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28/03/2023 | FRANCE | N°22NT00412

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 28 mars 2023, 22NT00412


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Grassfields a demandé au tribunal administratif de Caen, tout d'abord, d'annuler le titre de perception d'un montant de 35 700 euros émis le 20 décembre 2019 par la direction départementale des finances publiques de l'Essonne, faisant suite à la décision du 2 juillet 2019 par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration lui a appliqué la contribution spéciale mentionnée à l'article L. 8253-1 du code du travail pour l'emploi irrégulier de deux ressortissants étrangers, e

nsuite, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Grassfields a demandé au tribunal administratif de Caen, tout d'abord, d'annuler le titre de perception d'un montant de 35 700 euros émis le 20 décembre 2019 par la direction départementale des finances publiques de l'Essonne, faisant suite à la décision du 2 juillet 2019 par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration lui a appliqué la contribution spéciale mentionnée à l'article L. 8253-1 du code du travail pour l'emploi irrégulier de deux ressortissants étrangers, ensuite, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2002604 du 20 décembre 2021, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 11 février, 19 septembre et 19 décembre 2022, la société Grassfields, représentée par Me Goldszal demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 20 décembre 2021 ;

2°) à titre principal, d'annuler le titre de perception d'un montant de 35 700 euros émis le 20 décembre 2019 par la direction départementale des finances publiques de l'Essonne ;

3°) à titre subsidiaire, de réduire a minima la contribution réclamée par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué, qui ne vise qu'une seule pièce communiquée par elle-même, n'a pas pris en considération les éléments versés aux débats justifiant de réelles relations contractuelles des deux salariés de la société B... intervenant dans le haras de la société Grassfields ;

- le titre de perception contesté est dépourvu de fondement du fait de l'autorité de la chose jugée qui s'attache à l'arrêt du 7 septembre 2022 de la cour d'appel de Caen qui a estimé qu'aucun lien de subordination direct ne pouvait être retenu entre la société Grassfields et les employés argentins concernés qui étaient les salariés de M. B... ;

- l'Office français de l'immigration et de l'intégration a fait une appréciation erronée des circonstances de l'espèce, en particulier des événements survenus le 22 octobre 2018 au haras géré par la société qui met à disposition de tiers des chevaux de course ; la société ... dirigée par M. B... a dépêché deux de ses salariés au haras pour récupérer des chevaux ; le représentant de la société ... a déposé les deux demandes d'autorisation de travail pour conclure un contrat de travail avec MM. D... et Pera Alcaraz, tous deux engagés en qualité de cavalier soigneur ; l'OFII a accordé les autorisations pour la période du 15 juin 2018 au 1er novembre 2018 par une décision du 7 juin 2018 ; les déclarations préalables à l'embauche ont été transmise à la MSA par un courrier du 28 juillet 2018 ; des contrats de travail ont été établis pour la période considérée ; c'est dans ces conditions que M. D... se rendant au haras pour récupérer des chevaux a subi un accident de travail le 22 octobre 2018 ; l'accident de travail survenu dans les locaux d'un tiers n'a pas pour effet de transférer le contrat de travail audit tiers ; les deux salariés ont été valablement déclarés et réglés de leur salaire par leur seul et unique employeur.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 décembre 2022, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), représenté par Me De Froment, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Grassfields ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- et les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La société Grassfields, spécialisée dans l'élevage, le dressage et la location de chevaux de polo, exerce son activité au sein notamment de l'exploitation agricole le " ... " située à ... (Calvados). A la suite d'un contrôle opéré le 24 octobre 2018 par les services de l'inspection du travail au sein de ce haras, consécutivement à un accident du travail survenu dans la carrière le 22 octobre précédent, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a, par un courrier du 18 mars 2019, invité la société Grassfields à présenter ses observations sur l'emploi de deux ressortissants argentins dépourvus de titre les autorisant à travailler. Par une décision du 2 juillet 2019, l'OFII a mis à la charge de la société Grassfields une somme de 35 700 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail. Un titre de perception a été émis le 20 décembre 2019 par la direction générale départementale des finances publiques de l'Essonne pour avoir paiement de cette somme.

2. La société Grassfields a, le 23 décembre 2020, saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à l'annulation de ce titre de perception. Elle relève appel du jugement du 20 décembre 2021 par lequel cette juridiction a rejeté sa demande qu'elle maintient en sollicitant, à titre subsidiaire, la réduction de la somme totale mise à sa charge.

Sur la contribution spéciale :

3. Aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France (...) ". Aux termes de l'article L. 8253-1 du même code : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier aliéna de l'article L. 8251-1 acquitte une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12 (...) ". Aux termes de l'article L. 1221-10 du même code : " L'embauche d'un salarié ne peut intervenir qu'après déclaration nominative accomplie par l'employeur auprès des organismes de protection sociale désignés à cet effet (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 3221-3 du même code : " Constitue une rémunération au sens du présent chapitre, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum et tous les autres avantages et accessoires payés, directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au salarié en raison de l'emploi de ce dernier ".

