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17/02/2023 | FRANCE | N°22NT00642

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 17 février 2023, 22NT00642


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 10 décembre 2019 par laquelle le préfet de la région Bretagne lui a refusé l'autorisation d'exploiter les parcelles cadastrées YD29A, ZX5B et ZX5D situées sur la commune de Janzé.

Par un jugement n° 2002884 du 3 janvier 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 3 mars et 13 décembre 2022, M. D... C...,

représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administrati...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 10 décembre 2019 par laquelle le préfet de la région Bretagne lui a refusé l'autorisation d'exploiter les parcelles cadastrées YD29A, ZX5B et ZX5D situées sur la commune de Janzé.

Par un jugement n° 2002884 du 3 janvier 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 3 mars et 13 décembre 2022, M. D... C..., représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 3 janvier 2022 ;

2°) d'annuler la décision du préfet de la région Bretagne du 10 décembre 2019 et la décision implicite de rejet de son recours gracieux contre cette décision ;

3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier, en ce que le tribunal a omis de répondre à un moyen invoqué, tiré de ce que les déclarations de surface étaient erronées s'agissant de la demande concurrente, de sorte que le calcul de l'indicateur de dimension économique (IDE) par unité de travail annuel (UTA) était inexact ;

- la décision litigieuse est irrégulière en ce qu'elle a été instruite par le préfet de région, sans appui du préfet d'Ille-et-Vilaine, département du siège de l'exploitation, en méconnaissance de l'article R. 331-3 du code rural et de la pêche maritime ;

- l'IDE par UTA de la SCEA de l'Oiselière retenu est erroné :

- il a été calculé sans application de la moindre modulation selon la distance des parcelles par rapport au siège d'exploitation ;

- il n'a pas été tenu compte de l'activité de gîte rural de M. B..., alors que son activité en qualité de gérant de la SARL Kamaret a été prise en considération ;

- le chiffre d'affaires de l'activité du GFA Breizh 35, dont M. et Mme B... sont les gérants depuis le 3 mai 2019, aurait dû être pris en compte dans le calcul de l'IDE par UTA ;

- il a été retenu à tort 2 UTA pour la SCEA de l'Oiselière au lieu d'une seule UTA ;

- les déclarations de surface étaient erronées s'agissant de la SCEA de l'Oiselière.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 octobre 2022, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par M. C... ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 10 octobre 2022, la société civile d'exploitation agricole (SCEA) de l'Oiselière, représentée par Me Dervillers, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de M. C... une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens invoqués par M. C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- l'arrêté préfectoral du 4 mai 2018 fixant le schéma directeur régional des exploitations agricoles de Bretagne ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- et les observations de M A..., représentant M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., exploitant agricole, a sollicité le 7 octobre 2019 une autorisation d'exploiter des parcelles cadastrées YD29A, ZX5B et ZX5D, pour une superficie totale de 20 hectares, 59 ares et 78 centiares, situées sur le territoire de la commune de Janzé

(Ille-et-Vilaine). Une demande concurrente à la reprise de ces terres a été formulée par la SCEA de l'Oiselière. Par décision du 10 décembre 2019, implicitement confirmée sur recours gracieux, le préfet de la Région Bretagne a rejeté la demande d'autorisation présentée par M. C.... Ce dernier relève appel du jugement du 3 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier que dans un mémoire enregistré le 29 novembre 2020, M. C... a invoqué le moyen tiré du caractère erroné des surfaces d'exploitation retenues pour la demande de la SCEA de l'Oiselière ayant conduit le préfet à faire une appréciation erronée de l'indicateur de dimension économique (IDE) de cette exploitation pour déterminer les rangs respectifs des demandes concurrentes au regard de la sous-priorité 9.6 du schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA). Le tribunal administratif de Rennes a omis de répondre à ce moyen, qui n'était pas un simple argument et n'était pas inopérant. Il s'ensuit que M. C... est fondé à soutenir que le jugement est irrégulier en ce qu'il est insuffisamment motivé.

3. Il y a lieu, en conséquence, d'annuler le jugement attaqué, et de statuer sur la demande de M. C... par la voie de l'évocation.

