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16/06/2023 | FRANCE | N°22NT01383

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 16 juin 2023, 22NT01383


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 6 mai 2022, 3 janvier 2023 et 16 février 2023, la SARL LJ Market Distri, représentée par Me Le Fouler, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 17 mars 2022 par lequel le maire de la commune d'Ernée a délivré un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale à la SNC Lidl ;

2°) de mettre à la charge de la commune d'Ernée la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il n'est p

as démontré que tous les participants à la séance de la commission nationale d'aménagement comm...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 6 mai 2022, 3 janvier 2023 et 16 février 2023, la SARL LJ Market Distri, représentée par Me Le Fouler, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 17 mars 2022 par lequel le maire de la commune d'Ernée a délivré un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale à la SNC Lidl ;

2°) de mettre à la charge de la commune d'Ernée la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il n'est pas démontré que tous les participants à la séance de la commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) ont reçu notification des cinq documents prévus à l'article R. 752-35 du code de commerce ;

- le projet portera atteinte à l'animation de la vie urbaine et aux commerces de centre-ville, en méconnaissance de l'article L. 752-6 du code de commerce ;

- le projet présente des risques d'accidents du fait de l'absence de création d'un nouvel accès et générera une augmentation du trafic et des nuisances en résultant, ainsi qu'une atteinte à la sécurité des consommateurs, en méconnaissance de l'article L. 752-6 du code de commerce ;

- le projet n'est pas suffisamment desservi par les transports collectifs et les modes de transports doux, en méconnaissance de l'article L. 752-6 du code de commerce ;

- le projet est insuffisant en termes d'efforts pour le développement durable, en méconnaissance de l'article L. 752-6 du code de commerce ;

- son insertion paysagère et architecturale est insuffisante, en méconnaissance de l'article L. 752-6 du code de commerce ;

- les nuisances qui vont résulter du chantier n'ont pas été prises en compte, ni minimisées, en méconnaissance de l'article L. 752-6 du code de commerce.

Par des mémoires, enregistrés les 22 septembre 2022 et 18 janvier 2023, la commune d'Ernée, représentée par Me Dutoit, conclut au rejet de la requête de la SARL LJ Market Distri et à ce que la cour mette à la charge de celle-ci la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la SARL LJ Market Distri ne sont pas fondés.

Par des mémoires, enregistrés les 4 et 27 janvier 2023, la SNC Lidl, représentée par Me Bozzi, conclut au rejet de la requête de la SARL LJ Market Distri et à ce que la cour mette à la charge de celle-ci la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la SARL LJ Market Distri ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code de l'urbanisme ;

- la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Derlange, président assesseur,

- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,

- et les observations de Me Veyrac, pour la SNC Lidl et de Me Dutoit, pour la commune d'Ernée.

Une note en délibéré, enregistrée le 1er juin 2023, a été présentée pour la commune d'Ernée.

Une note en délibéré, enregistrée le 1er juin 2023, a été présentée pour la SNC Lidl.

Considérant ce qui suit :

1. La SNC Lidl a déposé le 15 juillet 2021 une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale dans le but de démolir et reconstruire, sur un terrain situé à 700 mètres du centre-ville de la commune d'Ernée, un ancien supermarché antérieurement sous l'enseigne " Leader Price ", fermé depuis 2019, en portant la surface de vente de 963 à 1 418,50 m², soit une augmentation de 455,50 m². Le 21 septembre 2021, la commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) de la Mayenne a émis un avis favorable sur le projet. Sur recours de plusieurs concurrents, dont la SARL LJ Market Distri, exploitante d'un magasin à l'enseigne " Carrefour Market ", le 27 janvier 2022, la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) a également émis un avis favorable au projet. En conséquence, le maire d'Ernée, par arrêté du 17 mars 2022, a délivré le permis de construire sollicité par la SNC Lidl. La SARL LJ Market Distri demande à la cour de prononcer l'annulation de cet arrêté en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale.

