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21/07/2023 | FRANCE | N°23NT00282

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 21 juillet 2023, 23NT00282


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 14 mars 2022 du préfet du Calvados lui refusant la délivrance d'un titre de séjour.

Par un jugement n° 2200979 du 9 décembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 février 2023, Mme D..., représentée par Me Blache, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 9 décem

bre 2022 ;

2°) d'annuler cet arrêté du 14 mars 2022 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Calvados, à titre p...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 14 mars 2022 du préfet du Calvados lui refusant la délivrance d'un titre de séjour.

Par un jugement n° 2200979 du 9 décembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 février 2023, Mme D..., représentée par Me Blache, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 9 décembre 2022 ;

2°) d'annuler cet arrêté du 14 mars 2022 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Calvados, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention "vie privée et familiale" ou, à titre subsidiaire de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour et de travail, le tout dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 800 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- en ne tenant pas compte du lien de filiation entre son enfant et le père de ce dernier, tel qu'établi par les éléments du dossier, les premiers juges ont entaché leur jugement d'irrégularité ;

- l'arrêté contesté portant refus de titre de séjour est entaché d'une insuffisance de motivation ;

- cet arrêté a été pris en méconnaissance des dispositions des articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il a été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il a été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire enregistré le 7 avril 2023, le préfet du Calvados conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Brisson a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., ressortissante camerounaise née le 21 juillet 1990, est entrée en France en janvier 2020, selon ses déclarations, sous couvert d'un visa Schengen de court séjour, valable entre le 8 janvier 2020 et le 6 avril 2020. Elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français au cours de l'année 2021. Par un arrêté du 14 mars 2022, le préfet du Calvados a rejeté sa demande. Mme D... relève appel du jugement du 9 décembre 2022 du tribunal administratif de Rennes rejetant sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Mme D... soutient que les premiers juges n'ont pas tenu compte du lien de filiation entre son enfant et le père déclaré de ce dernier, tel qu'établi tant par la possession d'état que par le jugement du 8 novembre 2022 du juge aux affaires familiales porté à leur connaissance. Ce faisant, la requérante critique l'appréciation au fond portée par les premiers juges sur son recours pour excès de pouvoir et un tel moyen ne peut être utilement invoqué pour contester la régularité du jugement attaqué.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges, le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté refusant la délivrance d'un titre de séjour à Mme D... serait entaché d'une insuffisance de motivation.

4. Aux termes de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 ". Aux termes de l'article L. 423-8 du même code : " Pour la délivrance de la carte de séjour prévue à l'article L. 423-7, lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, doit justifier que celui-ci contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du code civil, ou produire une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant. ".

5. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec, même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ses compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en œuvre des dispositions des articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application de ces principes. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement des articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.

6. Pour refuser de délivrer à Mme D... un titre de séjour sur le fondement des dispositions des articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet du Calvados s'est fondé sur l'absence de contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant par le père de nationalité française, motif auquel les premiers juges ont substitué celui tiré de ce que la reconnaissance de paternité de sa fille E... par M. B... C... était frauduleuse.

7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme D... déclare être entrée en France enceinte sous couvert d'un visa de court séjour valable entre le 8 janvier 2020 et le 6 avril 2020, qu'elle obtenu par l'intermédiaire de son employeur et qui a ensuite donné lieu à un dépôt de plainte notamment pour abus de confiance de la part du conseil gabonais du patronat. L'intéressée s'est maintenue irrégulièrement sur le territoire français à l'expiration de ce visa et a donné naissance le 11 septembre 2020 à une fille, E..., qui a été reconnue le 29 mai précédent par M. B... C..., ressortissant français. Il est constant que ce dernier, que la requérante déclare avoir rencontré en mars 2020, n'est pas le père biologique de l'enfant. Si Mme D... soutient avoir ensuite entretenu une relation sentimentale de quelques mois avec ce ressortissant français, elle ne justifie pas d'une quelconque communauté de vie avec ce dernier. En outre, si la requérante soutient que M. C... s'occupe de l'enfant et participe à son éducation et à son entretien, les pièces justificatives qu'elle verse à l'appui de ses allégations, composées de quelques justificatifs peu probants portant sur des achats et des visites médicales, de photos pour la plupart non datées, d'attestations convenues et non circonstanciées des intéressés et de proches, de quelques justificatifs de transferts et virements pour quelques centaines d'euros entre novembre 2021 et mars 2022, ne sont pas suffisantes pour justifier d'une participation effective de ce ressortissant français à l'entretien et à l'éducation de l'enfant de Mme D..., laquelle ne saurait se prévaloir du jugement du 8 novembre 2022 du juge aux affaires familiales, postérieur à l'arrêté contesté, qui prévoit le versement d'une pension par M. C... et l'attribution d'un droit de visite. Ainsi, le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité de cet enfant doit être regardé comme établi alors même que le signalement effectué par le préfet auprès du procureur de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale pour tentative d'obtention frauduleuse de titres n'aurait pas donné lieu à des poursuites pénales. Par suite, le préfet, à qui il appartenait de faire échec à cette fraude dès lors que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'était pas acquise, était légalement fondé à refuser, pour ce motif, la délivrance du titre de séjour sollicité par Mme D....

8. En second lieu, en se bornant à faire état pour la première fois devant le juge d'appel de la naissance en France, le 29 janvier 2022, d'un autre enfant reconnu le 4 août 2021 par un autre ressortissant français, sans apporter aucune précision ni sur une éventuelle contribution de l'un et l'autre des parents à l'éducation et l'entretien de cet enfant ni sur l'existence de liens entre ce dernier et son père, Mme D... ne justifie pas remplir les conditions légales pour se voir délivrer un titre de séjour en qualité de parent de cet enfant français.

9. Il résulte de ce qui a été dit aux points 7 et 8 que le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté portant refus de titre de séjour aurait été pris en méconnaissance des dispositions des articles L. 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

10. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

11. Si Mme D... se prévaut de sa qualité de mère de deux enfants français, l'intéressée n'établit pas, ainsi qu'il a été dit aux points 7 et 8, que les ressortissants français qui ont reconnu ces enfants entretiendraient avec ces derniers des liens d'une particulière intensité. La requérante, qui est célibataire, sans emploi ni logement autonome, et dont la présence en France est récente, ne justifie pas d'une particulière intégration et n'est pas dépourvue de toute attache dans son pays d'origine, où elle a vécu jusqu'à l'âge de vingt-neuf ans et où résident notamment sa mère, un frère, une sœur et un premier enfant auquel elle a donné naissance en 2014. Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment de la durée et des conditions de séjour en France de l'intéressée, l'arrêté contesté lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, eu égard à son objet et à ses effets, n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris. Dès lors, en prenant cet arrêté, le préfet du Calvados n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

12. En vertu des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 11, le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté portant refus de titre de séjour, qui n'a, par lui-même, ni pour objet ni pour effet de séparer la requérante de ses enfants nés en France, aurait été pris en méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.

13. En se prévalant de sa situation telle qu'exposée aux points 7 et 11, Mme D... n'établit pas que l'arrêté contesté serait entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

14. Il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte et celles tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Calvados.

Délibéré après l'audience du 29 juin 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- Mme Lellouch, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juillet 2023.

La rapporteure,

C. Brisson Le président,

D. Salvi

La greffière,

A. Martin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23NT002822


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00282
Date de la décision : 21/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: Mme Christiane BRISSON
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : BLACHE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-07-21;23nt00282 ?
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