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17/05/2023 | FRANCE | N°23NT00015

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 17 mai 2023, 23NT00015


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 5 octobre 2022 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités autrichiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2213976 du 21 novembre 2022, la magistrate désignée du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 janvier 2023, M. B..., représenté par Me Neraudau, demande

à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 21 novembre 2022 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 5 octobre 2022 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités autrichiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2213976 du 21 novembre 2022, la magistrate désignée du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 janvier 2023, M. B..., représenté par Me Neraudau, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 21 novembre 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 5 octobre 2022 ;

3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile en procédure normale et, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation dans les meilleurs délais ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le préfet n'a pas évalué la réalité des risques de renvoi dans son pays d'origine en cas de transfert en Autriche ;

- le relevé de ses empreintes sous la contrainte, ne peut être regardé comme une action positive de sa part valant dépôt d'une demande d'asile en Autriche au sens de l'article 2 du règlement du 26 juin 2013 et de l'article 2 de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 ; de plus, l'Autriche, qui considère qu'il a retiré sa demande d'asile, a accepté sa reprise en charge sur le fondement de l'article 20.5 du règlement du 26 juin 2013 ; le préfet ne pouvait dès lors formuler une demande de reprise en charge aux autorités autrichiennes sur le fondement de l'article 18 1) b) du règlement Dublin ;

- l'arrêté de transfert méconnaît les stipulations de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 ;

- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 ;

- cette décision méconnaît les stipulations de l'articles 3.2 du règlement du 26 juin 2013, 4 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dès lors qu'en cas de transfert vers l'Autriche il risque d'être renvoyé en Afghanistan ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 ; l'Autriche a accepté de le reprendre en charge sur le fondement des dispositions de l'article 20.5 du règlement du 26 juin 2013, ce qui démontre qu'elle n'entend pas instruire sa demande d'asile ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 avril 2023, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 décembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;

- le règlement n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, dit "C... "

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- la directive (UE) n° 2011/95 du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant afghan, relève appel du jugement du 21 novembre 2022 par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 octobre 2022 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités autrichiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté de transfert aux autorités autrichiennes :

2. En premier lieu, il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus par la magistrate de première instance, les moyens invoqués par le requérant, tirés de ce que la décision contestée serait contraire aux articles 4, 5, et 17 du règlement n° 604 2013 du 26 juin 2013 et de ce que le préfet n'aurait pas procédé à un examen de sa situation particulière, que l'intéressé réitère en appel, sans apporter de précisions nouvelles.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 2 du règlement du 26 juin 2013 : " Aux fins du présent règlement, on entend par (...) b) " demande de protection internationale ", une demande de protection internationale au sens de l'article 2, point h) de la directive 2011/95/UE ". Aux termes de l'article 2 de la directive 2011/95/ UE du 13 décembre 2011 du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection : " Aux fins de la présente directive, on entend par : (...) h) " demande de protection internationale", la demande de protection présentée à un État membre par un ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, qui peut être comprise comme visant à obtenir le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur ne sollicitant pas explicitement un autre type de protection hors du champ d'application de la présente directive et pouvant faire l'objet d'une demande séparée ".

4. En vertu de l'annexe II au règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, constitue une preuve pour la détermination de l'Etat membre responsable de l'examen de la demande d'asile, le " résultat positif fourni par C... par suite de la comparaison des empreintes du demandeur avec les empreintes collectées au titre de l'article 9 du règlement C... (...) ". Il résulte en outre des dispositions de l'article 11 du règlement n° 603/2013 dit " C... ", qu'une personne y est identifiée non pas par son identité mais par le numéro de référence attribué par l'Etat membre dans lequel ses empreintes ont été prélevées initialement. L'article 24 de ce règlement précise que ce numéro de référence " permet de rattacher sans équivoque des données à une personne spécifique ", et que le chiffre suivant la ou les lettres d'identification désignant l'Etat membre indique " la catégorie de personnes ou de demandes ". Il résulte de l'application combinée de ces dispositions que le chiffre " 1 " désigne les demandeurs de protection internationale.

