Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... K... A..., agissant en son nom et en qualité de représentant légal des enfants G... A..., F... A... et I... A..., ainsi que Mme H... D... et M. B... J... A..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 26 août 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre les décisions de l'ambassade de France en République Centrafricaine refusant de délivrer des visas de long séjour à G... A..., F... A..., I... A..., M. B... J... A... et Mme D... au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n°2110923 du 28 mars 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 26 août 2021 et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme D..., M. B... J... A... et aux enfants G... A..., F... A... et I... A... les visa de long séjour sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 25 mai 2022, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 28 mars 2022 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. E... K... A..., Mme H... D... et M. B... J... A... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- l'identité et les liens familiaux des demandeurs de visa ne sont établis ni par les actes d'état civil produits ni par des éléments de possession d'état ;
- la décision de refus peut légalement être fondée sur un autre motif, tiré de ce que les demandes de visas des enfants ne comportent ni jugement de délégation de l'autorité parentale au bénéfice exclusif du père, ni autorisation de sortie du territoire ;
- les autres moyens soulevés à l'appui de la demande de première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 octobre 2022, M. E... K... A..., agissant en son nom et en qualité de représentant légal des enfants G... A..., F... A... et I... A..., ainsi que Mme H... D... et M. B... J... A..., représentés par Me Cabioch, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.
M. A... a été maintenu de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle (55%) par une décision du 7 juin 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Frank a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... A..., ressortissant centrafricain né le 6 novembre 1979, a été admis au bénéfice de la protection subsidiaire en France par une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 8 mars 2016. Des demandes de visa de long séjour au titre de la réunification familiale ont été déposées pour sa concubine alléguée, Mme D..., née le 18 août 1982, et pour ses enfants allégués, B... J... A..., G... A..., F... A... et I... A..., nés respectivement les 11 mars 2003, 10 avril 2006, 2 mai 2009 et 17 mars 2013. Ces demandes ont été rejetées par des décisions de l'ambassade de France en République Centrafricaine du 14 mai 2021. Par une décision du 26 août 2021, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre ces décisions consulaires. Par un jugement du 28 mars 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de deux mois. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier que, pour refuser les visas sollicités, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur les motifs tirés de ce que l'identité des demandeurs de visa, et partant le lien familial à l'égard de M. E... A..., n'étaient pas établis.
3. Aux termes des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. ". Aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ". Aux termes de l'article L. 434-3 de ce code : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande : / 1° La filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ; / 2° Ou lorsque l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". Lorsque la venue d'une personne en France a été sollicitée au titre de la réunification des membres de la famille d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire, l'autorité diplomatique ou consulaire n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin que pour un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère probant des actes d'état civil produits pour justifier de l'identité et, le cas échéant, du lien familial de l'intéressé avec la personne protégée.
4. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. II n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
6. D'une part, pour justifier de l'identité et du lien de filiation de M. B... J... A..., et des jeunes G... A..., F... A... et I... A..., ont été produits les copies des actes de naissance n°s 1289/19, 1292/19, 1297/19 et 1272/19, établis les 5, 6 et 7 août 2019 par l'officier d'état civil de la commune de Bangui, en transcription de jugements supplétifs rendus les 20 juin et 30 juillet 2019. Ces documents font état des noms et prénoms des enfants, de leurs dates et lieux de naissance et des noms, prénoms et professions du père et de la mère. La circonstance que les jugements supplétifs transcrits n'aient pas été produits par les demandeurs ne suffit pas à établir que les actes de naissance présenteraient un caractère irrégulier, falsifié ou inexact. Par ailleurs les énonciations contenues dans ces documents sont conformes aux déclarations faites par M. A... devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ainsi qu'aux mentions figurant sur les passeports des intéressés. Au surplus, les demandeurs de visa ont également produit la copie intégrale des actes de reconnaissance de chacun des enfants par M. A..., établis le 1er août 2018 par l'officier d'état civil de la ville de Nantes.
