Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du préfet de la Manche du 8 juin 2022 lui refusant la protection temporaire.
Par un jugement n° 2201614 du 28 décembre 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 janvier 2023, Mme A... B..., représentée par Me Bernard, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 28 décembre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 8 juin 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Manche à titre principal, de l'admettre au bénéfice de la protection temporaire et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir en lui délivrant sans délai une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et si l'aide juridictionnelle lui est refusée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté litigieux est entaché de l'incompétence de son signataire ;
- il est insuffisamment motivé ;
- il est entaché d'un défaut d'examen particulier ;
- il méconnaît les dispositions de l'article L. 581-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et la décision d'exécution 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 ;
- par la voie de l'exception d'illégalité, la décision d'exécution (UE) 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 méconnaît le principe d'égalité ;
- l'arrêté litigieux est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 février 2023.
Vu les pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 ;
- la décision d'exécution (UE) 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lellouch,
- et les conclusions de M. Berthon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., ressortissante biélorusse née le 9 avril 1975 qui avait sa résidence en Ukraine où elle travaillait sous couvert d'un titre de séjour temporaire valable jusqu'au 11 janvier 2023, déclare être entrée en France le 18 mars 2022. Elle a sollicité à son arrivée sur le territoire français une autorisation provisoire de séjour portant la mention " protection temporaire " sur le fondement de l'article L. 581-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par arrêté du 8 juin 2022, le préfet de la Manche lui a refusé le bénéfice de la protection temporaire et a en conséquence rejeté sa demande d'autorisation provisoire de séjour portant la mention " bénéficiaire de la protection temporaire ". Mme B... relève appel du jugement du 28 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. D'une part, aux termes de l'article 5 de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l'octroi d'une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil : " 1. L'existence d'un afflux massif de personnes déplacées est constatée par une décision du Conseil (...) / (...) / 3. La décision du Conseil a pour effet d'entraîner, à l'égard des personnes déplacées qu'elle vise, la mise en œuvre dans tous les États membres de la protection temporaire conformément aux dispositions de la présente directive. La décision contient au moins : / a) une description des groupes spécifiques de personnes auxquels s'applique la protection temporaire / b) la date à laquelle la protection temporaire entrera en vigueur/ (...) ". L'article 7 de cette directive prévoit que : " 1. Les États membres peuvent faire bénéficier de la protection temporaire prévue par la présente directive des catégories supplémentaires de personnes déplacées qui ne sont pas visées dans la décision du Conseil prévue à l'article 5, lorsqu'elles sont déplacées pour les mêmes raisons et à partir du même pays ou de la même région d'origine. Ils en informent immédiatement le Conseil et la Commission (...) ".
3. Pour assurer la transposition de ces dispositions, l'article L. 581-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que le bénéfice du régime de la protection temporaire " est ouvert aux étrangers selon les modalités déterminées par la décision du Conseil de l'Union européenne mentionnée à l'article 5 de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001, définissant les groupes spécifiques de personnes auxquelles s'applique la protection temporaire (...) ". Selon l'article L. 581-3 du même code : " L'étranger appartenant à un groupe spécifique de personnes visé par la décision du Conseil mentionnée à l'article L. 581-2 bénéficie de la protection temporaire à compter de la date mentionnée par cette décision. Il est mis en possession d'un document provisoire de séjour assorti, le cas échéant, d'une autorisation provisoire de travail. Ce document provisoire de séjour est renouvelé tant qu'il n'est pas mis fin à la protection temporaire (...) ". En vertu de l'article L. 581-7 du même code : " Dans les conditions fixées à l'article 7 de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001, peuvent bénéficier de la protection temporaire des catégories supplémentaires de personnes déplacées qui ne sont pas visées dans la décision du Conseil prévue à l'article 5 de cette même directive, lorsqu'elles sont déplacées pour les mêmes raisons et à partir du même pays ou de la même région d'origine. Les dispositions des articles L. 581-3 à L. 581-6 sont applicables à ces catégories supplémentaires de personnes ". Aux termes de l'article R. 581-18 du même code : " Les catégories de personnes déplacées qui peuvent bénéficier de la protection temporaire en France en application des dispositions de l'article L. 581-7 sont désignées par arrêté conjoint du ministre chargé de l'immigration, du ministre de l'intérieur et du ministre des affaires étrangères. / (...) Le ministre chargé de l'asile informe immédiatement le Conseil et la Commission de l'Union européenne de la mise en œuvre de ces dispositions ".
