Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 19 juin 2022 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine l'a obligé à quitter le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office, a décidé une interdiction de retour sur le territoire d'une année et l'a signalé aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen (SIS).
Par un jugement no 2200386 du 23 août 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 13 novembre 2022, M. A..., représenté par
Me Le Bourhis, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 23 août 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 19 juin 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour dans le délai de trois jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente ainsi que de supprimer son signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des articles
L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier, dès lors que le tribunal a regardé sa demande comme tardive, alors que les délais de recours n'ont pas été indiqués sur l'arrêté contesté ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire française est entachée d'incompétence ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision d'interdiction de retour en France n'est pas suffisamment motivée ;
- elle méconnaît l'article L. 613-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision de signalement dans le système d'information Schengen méconnaît l'article L. 613-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 52 du règlement (CE) n° 2018/1861 du 28 novembre 2018.
La requête a été communiquée au préfet d'Ille-et-Vilaine qui n'a pas produit d'observations.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du
28 septembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Catroux a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant guinéen né le 17 mai 1999, est entré en France, selon ses déclarations, le 25 mars 2019. Il a présenté une demande d'asile le 9 avril 2019 à la préfecture d'Ille-et-Vilaine. Cette demande a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), le 7 octobre 2019 puis par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), le
30 décembre 2020. Par un arrêté du 19 juin 2022, notifié à l'intéressé le même jour, le préfet d'Ille-et-Vilaine a obligé M. A... à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant notamment le pays dont il a la nationalité comme pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et en assortissant la mesure d'éloignement d'une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. M. A... relève appel du jugement du 23 août 2022 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; (...). ". Aux termes de l'article L. 614-5 du même code : " Lorsque la décision portant obligation de quitter le territoire français prise en application des 1°, 2° ou 4° de l'article L. 611-1 est assortie d'un délai de départ volontaire, le président du tribunal administratif peut être saisi dans le délai de quinze jours suivant la notification de la décision. (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ".
3. Il ressort des pièces du dossier que le délai de recours contentieux contre l'arrêté contesté prévu par les dispositions précitées, qui était de quinze jours, n'a pas été mentionné dans la notification de cet arrêté, qui indiquait par erreur un délai de recours de quarante-huit heures. Par suite, en rejetant la demande de M. A..., enregistrée au greffe du tribunal le 12 juillet 2022, pour irrecevabilité en raison de sa tardiveté, le tribunal a entaché d'irrégularité le jugement attaqué, qui doit, dès lors, être annulé.
4. Il y a lieu, dès lors, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée M. A... devant le tribunal administratif de Rennes tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 juin 2022.
Sur la légalité de l'arrêté du 19 juin 2022 :
5. En premier lieu, l'arrêté litigieux a été signé par M. Ludovic Guillaume, secrétaire général de la préfecture d'Ille-et-Vilaine et sous-préfet de l'arrondissement de Rennes. Celui-ci disposait d'une délégation de signature du préfet d'Ille-et-Vilaine, en vertu d'un arrêté du 9 mars 2022, régulièrement publié au recueil des actes administratifs le même jour, à l'effet de signer tous les actes et arrêtés relevant des attributions de l'Etat dans le département d'Ille-et-Vilaine à l'exception des mesures mentionnées dans l'article 3 au nombre desquelles ne figurent pas les décisions contestées. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
7. A la date de la décision contestée, l'intéressé n'avait vécu que trois ans en France. Célibataire et sans enfant à charge, il n'avait pas noué dans ce pays de liens personnels d'une particulière intensité. Les seules circonstances qu'il soit bénévole dans une association d'aide au logement, dont il est aussi occupant d'un des logements, et que sa mère et son frère séjournent en France ne permettent pas d'établir que l'intéressé, âgé de vingt-cinq ans et qui venait de sortir d'une relation de couple pour, selon ses allégations, en nouer une autre, aurait fixé le centre de ses intérêts familiaux dans ce pays. Il ne ressort pas des pièces du dossier, en revanche, que l'intéressé serait dépourvu d'attaches personnelles en Guinée où il a vécu la plus grande partie de sa vie. Ainsi, l'obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de M. A... ne porte pas au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts qu'elle poursuit et ne méconnaît dès lors pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes raisons, elle n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".
