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06/10/2023 | FRANCE | N°22NT00697

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 06 octobre 2023, 22NT00697


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 17 décembre 2018 par laquelle le préfet du Finistère a refusé de délivrer une carte nationale d'identité et un passeport à son enfant A... G....

Par une ordonnance n° 2002116 du 26 août 2021, prise sur le fondement de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, le président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Rennes a rejeté comme manifestement irrecevable la demande de Mme G... tendant à l'an

nulation de la décision préfectorale du 17 décembre 2018.

Procédure devant la cour...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 17 décembre 2018 par laquelle le préfet du Finistère a refusé de délivrer une carte nationale d'identité et un passeport à son enfant A... G....

Par une ordonnance n° 2002116 du 26 août 2021, prise sur le fondement de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, le président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Rennes a rejeté comme manifestement irrecevable la demande de Mme G... tendant à l'annulation de la décision préfectorale du 17 décembre 2018.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 7 mars 2022, Mme G..., représentée par Me Devesas, demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) d'annuler la décision du 17 décembre 2018 du préfet du Finistère ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à son enfant une carte nationalité d'identité française et un passeport dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Mme G... soutient que :

- sa demande de première instance n'était pas tardive ;

- la décision contestée est entachée d'un vice d'incompétence ;

- la décision contestée est entachée d'illégalité en ce que la reconnaissance de paternité produite ne présente pas de caractère frauduleux.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 avril 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la demande de première instance était tardive ;

- les moyens soulevés par Mme G... ne sont pas fondés.

Mme G... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 janvier 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Montes-Derouet,

- et les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 17 décembre 2018, le préfet du Finistère a rejeté la demande présentée par Mme G... tendant à la délivrance pour son enfant, A... G... né le 22 mai 2017, d'une carte nationale d'identité et d'un passeport. Par une ordonnance du 26 août 2021, prise sur le fondement de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, le président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Rennes a rejeté comme manifestement irrecevable la demande de Mme G... tendant à l'annulation de la décision du préfet. Mme G... relève appel de cette ordonnance.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (...). ".

3. Aux termes de l'article 32 du décret du 19 décembre 1991, alors en vigueur : " Le bureau ou la section de bureau qui se déclare incompétent renvoie la demande par décision motivée devant le bureau ou la section de bureau qu'il désigne. / La décision de renvoi s'impose au sein d'un même ordre de juridiction (...) ". Aux termes de l'article 38 du même décret, alors en vigueur : " Lorsqu'une action en justice ou un recours doit être intenté avant l'expiration d'un délai devant les juridictions de première instance ou d'appel, l'action ou le recours est réputé avoir été intenté dans le délai si la demande d'aide juridictionnelle s'y rapportant est adressée au bureau d'aide juridictionnelle avant l'expiration dudit délai et si la demande en justice ou le recours est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter : (...) ; / c) De la date à laquelle le demandeur à l'aide juridictionnelle ne peut plus contester la décision d'admission ou de rejet de sa demande en application du premier alinéa de l'article 56 et de l'article 160 ou, en cas de recours de ce demandeur, de la date à laquelle la décision relative à ce recours lui a été notifiée (...) ".

4. Le président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Rennes a rejeté comme manifestement irrecevable la demande de Mme G... tendant à l'annulation de la décision du 17 décembre 2018 du préfet du Finistère au motif que, faute pour cette dernière d'avoir introduit une demande d'aide juridictionnelle dans le délai de recours contentieux, sa demande de première instance était tardive. Mme G..., qui a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 septembre 2020, justifie, toutefois, en appel, avoir présenté, le 12 février 2019, soit avant l'expiration du délai de recours contentieux de deux mois prescrit par les dispositions de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, une demande d'aide juridictionnelle auprès du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal administratif de Nantes, qui a été transmise, en application des dispositions de l'article 32 du décret du 19 décembre 1991, le 8 juin 2020, au bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal administratif de Rennes, lequel était compétent pour l'examiner. Il s'ensuit que la demande de Mme G..., enregistrée le 22 mai 2020 au greffe du tribunal administratif de Rennes, n'était pas tardive. Mme G... est dès lors fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande comme irrecevable. Par suite, le jugement attaqué doit être annulé.

5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme G... devant le tribunal administratif de Rennes.

Sur la légalité de l'arrêté du 17 décembre 2018 du préfet du Finistère :

6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, par arrêté du 21 décembre 2017, M. C... E..., préfet du Finistère, a donné délégation à M. F... B..., attaché hors classe, chef du centre d'expertise et de ressources titres de Bretagne, à l'effet de signer tout document relevant de la compétence du centre d'expertise et de ressources titres, à l'exception de certains arrêtés et décisions, au nombre desquels ne figurent pas les décisions portant refus de délivrance des cartes nationales d'identité et des passeports. Le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté émane d'une autorité incompétente doit, par suite, être écarté.

