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24/03/2023 | FRANCE | N°22NT00650

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 24 mars 2023, 22NT00650


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 30 juin 2021 du préfet du Calvados lui refusant la délivrance d'un titre de séjour.

Par une ordonnance n° 2101989 du 19 janvier 2022, le président du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 2 mars 2022 et 3 janvier 2023, M. A..., représenté par Me Mokhefi, demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance

du président du tribunal administratif de Caen du 19 janvier 2022 ;

2°) d'annuler cet arrêté du 30 jui...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 30 juin 2021 du préfet du Calvados lui refusant la délivrance d'un titre de séjour.

Par une ordonnance n° 2101989 du 19 janvier 2022, le président du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 2 mars 2022 et 3 janvier 2023, M. A..., représenté par Me Mokhefi, demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du président du tribunal administratif de Caen du 19 janvier 2022 ;

2°) d'annuler cet arrêté du 30 juin 2021 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Calvados, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention "réfugié" ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dès la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 2 000 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le premier juge ne pouvait rejeter sa requête sans mettre en demeure son avocat désigné au titre de l'aide juridictionnelle d'accomplir les diligences qui lui incombaient, ni porter sa carence à la connaissance du requérant ;

- en ne l'invitant pas à régulariser sa requête, le premier juge a méconnu les dispositions de l'article R. 612-1 du code de justice administrative ;

- l'arrêté contesté a été signé par une autorité incompétente ;

- cet arrêté est entaché d'une insuffisance de motivation et d'un défaut d'examen de sa situation ;

- il méconnaît les dispositions de l'article L. 424-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'en sa qualité de réfugié, il dispose d'un droit au renouvellement de sa carte de résident ;

- le préfet ne pouvait, sans erreur de droit, se fonder sur les articles L. 412-5, L. 432-1, L. 432-2 et L. 424-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, inapplicables aux réfugiés ;

- l'arrêté contesté a été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- cet arrêté a été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense enregistré le 19 décembre 2022, le préfet du Calvados conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 avril 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- et les observations de Me Mokhefi pour M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant algérien né le 24 septembre 1975, est entré en France le 9 juillet 2008 sous couvert d'un visa de court séjour. La qualité de réfugié lui ayant été reconnue par une décision du 30 septembre 2010 du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l'intéressé a bénéficié d'une carte de résident en qualité de réfugié algérien valable du 21 octobre 2010 au 20 octobre 2020, dont il a sollicité le renouvellement. Par un arrêté du 30 juin 2021, le préfet du Calvados a rejeté sa demande. M. A... relève appel de l'ordonnance du 19 janvier 2022 par laquelle le président du tribunal administratif de Caen a, sur le fondement du 4° et du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. D'une part, aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif (...) peuvent, par ordonnance : (...) / 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens ; (...) / 7° Rejeter, après l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire, les requêtes ne comportant que des moyens de légalité externe manifestement infondés, des moyens irrecevables, des moyens inopérants ou des moyens qui ne sont assortis que de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ou ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé (...) ". Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. (...) Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ".

3. D'autre part, la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique prévoit, à son article 2, que les personnes physiques dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice peuvent bénéficier d'une aide juridictionnelle et, à son article 25, que le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle a droit à l'assistance d'un avocat choisi par lui ou, à défaut, désigné par le bâtonnier de l'ordre des avocats. Il résulte de l'article 76 du décret du 28 décembre 2020 portant application de cette loi que si la personne qui demande l'aide juridictionnelle ne produit pas de document attestant l'acceptation d'un avocat choisi par elle, l'avocat peut être désigné sur-le-champ par le représentant de la profession qui siège au bureau d'aide juridictionnelle, à condition qu'il ait reçu délégation du bâtonnier à cet effet ou, à défaut, par le bâtonnier lui-même. Enfin, aux termes de l'article 43 du même décret : " (...) lorsqu'une action en justice ou un recours doit être intenté avant l'expiration d'un délai devant les juridictions de première instance (...), l'action ou le recours est réputé avoir été intenté dans le délai si la demande d'aide juridictionnelle s'y rapportant est adressée ou déposée au bureau d'aide juridictionnelle avant l'expiration dudit délai et si la demande en justice ou le recours est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter : (...) / 3° De la date à laquelle le demandeur de l'aide juridictionnelle ne peut plus contester la décision d'admission ou de rejet de sa demande en application du premier alinéa de l'article 69 et de l'article 70 ou, en cas de recours de ce demandeur, de la date à laquelle la décision relative à ce recours lui a été notifiée ; / 4° Ou, en cas d'admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné (...) ".

4. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que les tribunaux administratifs peuvent rejeter, après l'expiration des délais de recours, les demandes qui ne contiennent l'exposé d'aucun moyen. Toutefois, si le requérant, qui a demandé l'aide juridictionnelle avant l'expiration du délai de recours, a obtenu la désignation d'un avocat à ce titre et si cet avocat n'a pas produit de mémoire, le juge ne peut, afin d'assurer au requérant le bénéfice effectif du droit qu'il tire de la loi du 10 juillet 1991, rejeter la demande sans avoir préalablement mis l'avocat désigné en demeure d'accomplir, dans un délai qu'il détermine, les diligences qui lui incombent et porté cette carence à la connaissance du requérant, afin de le mettre en mesure, le cas échéant, de choisir un autre représentant.

