Vu la procédure suivante :
Par un arrêt avant dire droit n° 21NT02721 du 1er juillet 2022, la cour a, en application de l'article R. 625-3 du code de justice administrative, avant de statuer sur les conclusions de la requête d'appel de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) tendant à l'annulation du jugement n° 1601158 du 22 juin 2017 par lequel le tribunal administratif de Caen l'a condamné à verser à Mme B... C... un capital de 367 418,29 euros et une rente annuelle de 9 911 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison des vaccinations imposées dans le cadre de ses activités professionnelles, procédé à une mesure d'instruction en invitant l'Académie nationale de médecine à lui fournir des observations sur le point de savoir si, en l'état actuel des connaissances scientifiques, il n'y a aucune probabilité qu'un lien de causalité existe entre une myofasciite à macrophages et une vaccination contre le virus de l'hépatite B.
L'Académie nationale de médecine a produit ses observations le 6 octobre 2022.
Par un mémoire enregistré le 18 octobre 2022, l'ONIAM, représenté par
Me de la Grange, conclut :
- à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Caen du 22 juin 2017 ;
- au rejet de la demande présentée par Mme C... devant le tribunal.
Il soutient :
- à titre principal, ainsi que le constate l'Académie nationale de médecine, qu'aucune probabilité de lien de causalité entre la vaccination et les symptômes présentés n'existe ;
- à titre subsidiaire, que cette absence de lien doit être constatée au regard des critères dégagés par la jurisprudence du Conseil d'État, compte tenu en particulier du délai constaté entre la vaccination et l'apparition des premiers symptômes.
Par un mémoire enregistré le 21 octobre 2022, Mme B... C..., représentée par Me Jegu, demande à la cour :
- de rejeter la requête de l'ONIAM ;
- de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 2 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'avis de l'Académie nationale de médecine n'est pas recevable faute de pouvoir en identifier les auteurs ;
- les moyens soulevés par l'ONIAM ne sont pas fondés, notamment quant à l'absence de toute probabilité qu'un lien de causalité existe entre les vaccins contenant des adjuvants aluminiques et la pathologie dont elle souffre.
Vu les autres pièces du dossier .
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les conclusions de M. Berthon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Dans le cadre de l'exercice de ses fonctions d'infirmière, Mme C... a été vaccinée contre le DT Polio en 1992 et 2002 ainsi qu'à 5 reprises, entre 1992 et 1998, contre le virus de l'hépatite B. Des symptômes en nature de paresthésies associées à des douleurs importantes sont apparus en 2007 et le diagnostic d'une myofasciite à macrophage a été posé le 3 août 2009. Le 14 avril 2016, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a rejeté la réclamation indemnitaire présentée par l'intéressée. Par un jugement n°1601158 du 22 juin 2017,
le tribunal administratif de Caen a condamné l'ONIAM à verser à Mme C... un capital de 367 418,29 euros ainsi qu'une rente annuelle de 9 911 euros en réparation de ses préjudices. Par un arrêt n° 17NT02615 du 26 novembre 2019 la cour, saisie par l'ONIAM,
a annulé ce jugement et rejeté la demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif. Par une décision n° 437875 du 29 septembre 2021, le Conseil d'État, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour. Par un arrêt du 1er juillet 2022, la cour a, en application de l'article R. 625-3 du code de justice administrative, invité l'Académie nationale de médecine à lui présenter des observations écrites, de caractère général, de nature à l'éclairer sur le point de savoir si, en l'état actuel des connaissances scientifiques, il n'y a aucune probabilité qu'un lien de causalité existe entre la survenue de symptômes pouvant se rattacher aux manifestations cliniques caractéristiques d'une myofasciite à macrophages et l'administration de vaccins comportant des adjuvants aluminiques et éventuellement d'autres vaccins ne comportant pas de tels adjuvants.
Sur l'obligation de l'ONIAM :
2. En vertu de l'article L. 3111-4 du code de la santé publique, toute personne qui, dans un établissement de prévention ou de soins, exerce une activité professionnelle l'exposant à des risques de contamination, doit être immunisée, notamment, contre l'hépatite B et aux termes de l'article L. 3111-9 du même code : " Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire pratiquée dans les conditions mentionnées au présent chapitre, est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales institué à l'article L. 1142-22, au titre de la solidarité nationale. (...) ".
3. En application de l'article R. 625-3 du code de justice administrative, la cour a invité l'Académie nationale de médecine, eu égard à ses compétences et ses connaissances, à produire des observations d'ordre général sur les points propres à éclairer la juridiction sur la solution à donner au litige.
4. Si le nom des experts ayant émis l'avis rendu par l'Académie nationale de médecine le 22 septembre 2022 ne figure pas sur ce document, il ne ressort pas des dispositions de l'article R. 625-3 du code de justice administrative qu'une telle obligation s'imposait à peine de vicier la procédure ou de faire obstacle à ce que la cour puisse prendre en considération, à titre d'information, les éléments factuels, de nature scientifique, portés à sa connaissance.