7. En second lieu, aux termes de l'article 18 du code civil : " Est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français ". L'article 310-1 du même code, dans sa rédaction alors applicable, énonce que : " La filiation est légalement établie, dans les conditions prévues au chapitre II du présent titre, par l'effet de la loi, par la reconnaissance volontaire ou par la possession d'état constatée par un acte de notoriété. / (...) ". Aux termes de l'article 310-3 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " La filiation se prouve par l'acte de naissance de l'enfant, par l'acte de reconnaissance ou par l'acte de notoriété constatant la possession d'état. / (...) ". L'article 2 du décret du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité dispose que : " La carte nationale d'identité est délivrée sans condition d'âge à tout Français qui en fait la demande. / Elle est délivrée ou renouvelée par le préfet ou le sous-préfet. / (...) ". Aux termes du dernier alinéa de l'article 4-4 du même décret : " La demande de carte nationale d'identité faite au nom d'un mineur est présentée par une personne exerçant l'autorité parentale. / (...) ". Aux termes de l'article 4 du décret du 30 décembre 2005 : " Le passeport est délivré, sans condition d'âge, à tout Français qui en fait la demande ".

8. Pour l'application des dispositions citées au point précédent, il appartient aux autorités administratives de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que les pièces produites à l'appui d'une demande de carte nationale d'identité ou d'un passeport sont de nature à établir l'identité et la nationalité du demandeur. Dans ce cadre, si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas dans le cadre de l'examen d'une demande d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport pour le compte d'un enfant mineur, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance du titre sollicité par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.

9. Pour refuser de faire droit à la demande de délivrance d'une carte nationale d'identité et d'un passeport présentée par Mme G... pour son fils, le préfet du Finistère s'est fondé sur les soupçons de fraude portant sur la reconnaissance de paternité de l'enfant par M. H..., de nationalité française.

10. Il est constant que M. H..., ressortissant français né le 13 octobre 1993, a reconnu l'enfant A... G..., le 5 janvier 2017, quatre mois avant sa naissance, le 22 mai 2017. Toutefois, ainsi que l'a fait valoir le préfet, aucun élément versé au dossier ne permet d'établir la date à laquelle Mme G... est arrivée en France, celle-ci se bornant à soutenir être entrée irrégulièrement sur le territoire français en juin 2016. De même, les circonstances et la date de la rencontre de Mme G... avec M. H... sont incertaines, l'intéressée ayant seulement indiqué, lors de son audition, avoir rencontré, entre 2012 et 2013, M. H... au Cameroun, puis avoir quitté son pays d'origine pour vivre en Turquie, puis en Allemagne et avoir rejoint la France " dans le but de se rapprocher de M. H... qu'elle connaissait bien et avec lequel elle souhaitait vivre ". Enfin, et alors qu'il n'est pas contesté que M. H..., s'est rendu au Cameroun dès le 26 septembre 2017 et s'y est maintenu, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il contribuerait à l'éducation et à l'entretien de l'enfant A... G.... Dans ces circonstances, le préfet du Finistère, qui justifie d'un faisceau d'indices concordants, doit être regardé comme établissant que la reconnaissance de paternité souscrite par M. H... à l'égard de l'enfant avait un caractère frauduleux. Par suite, le préfet du Finistère, à qui il appartenait de faire échec à cette fraude, a pu légalement refuser, pour ce motif, la délivrance de la carte nationale d'identité et du passeport sollicités par Mme G... au profit de son fils.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme G... n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 17 décembre 2018 par laquelle le préfet du Finistère a refusé de délivrer une carte nationale d'identité et un passeport à son enfant A... G....

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

12. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la décision administrative attaquée par Mme G..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par la requérante doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par le conseil de la requérante en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ordonnance du 26 août 2021 du président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Rennes est annulée.

Article 2 : La demande présentée par Mme G... devant tribunal administratif de Rennes et le surplus de ses conclusions devant la cour sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... G... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera délivrée, à titre d'information, au préfet du Finistère.

Délibéré après l'audience du 19 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Dias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 octobre 2023.

La rapporteure,

I. MONTES-DEROUETLa présidente,

C. BUFFET

La greffière,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT00697


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT00697
Date de la décision : 06/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BUFFET
Rapporteur ?: Mme Isabelle MONTES-DEROUET
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : RODRIGUES DEVESAS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-10-06;22nt00697 ?
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