Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme G... B... D... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 14 novembre 2017 par laquelle le préfet du Finistère a rejeté sa demande de délivrance d'une carte nationale d'identité à son fils.
Par un jugement n° 1800190 du 6 décembre 2019, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du 14 novembre 2017 (article 1er), a enjoint au préfet du Finistère de délivrer à Mme B... D... une carte nationale d'identité au bénéfice de son fils dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement (article 2) et a rejeté les conclusions de Mme B... D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 3).
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 juin 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour d'annuler le jugement du 6 décembre 2019 du tribunal administratif de Rennes.
Il soutient que :
- sa requête est recevable dès lors que le jugement attaqué n'a été notifié qu'au préfet du Finistère en méconnaissance de l'article R. 751-8 du code de justice administrative et que le délai d'appel ne lui est pas opposable ;
- la décision du préfet du Finistère n'était entachée d'aucune erreur de droit, de fait ou d'appréciation dès lors qu'il existait des éléments sérieux et concordants de nature à créer un doute suffisant sur la réalité de la filiation avec M. A... et, par conséquent, sur la nationalité de l'enfant ;
- il s'en remet aux écritures de première instance du préfet du Finistère pour les autres moyens soulevés en première instance par Mme B... D....
La requête a été communiquée à Mme B... D... qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Chollet,
- et les conclusions de M. Pons, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... D..., ressortissante camerounaise née le 4 septembre 1981 à Yaoundé (Cameroun), a présenté, le 14 avril 2017, une demande de délivrance de carte nationale d'identité pour son fils né le 15 janvier 2017 à Saint-Brieuc. Le préfet du Finistère a rejeté sa demande par une décision du 14 novembre 2017. Par un jugement du 6 décembre 2019, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du 14 novembre 2017 (article 1er), a enjoint au préfet du Finistère de délivrer à Mme F... une carte nationale d'identité au bénéfice de son fils dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement (article 2) et a rejeté les conclusions de Mme B... D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 3). Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article 18 du code civil : " Est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français. ". Aux termes de l'article 310-1 de ce même code : " La filiation est légalement établie, dans les conditions prévues au chapitre II du présent titre, par l'effet de la loi, par la reconnaissance volontaire ou par la possession d'état constatée par un acte de notoriété. (...) ". L'article 310-3 du même code prévoit que : " La filiation se prouve par l'acte de naissance de l'enfant, par l'acte de reconnaissance ou par l'acte de notoriété constatant la possession d'état. (...) ".
3. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas dans le cadre de l'examen d'une demande d'une carte nationale d'identité. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande d'une carte nationale d'identité pour le compte d'un enfant mineur, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance du titre sollicité par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.
4. Il ressort des pièces du dossier, en particulier des procès-verbaux des auditions de Mme B... D... et de M. A..., réalisées par les référents fraude des départements des Hautes-Alpes et des Côtes d'Armor, que ce dernier réside à Gap alors qu'elle vit à Saint-Brieuc et qu'il n'y a jamais eu de communauté de vie entre eux. En outre, hormis des chèques sur lesquels M. A... a fait opposition, Mme B... D... n'apporte pas d'éléments relatifs à une participation de M. A... à l'entretien et à l'éducation de l'enfant. Par ailleurs, si M. A... ne conteste pas avoir eu une relation avec Mme B... D... par deux fois, il a précisé que c'était en août et novembre 2016 alors que celle-ci se prévalait d'une relation régulière et stable depuis le 13 novembre 2015. Il ressort également des pièces du dossier, notamment d'un procès-verbal d'audition du 17 décembre 2019 à la préfecture des Hautes-Alpes, produit en appel, que M. A... précise qu'il n'a pas reconnu personnellement l'enfant avant sa naissance le 31 août 2016 à la mairie de Saint-Brieuc et que c'est MmeMbaga D... qui a réalisé cette démarche avec une copie qu'elle avait faite de sa carte d'identité lors de leur première rencontre en août 2016. M. A... a également contesté devant le juge aux affaires familiales, le 5 février 2019, être le père biologique de l'enfant et a indiqué dès le 18 octobre 2017 avoir été menacé pour reconnaître l'enfant de Mme F... qui souhaitait régulariser sa situation administrative au regard de son droit au séjour en France. D'ailleurs, le préfet des Côtes d'Armor a saisi, le 20 novembre 2017, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc d'une suspicion de fraude à l'état-civil. Dans ces conditions, au regard des nombreuses incohérences entre les déclarations de Mme B... D... et celles de M. A..., et dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que la reconnaissance de l'enfant a été faite dans le but de régulariser la situation administrative de sa mère, le préfet du Finistère a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation, estimer qu'il existait un doute suffisant sur la nationalité de l'enfant pour refuser la délivrance de la carte nationale d'identité demandée en son nom par sa mère.
5. Il suit de là que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du 14 novembre 2017 du préfet du Finistère pour erreur d'appréciation.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... D... devant le tribunal administratif de Rennes.
7. D'une part, par un arrêté du 30 novembre 2016, régulièrement publié au recueil des actes administratifs du département du même jour, le préfet du Finistère a donné délégation de signature à M. E... C..., en sa qualité de chef du Centre d'expertise et de Ressources Titres " cartes nationales d'identité - passeport ", pour signer tout document relevant de la compétence du Centre d'Expertise et de Ressources Titres, à l'exception de certains actes dont ne relève pas la décision en litige. D'autre part, par une convention de délégation du 1er décembre 2016, régulièrement publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture des Côtes d'Armor du 2 décembre 2016, le préfet des Côtes d'Armor a donné délégation au préfet du Finistère afin d'instruire les demandes de cartes nationales d'identité et de passeports déposées dans le département des Côtes d'Armor et, lorsque la demande ne répond pas aux conditions prévues par les décrets du 22 octobre 1955 modifiés instituant une carte nationale d'identité et du 30 décembre 2005 relatif aux passeports, de prendre la décision de refus et de la notifier au demandeur. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision contestée doit être écarté.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer, dont la requête n'est pas tardive dès lors que le jugement attaqué ne lui avait pas été notifié, est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du 14 novembre 2017 par laquelle le préfet du Finistère a rejeté la demande de délivrance d'une carte nationale d'identité au fils de Mme B... D....
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 6 décembre 2019 du tribunal administratif de Rennes est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme B... D... devant le tribunal administratif de Rennes est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme G... B... D....
Délibéré après l'audience du 30 mai 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Chollet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juin 2023.
La rapporteure,
L. CHOLLET
Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
S. LEVANT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 22NT01960