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15/09/2023 | FRANCE | N°22NT02547

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 15 septembre 2023, 22NT02547


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du

3 mars 2022 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.

Par un jugement no 2201132 du 2 juin 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête en

registrée le 4 août 2022, Mme A..., représentée par Me Gourlaouen, demande à la cour :

1°) d'annuler ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du

3 mars 2022 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.

Par un jugement no 2201132 du 2 juin 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 août 2022, Mme A..., représentée par Me Gourlaouen, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 2 juin 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet d'Ille-et-Vilaine du 3 Mars 2022 ;

3°) d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de trois jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de procéder à l'effacement du signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen dans un délai de trois jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'État, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation et est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision contestée méconnaît son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations des articles 3 et 9 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

S'agissant de la décision portant interdiction de retour sur le territoire d'une durée d'un an :

- elle est entachée d'un défaut d'examen complet de sa situation et est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur d'appréciation ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations des articles 3 et 9 de la convention internationale des droits de l'enfant.

La requête a été communiquée au préfet d'Ille-et-Vilaine, qui n'a pas produit d'observations.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du

16 août 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Catroux,

- et les conclusions de M. Berthon, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante albanaise née le 10 juillet 1966, est entrée irrégulièrement en France le 10 octobre 2017, avec ses deux fils mineurs. Elle a déposé, le 30 octobre 2017, une demande d'asile qui a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) puis par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). A la suite du dépôt d'une demande de titre de séjour pour raisons de santé, le préfet d'Ille-et-Vilaine, par arrêté du 23 juillet 2020, a refusé à l'intéressée la délivrance de ce titre, l'a obligée à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme A... n'a pas exécuté cette mesure d'éloignement. Par un nouvel arrêté du 3 mars 2022, le préfet l'a obligée à quitter le territoire sans délai, lui faisant interdiction de retour sur le territoire durant une année. Mme A... relève appel du jugement du 2 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande d'annulation de ce dernier arrêté.

2. En premier lieu et d'une part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". De plus, aux termes de l'article 9-1 de cette convention : " Les Etats parties veillent à ce que l'enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l'intérêt supérieur de l'enfant. Une décision en ce sens peut être nécessaire dans certains cas particuliers, par exemple lorsque les parents maltraitent ou négligent l'enfant, ou lorsqu'ils vivent séparément et qu'une décision doit être prise au sujet du lieu de résidence de l'enfant. (...) ".

4. Il ressort des pièces du dossier que les deux enfants mineurs de Mme A... ont été confiés aux services de l'aide sociale à l'enfance, par un jugement du juge des enfants du tribunal judiciaire de Rennes en assistance éducative du 13 juillet 2020 renouvelé le 10 août 2021 jusqu'au 31 août 2022. La requérante soutient que cette décision fait obstacle à leur départ du territoire français et qu'ainsi la mesure d'éloignement litigieuse aurait pour conséquence de les séparer d'elle. Or, il ressort du jugement en assistance éducative du 10 août 2021, que les enfants de Mme A..., âgés de 17 et 14 ans à la date de la décision contestée, ont exprimé le souhait de rester avec leur mère et ont sollicité et obtenu une mesure de placement à domicile, qui a été ordonnée par le juge des enfants. Il en ressort également qu'aucune interdiction de sortie du territoire ou aucune autorisation préalable à obtenir du juge des enfants en cas de sortie du territoire n'a été prononcée concernant ces enfants. Cette décision d'assistance éducative ne permet pas le placement des enfants au sein d'un domicile stable, puisque Mme A..., bien que bénéficiant d'une domiciliation administrative à la Croix-Rouge où elle reçoit ses courriers, déclare être sans domicile fixe et vivre dans un squat dont elle ignore l'adresse, ainsi qu'il ressort de son audition par la police aux frontières le 3 mars 2022. Une telle mesure a pour objet de permettre aux services de l'aide à l'enfance de pouvoir réaliser un retrait immédiat des enfants de leur mère sans avoir à saisir à nouveau le juge en cas d'évolution défavorable. Il n'est, dès lors, aucunement établi que les jugements en assistance éducative concernant les enfants mineurs de la requérante constituent un obstacle pour un éloignement des enfants avec leur mère et donc aient pour effet de les séparer, même si l'exécution d'une telle mesure implique que le préfet en informe préalablement l'autorité judiciaire compétente. Enfin, Mme A... a déclaré avoir ses parents ainsi que ses huit frères et sœurs en Albanie. Dans ces conditions, en obligeant

Mme A... à quitter le territoire français, le préfet d'Ille-et-Vilaine n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Dès lors, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de ce que le préfet aurait commis une erreur manifeste dans son appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressée doivent être écartés. De plus, il ne ressort pas des pièces du dossier que la scolarisation des enfants ne pourrait pas se poursuivre en Albanie, ou qu'ils ne pourraient pas, le cas échéant, bénéficier dans ce pays dont ils sont ressortissants, des mesures d'assistance éducative nécessaires. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3.1 et, en tout état de cause, de l'article 9 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent être écartés.

5. En deuxième lieu, la requérante reprend en appel, sans apporter d'éléments de fait ou de droit nouveau, les moyens invoqués en première instance, tirés de ce que la décision d'obligation de quitter le territoire français est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation, est insuffisamment motivée et méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation et est insuffisamment motivée. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".

7. Mme A..., entrée le 10 octobre 2017 en France, n'a pas de liens anciens ou particuliers avec ce pays, ses enfants mineurs pouvant l'accompagner en cas de retour en Albanie. Elle a déjà fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. Par suite, le préfet a fait une exacte application des dispositions précitées de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en prenant une interdiction de retour d'un an à l'encontre de l'intéressée.

8. En dernier lieu, les moyens tirés de ce que la décision d'interdiction de retour sur le territoire français méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles des articles 3 et 9 de la convention internationale des droits de l'enfant doivent être écartés pour les mêmes raisons que celles exposées au point 4 du présent arrêt.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a, par le jugement attaqué, rejeté sa demande. Ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent, par voie de conséquence, également être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera transmise, pour information, au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 31 août 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,

- Mme Lellouch, première conseillère,

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 septembre 2023.

Le rapporteur,

X. CatrouxLe président,

D. Salvi

Le greffier,

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°22NT02547


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02547
Date de la décision : 15/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: M. Xavier CATROUX
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : CABINET CAROLE GOURLAOUEN

Origine de la décision
Date de l'import : 24/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-09-15;22nt02547 ?
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