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14/03/2023 | FRANCE | N°22NT00610

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 14 mars 2023, 22NT00610


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler les arrêtés du 9 novembre 2021 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités néerlandaises, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et l'assignant à résidence dans le département de la Loire-Atlantique pour une durée de 45 jours renouvelable trois fois, ensuite, d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale

dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à i...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler les arrêtés du 9 novembre 2021 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités néerlandaises, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et l'assignant à résidence dans le département de la Loire-Atlantique pour une durée de 45 jours renouvelable trois fois, ensuite, d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, enfin, de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1000 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve pour ledit conseil de renoncer à la part contributive de l'Etat versée au titre de l'aide juridictionnelle.

Par un jugement n° 2112835 du 6 décembre 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 février 2022, M. B..., représenté par Me Moreau-Talbot, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 6 décembre 2021 ;

2°) d'annuler les arrêtés du 9 novembre 2021 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités néerlandaises, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et l'assignant à résidence dans le département de la Loire-Atlantique ;

3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de lui remettre une attestation de demandeur d'asile ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté de transfert aux autorités méconnait les article 10 et 11 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013;

- l'arrêté de transfert est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement n° 604/2013 ;

- l'arrêté de transfert méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'arrêté de transfert méconnait l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juin 2022, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 janvier 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. D... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant nigérian né le 21 juillet 1991 à Bénin City (Nigéria), est entré en France le 4 juillet 2021. Sa demande d'asile a été enregistrée le 9 juillet 2021 par les services de la préfecture de la Loire-Atlantique. La consultation du système Eurodac a révélé que l'intéressé avait précédemment déposé des demandes d'asile en Italie en 2015 et aux Pays-Bas en 2019 puis en 2021. Consécutivement à leur saisine le 16 juillet 2021 d'une demande de reprise en charge sur le fondement du paragraphe 1 de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013, les autorités italiennes ont rejeté cette demande tandis que les autorités néerlandaises ont, le 26 juillet 2021, expressément accepté de reprendre en charge l'intéressé. Par deux nouveaux arrêtés du 9 novembre 2021, le préfet de Maine-et-Loire a ordonné le transfert de M. B... aux autorités néerlandaises et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. M. B... a sollicité auprès du tribunal administratif de Nantes l'annulation de ces deux arrêtés. Il relève appel du jugement du 6 décembre 2021 en tant que la magistrate désignée a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté de transfert.

En ce qui concerne l'arrêté de transfert :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 10 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Si le demandeur a, dans un État membre, un membre de sa famille dont la demande de protection internationale présentée dans cet État membre n'a pas encore fait l'objet d'une première décision sur le fond, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit. ".

3. Il ressort des pièces du dossier que si le préfet de Maine-et-Loire a finalement décidé d'instruire en France la demande d'asile de Mme A... E..., qui est la mère de deux des enfants du requérant, alors que cette demande avait été initialement enregistrée en procédure Dublin, c'est précisément en raison de la plainte pour violences conjugales qu'elle a déposée à l'encontre de M.B.... Il ressort, en outre des pièces produites par le préfet que Mme A... E... lui a expressément indiqué, dans un courrier daté du 8 novembre 2021, " qu'elle ne veut plus avoir aucun contact avec M. B... et qu'elle souhaite qu'il soit éloigné d'elle et de ses enfants en raison de son comportement violent ". Au regard des termes sans équivoque de ce courrier, Mme A... E... ne peut être regardée comme ayant " exprimé le souhait par écrit ", ainsi que l'exigent les dispositions précitées de l'article 10 du règlement Dublin, que la demande d'asile de M. B... soit examinée en France. Par suite, le moyen tiré de la violation de ces dispositions doit être écarté.