4. D'autre part, aux termes de l'article 1er de la décision d'exécution (UE) 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 constatant l'existence d'un afflux massif de personnes déplacées en provenance d'Ukraine, au sens de l'article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d'introduire une protection temporaire : " L'existence d'un afflux massif dans l'Union de personnes déplacées qui ont dû quitter l'Ukraine en raison d'un conflit armé est constatée ". Aux termes de l'article 2 de cette même décision : " 1. La présente décision s'applique aux catégories suivantes de personnes déplacées d'Ukraine le 24 février 2022 ou après cette date, à la suite de l'invasion militaire par les forces armées russes qui a commencé à cette date : / a) les ressortissants ukrainiens résidant en Ukraine avant le 24 février 2022; / b) les apatrides, et les ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine, qui ont bénéficié d'une protection internationale ou d'une protection nationale équivalente en Ukraine avant le 24 février 2022; et, / c) les membres de la famille des personnes visées aux points a) et b). / 2. Les États membres appliquent la présente décision ou une protection adéquate en vertu de leur droit national à l'égard des apatrides, et des ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine, qui peuvent établir qu'ils étaient en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022 sur la base d'un titre de séjour permanent en cours de validité délivré conformément au droit ukrainien, et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou leur région d'origine dans des conditions sûres et durables / 3. Conformément à l'article 7 de la directive 2001/55/CE, les États membres peuvent également appliquer la présente décision à d'autres personnes, y compris aux apatrides et aux ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine, qui étaient en séjour régulier en Ukraine et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou région d'origine dans des conditions sûres et durables / (...) ".
5. Il résulte des dispositions du paragraphe 2 de l'article 2 de la décision d'exécution 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022, prises en application de l'article 5 de la directive 2001/55/CE et auxquelles se réfèrent les articles L. 581-2 et L. 581-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que pour pouvoir prétendre au bénéfice de la protection temporaire, les ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine doivent en principe être titulaires d'un titre de séjour permanent délivré conformément au droit ukrainien. Si le paragraphe 3 de ce même article 2 envisage que cette protection soit rendue applicable à d'autres catégories de personnes, dont les ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine qui séjournaient régulièrement dans ce pays sans disposer d'un titre permanent, il se borne ce faisant à rappeler la faculté que tiennent les Etats membres de l'article 7 de la directive 2001/55/CE d'étendre le bénéfice de la protection à des catégories supplémentaires de personnes déplacées qui ne sont pas visées dans la décision du Conseil, lorsqu'elles sont déplacées pour les mêmes raisons et à partir du même pays ou de la même région d'origine, l'exercice d'une telle faculté supposant d'en informer immédiatement le Conseil et la Commission. La mise en œuvre de cette faculté par les autorités françaises, transposée à l'article L. 581-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est subordonnée par l'article R. 581-18 du même code à l'adoption d'un arrêté conjoint du ministre chargé de l'immigration, du ministre de l'intérieur et du ministre des affaires étrangères, désignant les catégories de personnes concernées. Ce même article prévoit également l'information du Conseil et de la Commission par le ministre chargé de l'asile.
6. Dès lors qu'aucun arrêté interministériel n'a été pris sur le fondement de l'article R. 581-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'autorité préfectorale est tenue de refuser le bénéfice de la protection temporaire à un ressortissant d'un pays tiers à l'Ukraine ne disposant pas de titre de séjour permanent délivré par les autorités ukrainiennes. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que le préfet de la Manche aurait commis une erreur de droit en s'estimant en situation de compétence liée pour refuser à Mme B..., dont il est constant qu'elle n'était pas titulaire d'un titre de séjour permanent en Ukraine, une autorisation provisoire de séjour portant la mention " bénéficiaire de la protection temporaire " doit être écarté.
7. La requérante soutient que la décision d'exécution du Conseil du 4 mars 2022 à laquelle les articles L. 581-2 et L. 581-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile se réfèrent pour définir le champ d'application de la protection temporaire, ainsi que par voie de conséquence l'instruction interministérielle relative à la mise en œuvre de cette décision, qui en rappelle les termes, méconnaissent le principe d'égalité de traitement garanti par le droit de l'Union européenne et le principe de non-discrimination, en tant qu'elles ne prévoient pas le bénéfice de cette protection pour les ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine non titulaires d'un titre de séjour permanent. Toutefois, au regard de l'objet de la protection temporaire, dispositif exceptionnel visant, sur le fondement de normes minimales communes à tous les Etats membres, à assurer une protection immédiate et de caractère temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées ne pouvant rentrer dans leur pays d'origine, la différence de traitement entre les ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine, selon qu'ils sont titulaires d'un titre de séjour permanent ou non délivré par les autorités de ce pays, n'est en tout état de cause pas susceptible de caractériser une méconnaissance des principes invoqués. Il s'ensuit que le moyen invoqué par la voie de l'exception, tiré de la méconnaissance par la décision d'exécution ainsi que l'instruction relative à la mise en œuvre de cette décision, du principe d'égalité, ne peut qu'être écarté.
8. Enfin, eu égard à la compétence liée du préfet pour refuser à Mme B... le bénéfice de la protection temporaire qu'elle a sollicité, les moyens tirés de l'incompétence du signataire, de l'insuffisante motivation, du défaut d'examen particulier et de l'erreur manifeste d'appréciation sont inopérants et doivent être écartés comme tels.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande. Ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Manche.
Délibéré après l'audience du 31 août 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Salvi, président,
- Mme Lellouch, première conseillère,
- M. Catroux, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 septembre 2023.
La rapporteure,
J. Lellouch
Le président,
D. Salvi
Le greffier,
R. Mageau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT00201