4. La société Grassfields soutient que l'OFII a porté une appréciation erronée sur les circonstances de l'espèce en estimant, sans tenir compte des éléments qu'elle lui avait communiqués, que les deux ressortissants argentins dont la présence a été constatée le 24 octobre 2018 au sein du ..., étaient ses salariés. La société se prévaut également, dans ses dernières écritures, de l'arrêt du 7 septembre 2022 de la cour d'appel de Caen qui, sur la base des éléments produits par elle aux débats, l'a relaxée des fins de poursuite pour travail dissimulé et pour emploi d'étrangers non munis d'une autorisation de travail pour des faits commis à ... au cours du mois de juin 2018 et jusqu'au 24 octobre 2018 concernant les deux ressortissants argentins qui ont fait l'objet du contrôle litigieux.

5. En premier lieu, toutefois, si les faits constatés par le juge pénal saisi de poursuites pour infraction aux articles L. 8251-1 et L. 8253-1 du code du travail, et qui commandent nécessairement le dispositif d'un jugement ayant acquis force de chose jugée s'imposent à l'administration comme au juge administratif, la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tiré de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité. Il appartient dans ce cas à l'autorité administrative d'apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du même code. Il résulte de ce qui vient d'être rappelé que le moyen tiré de ce que la décision de l'OFII, puis, par voie de conséquence, le titre de perception émis pour avoir paiement de la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail, serait illégale en ce qu'elle méconnaîtrait l'arrêt du 7 septembre 2022 par lequel la cour d'appel de Caen a relaxé la société Grassfields doit être écarté.

6. En second lieu, il résulte de l'instruction que les autorisations de travailler en France pour MM. D... et Pera Alcaraz ont été sollicitées le 25 mai 2018 par M. A... B... en sa qualité d'employeur domicilié au ... et accordées, par une décision du 7 juin 2018, par l'unité départementale de l'Oise de la direction régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Hauts de France pour la période du 15 juin au 1er novembre 2018, pour exercer les fonctions d'entraîneur soigneur de chevaux. Les déclarations unique d'embauche et les déclarations préalable d'embauche, produites au dossier, ont été souscrites par le même employeur respectivement les 28 juillet et 1er août 2018. Les contrats de travail de chacun des deux salariés, également produits, ont été signés le 23 mai 2018 par M. B... en sa qualité d'employeur et mentionnent les lieu et horaires de travail, ainsi que la rémunération. Les bulletins de salaires produits sont conformes à ces contrats. De plus, la déclaration d'accident du travail de M. D... fait état de la qualité d'employeur de M. B... et les deux salariés en cause sont absent du tableau de suivi mensuel des effectifs tenu par la société Grassfields. Dans ces conditions, les deux employés - MM. Perez et Pera Alcaraz - ressortissants argentins, présents sur le " ... " situé à ... n'étaient pas, contrairement à ce qu'a estimé le directeur de l'OFII, des étrangers non autorisés à travailler en France. Par voie de conséquence, l'OFII ne pouvait mettre à la charge de la société requérante la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, laquelle fonde le titre de perception litigieux. Il convient, par suite, d'annuler la décision du 2 juillet 2019 par laquelle l'OFII a mis à la charge de la société Grassfields la somme de 35 700 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, ainsi que le titre de perception du 20 décembre 2019 dépourvu de fondement légal, et, par voie de conséquence, de décharger la même société du paiement de cette somme mise à sa charge par ce titre de perception émis par la direction départementale des finances publiques de l'Essonne.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la société Grassfields est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation du titre de perception émis le 20 décembre 2019 par la direction départementale des finances publiques de l'Essonne.

Sur les frais liés au litige :

8. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de condamner l'OFII à verser à la société Grassfields la somme de 2 000 euros qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2002604 du 20 décembre 2021 du tribunal administratif de Caen, ainsi que la décision de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 2 juillet 2019 et le titre de perception émis le 20 décembre 2019 par la direction départementale des finances publiques de l'Essonne sont annulés.

Article 2 : La société Grassfields est déchargée du paiement de la somme de 35 700 euros mise à sa charge au titre de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail.

Article 3 : L'Office français de l'immigration et de l'intégration versera la somme de 2000 euros à la société Grassfields en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Grassfields et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Copie en sera transmise, pour information, à la direction départementale des finances publiques de l'Essonne.

Délibéré après l'audience du 10 mars 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mars 2023.

Le rapporteur,

O. C...Le président,

O. GASPON

La greffière,

P. BONNIEU

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22NT00412 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT00412
Date de la décision : 28/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: Mme MALINGUE
Avocat(s) : DE FROMENT

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-03-28;22nt00412 ?
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