Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... E... et Mme F... B... E... ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 17 décembre 2019 par laquelle le recteur de l'académie de Rennes les a mis en demeure d'inscrire leur enfant C... B... E..., scolarisé à l'école privée hors contrat Le Carré Libre, dans un autre établissement dans les plus brefs délais.
Par un jugement n° 1906549 du 25 mars 2021 le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 26 mai 2021 et 17 octobre 2022 M. et Mme B... E..., représentés par la Selarl Valadou Josselin et Associés, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 25 mars 2021 ;
2°) d'annuler la décision du 17 décembre 2019 du recteur de l'académie de Rennes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé dès lors que les premiers juges n'ont pas indiqué en quoi les évaluations périodiques des élèves ainsi que les bilans opérés par l'école ne sont pas de nature à remettre en cause les constatations des rapports rédigés par les inspecteurs de l'éducation nationale ;
- il est entaché d'une omission de répondre au moyen tiré de l'illégalité des décisions prises dans le cadre de la procédure au regard des dispositions de l'article R. 131-13 du code de l'éducation ;
- il est entaché d'erreurs de fait quant à l'exposé des faits et d'erreur d'appréciation ainsi que de contradiction quant au respect de la liberté d'enseignement ;
- il est entaché d'erreur d'appréciation au regard de la liberté d'enseignement et des dispositions de l'article R. 131-13 du code de l'éducation dès lors que la pédagogie de l'école n'a pas été prise en compte ;
- il est entaché d'erreur d'appréciation quant à l'application de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- par l'effet dévolutif, ils entendent reprendre l'ensemble de l'argumentation précédemment développée devant les premiers juges ;
- les différents rapports et courriers pris au cours de la procédure sont insuffisamment motivés en ce qu'ils ne font pas notamment référence à la pédagogie mise en œuvre par l'école conformément aux dispositions de l'article R. 131-13 du code de l'éducation ;
- les services de l'Etat n'ont pas pris en compte et respecté la pédagogie du Carré libre ;
- le contrôle opéré par les services de l'Etat est illégal en ce qu'il repose sur l'exigence d'un contrôle régulier de traces écrites et d'une pédagogie comportant nécessairement une programmation écrite ; il est en outre insuffisant ;
- c'est à tort que le rectorat a considéré que les résultats des contrôles ne permettaient pas de démontrer l'acquisition par les élèves du Carré libre du socle commun de connaissances, de compétences et de culture ;
- le contrôle réalisé par les services du rectorat est erroné en ce qu'il se limitait à rechercher certains éléments uniquement révélateurs d'une seule pédagogie et en occultant l'ensemble des éléments relatifs à la mise en œuvre de sa pédagogie ;
- il a été fait la démonstration de l'acquisition des connaissances par la prise en considération des tableaux de correspondance activités/compétences/ressources, journaux de bord ; de même, les documents d'évaluation et les classeurs de suivi des apprentissages existent bien et ont été présentés et même complétés et affinés à la demande des inspecteurs lors de chacun des contrôles d'inspection ;
- le Carré libre a permis à de nombreux enfants ou élèves d'acquérir toutes les connaissances et l'instruction utiles nécessaires pour s'intégrer ou se réintégrer dans le système scolaire ultérieur ou dans des formations professionnalisantes ;
- à titre subsidiaire, les dispositions législatives, notamment l'article L. 442-2 du code de l'éducation, sont contraires à l'article 2 du protocole n° 1 additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 14 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en ce qu'elles permettraient d'imposer un contrôle sur des traces écrites produites par les élèves.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 juillet 2022 et un mémoire enregistré le 3 novembre 2022, non communiqué, le recteur de l'académie de Rennes conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par les requérants n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Penhoat,
- les conclusions de M. Brasnu, rapporteur public,
- et les observations de Me Nadan, représentant M. et Mme B... E....
