le Gardeno ", ainsi que la décision implicite par laquelle son recours gracieux a été rejeté.

Par un jugement n° 2000748 du 11 juin 2021,

le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 4 juillet 2016 du maire de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 4 juillet 2016 par lequel le maire de la commune de l'Ile-de-Bréhat a délivré à la SCI Le Gardeno un permis de construire pour la réalisation d'une extension de la maison d'habitation implantée sur les parcelles cadastrées section AC n°s 227, 230 et 396, situées au lieu-dit " Le Gardeno ", ainsi que la décision implicite par laquelle son recours gracieux a été rejeté.

Par un jugement n° 2000748 du 11 juin 2021, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 4 juillet 2016 du maire de la commune de l'Ile-de-Bréhat.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 30 juillet 2021 et les 3 janvier,

28 février 2022 (ce dernier non communiqué), la société civile immobilière (SCI) Le Gardeno, représentée par Me Poilvet, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Rennes ;

3°) de mettre à la charge de Mme D... le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- Mme D... ne justifie pas d'un intérêt à agir contre l'arrêté du 4 juillet 2016 ;

- elle n'a pas respecté les formalités de notification du recours gracieux à la commune en violation des dispositions de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme ;

- la requête de Mme D... devant le tribunal administratif de Rennes est tardive ;

- le permis de construire contesté respecte les dispositions de l'article L. 121-16 du code de l'urbanisme.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 3 octobre et 18 novembre 2021 et les

19 janvier et 3 mars 2022 (ce dernier non communiqué), Mme B... D..., représentée par Me Leclercq, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la SCI Le Gardeno le versement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun des moyens invoqués par la société requérante n'est fondé.

Par un mémoire enregistré le 18 octobre 2021, la commune de l'Ile-de-Bréhat, représentée par le cabinet d'avocats Coudray, a présenté des observations et demande à la cour de mettre à la charge de Mme D... de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Ody,

- les conclusions de M. Frank, rapporteur public,

- les observations de Me Poilvet, pour la SCI Le Gardeno, celles de Me Leclercq, pour Mme D... et celles de Me Haauy, pour la commune de l'Ile-de-Bréhat.

Une note en délibéré, enregistrée le 25 septembre 2023, a été présentée pour la SCI Le Gardeno.

Une note en délibéré, enregistrée le 5 octobre 2023, a été présentée pour Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 4 juillet 2016, le maire de la commune de l'Ile-de-Bréhat a délivré à la SCI Le Gardeno un permis de construire pour la réalisation d'une extension de la maison d'habitation implantée sur les parcelles cadastrées section AC n°s 227, 230 et 396, situées au lieu-dit " Le Gardeno ". Par un jugement du 11 juin 2021, le tribunal administratif de Rennes a annulé, à la demande de Mme D..., le permis de construire du 4 juillet 2016. La SCI Le Gardeno relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les fins de non-recevoir opposées par la SCI Le Gardeno et la commune de l'Ile-de-Bréhat :

2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme dans sa rédaction en vigueur à la date d'affichage en maire de la demande de permis du pétitionnaire : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager que si la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation. ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien.

3. D'autre part, selon l'article L. 600-1-3 du code de l'urbanisme dispose que : " Sauf pour le requérant à justifier de circonstances particulières, l'intérêt pour agir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager s'apprécie à la date d'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire ". Il résulte des termes mêmes de ces dispositions que, sauf circonstances particulières, l'intérêt pour agir d'un requérant contre un permis de construire s'apprécie au vu des circonstances de droit et de fait constatées à la date de l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de circonstances postérieures, qu'elles aient pour effet de créer, d'augmenter, de réduire ou de supprimer les incidences de la construction, de l'aménagement ou du projet autorisé sur les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance mentionnées à l'article L. 600-1-2.

4. Enfin, aux termes de l'article 724 du code civil : " Les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt. (...) ".

