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24/03/2023 | FRANCE | N°22NT02010

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 24 mars 2023, 22NT02010


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes à l'indemniser des préjudices résultant des fautes commises par cet établissement à l'occasion de sa prise en charge.

Par un jugement n° 1906176 du 13 mai 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 29 juin et 26 octobre 2022, Mme A..., représentée par Me Vernass

ière, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 13 mai 2022 ;

2°) de désigner un exp...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes à l'indemniser des préjudices résultant des fautes commises par cet établissement à l'occasion de sa prise en charge.

Par un jugement n° 1906176 du 13 mai 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 29 juin et 26 octobre 2022, Mme A..., représentée par Me Vernassière, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 13 mai 2022 ;

2°) de désigner un expert afin d'évaluer les préjudices dont elle a été victime ou subsidiairement de condamner le CHU de Rennes au versement d'une somme de 8 000 euros en réparation des souffrances endurées et de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral lié au défaut d'information ;

3°) de mettre à la charge du CHU de Rennes la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le CHU a commis une faute en ne mobilisant pas tous les moyens disponibles ; le retard de diagnostic est à l'origine d'un retard dans la mise en place d'un traitement par corticoïdes et d'une perte de chance, à hauteur de 50 %, de limiter les séquelles dont elle est atteinte ;

- le défaut de mobilisation des moyens a été à l'origine d'une prolongation de son hospitalisation et d'une majoration de ses préjudices ;

- le défaut d'information est à l'origine d'un préjudice moral ;

- une nouvelle expertise doit être ordonnée afin d'évaluer le préjudice lié à la perte de chance.

Par des mémoires en défense enregistrés les 19 et 24 octobre 2022 le CHU de Rennes, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- aucun moyen de la requête n'est fondé ;

- les conclusions présentées par la caisse sont irrecevables comme ayant été présentées pour la 1ère fois en appel, la caisse ayant connaissance des soins dispensés avant le jugement.

Par un mémoire enregistré le 20 octobre 2022, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Ille-et-Vilaine, représentée par Me Di Palma, conclut à la condamnation du CHU de Rennes à lui verser les sommes de :

- 2 269,44 euros en remboursement de ses débours majorés des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et de la capitalisation de ces intérêts ;

- 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

- 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le CHU a commis une faute en n'ayant pas mis en œuvre dans une période de temps adapté les moyens de poser le diagnostic ; un retard de diagnostic doit être constaté ;

- une expertise médicale doit être ordonnée afin d'évaluer précisément les préjudices subis par la victime ;

- elle doit être remboursée de ses débours.

Vu :

- les autres pièces du dossier,

- l'ordonnance du 14 décembre 2016 taxant les frais de l'expertise à la somme de 1 500 euros à la charge de Mme A....

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- et les conclusions de M. Berthon, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le 22 juillet 2013, Mme A..., née en 1996, a ressenti de fortes douleurs cervicales puis des faiblesses dans le membre inférieur droit l'amenant à consulter un médecin généraliste. Toutefois, après son retour à domicile, un déficit moteur des jambes est apparu et elle a été prise en charge par le SAMU et admise au service des urgences du centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes le même jour. Les premiers examens pratiqués vers 15 h ont mis en évidence une paraplégie flasque des membres inférieurs avec abolition des réflexes ostéotendineux, un déficit moteur prédominant en distalité des membres supérieurs, ainsi qu'un globe vésical et une perte de la tonicité du sphincter anal. Une IRM réalisée dans les heures suivant l'admission de l'intéressée au CHU n'a pas permis de constater d'anomalies morphologiques ou de signal médullaire, permettant ainsi d'écarter tout argument en faveur d'une myélite et ne conduisant pas au constat d'une autre anomalie pouvant expliquer la symptomatologie. Une ponction lombaire a été effectuée peu après dont les résultats se sont avérés normaux. A la suite d'un bilan psychiatrique du 24 juillet 2013, les résultats communiqués le 25 juillet font état d'un diagnostic de troubles somatomorphes. Le 26 juillet, une modification des réflexes des membres inférieurs était observée, amenant les neurologues à remettre en cause le diagnostic psychiatrique et à demander de nouveaux examens. Une nouvelle IRM cérébrale et médullaire est réalisée le même jour et deux diagnostics sont évoqués : celui d'une ischémie médullaire et celui de myélite et, eu égard à l'hypothèse tenant à ce que Mme A... pouvait être atteinte d'une pathologie inflammatoire, l'intéressée s'est vue administrer à fortes doses des corticoïdes. A la suite d'une réévaluation du diagnostic, retenant désormais celui d'une lésion médullaire d'origine probablement ischémique liée à un embole fibro-cartilagineux avec paraplégie et déficit distal des membres supérieurs, Mme A... a bénéficié, à compter du 27 juillet 2013, d'une prise en charge adaptée à ses besoins.

2. Par une ordonnance du 4 mai 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a ordonné une expertise médicale confiée au Dr B..., neurologue, qui a déposé son rapport le 10 décembre 2016. Le 10 octobre 2019, Mme A... a saisi le CHU de Rennes d'une demande indemnitaire préalable qui a été implicitement rejetée. Elle relève appel du jugement du 13 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la condamnation du CHU de Rennes à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des fautes commises dans sa prise en charge.

Sur la responsabilité du CHU de Rennes :

3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ". La responsabilité du CHU de Rennes ne peut être engagée pour faute que si l'existence d'une faute et un lien de causalité direct entre cette faute et le préjudice invoqué par la victime sont établis.

