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15/09/2023 | FRANCE | N°22NT03583

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 15 septembre 2023, 22NT03583


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 14 septembre 2022 du préfet du Calvados fixant le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné, en exécution de l'interdiction judiciaire du territoire nationale pour une durée de deux ans à laquelle il a été condamné.

Par un jugement n° 2202276 du 19 octobre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 14 septembre 2022 du préfet du Calvados fixant le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné, en exécution de l'interdiction judiciaire du territoire nationale pour une durée de deux ans à laquelle il a été condamné.

Par un jugement n° 2202276 du 19 octobre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistré le 18 novembre 2022, M. B..., représentée par Me Balouka, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 19 octobre 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Caen ;

2°) d'annuler la décision du 14 septembre 2022 du préfet du Calvados ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors qu'il aurait dû être examiné en formation collégiale en application de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il a en effet contesté une décision fixant le pays de destination en vue de l'exécution d'une décision pénale d'interdiction de séjour ;

- la décision contestée est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'il n'a pas disposé d'un délai suffisant pour formuler des observations écrites et se faire assister par un mandataire de son choix, en méconnaissance de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration ; il n'est pas justifié que le courrier du 12 septembre 2022 lui a été notifié dans une langue qu'il comprend ; il n'a pas été informé du droit à se faire assister par un mandataire de son choix ;

- la décision contestée méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 décembre 2022, le préfet du Calvados conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 novembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Chollet a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant géorgien né le 21 novembre 1988 à Gori (Géorgie) est entré irrégulièrement en France le 15 novembre 2012 selon ses déclarations. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile le 5 juin 2014. Il a obtenu un titre de séjour pour raisons de santé, régulièrement renouvelé du 13 novembre 2014 au 10 mai 2017, date à laquelle il a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. Le requérant n'a pas exécuté cette mesure d'éloignement. Par un arrêté du 20 décembre 2019, le préfet l'a de nouveau obligé à quitter le territoire français et l'a assigné à résidence. Il a été condamné à deux mois d'emprisonnement et à une interdiction judiciaire du territoire français pour une durée de deux ans par jugement du tribunal judiciaire de Caen du 27 mai 2021 pour les faits de non-respect de l'assignation à résidence par un étranger devant quitter le territoire français et soustraction à l'exécution d'une obligation de quitter le territoire français. Le préfet du Calvados a, par une décision du 14 septembre 2022, fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné sur le fondement de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. M. B... relève appel du jugement du 19 octobre 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Caen rejetant sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative fixe, par une décision distincte de la décision d'éloignement, le pays à destination duquel l'étranger peut être renvoyé en cas d'exécution d'office d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une décision de mise en œuvre d'une décision prise par un autre État, d'une interdiction de circulation sur le territoire français, d'une décision d'expulsion, d'une peine d'interdiction du territoire français ou d'une interdiction administrative du territoire français ". Aux termes de l'article L. 721-5 du même code : " Les dispositions du chapitre IV du titre I du livre VI sont applicables à la contestation et au jugement de la décision fixant le pays de renvoi qui vise à exécuter une décision portant obligation de quitter le territoire français ou une interdiction de retour sur le territoire français. / ( ...) ". Aux termes de l'article L. 614-15 du même code : " Les dispositions des articles L. 614-4 à L. 614-6 sont applicables à l'étranger détenu. / Toutefois, lorsqu'il apparaît, en cours d'instance, que l'étranger détenu est susceptible d'être libéré avant que le juge statue, l'autorité administrative en informe le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné. Il est alors statué sur le recours dirigé contre la décision portant obligation de quitter le territoire français selon la procédure prévue aux articles L. 614-9 à L. 614-11 et dans un délai de huit jours à compter de l'information du tribunal par l'autorité administrative ". Aux termes de l'article L. 614-9 du même code : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il désigne à cette fin parmi les membres de sa juridiction, ou les magistrats honoraires inscrits sur la liste mentionnée à l'article L. 222-2-1 du code de justice administrative, statue au plus tard quatre-vingt-seize heures à compter de l'expiration du délai de recours. / (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a fait l'objet d'une interdiction judiciaire du territoire français pour une durée de deux ans par jugement du tribunal judiciaire de Caen du 27 mai 2021, outre une condamnation à deux mois d'emprisonnement, et qu'il a été informé par courrier du 22 septembre 2022 de la maison d'arrêt de Caen que sa date de libération était fixée au 19 octobre 2022. Son recours contre la décision fixant le pays de destination du 14 septembre 2022, notifiée le 16 septembre 2022, a été enregistré au greffe du tribunal administratif de Caen le 11 octobre 2022 et comportait ce courrier du 22 septembre 2022. Sa demande devait donc être examinée par le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigné à cette fin, selon la procédure telle que rappelée au point 2, soit dans un délai de huit jours à compter de l'information du tribunal que M. B... était susceptible d'être libéré avant que le juge statue. Par suite, le jugement qui a été rendu public le 19 octobre 2022 n'est pas irrégulier.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. En premier lieu, il résulte des articles L. 721-3 et L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'aussi longtemps que la personne condamnée n'a pas obtenu de la juridiction qui a prononcé la condamnation pénale le relèvement de sa peine d'interdiction du territoire, l'autorité administrative est tenue de pourvoir à son exécution en édictant à son encontre une décision motivée fixant son pays de destination, sous réserve qu'une telle décision n'expose pas l'intéressé à être éloigné à destination d'un pays dans lequel sa vie ou sa liberté serait menacée, ou d'un pays où il serait exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La désignation du pays de renvoi, qui n'est pas prise pour l'exécution d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, a le caractère d'une mesure de police soumise notamment aux dispositions des articles L. 121-1 et L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration. Aux termes de l'article L. 121-1 de ce code : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Aux termes de l'article L. 122-1 du même code : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. / (...) ".