9. M. A... fait état des risques de persécutions qu'il encourrait en cas de retour en Guinée compte tenu de son engagement politique et celui de ses parents, notamment de sa mère. Les pièces qu'il a versées au dossier et notamment un certificat médical selon lequel sa mère présentait des contusions et des égratignures en 2015, ne suffisent toutefois pas à étayer la réalité des craintes alléguées, alors que, par ailleurs, la demande d'asile de l'intéressé a fait l'objet d'un rejet. Ainsi, et alors que l'obligation de quitter le territoire français n'a pas pour objet de fixer le pays de destination de l'intéressé, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations citées au point précédent ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.
10. En quatrième lieu, en vertu de l'article L. 613-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les décisions d'interdiction de retour sur le territoire français sont motivées. Aux termes de l'article L. 612-8 du même code : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". En application de l'article L. 612-10 du même code l'autorité administrative tient compte, pour fixer la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français, de la durée de présence de l'étranger sur ce territoire, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.
11. En l'espèce, l'arrêté contesté vise notamment l'article L. 612-10 dont il fait application, mentionne le fait que l'intéressé est entré en France en 2019, indique qu'il est fait obligation à M. A... de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et que l'intéressé ne justifie pas de liens personnels ou familiaux d'une particulière intensité sur le territoire français. Il n'y avait pas lieu au cas présent de faire mention d'une précédente mesure d'éloignement et l'administration n'était, de plus, pas tenue de préciser expressément qu'elle ne retenait pas au nombre de ses motifs une quelconque menace à l'ordre public. L'interdiction de retour sur le territoire français est, dès lors, suffisamment motivée et ne méconnaît pas les dispositions de l'article L. 613-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
12. En cinquième lieu, le préfet s'est fondé pour prendre l'interdiction en retour en litige sur les dispositions précitées de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et non sur celles de l'article L. 612-6 du même code. Ces dernières dispositions ne peuvent, dès lors, être utilement invoquées au soutien des conclusions dirigées contre la décision en litige.
13. En sixième lieu, compte tenu de la brièveté du séjour en France de l'intéressé et de son absence de liens d'une particulière intensité sur ce territoire, le préfet n'a pas méconnu l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en fixant à un an la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français prise à son encontre, alors même qu'il y dispose d'un logement. Pour les mêmes motifs, cette décision ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
14. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 613-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit asile : " L'étranger auquel est notifiée une interdiction de retour sur le territoire français est informé qu'il fait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen, conformément à l'article 24 du règlement (UE) n° 2018/1861 du Parlement européen et du Conseil du 28 novembre 2018 sur l'établissement, le fonctionnement et l'utilisation du système d'information Schengen (SIS) dans le domaine des vérifications aux frontières, modifiant la convention d'application de l'accord de Schengen et modifiant et abrogeant le règlement (CE) n° 1987/2006. / Les modalités de suppression du signalement de l'étranger en cas d'annulation ou d'abrogation de l'interdiction de retour sont fixées par voie réglementaire. ".
15. Le fait, à le supposer établi par les seules allégations du requérant, que ce dernier n'aurait pas reçu, à la suite de la notification de l'arrêté contesté, les informations prévues par ces dispositions et par celles du règlement (CE) n° 2018/1861 du 28 novembre 2018 est sans incidence sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français qui s'apprécie en fonction des circonstances existant à la date de son édiction. Le moyen ainsi soulevé ne peut, dès lors, qu'être écarté comme inopérant.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 19 juin 2022. Ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent, par voie de conséquence, également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 23 août 2022 attaqué est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet d'Ille-et-Vilaine.
Délibéré après l'audience du 29 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Salvi, président,
- Mme Lellouch, première conseillère,
- M. Catroux, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juillet 2023.
Le rapporteur
X. CatrouxLe président
D. Salvi
La greffière
A. Martin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°22NT03492