Considérant ce qui suit :
1. Créée à l'initiative de l'association de l'Ecole démocratique du Pays Glazik, l'école Le Carré Libre, qui appartient au réseau européen EUDEC (European democratic education community) promouvant une approche permettant aux enfant de faire leurs propres choix concernant leurs apprentissages, a ouvert ses portes en septembre 2016 dans des locaux situés avenue Ty Bos à Quimper (Finistère). A la rentrée 2019, l'école, qui disposait d'une équipe pédagogique composée de trois enseignants, trois personnes en service civique et trois bénévoles encadrants, accueillait 48 élèves, âgés de 4 à 18 ans, issus de 35 familles. Le 28 janvier 2019, l'école Le Carré Libre a fait l'objet d'une inspection pédagogique à l'issue de laquelle la directrice a été mise en demeure, par courrier du 1er mars 2019, de transmettre des explications sur les manquements constatés dans un délai de deux mois. Une nouvelle inspection pédagogique a été effectuée le 24 mai 2019 qui a conduit à la constatation de manquements persistants notamment en matière d'instruction obligatoire. Une nouvelle mise en demeure a, en conséquence, été notifiée à la directrice de l'établissement le 16 juillet 2019. Par un courrier du 3 septembre 2019, le recteur de l'académie de Rennes a cependant accordé à l'équipe de l'école Le Carré Libre un nouveau délai de trois mois pour démontrer les améliorations attendues dans les enseignements dispensés. À l'issue de la dernière inspection du 13 décembre 2019 et au vu du rapport émis par les inspecteurs le 17 décembre 2019 confirmant le constat des lacunes dans les enseignements dispensés par l'école, le recteur de l'académie de Rennes a, le même jour, avisé le procureur de la République des carences de l'établissement et adressé aux parents d'élèves, dont font partie M. et Mme B... E..., une mise en demeure d'inscrire leur enfant C... dans un autre établissement. M. et Mme B... E... relèvent appel du jugement du 25 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 17 décembre 2019 les mettant en demeure d'inscrire leur enfant dans un autre établissement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 122-1-1 du code de l'éducation : " La scolarité obligatoire doit garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l'acquisition d'un socle commun de connaissances, de compétences et de culture, auquel contribue l'ensemble des enseignements dispensés au cours de la scolarité. Le socle doit permettre la poursuite d'études, la construction d'un avenir personnel et professionnel et préparer à l'exercice de la citoyenneté. Les éléments de ce socle commun et les modalités de son acquisition progressive sont fixés par décret, après avis du Conseil supérieur des programmes. (...) ". Aux termes de l'article L. 131-1 du code de l'éducation : " L'instruction est obligatoire pour chaque enfant dès l'âge de trois ans et jusqu'à l'âge de seize ans (...) ". Aux termes de l'article L. 131-1-1 du même code : " Le droit de l'enfant à l'instruction a pour objet de lui garantir, d'une part, l'acquisition des instruments fondamentaux du savoir, des connaissances de base, des éléments de la culture générale et, selon les choix, de la formation professionnelle et technique et, d'autre part, l'éducation lui permettant de développer sa personnalité, son sens moral et son esprit critique d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, de partager les valeurs de la République et d'exercer sa citoyenneté. / Cette instruction obligatoire est assurée prioritairement dans les établissements d'enseignement. ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 442-2 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " I.- Mis en œuvre sous l'autorité conjointe du représentant de l'Etat dans le département et de l'autorité compétente en matière d'éducation, le contrôle de l'Etat sur les établissements d'enseignement privés qui ne sont pas liés à l'Etat par contrat se limite aux titres exigés des directeurs et des enseignants, à l'obligation scolaire, à l'instruction obligatoire, au respect de l'ordre public, à la prévention sanitaire et sociale et à la protection de l'enfance et de la jeunesse. / II.- Les établissements mentionnés au I communiquent chaque année à l'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation les noms des personnes exerçant des fonctions d'enseignement ainsi que les pièces attestant de leur identité, de leur âge, de leur nationalité et de leurs titres, dans des conditions fixées par décret. / L'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation prescrit le contrôle des classes hors contrat afin de s'assurer que l'enseignement qui y est dispensé respecte les normes minimales de connaissances requises par l'article L. 131-1-1 et que les élèves de ces classes ont accès au droit à l'éducation tel que celui-ci est défini par l'article L. 111-1. / Ce contrôle a lieu dans l'établissement d'enseignement privé dont relèvent ces classes hors contrat. / Un contrôle est réalisé au cours de la première année d'exercice d'un établissement privé. / Les résultats de ce contrôle sont notifiés au directeur de l'établissement avec l'indication du délai dans lequel il est mis en demeure de fournir ses explications ou d'améliorer la situation et des sanctions dont il serait l'objet dans le cas contraire. / En cas de refus de la part du directeur de l'établissement d'améliorer la situation et notamment de dispenser, malgré la mise en demeure de l'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation, un enseignement conforme à l'objet de l'instruction obligatoire, tel que celui-ci est défini par l'article L. 131-1-1, et qui permet aux élèves concernés l'acquisition progressive du socle commun défini à l'article L. 122-1-1, l'autorité académique avise le procureur de la République des faits susceptibles de constituer une infraction pénale, puis met en demeure les parents des élèves scolarisés dans l'établissement d'inscrire leur enfant dans un autre établissement, dans les quinze jours suivant la mise en demeure qui leur est faite. (...) ".
4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que la mise en demeure adressée, à la suite du contrôle d'un établissement privé hors contrat, aux parents des élèves scolarisés dans cet établissement d'inscrire leurs enfants dans un autre établissement ne peut concerner que les enfants soumis à l'instruction obligatoire c'est-à-dire âgés à la date de la mise en demeure de 3 à 16 ans.
5. Il résulte de l'instruction que l'enfant C... B... E... était âgé de plus de seize ans à la date de la mise en demeure contestée. Par suite, c'est à tort que le recteur, sur le fondement des dispositions précitées, a mis en demeure ses parents de l'inscrire dans un autre établissement.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. et Mme B... E... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande.
Sur les frais liés au litige :
7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à M. et Mme B... E... au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1906549 du 25 mars 2021 du tribunal administratif de Rennes du et la décision du 17 décembre 2019 du recteur de l'académie de Rennes prise à l'encontre de M. et Mme B... E... sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à M. et Mme B... E... une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... E..., Mme F... B... E... et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Copie en sera adressée, pour information, au recteur de l'académie de Rennes.
Délibéré après l'audience du 13 avril 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, présidente de chambre,
- M. Geffray président-assesseur,
- M. Penhoat, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mai 2023.
Le rapporteur
A. PenhoatLa présidente
I. Perrot
La greffière
A. Marchais
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 21NT01451