5. Il appartient à la juridiction saisie d'un litige individuel portant sur les conséquences pour la personne concernée d'une vaccination présentant un caractère obligatoire, de rechercher, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant elle, s'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe. Dans l'hypothèse inverse, elle doit procéder à l'examen des circonstances de l'espèce et ne retenir l'existence d'un lien de causalité entre les vaccinations obligatoires subies par l'intéressée et les symptômes qu'elle a ressentis que si ceux-ci sont apparus, postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, ou se sont aggravés à un rythme et une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur ou de ses antécédents et, par ailleurs, s'il ne ressort pas du dossier que ces symptômes peuvent être regardés comme résultant d'une autre cause que les vaccinations. Ainsi en l'espèce, il appartient à la cour de rechercher d'abord s'il n'y a aucune probabilité qu'un lien de causalité existe entre cette pathologie et une vaccination contre le virus de l'hépatite B puis, le cas échéant, de procéder à l'examen des circonstances de l'espèce pour vérifier l'existence d'un lien de causalité entre la vaccination et les symptômes présentés par l'intéressé.
6. En vue d'émettre son avis, l'Académie nationale de médecine a procédé à l'examen d'un ensemble de travaux scientifiques réalisés depuis 1999 en vue de rechercher l'existence d'un éventuel lien de causalité entre la vaccination contre l'hépatite B et la survenue d'une myofasciite à macrophages.
7. Si le comité consultatif pour la sécurité des vaccins de l'Organisation mondiale de la Santé a, en 1999, conclu à un lien de causalité probable entre l'hydroxyde d'aluminium des vaccins et la lésion histologique de myofasciite à macrophage et recommandé la réalisation d'études complémentaires, le conseil scientifique de l'Agence de sécurité sanitaire des produits de santé, a, le 5 mai 2004, procédé à un examen des connaissances en la matière en y incluant notamment le rapport publié en 2003 par cette même agence et portant, en réponse aux préconisations de l'OMS, sur des cas-témoins. Ce conseil a observé que si l'association de la lésion histologique sur le site musculaire de la vaccination et l'administration de vaccins contenant un adjuvant aluminique est hautement probable, il indique qu'en revanche, l'état des connaissances scientifiques ne permet pas de considérer qu'il existe une association entre l'entité histologique " myofasciite à macrophages " et un syndrome clinique spécifique. L'Académie de médecine se réfère également aux travaux effectués par elle en 2012, ainsi qu'à ceux du Haut Conseil de la santé publique de 2013 et de l'Académie nationale de pharmacie de 2016 qui aboutissent aux mêmes conclusions sur l'absence de lien entre la lésion localisée histologique et un syndrome spécifique associant myalgies, arthralgies et/ou asthénie.
8. Au regard de ces éléments, l'Académie de médecine conclut que " si l'hypothèse que la persistance d'une quantité microscopique d'aluminium au site d'injection pendant des années après une vaccination reflèterait la distribution normale de l'élimination de l'aluminium au sein d'une population vaccinée peut être retenue, celle de son rôle éventuel dans la mise en œuvre d'une maladie clinique générale, qu'elle soit inflammatoire et/ou auto-immune n'est pas démontrée à ce jour ".
9. Pour contester ces conclusions de l'Académie nationale de médecine, Mme C... produit une étude publiée en août 2022 dans un numéro spécial " Early life Exposure to persistent organic Pollutants, a particulary sensitive period " ainsi qu'un article, publié le
16 septembre 2022 dans la revue " Critical Reviews in toxicology ".Toutefois ces éléments ne sont pas, à eux seuls, de nature à remettre en cause les observations de l'Académie nationale de médecine.
10. Dans ces conditions, en l'état des connaissances scientifiques telles que rappelées ci-dessus, aucune probabilité d'un lien de causalité entre l'injection du vaccin contre le virus de l'hépatite B contenant ou non un adjuvant aluminique et la survenue de symptômes pouvant se rattacher aux manifestations cliniques caractéristiques d'une myofasciite à macrophages ne peut être retenue.
11. Il s'ensuit que l'ONIAM est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen l'a condamné, sur le fondement de la solidarité nationale, à indemniser Mme C... à raison de la myofasciite à macrophages qu'elle présente.
Sur les conclusions d'appel incident de Mme C... :
12. Compte tenu de ce qui vient d'être dit, en l'absence de toute obligation de l'ONIAM à l'égard de Mme C..., les conclusions indemnitaires présentées par cette dernière, par la voie de l'appel incident, ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne permettent pas d'en faire bénéficier la partie perdante ou tenue aux dépens. Par suite, les conclusions présentées par Mme C... tendant à ce que l'ONIAM lui verse une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1601158 du 22 juin 2017 du tribunal administratif de Caen est annulé.
Article 2 : La demande de Mme C... devant le tribunal et ses conclusions d'appel incident sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Une copie en sera transmise, pour information, à l'Académie nationale de médecine.
Délibéré après l'audience du 15 décembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Salvi, président de chambre,
- Mme Brisson, présidente-assesseure,
- Mme Lellouch, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 février 2023.
Le rapporteur,
C. A...
Le président,
D. Salvi
La greffière,
A. Martin
La République mande et ordonne au ministre la santé et de la prévention en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT02721