Sur la légalité de l'arrêté du maire d'Ernée du 17 mars 2022 :

2. Aux termes de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme : " Lorsque le projet est soumis à autorisation d'exploitation commerciale au sens de l'article L. 752-1 du code de commerce, le permis de construire tient lieu d'autorisation dès lors que la demande de permis a fait l'objet d'un avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d'aménagement commercial (...) ". Aux termes du troisième alinéa de l'article 1er de la loi du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat : " Les pouvoirs publics veillent à ce que l'essor du commerce et de l'artisanat permette l'expansion de toutes les formes d'entreprises, indépendantes, groupées ou intégrées, en évitant qu'une croissance désordonnée des formes nouvelles de distribution ne provoque l'écrasement de la petite entreprise et le gaspillage des équipements commerciaux et ne soit préjudiciable à l'emploi ". Aux termes de l'article L. 750-1 du code de commerce : " Les implantations, extensions, transferts d'activités existantes et changements de secteur d'activité d'entreprises commerciales et artisanales doivent répondre aux exigences d'aménagement du territoire, de la protection de l'environnement et de la qualité de l'urbanisme. Ils doivent en particulier contribuer au maintien des activités dans les zones rurales et de montagne ainsi qu'au rééquilibrage des agglomérations par le développement des activités en centre-ville et dans les zones de dynamisation urbaine (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 752-6 du même code : " (...) La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : / 1° En matière d'aménagement du territoire : / a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; /b) La consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ; / c) L'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral ; / d) L'effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; / e) La contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d'implantation est membre ; /f) Les coûts indirects supportés par la collectivité en matière notamment d'infrastructures et de transports ; /2° En matière de développement durable : /a) La qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique et des émissions de gaz à effet de serre par anticipation du bilan prévu aux 1° et 2° du I de l'article L. 229-25 du code de l'environnement, du recours le plus large qui soit aux énergies renouvelables et à l'emploi de matériaux ou procédés éco-responsables, de la gestion des eaux pluviales, de l'imperméabilisation des sols et de la préservation de l'environnement ; /b) L'insertion paysagère et architecturale du projet, notamment par l'utilisation de matériaux caractéristiques des filières de production locales ; /c) Les nuisances de toute nature que le projet est susceptible de générer au détriment de son environnement proche. / Les a et b du présent 2° s'appliquent également aux bâtiments existants s'agissant des projets mentionnés au 2° de l'article L. 752-1 ; /3° En matière de protection des consommateurs : / a) L'accessibilité, en termes, notamment, de proximité de l'offre par rapport aux lieux de vie ; /b) La contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, notamment par la modernisation des équipements commerciaux existants et la préservation des centres urbains ; /c) La variété de l'offre proposée par le projet, notamment par le développement de concepts novateurs et la valorisation de filières de production locales ; / d) Les risques naturels, miniers et autres auxquels peut être exposé le site d'implantation du projet, ainsi que les mesures propres à assurer la sécurité des consommateurs (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions combinées que l'autorisation d'aménagement commercial ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles statuent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la conformité du projet à ces objectifs, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce. Les dispositions ajoutées au I de l'article L. 752-6 du code de commerce, par la loi du 23 novembre 2018, poursuivent l'objectif d'intérêt général de favoriser un meilleur aménagement du territoire et, en particulier, de lutter contre le déclin des centres-villes. Elles se bornent à prévoir un critère supplémentaire pour l'appréciation globale des effets du projet sur l'aménagement du territoire et ne subordonnent pas la délivrance de l'autorisation à l'absence de toute incidence négative sur le tissu commercial des centres-villes.

