Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 5 octobre 2022 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 2205192 du 24 octobre 2022, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 novembre 2022 et des mémoires enregistrés les 14 et 17 mars 2023, Mme C..., représentée par Me Calonne du Teilleul, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 24 octobre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 5 octobre 2022 ;
3°) d'enjoindre, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, au préfet d'Ille-et-Vilaine de réexaminer sa situation dans le délai de 3 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer une attestation de demandeur ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté contesté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il est contraire aux stipulations de l'article 6 du règlement du 26 juin 2013 ;
- cette décision est contraire aux stipulations de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 ;
- il n'est pas établi que l'Italie a accepté sa prise en charge ainsi que celles de ses jeunes enfants.
Le préfet d'Ille-et-Vilaine, qui a reçu communication de la requête présentée par Mme C..., n'a pas produit de défense.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 mars 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D..., a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante ivoirienne, relève appel du jugement du 24 octobre 2022 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 octobre 2022 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment du formulaire type de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen de la demande de protection internationale communiqué en première instance par le préfet, qu'en dépit des mentions contradictoires figurant sur ce document, les autorités italiennes ont été informées que Mme C... était entrée en France avec ses deux enfants E... et A..., nés respectivement les 17 septembre 2019 et 2 septembre 2021. Le préfet justifie de la réception de cette demande et de l'accord implicite de l'Italie. Par suite, le moyen tiré de ce que ce pays n'aurait pas accepté la prise en charge de Mme C... accompagnée de ses enfants mineurs manque en fait et ne peut qu'être écarté.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable (...) 2. Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".
4. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.
6. Mme C... justifie du dépôt d'une plainte en France le 23 septembre 2022 pour des faits de viol qui auraient été commis en Italie le 10 avril 2022. Si le caractère traumatisant de ces faits, s'ils sont avérés, n'est pas contestable, ils ne sont toutefois pas de nature à établir une défaillance systémique de l'Etat italien dans le traitement des demandes d'asile. Par suite, et compte tenu de ce qui a été dit aux points 4 et 5, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 ne peut qu'être écarté.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 6 du règlement du 26 juin 2013 : " L'intérêt supérieur de l'enfant est une considération primordiale pour les Etats membres dans toutes les procédures prévues par le présent règlement (...) ". Si Mme C... fait valoir que ses enfants sont nés en Lybie mais qu'ils n'ont pas été enregistrés à l'état civil, il n'est pas établi que l'intéressée ne pourrait accomplir les démarches nécessaires à la régularisation de leur situation auprès de l'ambassade de son pays en Italie. Par ailleurs, ses enfants qui ont vocation à rester à ses côtés, pourront être scolarisé dans ce pays où ils seront en sécurité au même titre que s'ils restaient en France. Dès lors, et ainsi que l'a jugé le tribunal administratif au point 15 du jugement attaqué, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 6 du règlement du 26 juin 2013 ne peut qu'être écarté.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et qu'en principe cet Etat est déterminé par application des critères d'examen des demandes d'asile fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en œuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. Mme C... produit des certificats médicaux confirmant qu'elle a été victime d'excision et qu'elle présente des séquelles de brûlures au niveau des jambes. Si la requérante fait également valoir qu'elle a quitté son pays d'origine pour éviter un mariage forcé avec un cousin et ajoute qu'elle craint que sa fille ne soit elle-même victime d'excision, la décision contestée n'a pas pour effet de la renvoyer, ainsi que sa fille, en Côte d'Ivoire. Par ailleurs, si l'intéressée justifie du dépôt d'une plainte en France pour le viol qu'elle aurait subi le 10 avril 2022 alors qu'elle se trouvait dans un camp de réfugiés en Italie, ce justificatif ne suffit ni à établir la véracité des faits allégués, ni les circonstances dans lesquelles l'intéressée aurait subi cette agression. De plus, il n'est pas établi qu'en cas de transfert en Italie, elle sera de nouveau hébergée dans la même ville, ou que ses agresseurs présumés d'origine sénégalaise s'y trouveraient encore. Par suite, en dépit de la circonstance qu'elle ne parle pas l'italien, Mme C... n'établit pas qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et en prononçant son transfert aux autorités italiennes, le préfet d'Ille-et-Vilaine aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013. Par suite ce moyen ne peut qu'être écarté. Il ne ressort pas davantage des éléments précités que le préfet n'aurait pas procédé à un examen complet de la situation personnelle et familiale de l'intéressée.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Sur le surplus des conclusions :
11. Les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par Mme C... et celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées par voie de conséquence du rejet de ses conclusions principales.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera adressée, pour information, au préfet d'Ille-et-Vilaine.
Délibéré après l'audience du 24 mars 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 avril 2023.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
I.PETTON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT03574