5. Il ressort des pièces du dossier que la demande de permis de construire a été déposée à la commune de l'Ile-de-Bréhat le 27 avril 2016. Par une attestation en date du 20 juillet 2021, le maire de l'Ile-de-Bréhat a indiqué que l'avis de dépôt de toutes les demandes de permis de construire était affiché en mairie dans les quinze jours qui suivent leur réception par la commune conformément à l'article R. 423-6 du code de l'urbanisme, et qu'en 2016, le service urbanisme respectait également cette formalité, ce qui est conforté par une attestation établie par le maire auteur de la décision attaquée. Mme D... ne conteste au demeurant pas que l'affichage en mairie de la demande de permis de construire est intervenue dans les délais réglementaires, soit au plus tard le 12 mai 2016. Il est constant qu'à cette date, Mme C... A..., la mère de Mme D..., était usufruitière des parcelles immédiatement voisines du projet litigieux, sur lesquelles est implantée une construction qui constituait alors sa résidence principale. Le projet en litige étant susceptible, ainsi qu'il est allégué, de porter atteinte à la vue sur la mer depuis l'habitation qu'elle occupait, Mme A... justifiait d'un intérêt à agir. Il est constant que Mme A... n'a pas eu connaissance de l'arrêté du 4 juillet 2016, lequel n'a été affiché sur le terrain qu'en août 2019, après son décès survenu en janvier 2019. En qualité d'héritière de Mme A..., Mme D... s'est trouvée saisie de plein droit des biens, droits et actions de sa mère défunte, y compris des actions qui n'avaient pas été initiées par cette dernière, et la circonstance que Mme D... ait fait une donation de sa nue-propriété des parcelles précédemment évoquées à ses trois enfants en 2012 est sans incidence sur son droit à intenter l'action que Mme A... pouvait intenter de son vivant. Par suite Mme D... justifiant, en sa qualité d'héritière de Mme A..., d'un intérêt à agir contre le permis de construire litigieux, la fin de non-recevoir tirée de son défaut d'intérêt à agir contre le permis délivré à la SCI Le Gardeno doit être écartée.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme : " En cas de déféré du préfet ou de recours contentieux à l'encontre d'un certificat d'urbanisme, ou d'une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code, le préfet ou l'auteur du recours est tenu, à peine d'irrecevabilité, de notifier son recours à l'auteur de la décision et au titulaire de l'autorisation. Cette notification doit également être effectuée dans les mêmes conditions en cas de demande tendant à l'annulation ou à la réformation d'une décision juridictionnelle concernant un certificat d'urbanisme, ou une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code. L'auteur d'un recours administratif est également tenu de le notifier à peine d'irrecevabilité du recours contentieux qu'il pourrait intenter ultérieurement en cas de rejet du recours administratif. / La notification prévue au précédent alinéa doit intervenir par lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai de quinze jours francs à compter du dépôt du déféré ou du recours. / La notification du recours à l'auteur de la décision et, s'il y a lieu, au titulaire de l'autorisation est réputée accomplie à la date d'envoi de la lettre recommandée avec accusé de réception. Cette date est établie par le certificat de dépôt de la lettre recommandée auprès des services postaux. / Les dispositions du présent article ne sont pas applicables en cas de contestation d'un permis modificatif, d'une décision modificative ou d'une mesure de régularisation dans les conditions prévues par l'article L. 600-5-2 ". Ces dispositions visent, dans un but de sécurité juridique, à permettre au bénéficiaire d'une autorisation d'urbanisme, ainsi qu'à l'auteur de cette décision, d'être informés à bref délai de l'existence d'un recours gracieux ou contentieux dirigé contre elle.

7. Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 10 octobre 2019 réceptionné le 15 octobre suivant, Mme D... a adressé un recours gracieux à la commune de l'Ile-de-Bréhat. Un tel recours gracieux adressé directement à l'auteur de la décision contestée n'a pas à être suivi doublé de la notification du même recours gracieux au même destinataire en application des dispositions précitées. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme doit être écartée.

8. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier et il n'est pas contesté que le permis de construire délivré le 4 juillet 2016 a été affiché sur le terrain appartenant à la SCI Le Gardeno le 18 août 2019. Par un courrier du 10 octobre 2019 réceptionné le 15 octobre suivant, Mme D... a adressé un recours gracieux à la commune de l'Ile-de-Bréhat, lequel a été implicitement rejeté le 15 décembre 2019. La requête de première instance présentée par Mme D... a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Rennes le 13 février 2020 et n'était dès lors pas tardive.

En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du 4 juillet 2016 :

9. Aux termes de l'article L. 121-16 du code de l'urbanisme : " En dehors des espaces urbanisés, les constructions ou installations sont interdites sur une bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage ou des plus hautes eaux pour les plans d'eau intérieurs désignés au 1° de l'article L. 321-2 du code de l'environnement ". Ne peuvent déroger à l'interdiction de toute construction sur la bande littorale des cent mètres que les projets réalisés dans des espaces urbanisés, caractérisés par un nombre et une densité significatifs de constructions, à la condition qu'ils n'entraînent pas une densification significative de ces espaces. Par ailleurs, si ces dispositions n'ont pas pour objet d'interdire tout aménagement des constructions ou installations déjà existantes, compte tenu de leur nature et de leur faible ampleur, il n'y a pas lieu de distinguer, pour leur application, entre les constructions ou installations nouvelles et celles portant extension d'une construction ou d'une installation existante.

10. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des plans et photographies produits, que le terrain d'assiette du projet, qui consiste en l'extension de près de 30 m² d'une maison d'habitation existante, est situé au sein de la bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage. Il ressort des pièces du dossier que ce terrain s'ouvre en direction du nord-est vers un espace non bâti qui jouxte directement la mer. De plus, il se situe au lieu-dit " Le Gardeno ", lequel est séparé du centre-bourg de l'Ile-de-Bréhat par de vastes parcelles non bâties, à l'état naturel ou à vocation agricole et comprend une vingtaine de constructions d'habitation individuelles implantées sur de vastes parcelles. Le secteur d'implantation du projet ne présente ainsi pas un nombre et une densité significatifs de constructions et ne peut être regardé comme un espace urbanisé au sens des dispositions précitées de l'article L. 121-16 du code de l'urbanisme. Par suite, en délivrant le permis de construire litigieux, le maire de l'Ile-de-Bréhat a fait une inexacte application de ces dispositions.

11. L'article L. 600-5-1 code de l'urbanisme prévoit : " Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux ". Le vice retenu au point 9 du présent arrêt, tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 121-16 du code de l'urbanisme, lié à la situation même du projet, n'est pas susceptible de régularisation. Il n'y a donc pas lieu dès lors de mettre en œuvre les dispositions précitées de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme.

12. Il résulte de ce qui précède que la SCI Le Gardeno et la commune de l'Ile-de-Bréhat ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 4 juillet 2016 du maire de la commune de l'Ile-de-Bréhat.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de Mme D..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à la SCI Le Gardeno de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la SCI Le Gardeno le versement à Mme D... d'une somme de 1 500 euros au titre des mêmes frais. Enfin, il y a lieu de rejeter les conclusions présentées au même titre par la commune de l'Ile-de-Bréhat, qui, en tant d'observatrice, n'a pas la qualité de partie à l'instance pour l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SCI Le Gardeno est rejetée.

Article 2 : La SCI Le Gardeno versera à Mme D... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Le Gardeno et à Mme B... D.... Copie en sera adressée à la commune de l'Ile-de-Bréhat.

Délibéré après l'audience du 21 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Francfort, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Ody, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2023.

La rapporteure,

C. ODY

Le président,

J. FRANCFORT

La greffière,

S. PIERODÉ

La République mande et ordonne au préfet des Côtes-d'Armor en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT02179


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT02179
Date de la décision : 10/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. FRANCFORT
Rapporteur ?: Mme Cécile ODY
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : CABINET COUDRAY CONSEIL et CONTENTIEUX

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-10-10;21nt02179 ?
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