4. Il ressort des pièces du dossier que le projet de la SNC Lidl, en créant une surface de vente de 1 418,50 m2 dans le nouveau bâtiment reconstruit, entrainerait une augmentation de la surface commerciale à dominante alimentaire de 455,50 m², en augmentation de 47% par rapport à celle qui était exploitée dans le cadre d'un établissement équivalent sous les précédentes enseignes " Dia " et " Leader Price " et qui avait conduit à des cessations d'activité en 2016 et 2019, aboutissant à la création de la friche commerciale sur laquelle le nouveau magasin doit s'implanter. Eu égard à la situation des commerces de centre-ville des communes de la zone de chalandise, en particulier celui d'Ernée situé à seulement 700 m du projet et bénéficiant du programme " Petites villes de demain " porté par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), dont le taux de vacance commerciale s'élevait à 14,4 % en janvier 2022 selon une étude diligentée par la commune elle-même, et sachant que ce taux atteint dans les communes de Montenay, Saint-Denis-de-Gastines et Larchamp respectivement 25%, 25% et 50%, le projet de la SNC Lidl est de nature à porter atteinte à l'animation de la vie urbaine et à la préservation du tissu commercial de centre-ville dans la commune d'implantation du projet et la zone de chalandise. Par ailleurs, il ne ressort des pièces du dossier ni que l'évolution démographique de la zone de chalandise, qui a été quasi nulle sur la période 1999-2018 et de seulement 1,3% sur la période 2008-2018 et dont les perspectives de croissance plus soutenue à l'échéance 2025 ne sont pas justifiées de manière probante, compenserait les difficultés de revitalisation des centres-villes, ni que le projet réduirait une évasion commerciale qui n'est pas établie. Dans ces conditions, en considérant que le projet ne porterait pas préjudice aux centres-villes des communes de la zone de chalandise, la CNAC a inexactement appliqué les critères fixés par les dispositions de l'article L. 752-6 du code de commerce en ce qui concerne les conséquences du projet en matière d'aménagement du territoire et plus précisément s'agissant de sa localisation et de ses effets sur l'animation de la vie urbaine et la préservation ou la revitalisation du tissu commercial de centre-ville.

5. En outre, il ressort des pièces du dossier que s'il existe deux lignes de bus desservant le projet, avec des arrêts à 105 m et 400 m, les horaires de passage ne permettent pas en fait une fréquentation effective du supermarché de la SNC Lidl avec les transports collectifs. Par ailleurs, s'il ressort également des pièces du dossier que des accès piétonniers sécurisés existent, ils ne sont pas généralisés et développés, de même que les pistes cyclables, qui ne conduisent pas directement jusque sur le site, si bien que la direction départementale des territoires, dans son rapport d'instruction devant la CDAC, a estimé que " Le site du projet est peu accessible aux modes doux " et que le ministre en charge de l'urbanisme, dans son avis du 26 janvier 2022, a considéré que " Le site n'est pas accessible par piste cyclable, ni desservi par les transports collectifs de façon satisfaisante ". Dans ces conditions, alors qu'il est constant que l'accès par voie automobile représenterait 95% de la clientèle du supermarché projeté, la CNAC a inexactement appliqué le critère fixé par les dispositions de l'article L. 752-6 du code de commerce en ce qui concerne l'accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone en rendant un avis favorable sur ce point.

6. Il résulte ainsi de ce qui a été dit aux points 4 et 5 que le projet contesté compromet la réalisation de l'objectif d'aménagement du territoire fixé par la loi et que la CNAC a fait une inexacte application de l'article L. 752-6 du code de commerce à cet égard.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL LJ Market Distri est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du maire d'Ernée du 17 mars 2022 en tant qu'il tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale.

Sur les frais liés au litige :

8. Les conclusions présentées par la commune d'Ernée et la SNC Lidl au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées dès lors qu'elles ont la qualité de parties perdantes.

9. En revanche, il y lieu de mettre à leur charge la somme de 1 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à la SARL LJ Market Distri.

D E C I D E :

Article 1er : Le permis de construire délivré par l'arrêté du maire de la commune d'Ernée du 17 mars 2022 est annulé en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale.

Article 2 : La commune d'Ernée et la SNC Lidl verseront chacune à la SARL LJ Market Distri la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié aux sociétés LJ Market Distri et Lidl, à la commune d'Ernée et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée, pour information à la Commission nationale d'aménagement commercial.

Délibéré après l'audience du 30 mai 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juin 2023.

Le rapporteur,

S. DERLANGE

Le président,

L. LAINÉ

La greffière,

S. LEVANT

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT01383


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT01383
Date de la décision : 16/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Stéphane DERLANGE
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : LEONEM AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-06-16;22nt01383 ?
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