4. La requérante soutient, alors qu'un diagnostic de trouble conversif a été posé après que les premiers examens effectués lors de son admission, IRM et ponction lombaire, n'ont pas révélé d'anormalité organique ou de signal médullaire, que tous les moyens n'ont pas été mis en œuvre pour confirmer le diagnostic initialement envisagé de myélite, de nouveaux examens neurologiques n'ayant pas été pratiqués entre les 22 et 26 juillet 2013 de sorte que le retard de diagnostic a été pour elle à l'origine d'une perte de chance.

5. Si le diagnostic de troubles psychiatriques a découlé de la mise en œuvre d'un bilan différentiel qu'il était logique d'évoquer, ainsi que le relève l'expert, en raison de l'absence de signes cliniques observables à la suite des premières investigations médicales et d'un contexte familial ayant été dans le passé difficile et ayant conduit à un suivi psychologique, et qu'un tel diagnostic était de nature à faire obstacle à une multiplication des examens, certains éléments cliniques observables chez la patiente, dès son admission aux urgences, tels que le caractère assez systématisé de l'atteinte neurologique sensivo-motrice très évocatrice d'une lésion médullaire, l'existence d'un globe vésical très important et l'hypotonie anale, étaient de nature à faire récuser ou rendre peu probable le diagnostic d'anorganicité.

6. L'aggravation des troubles neurologiques, observée le 26 juillet 2013, a conduit les praticiens du CHU à effectuer, le jour même, des examens complémentaires les amenant à évoquer deux diagnostics possibles : celui d'une ischémie médullaire et celui d'une myélite et, en se fondant sur cette dernière hypothèse, à administrer à Mme A... un traitement par corticoïde à fortes doses. Le diagnostic d'ischémie a pu finalement être posé à la suite des examens pratiqués le 26 juillet 2013. Dans ce contexte, si les diagnostics initialement envisagés de myélite et de troubles somatomorphes se sont avérés en définitive erronés, cette circonstance n'est pas, en l'espèce, de nature à caractériser la commission par le CHU de Rennes d'une faute médicale dès lors que les services hospitaliers ont été confrontés à une situation très exceptionnelle d'ischémie médullaire par embole fibro-cartilagineux (quelques cas dans la littérature mondiale). Au regard de ces difficultés diagnostiques, l'information erronée délivrée à sa patiente par le CHU ne présente pas davantage un caractère fautif.

7. Toutefois, alors que les résultats d'une IRM faite dans les premières heures de l'apparition d'une atteinte médullaire doivent normalement être contrôlés dans les 24 à 48 h qui suivent avant de pouvoir conclure définitivement à la normalité de l'examen pratiqué et que le CHU n'apporte aucun élément de nature à expliquer qu'il aurait été dans l'impossibilité de pratiquer plus rapidement ces examens, la requérante est fondée à soutenir que le délai observé entre les examens pratiqués successivement les 23 et 26 juillet 2013, présente un caractère fautif.

8. Cependant, il ressort de l'expertise, d'une part, qu'en présence d'une ischémie, il n'existe pas d'indication de traitement par un anti-agrégant et que, même si une myélite avait été observée, un retard dans l'instauration d'un traitement par corticoïde aurait été sans conséquence sur le niveau des séquelles neurologiques et, d'autre part, que ces séquelles sont en lien exclusif avec l'accident ischémique vasculaire dont Mme A... a été victime et non avec le retard observé ou l'erreur diagnostique initiale qui, ainsi que l'expert l'indique, " ne sont responsables d'aucune majoration des troubles neurologiques, ni d'aucune perte de chance de récupération ".

9. Dans ce contexte, le retard à pratiquer des examens complémentaires n'a été pour Mme A... à l'origine, ni d'une perte de chance d'éviter les séquelles neurologiques qu'elle présente, ni d'un préjudice moral.

10. Il résulte de ce qui précède que la requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la condamnation du CHU de Rennes à réparer les préjudices subis à la suite de sa prise en charge dans cet établissement.

Sur la demande de la CPAM d'Ille-et-Vilaine :

11. Compte tenu de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le CHU de Rennes, la CPAM n'est pas fondée à se plaindre de ce que le jugement attaqué a rejeté sa demande de remboursement des débours qu'elle a exposés pour le compte de Mme A.... Par voie de conséquence, sa demande présentée au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion doit également être rejetée.

Sur les frais liés au litige :

12. En l'espèce, il y a lieu, en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, de laisser à la charge définitive du CHU de Rennes les frais de l'expertise taxés et liquidés par l'ordonnance du 14 décembre 2016 à la somme de 1 500 euros.

13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHU de Rennes, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement d'une somme au titre des frais exposés par Mme A... et par la CPAM et qui ne sont pas compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la CPAM d'Ille et Vilaine sont rejetées.

Article 3 : Les frais de l'expertise liquidés et taxés à 1 500 euros sont laissés à la charge définitive du CHU de Rennes.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A..., au centre hospitalier régional et universitaire de Rennes et à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine.

Copie en sera adressée, pour information, à la société mutualiste des étudiants

Bretagne-Atlantique.

Délibéré après l'audience du 9 mars 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi président,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mars 2023.

La rapporteure,

C. D...

Le président,

D. SALVI

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT02010


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02010
Date de la décision : 24/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: Mme Christiane BRISSON
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : SARL LE PRADO GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-03-24;22nt02010 ?
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