Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... G... A... épouse A..., M. F... A..., agissant en leur nom et en qualité de représentants légaux des enfants E... A... et C... A..., et M. D... A..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 23 juin 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 22 février 2021 des autorités consulaires françaises à Conakry (Guinée) refusant de délivrer des visas de long séjour à Mme A..., à M. D... A... et aux enfants E... et C... A... au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2109782 du 14 mars 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les refus de visas d'entrée en France du 23 juin 2021 et a enjoint au ministre de délivrer les visas de long séjour sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification de son jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 13 mai 2022, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 14 mars 2022 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par les consorts A... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- l'identité et les liens familiaux du demandeur de visa ne sont établis ni par les actes d'état civil produits, ni par des éléments de possession d'état ; concernant Mme A..., les actes de naissance produits ont été établis en transcription de deux jugements supplétifs distincts, lesquels sont dépourvus de force probante dès lors qu'ils sont contraires à la conception française de l'ordre public international en l'absence de motivation en droit et en fait ;
- il n'est pas établi que M. D... A..., qui n'est pas l'enfant du réfugié mais celui de son épouse, soit éligible à la procédure de réunification familiale par application des dispositions de l'article L. 434-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, puisqu'il n'est pas justifié du décès de son père, et ce alors même qu'il était âgé de plus de dix-huit ans à la date de la décision contestée ;
- les autres moyens soulevés à l'appui de la demande de première instance ne sont pas fondés.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 18 août 2022 et 27 mars 2023 (ce dernier non communiqué), Mme E... G... A... épouse A..., M. F... A..., agissant en leur nom et en qualité de représentants légaux des enfants E... A... et C... A..., et M. D... A..., représentés par Me Gueguen, concluent au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Frank a été entendu au cours de l'audience publique.
Une note en délibéré, présentée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer, a été enregistrée le 22 juin 2023.
Considérant ce qui suit :
1. M. F... A..., ressortissant guinéen né le 2 mai 1988, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 29 mars 2018. Son épouse alléguée, Mme E... G... A... épouse A..., leurs enfants allégués, E... et C... A..., nées respectivement le 14 avril 2013 et le 31 mai 2016, ainsi que le jeune D... A..., né le 12 juin 2002, fils d'une précédente union de Mme A..., ont présenté une demande de visa de long séjour au titre de la réunification familiale auprès des autorités consulaires françaises à Conakry (Guinée). Ces autorités ont refusé de délivrer les visas sollicités par une décision du 22 février 2021. Par une décision du 23 juin 2021, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire. Par un jugement du 14 mars 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision du 23 juin 2021 et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de deux mois. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. ". Aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ". Aux termes de l'article L. 434-3 de ce code : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande : / 1° La filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ; / 2° Ou lorsque l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". Aux termes de l'article L. 434-4 de ce code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ". La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'un réfugié statutaire ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.
3. L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. Il résulte des dispositions de cet article que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
4. Par ailleurs, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux, ou révélerait une situation contraire à la conception française de l'ordre public international.
5. Il ressort des pièces du dossier que, pour refuser les visas sollicités, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré de ce que l'identité des demandeurs de visa, et partant le lien familial à l'égard de M. F... A..., n'étaient pas établis.
6. S'agissant de Mme E... G... A..., ont été produits pour établir son identité et le lien familial avec M. A..., la copie d'un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance n°5400 du 10 décembre 2018 du tribunal de première instance de Pita, l'acte n°1943/CU/PITA/2018 dressé le 24 décembre 2018 en transcription de ce jugement, ainsi qu'un second jugement supplétif n°2998 du 4 septembre 2018 du tribunal de première instance de Mamou, l'acte n°1391/CUP/2018 pris en transcription de ce jugement. S'agissant des enfants D... A... et E... A..., ont été produits, pour établir leur identité et le lien de filiation, la copie de deux jugements supplétifs rendus les 13 décembre 2018 et 31 août 2018 par le tribunal de première instance de Conakry II, sous le n°s 29438 18085, ainsi que les actes de naissance n°081 du 2 janvier 2019 et n°5670 du 13 septembre 2018 dressés en transcription de ces jugements. S'agissant de l'enfant C... A..., ont été produits un acte de naissance n°3374 dressé le 27 juin 2016 par l'officier d'état civil de la commune de Ratoma. Toutefois, l'âge ou la date de naissance et le lieu de naissance des parents ne figurent pas dans les jugements supplétifs ou les actes de naissance produits par les intéressés, lesquels ne comportent pas, dès lors, les mentions essentielles et suffisantes pour déterminer l'identité des personnes qui y figurent. En outre, les éléments présentés pour établir le lien familial par la possession d'état, qui consistent essentiellement en des photographies, quelques transferts d'argent réalisés au cours des années 2020 et 2021 et des relevés de communications, ne suffisent pas à établir l'identité des intéressés.
7. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est fondé, pour annuler la décision contestée, sur ce que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions citées au point 2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. Il appartient, toutefois, à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les consorts A... devant le tribunal administratif de Nantes et devant la cour.
9. En premier lieu, aux termes de l'article D. 211-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Une commission placée auprès du ministre des affaires étrangères et du ministre chargé de l'immigration est chargée d'examiner les recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. La saisine de cette commission est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier ". Aux termes de l'article D. 211-7 du même code : " Le président de la commission est choisi parmi les personnes ayant exercé des fonctions de chef de poste diplomatique ou consulaire. / La commission comprend, en outre : / 1° Un membre, en activité ou honoraire, de la juridiction administrative ; / 2° Un représentant du ministre des affaires étrangères ; / 3° Un représentant du ministre chargé de l'immigration ; / 4° Un représentant du ministre de l'intérieur. / Le président et les membres de la commission sont nommés par décret du Premier ministre pour une durée de trois ans. Pour chacun d'eux, un premier et un second suppléant sont nommés dans les mêmes conditions. ". L'article 1er de l'arrêté du 4 décembre 2009 relatif aux modalités de fonctionnement de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France prévoit que cette commission " délibère valablement lorsque le président ou son suppléant et deux de ses membres au moins, ou leurs suppléants respectifs sont réunis. ".
10. Il ressort du procès-verbal de la réunion de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France au cours de laquelle elle a examiné la demande de visas, le 23 juin 2021, que cette commission était composée, outre de son président, de trois de ses membres. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la composition de la commission de recours contre les décisions de refus de visas et d'entrée en France doit être écarté.
11. En second lieu, l'identité des intéressés n'étant pas établie, ainsi qu'il a été dit au point 6, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ne peuvent qu'être écartés.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande des consorts A..., la décision du 23 juin 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 22 février 2021 des autorités consulaires françaises à Conakry (Guinée) refusant de délivrer des visas de long séjour à Mme A..., à M. D... A... et aux enfants E... et C... A... au titre de la réunification familiale.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que les consorts A... demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2109782 du tribunal administratif de Nantes du 14 mars 2022 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par les consorts A... devant le tribunal administratif de Nantes ainsi que leurs conclusions présentées devant la cour administrative d'appel de Nantes au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... G... A... épouse A..., M. F... A..., M. D... A..., et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 9 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 juin 2023.
Le rapporteur,
A. FRANKLe président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 22NT01461