4. En deuxième lieux, aux termes de l'article 11 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsque plusieurs membres d'une famille (...) introduisent une demande de protection internationale dans un même État membre simultanément, ou à des dates suffisamment rapprochées pour que les procédures de détermination de l'État membre responsable puissent être conduites conjointement, et que l'application des critères énoncés dans le présent règlement conduirait à les séparer, la détermination de l'État membre responsable se fonde sur les dispositions suivantes: / a) est responsable de l'examen des demandes de protection internationale de l'ensemble des membres de la famille (..) l'État membre que les critères désignent comme responsable de la prise en charge du plus grand nombre d'entre eux; / est responsable de l'examen des demandes de protection internationale de l'ensemble des membres de la famille et/ou des frères et sœurs mineurs non mariés, l'État membre que les critères désignent comme responsable de la prise en charge du plus grand nombre d'entre eux;. ".

5. Il ressort des pièces du dossier que ce n'est pas " l'application des critères énoncés dans le présent règlement ", au sens des dispositions de l'article 11 précitées, qui a conduit le préfet de Maine-et-Loire à séparer M. B... des membres de sa famille mais sa décision de faire usage de la clause discrétionnaire de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 en décidant que la demande d'asile de Mme A... E..., à laquelle sont rattachés les deux enfants mineurs, devait être instruite en France alors que l'examen de cette demande incombait en principe aux autorités des Pays-Bas en vertu des critères fixés par ce même règlement, et ce, au regard de la plainte étayée de Mme A... E... pour des violences commises par M. B... en présence des enfants. Le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article 11 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". Aux termes de l'article 3 paragraphe 1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Selon les termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "

7. Il ressort des pièces du dossier que, si M. B... se déclare marié avec Mme A... E..., avec laquelle il a eu deux enfants, il ne justifie pas de la situation matrimoniale ainsi revendiquée et l'attestation de demandeur d'asile qui lui a été remise lors de l'enregistrement de sa demande d'asile le 9 juillet 2021 à la préfecture de la Loire-Atlantique mentionne qu'il est célibataire. Il ressort par ailleurs de la plainte étayée pour des faits de violences conjugales habituelles déposée le 23 juillet 2021 à son encontre par Mme A... E... que cette dernière présente M. B..., dont elle indique être déjà séparée, comme " son ex-concubin et le père de ses deux enfants mineurs ". F... A... E... a précisé dans sa plainte qu'elle vivait à cette date seule dans un squat avec ses deux enfants et que M. B... ne subvient en aucune manière à l'entretien des enfants ni ne contribue à leur l'éducation. En outre, l'assistante sociale de l'association qui les héberge atteste que, depuis qu'elle a été orientée dans cette structure d'hébergement pour demandeurs d'asile au mois d'août 2021, Mme A... E... y vit seule avec ses deux enfants. De son côté, M. B... se borne en appel comme en première instance à soutenir qu'il est arrivé en France avec Mme A... E... et qu'ils ont présenté ensemble leur demande d'asile mais il ne conteste pas qu'ils sont désormais séparés. Il n'apporte pas davantage d'éléments susceptibles d'attester de quelconques liens qu'il entretiendrait avec ses deux enfants mineurs ou d'établir qu'il subviendrait à leur entretien ni ne justifie avoir cherché à faire valoir ses droits de père. Dans ces conditions, et au vu de l'ensemble des éléments versés aux débats par les parties, le préfet de Maine-et-Loire n'a ni porté une atteinte disproportionnée au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale, tel que garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni omis d'accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants en méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, ni enfin commis une erreur manifeste d'appréciation en décidant de transférer M. B... vers les Pays-Bas, Etat responsable de sa demande de protection internationale en application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, sans mettre en œuvre la clause discrétionnaire de l'article 17 de ce même règlement, contrairement à ce qu'il l'a fait pour la mère de ses enfants.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 9 novembre 2021 décidant son transfert aux autorités néerlandaises.

9. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que doivent être rejetées les conclusions du requérant aux fins d'injonction et celles tendant au bénéfice des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera adressée, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 17 février 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mars 2023.

Le rapporteur,

O. D...Le président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°22NT00610 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT00610
Date de la décision : 14/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: Mme MALINGUE
Avocat(s) : MOREAU-TALBOT

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-03-14;22nt00610 ?
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