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15/09/2023 | FRANCE | N°23NT00626

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 15 septembre 2023, 23NT00626


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... et Mme D... B... ont demandé, chacun en ce qui le concerne, au tribunal administratif de Rennes d'annuler les arrêtés du 2 décembre 2022 par lesquels le préfet du Finistère a rejeté leurs demandes de titre de séjour respectives, les a obligés à quitter le territoire dans un délai de quinze jours et a fixé le pays de destination de ces mesures d'éloignement.

Par un jugement nos 2206233, 2206236 du 3 mars 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté ces demandes.

Procéd

ure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 7 mars 2023, M. A... C... et Mme D....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... et Mme D... B... ont demandé, chacun en ce qui le concerne, au tribunal administratif de Rennes d'annuler les arrêtés du 2 décembre 2022 par lesquels le préfet du Finistère a rejeté leurs demandes de titre de séjour respectives, les a obligés à quitter le territoire dans un délai de quinze jours et a fixé le pays de destination de ces mesures d'éloignement.

Par un jugement nos 2206233, 2206236 du 3 mars 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 7 mars 2023, M. A... C... et Mme D... B..., représentés par Me Buors, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 3 mars 2023 ;

2°) d'annuler les arrêtés du préfet du Finistère du 2 décembre 2022 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Finistère de réexaminer leurs situations dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, en les munissant dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé dans sa réponse aux moyens tirés du défaut d'examen de leurs situations particulières respectives, à la méconnaissance de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les arrêtés litigieux sont insuffisamment motivés ;

- ils sont entachés d'un défaut d'examen particulier de leur situation ;

- ils sont entachés d'une erreur d'appréciation quant à leur identité et leur état civil ;

- ils méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- ils sont entachés d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- ils méconnaissent les stipulations de l'article 3.1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mai 2023, le préfet du Finistère conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. C... et Mme B... ne sont pas fondés.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 mars 2023.

Par courrier du 12 juillet 2023, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7-3 du code de justice administrative que la cour était susceptible d'enjoindre d'office au préfet de délivrer un titre de séjour aux intéressés.

Par un mémoire, enregistré le 8 août 2023, M. C... et Mme B... ont présenté des observations en réponse à cette communication et demandent en outre à la cour, en exécution de l'annulation des arrêtés litigieux, d'enjoindre au préfet du Finistère de leur délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.

Par un mémoire, enregistré le 11 août 2023, le préfet du Finistère a présenté des observations en réponse à cette communication.

Vu les pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lellouch,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- et les observations de Me Buors, représentant M. C... et Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant ivoirien, déclare être entré irrégulièrement en France le 3 juin 2014. Il a été pris en charge par le service d'aide sociale à l'enfance et a obtenu à sa majorité un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour la période allant du 26 décembre 2016 au 25 décembre 2017. Mme B..., sa compagne et compatriote, déclare être entrée en France le 9 août 2016. Elle a, quant à elle, été prise en charge par le service d'aide sociale à l'enfance à compter du 23 novembre 2017. Par deux arrêtés du 17 novembre 2020, le préfet du Finistère a refusé de leur délivrer les titres de séjour qu'ils avaient chacun sollicités, en dernier lieu, au titre de la vie privée et familiale sur le fondement des anciennes dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les a obligés à quitter le territoire dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Les recours des intéressés contre ces arrêtés ont été rejetés par les jugements nos 2100768 et 2100773 du tribunal administratif de Rennes du 26 avril 2021, confirmés le 23 mai 2022 par les ordonnances

nos 21NT02830 et 22NT00076 de la cour administrative d'appel de Nantes. M. C... et Mme B... ont alors sollicité leur admission exceptionnelle au séjour le 13 juin 2022, sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par deux arrêtés du 2 décembre 2022, le préfet du Finistère a rejeté leurs demandes, les a obligés à quitter le territoire dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. C... et Mme B... relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Rennes ayant rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces deux derniers arrêtés.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "

3. Il ressort des pièces du dossier que M. C... et Mme B... sont respectivement entrés en France en 2014 et 2016, et y résidaient respectivement depuis huit et six ans à la date des arrêtés litigieux avec leurs trois enfants nés en France en 2017, 2020 et 2022. Il est constant qu'ils ont été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance du département du Finistère et qu'ils ont dans ce cadre suivi une scolarité qui leur a permis d'obtenir pour M. C... un certificat d'aptitude professionnelle de maçon en 2017 puis un brevet professionnel de maçon en 2019 et pour Mme B... un certificat d'aptitude professionnelle aux métiers de la mode en 2019. Leurs deux aînés sont scolarisés en maternelle et en élémentaire. M. B..., qui a obtenu une autorisation de travail en 2016, justifie de l'exercice d'une activité professionnelle dans son domaine depuis 2016 et de manière continue et régulière depuis le mois de septembre 2019 et s'il a quitté son poste le 2 novembre 2020, il s'est trouvé en situation irrégulière à compter du 17 novembre suivant. Les requérants par ailleurs justifient être propriétaires de deux biens immobiliers, dont la maison dans laquelle ils résident avec leurs trois jeunes enfants. Ils ont tous deux obtenu leur diplôme d'étude en langue française A2 et produisent aux débats des attestations circonstanciées de soutien, notamment du maire de leur commune, qui témoignent de leur insertion sociale dans la société française. Enfin, si M. C... a été condamné à une peine de cinq cent euros d'amende par le juge pénal pour faux et usage de faux document administratif et si la consultation du fichier visabio a révélé qu'il avait, avant son entrée en France, sollicité un visa en se prévalant d'une autre identité, ces éléments ne permettent pas au vu des éléments produits aux débats, en particulier de l'extrait du jugement supplétif d'acte de naissance et de l'évaluation socio-éducative réalisée lors de son recueil provisoire par le département de l'Essonne, de remettre en cause la minorité de M. C... au moment de son entrée en France et de considérer qu'il a bénéficié d'une prise en charge indue par les services de l'aide sociale à l'enfance. Les renseignements défavorables ainsi recueillis sur son comportement, sans remettre en cause leur gravité, ne permettent pas de considérer que sa présence régulière en France constituerait une menace pour l'ordre public. Il en va de même pour Mme B.... Dans ces conditions, eu égard à la durée de présence en France des intéressés, à leur situation familiale, et à leur insertion sociale dans la société française et à leurs perspectives d'insertion professionnelle, le préfet du Finistère a porté une atteinte disproportionnée au droit des intéressés au respect de leur vie privée et familiale au regard des buts poursuivis et a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

4. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens invoqués, que M. C... et Mme B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

5. Eu égard à ses motifs, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance à M. C... et Mme B... d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre au préfet du Finistère de délivrer ce titre de séjour aux intéressés dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et de les munir, dans l'attente, d'une autorisation provisoire de séjour les autorisant à travailler, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

6. M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Buors dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 30 décembre 2022 et les arrêtés du 2 décembre 2022 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Finistère de délivrer à M. C... et à Mme B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et de les munir, dans l'attente, d'une autorisation provisoire de séjour les autorisant à travailler.

Article 3 : L'Etat versera à Me Buors, avocat des requérants, une somme de 1 200 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., à Mme D... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera transmise au préfet du Finistère.

Délibéré après l'audience du 31 août 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,

- Mme Lellouch, première conseillère,

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 septembre 2023.

La rapporteure,

J. Lellouch

Le président,

D. Salvi

Le greffier,

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT00626


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00626
Date de la décision : 15/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: Mme Judith LELLOUCH
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : FRANCK BUORS

Origine de la décision
Date de l'import : 24/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-09-15;23nt00626 ?
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