Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler les arrêtés du 4 octobre 2022 par lesquels le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'a assignée à résidence dans le département de la Loire-Atlantique pour une durée de quarante-cinq jours.
Par un jugement n° 2213839 du 7 novembre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire (non communiqué), enregistrés le 12 décembre 2022 et le 31 mars 2023, Mme B..., représentée par Me Larre, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes du 7 novembre 2022 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 4 octobre 2022 du préfet de Maine-et-Loire ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de procéder à l'ensemble des opérations d'enregistrement de sa demande d'asile, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le magistrat désigné a commis un vice de procédure en ne tirant pas les conséquences de l'acquiescement aux faits du préfet de Maine-et-Loire résultant de l'article R. 613-2 du code de justice administrative ;
- il a considéré à tort, en méconnaissance de l'article R. 741-2 du code de justice administrative que le préfet du Maine-et-Loire avait déposé un mémoire en défense concluant au rejet de la demande ;
- il est démontré qu'elle entretenait une relation depuis plusieurs mois avec son ancien époux et qu'elle l'avait signalé aux services préfectoraux ;
- la décision de transfert est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement n° 604/2013 ;
- l'arrêté portant assignation à résidence doit être annulé par voie de conséquence de l'illégalité de la décision de transfert ;
- il est insuffisamment motivé et résulte d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;
- il est illégal en raison de l'illégalité de l'arrêté de transfert ;
- il est illégal faute de lui avoir permis de présenter des observations préalables, en méconnaissance de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, du principe général du " droit à être entendu " consacré par le droit de l'Union européenne et de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- l'assignation à résidence est disproportionnée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mars 2023, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 décembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Derlange, président assesseur,
- et les observations de Me Larre, pour Mme B....
Une note en délibéré, enregistrée le 5 avril 2023, a été présentée pour Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante arménienne, née le 25 avril 1973, est entrée en France le 14 juillet 2022, selon ses déclarations. Le 19 août 2022, elle a déposé une demande d'asile auprès des services de la préfecture de la Loire-Atlantique. Le préfet de Maine-et-Loire a pris le 4 octobre 2022 à l'encontre de Mme B... la décision de transfert aux autorités espagnoles en litige et par un arrêté du même jour l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours dans le département de la Loire-Atlantique. Mme B... relève appel du jugement du 7 novembre 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés du 4 octobre 2022 pris par le préfet de Maine-et-Loire.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ". Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".
3. Mme B... se prévaut de sa vie commune avec son ex-époux, qui dispose du statut de réfugié, et leur fils, demandeur d'asile, et fait valoir qu'elle serait isolée en Espagne, pays dont elle ne parle pas la langue alors que sa fille, son gendre et leurs enfants résident comme eux à Nantes. Il ressort des pièces du dossier que, jusqu'en 2004, elle était mariée à M. C... avec qui elle a eu deux enfants, mais que celui-ci a dû fuir les persécutions qu'il subissait en Arménie pour demander l'asile en France, où il a obtenu le statut de réfugié en 2005, en rompant tout lien avec sa famille pour éviter qu'elle soit menacée. Leur fils a également fui l'Arménie pour les mêmes motifs pour demander l'asile en France, où il a retrouvé son père, grâce aux réseaux sociaux. Il ressort également des pièces du dossier que Mme B..., après avoir fui en Russie, a finalement pu retrouver son ex-époux, avec lequel elle réside, et ses enfants en France, dont elle avait été séparée compte tenu des circonstances. La stabilité de leur relation est attestée notamment par le fait que Mme B... a prévu de se remarier avec son ex-époux en déposant un dossier le 2 octobre 2022 et que celui-ci la soutient financièrement alors qu'elle est sans ressource. Dans les conditions particulières de l'espèce, la mesure litigieuse porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le préfet de Maine-et-Loire a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par suite, Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a rejeté sa demande d'annulation des arrêtés du 4 octobre 2022 par lesquels le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'a assignée à résidence dans le département de la Loire-Atlantique pour une durée de quarante-cinq jours.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
4. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint au préfet de Maine-et-Loire, dans un délai qu'il y a lieu de fixer à deux mois, de délivrer à Mme B... une attestation de demandeur d'asile en procédure normale.
Sur les frais liés au litige :
5. Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me Larre dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 17 juin 2022 et les arrêtés du 4 octobre 2022 par lesquels le préfet de Maine-et-Loire a décidé le transfert de Mme B... aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et l'a assignée à résidence dans le département de la Loire-Atlantique pour une durée de quarante-cinq jours sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de Maine-et-Loire d'admettre Mme B... au bénéfice de la procédure d'asile normale, et de lui délivrer l'attestation correspondante, dans un délai de deux mois.
Article 3 : L'Etat versera à Me Larre la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à Me Larre et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 4 avril 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Chollet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 avril 2023.
Le rapporteur,
S. DERLANGE
Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
S. LEVANT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT03859