5. Par un courrier du 12 septembre 2022, M. B... a été invité à présenter des observations sur la fixation du pays à destination duquel l'autorité administrative devait mettre à exécution la mesure d'interdiction judiciaire du territoire dont il faisait l'objet et a été informé de la possibilité d'être assisté par un conseil ou d'être représenté par un mandataire de son choix. Le requérant a signé ce courrier, notifié en main propre le 12 septembre 2022 à 14h20 et relevé le 13 septembre 2022 à 14h20 après la formulation de ses observations écrites avec l'assistance d'un interprète par téléphone. En effet, il y est écrit sous la rubrique observations, de manière manuscrite " Je ne désire pas retourner en Géorgie car j'ai mon fils de 10 ans qui est né en France. Il est intégré et scolarisé ". Ainsi, il a été mis en mesure d'être entendu sur la décision fixant la Géorgie, pays dont il possède la nationalité, comme pays de destination avant que soit effectivement prise la décision contestée. Dans ces conditions, alors qu'il ne soutient pas qu'il aurait tenté en vain de porter à la connaissance de l'administration des éléments pertinents relatifs à sa situation avant l'intervention de la décision fixant le pays de destination, le moyen tiré de la méconnaissance des articles L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration doit être écarté.

6. En deuxième lieu, si M. B... soutient qu'un retour en Géorgie le mettrait en danger et invoque un traumatisme en lien avec la guerre de 2008 dans ce pays, qu'il a quitté en 2012 suite à des persécutions par la police, les documents produits ne permettent pas d'établir qu'il risque de subir des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour dans son pays d'origine. En particulier, l'attestation du 8 juin 2017 d'un médecin psychiatre se borne à reprendre les allégations du requérant et ne permet pas de faire le lien entre ses problèmes psychiatriques et son pays d'origine. Au surplus, sa demande de reconnaissance du statut de réfugié a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, décision confirmée par la Cour nationale du droit d'asile. Dans ces conditions, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, la décision contestée n'est pas entachée en tout état de cause d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle de l'intéressé.

7. En dernier lieu, le requérant ne peut utilement se prévaloir de son parcours professionnel en Géorgie et en France, de la scolarité de ses enfants en France et de son intégration à la société française depuis plus de 10 ans pour contester la légalité de la décision fixant le pays de destination.

8. Il résulte de tout ce qui précède M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B..., à Me Balouka et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera transmise pour information au préfet du Calvados.

Délibéré après l'audience du 29 août 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 septembre 2023.

La rapporteure,

L. CHOLLET

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT03583


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT03583
Date de la décision : 15/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Laure CHOLLET
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : CABINET SARAH BALOUKA - AARPI CONCORDANCE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 24/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-09-15;22nt03583 ?
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