5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. A... a formé une demande d'aide juridictionnelle le 7 septembre 2021, dans le délai de recours contentieux ouvert contre l'arrêté du 30 juin 2021 du préfet du Calvados, dont l'intéressé a eu connaissance le 10 juillet suivant ainsi qu'il l'indique dans ses écritures et qu'il ressort des mentions manuscrites portées par l'administration sur cette décision, lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, avant de saisir le tribunal administratif de Caen d'une requête non motivée annonçant un mémoire complémentaire et d'un mémoire en communication de pièces enregistrés respectivement les 10 septembre et 22 octobre 2021 aux fins d'annulation de cet arrêté. Par une décision du 2 décembre 2021, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Caen a fait droit à sa demande et désigné un avocat pour le représenter. Alors que cet avocat n'a pas régularisé la demande de M. A... par la production d'un mémoire motivé, le président du tribunal administratif de Caen, en rejetant la requête de l'intéressé sur le fondement des dispositions des 4° et 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative sans mettre en demeure cet avocat d'accomplir les diligences qui lui incombaient, ni porter à la connaissance de M. A... la carence de son avocat, alors au surplus que le nouveau délai de recours de deux mois qui a commencé à courir à compter de la notification de la décision du bureau d'aide juridictionnelle n'était pas expiré à la date de son ordonnance du 19 janvier 2022, n'a pas assuré au requérant le respect effectif du droit qu'il tirait de la loi du 10 juillet 1991. Par suite, l'ordonnance attaquée a été rendue au terme d'une procédure irrégulière et doit être annulée.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Caen.

Sur la légalité de l'arrêté contesté du 30 juin 2021 :

5. Aux termes de l'article L. 424-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger auquel la qualité de réfugié a été reconnue en application du livre V se voit délivrer une carte de résident d'une durée de dix ans ". Aux termes de l'article L. 433-2 du même code : " Sous réserve des dispositions des articles L. 411-5 et L. 432-3, une carte de résident est renouvelable de plein droit ".

6. Aux termes de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte de séjour temporaire, de la carte de séjour pluriannuelle et de l'autorisation provisoire de séjour prévue aux articles L. 425-4 ou L. 425-10 ainsi qu'à la délivrance de la carte de résident et de la carte de résident portant la mention "résident de longue durée-UE" ". Aux termes de l'article L. 432-1 de ce code : " La délivrance d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ou d'une carte de résident peut, par une décision motivée, être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public "Aux termes de l'article L. 432-2 de ce même code : " Le renouvellement d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle peut, par une décision motivée, être refusé à l'étranger qui cesse de remplir l'une des conditions exigées pour la délivrance de cette carte dont il est titulaire, fait obstacle aux contrôles ou ne défère pas aux convocations (...) ".

7. Il résulte de ces dispositions que, contrairement à la délivrance d'une première carte de résident et au renouvellement d'une carte de séjour temporaire ou d'une carte de séjour pluriannuelle, le refus de renouvellement de la carte de résident ne peut être fondé sur la menace pour l'ordre public que constitue la présence en France de l'intéressé, mais uniquement sur l'un des motifs énoncés aux articles L. 411-5 et L. 432-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui concernent, pour l'un, les étrangers ayant quitté le territoire français et résidé à l'étranger pendant une période de plus de trois ans consécutifs et, pour l'autre, les étrangers vivant en état de polygamie ou ayant été condamnés pour avoir commis, sur un mineur de quinze ans, l'infraction de violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ou s'en étant rendu complices. En l'espèce, alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A... n'aurait pas sollicité dans les délais le renouvellement de sa carte de résident, il n'est pas davantage établi, ni même allégué, que l'intéressé pouvait se voir opposer l'un des motifs précités. Par suite, en estimant que, dès lors que la présence en France de l'intéressé constituait une menace pour l'ordre public, il pouvait, pour refuser de renouveler sa carte de résident, lui opposer les dispositions précitées des articles L. 412-5, L. 432-1 et L. 432-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet du Calvados a commis une erreur de droit.

8. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la demande, M. A... est fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 30 juin 2021 par lequel le préfet du Calvados a refusé de renouveler sa carte de résident.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Eu égard au motif d'annulation retenu et alors que le requérant n'entre pas dans le champ d'application des articles L. 411-5 et L. 432-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'exécution du présent arrêt implique, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait ou de droit, que le préfet procède au renouvellement de la carte de résident en qualité de réfugié algérien de M. A.... Dans les circonstances particulières de l'espèce, il n'y a cependant pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

10. M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à

Me Mokhefi dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E

Article 1er : L'ordonnance n° 2101989 du 19 janvier 2022 du président du tribunal administratif de Caen et l'arrêté du 30 juin 2021 du préfet du Calvados sont annulés.

Article 2 Il est enjoint au préfet du Calvados, sous réserve d'un changement de fait ou de droit, de renouveler la carte de résident en qualité de réfugié algérien de M. A... dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt et dans cette attente de le munir d'une autorisation provisoire de séjour.

Article 3: L'Etat versera à Me Mokhefi la somme de 1 200 euros en application des articles L 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet du Calvados.

Délibéré après l'audience du 9 mars 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mars 2023.

La rapporteure,

C. B... Le président,

D. Salvi

Le greffier,

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22NT006502


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT00650
Date de la décision : 24/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: Mme Christiane BRISSON
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : CABINET DJAMILA MOKHEFI

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-03-24;22nt00650 ?
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