7. D'autre part, pour justifier de l'identité de Mme D..., ont été produits un jugement de reconstitution d'acte de naissance n°9961 du 18 octobre 2016, rendu par le tribunal de grande instance de Bangui, un extrait d'acte de naissance n° 6228/16 dressé par l'officier d'état civil de la commune de Bangui le 9 décembre 2016 en transcription de ce jugement, ainsi qu'un passeport. Ces documents mentionnent chacun le prénom et nom de l'intéressée, sa date et son lieu de naissance, les noms, prénoms et professions du père et de la mère, et permettent ainsi de déterminer l'identité de la personne qui y figure. La circonstance que l'acte de naissance de Mme D... aurait été établi tardivement, suivant un jugement de reconstitution d'acte de naissance, ne suffit pas établir que les actes produits par l'intéressée ne présenteraient pas des garanties suffisantes d'authenticité ou que le jugement supplétif du 18 octobre 2016, présenterait un caractère frauduleux, notamment en l'absence de toute contradiction ou incohérence entre les documents. Par ailleurs, Mme D... doit être regardée, eu égard notamment aux actes d'état civil produits pour M. B... J... A... et les jeunes G... A..., F... A... et I... A..., comme la mère des enfants de M. A..., respectivement nés en 2003, 2006, 2009 et 2013. En outre, il ressort des pièces du dossier que M. A..., entré en France en octobre 2013 et qui a introduit sa demande d'asile la même année, a constamment déclaré, dans ses démarches auprès de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, qu'il entretenait un lien de concubinage avec Mme D.... Dès lors, Mme D... doit être regardée comme ayant eu, avant la date d'introduction de la demande d'asile de M. A..., une vie commune suffisamment stable et continue avec ce dernier, au sens des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La seule circonstance que M. A... ait été condamné le 16 octobre 2017 par le tribunal correctionnel de la Roche-sur-Yon, à trois mois d'emprisonnement avec sursis pour des faits de violence commis le 19 mai 2017 par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité ne suffit pas, dans les circonstances de l'espèce, à remettre en cause le lien familial unissant Mme D... et M. A..., et alors que le ministre n'apporte aucun élément concernant l'identité de la victime, ou son lien précis avec l'auteur des violences.
8. Il résulte de ce qui précède que c'est par une inexacte application des dispositions précitées que la commission a rejeté la demande de visa litigieuse au motif que l'identité des demandeurs de visa, et partant le lien familial à l'égard de M. E... A..., n'étaient pas établis.
9. Toutefois, l'administration peut, notamment en première instance, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
10. Pour établir que la décision contestée était légale, le ministre de l'intérieur fait valoir, dans son mémoire en défense de première instance, communiqué aux consorts A..., ainsi que dans sa requête d'appel, que les demandes de visas présentées pour les enfants ne comportent ni jugement de délégation de l'autorité parentale au bénéfice exclusif de M. A..., ni autorisation de sortie du territoire.
11. Aux termes de l'article L. 434-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, auquel renvoie l'article L. 561-4 du même code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France ".
12. Ainsi qu'il a été dit, Mme D... doit être regardée comme la concubine de M. A..., ainsi que la mère de M. B... J... A..., et les jeunes G... A..., F... A... et I... A..., demandeurs de visas. Par suite, et alors que Mme D... a également sollicité son entrée en France, en même temps que ses enfants, afin de rejoindre M. A... en France, le motif tiré de ce que les demandes de visas présentées pour les intéressés ne comportent ni jugement de délégation de l'autorité parentale au bénéfice exclusif de M. A..., ni autorisation de sortie du territoire, n'est pas de nature à fonder légalement la décision contestée. Dès lors, la demande de substitution de motifs sollicitée par le ministre ne peut être accueillie.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 26 août 2021 et a enjoint au ministre de délivrer les visas de long séjour sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification de son jugement.
Sur les frais liés au litige :
14. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1200 euros à Me Cabioch dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Cabioch une somme de 1200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... K... A..., à Mme H... D..., à M. B... J... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 23 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 juillet 2023.
Le rapporteur,
A. FRANKLe président,
J. FRANCFORT
La greffière,
H. EL HAMIANI
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 22NT01633