Sur la légalité de la décision du 10 décembre 2019 :

4. L'article L. 331-3-1 du code rural et de la pêche maritime dispose : " L'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2 peut être refusée : / 1° Lorsqu'il existe un candidat à la reprise ou un preneur en place répondant à un rang de priorité supérieur au regard du schéma directeur régional des structures agricoles mentionné à l'article L. 312-1 ; (...). ". Le SDREA de Bretagne détermine en son article 3 l'ordre des priorités, et dispose, au titre des règles s'appliquant à toutes les priorités, qu' " En cas de demandes concurrentes relevant du même rang de priorité, les candidatures sont classées au regard des critères et règles fixés à l'article 5. Si ce classement ne permet pas de les départager, des autorisations sont délivrées pour chacune d'elles. / Au sein d'une même priorité, on départagera les demandes en fonction des sous-priorités. (...) ". Enfin, le point 3 de l'article 5 de ce schéma, fixant les règles relatives à l'application des critères d'appréciation de l'intérêt économique et environnemental, après avoir rappelé qu' : " Au sein d'une même priorité, dans le cas où les caractéristiques des demandeurs en concurrence présentent des différences, au regard des sous-critères établis, les demandes sont examinées en fonction des sous-priorités jusqu'à ce qu'elles soient départagées. ", fixe pour chacune des priorités au sein desquelles des demandeurs sont susceptibles d'être en concurrence, des sous-critères permettant de les départager.

5. D'autre part, la sous-priorité 9.6 permettant de départager des demandes concurrentes relevant de la priorité 9, concernant l'agrandissement et/ou la réunion d'exploitation, confère une priorité au : " Demandeur dont l'IDE/UTA de l'exploitation est le moins élevé au moment du dépôt de la demande, après application d'une modulation selon la distance, telle que définie à l'article 1 du présent arrêté, entre le siège de l'exploitation et le fonds demandé. A moins de 10 000 euros d'écart, les candidatures seront considérées comme de rang équivalent./ (...) ".

6. Pour refuser l'autorisation d'exploiter les parcelles YD29A, ZX5B et ZX5D à M. C..., dont la demande relevait de la priorité 9, le préfet de la région Bretagne a estimé, après mise en œuvre des critères de départage définis par l'article 5 du SDREA, et plus précisément de la sous-priorité 9.6 énoncée au point précédent, que la demande concurrente de la SCEA de l'Oiselière était prioritaire par rapport à la sienne.

7. Si M. C... soutient que l'activité du groupement foncier agricole (GFA) Breizh 35, dont M. et Mme B... étaient associés et gérants au moment du dépôt de leur demande d'autorisation, n'a pas été prise en compte dans le calcul de la dimension économique de l'exploitation (IDE/UTA) de la SCEA de l'Oiselière, il ressort des pièces du dossier que ce GFA développe une activité de location de terrains et d'autres biens immobiliers, qui n'est pas au nombre des activités agricoles principales ou connexes qui doivent être prises en compte pour le calcul de la dimension économique des exploitations agricoles en Bretagne, en vertu du SDREA.

8. Toutefois, et d'une part, il résulte du tableau accompagnant les dispositions du

sous-critère 9.6 citées au point 5 que la majoration de l'IDE/UTA est de 20% pour une distance entre le siège de l'exploitation et le fonds demandé inférieure à 5 kilomètres, et de 40 % pour une distance supérieure à 5 kilomètres. En outre, l'article 1er du SDREA de Bretagne, auquel renvoie la sous-priorité 9.6 pour la définition de la distance dispose que : " la mesure de la distance s'effectue entre le point le plus proche de la parcelle ou de l'îlot demandé et le siège d'exploitation, à vol d'oiseau ".

9. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier, en particulier de la carte issue du site Géoportail produite par le préfet de région en première instance, que le siège de l'exploitation de la SCEA de l'Oiselière et les parcelles que cette société a demandé à être autorisée à exploiter sont distantes, à vol d'oiseau, de 4,769 kilomètres. En application des règles de modulation de distance fixées pour la sous-priorité 9.6, l'IDE/UTA de la SCEA de l'Oiselière aurait dû être majoré de 20 % afin de tenir compte de cette distance.

10. D'autre part, selon le point 3.2 de l'annexe 3 du schéma directeur régional des exploitations agricoles relatif à la méthode mise en œuvre pour évaluer la dimension économique des exploitations : " (...) Pour la prise en compte des productions végétales ou animales " atypiques " ou " non référencées " et des activités connexes à l'agriculture suivantes : vente directe, transformation, agrotourisme, l'IDE est estimé à 50% du chiffre d'affaires de l'activité. (...). ".