5. M. B... soutient que ses empreintes digitales ont été relevées en Autriche sans son consentement et qu'il n'a présenté aucune demande d'asile dans ce pays. Il ressort toutefois des pièces du dossier et notamment d'un document émanant de la direction générale des étrangers en France daté du 19 septembre 2022, que les recherches effectuées sur le fichier européen C... à partir du relevé décadactylaire de M. B... ont permis de constater que ses empreintes étaient identiques à celles relevées le 28 août 2022 par les autorités autrichiennes sous le n° AT 1 29381195-11471337. Il en résulte que l'intéressé, qui ne démontre pas avoir présenté une demande de protection auprès des autorités autrichiennes sur un autre fondement, a été enregistré dans ce pays comme y ayant déposé une demande d'asile. Par suite, en l'absence de tout élément de nature à remettre en cause les données relevées par le système C..., le requérant n'établit pas qu'en saisissant les autorités autrichiennes d'une demande de reprise en charge le préfet aurait entaché la décision contestée d'une erreur de droit ou l'aurait privé de base légale[GO1].

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de: (...) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre; (...) ". Aux termes de l'article 20 du même règlement : " 5. L'État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite pour la première fois est tenu (...) de reprendre en charge le demandeur qui se trouve dans un autre État membre sans titre de séjour ou qui y introduit une demande de protection internationale après avoir retiré sa première demande présentée dans un autre État membre pendant le processus de détermination de l'État membre responsable. Cette obligation cesse lorsque l'État membre auquel il est demandé d'achever le processus (...)".

7. Lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.

8. Il est constant que la demande de reprise en charge de M. B... auprès des autorités autrichiennes a été présentée au titre du b) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement du 26 juin 2013, imposant la reprise en charge du demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre, mais a été acceptée explicitement par ces autorités le 26 septembre 2022 sur le fondement de l'article 20, paragraphe 5, de ce règlement. Si en ayant quitté le territoire autrichien pour la France, M. B... peut être réputé avoir implicitement retiré cette demande, il reste néanmoins dans le champ des dispositions du 5. de l'article 20 du règlement précité. Le préfet pouvait ainsi saisir, sur le fondement de ces dispositions, les autorités autrichiennes d'une demande de reprise en charge et décider au vu de leur accord du transfert de l'intéressé en Autriche. Cette substitution de base légale, qui n'a pour effet de priver l'intéressé d'aucune garantie dès lors que l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre de ces deux dispositions, peut être admise. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué serait entaché d'un défaut de base légale ou d'une erreur de droit à raison d'une saisine irrégulière des autorités autrichiennes doit, en tout état de cause, être écarté.

9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable (...) 2. Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

10. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

12. La seule circonstance que les autorités autrichiennes ont fait connaître leur accord pour la reprise en charge de M. B... sur le fondement du 5. de l'article 20 du règlement du 26 juin 2013 ne suffit pas à établir, compte tenu de ce qui a été dit aux points 10 et 11, que l'Autriche n'examinera pas sa demande de protection internationale avant de l'éloigner vers son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013, de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne peut qu'être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur le surplus des conclusions :

14. Les conclusions aux fins d'injonction présentées par M. B... et celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées par voie de conséquence du rejet de ses conclusions principales.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.

Une copie en sera adressée, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 5 mai 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 mai 2023.

La rapporteure,

V. GELARDLe président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

[GO1]Penser à l'évoquer en troïka

2

N° 23NT00015


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: Mme MALINGUE
Avocat(s) : NERAUDAU

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Date de la décision : 17/05/2023
Date de l'import : 21/05/2023

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 23NT00015
Numéro NOR : CETATEXT000047563293 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-05-17;23nt00015 ?
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