11. En l'espèce, il est constant que le préfet de région a omis d'intégrer les revenus de M. B... en qualité d'exploitant d'un gîte rural dans le calcul de l'IDE de l'exploitation de la SCEA de l'Oiselière. Celle-ci n'ayant pas répondu à la mesure d'instruction diligentée le 20 janvier 2023 afin d'obtenir le chiffre d'affaire généré par cette activité, il y a lieu de retenir à ce titre l'hypothèse proposée par le préfet soit la somme de 18 762 euros, dont la moitié aurait dû être prise en compte pour le calcul de la dimension économique de l'exploitation de la SCEA de l'Oiselière.

12. Enfin, l'article 4 du SDREA de Bretagne prévoit que pour déterminer la dimension économique d'une exploitation agricole, " l'IDE calculé pour l'exploitation est ramené au nombre d'unité de travail (UTA) travaillant sur l'exploitation dans la limite précisée ci-dessous : - chef d'exploitation ; - conjoint collaborateur ; salarié en contrat à durée indéterminée ; " et l'article 1er du SDREA définit l'UTA comme équivalent au " travail d'une personne à temps plein pendant une année dans une exploitation agricole. "

13. En l'espèce, si la demande d'autorisation d'exploiter de la SCEA de l'Oiselière indique que Mme B... est membre associée de l'exploitation, au même titre que M. B..., il ressort des pièces du dossier, et il n'est pas contesté que ce n'est que le 2 octobre 2019, soit postérieurement au dépôt de la demande d'autorisation, enregistrée le 30 juillet 2019, que Mme B... est devenue co-gérante de la SCEA de l'Oiselière. La SCEA admet elle-même que l'intéressée n'était pas associée de la SCEA à la date du dépôt de la demande. Mme B... ne pouvait dès lors être regardée comme exploitante agricole, en dépit de ce qu'elle a indiqué dans la demande d'autorisation. Par ailleurs, il ne ressort d'aucune pièce du dossier, ni n'est allégué, qu'elle était susceptible d'être regardée comme conjoint collaborateur ou salariée en contrat à durée indéterminée. Dès lors, une seule UTA, au sens des dispositions citées ci-dessus de l'article 1er du SDREA, était susceptible d'être prise en compte pour évaluer la dimension économique de l'exploitation " au moment du dépôt de la demande ", soit au 30 juillet 2019, ainsi que le prescrivent les dispositions de la sous-priorité 9.6 du SDREA rappelées au point 5. Il s'ensuit que le préfet de région Bretagne ne pouvait prendre en compte l'activité de Mme B... en retenant deux UTA pour évaluer la dimension économique de l'exploitation à cette date.

14. La rectification des erreurs cumulées de l'autorité préfectorale pour apprécier la dimension économique de l'exploitation concurrente de la SCEA de l'Oiselière ramenant l'écart entre les IDE/UTA des deux concurrents au moment du dépôt de leurs demandes respectives à une somme inférieure à 10 000 euros, et à faire regarder les candidatures comme étant " de rang équivalent " au sens et pour l'application du sous-critère 9.6, M. C... est fondé à soutenir que le préfet de région a fait une inexacte application des dispositions de la sous-priorité 9.6 du SDREA.

15. Il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à demander l'annulation de la décision du 10 décembre 2019 lui refusant l'autorisation d'exploiter ainsi que la décision rejetant implicitement son recours gracieux.

Sur les frais liés à l'instance :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. C..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SCEA de l'Oiselière demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 3 janvier 2022 du tribunal administratif de Rennes est annulé.

Article 2 : La décision du 10 décembre 2019 et la décision implicite de rejet du recours gracieux contre cette décision sont annulées.

Article 3 : L'Etat versera à M. C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par la SCEA de l'Oiselière sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C..., au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, et à la société civile d'exploitation agricole de l'Oiselière.

Une copie en sera adressée, pour information, au préfet de la région Bretagne.

Délibéré après l'audience du 2 février 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- Mme Lellouch, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 février 2023.

La rapporteure,

J. E...

Le président,

D. Salvi

Le greffier,

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT00642


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT00642
Date de la décision : 17/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: Mme Judith LELLOUCH
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS PROXIMA

Origine de la décision
Date de l'import : 22/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-02-17;22nt00642 ?
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