Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SARL Mach 1 a demandé au tribunal administratif de Nantes, à titre principal, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos les 31 décembre 2012, 2013 et 2014 ainsi que des majorations correspondantes, à titre subsidiaire, de prononcer la décharge de la majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue par l'article 1729 du code général des impôts mise à sa charge et de prononcer la restitution des sommes versées assorties des intérêts moratoires.
Par un jugement n° 1812009, 1913472 du 18 juin 2021 le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 18 août 2021 et 13 juin 2022 la SARL Mach 1, représentée par la société d'avocats Fidal, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge sollicitée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a considéré que l'activité de holding de la SARL Mach 1 s'exerçait en réalité depuis son établissement français, qui constituait le siège de sa direction effective, et que l'intégralité de ses bénéfices étaient, par suite, soumis à l'impôt sur les sociétés en France ; les stipulations des articles 2 et 4 de la convention fiscale entre la France et le Luxembourg du 1er avril 1958 font obstacle à l'imposition en France des bénéfices dégagés à l'étranger ;
- l'absence de notification des actes de procédure au siège de la société située au Luxembourg a eu pour effet de méconnaitre le caractère contradictoire de la procédure d'imposition et l'a privée de toute voie de recours ;
- les dispositions de l'article R-256-6 du livre des procédures fiscales ont été méconnues faute pour l'administration d'avoir notifié l'avis de mise en recouvrement à son siège situé au Luxembourg ;
- en refusant de reconnaître l'existence du siège luxembourgeois l'administration s'est en réalité fondée sur un abus de droit sans mettre en œuvre les garanties de procédure prévues dans un tel cas par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;
- l'administration n'établit pas l'existence d'un manquement délibéré justifiant les majorations mises à sa charge.
Par des mémoires en défense enregistrés les 15 février et 20 juin 2022 le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SARL Mach 1 ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention entre la France et le Grand-duché de Luxembourg tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, signée le 1er avril 1958, modifiée par l'avenant du 8 septembre 1970 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les conclusions de M. Brasnu, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Mach 1, qui exerce une activité de holding mixte, a été créée le 3 décembre 2007 sous la forme d'une société civile, son siège étant établi au domicile des associés gérants, M. et Mme C..., à Saint-Clément-de-la-Place (Maine-et-Loire). A la suite d'une décision de l'assemblée générale des actionnaires du 30 novembre 2012, le siège de la société, devenue SARL Mach 1, a été transféré au Luxembourg. La société a néanmoins conservé son établissement français de Saint-Clément-de-la-Place qui a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur l'impôt sur les sociétés au titre des exercices 2012, 2013 et 2014. A l'issue de ce contrôle, l'administration fiscale, qui a eu recours à l'assistance administrative des autorités luxembourgeoises, a estimé que le siège de direction effective de la société Mach 1 s'était maintenu en France sur la période vérifiée et que ses bénéfices étaient donc imposables en totalité à l'impôt sur les sociétés en France au titre des exercices clos en 2012, 2013 et 2014. La SARL Mach 1 relève appel du jugement du 18 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés ainsi mises à sa charge.
Sur le principe de l'imposition en France :
2. Si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition. Par suite, il incombe au juge de l'impôt de rechercher d'abord si l'imposition contestée a été valablement établie au regard de la loi fiscale nationale et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification. Il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.
3. D'une part, aux termes du I de l'article 209 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés d'après les règles fixées par les articles32 à 35, 53 A à 57 et 302 septies A bis et en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions (...) ". Il résulte de ces dispositions que ne sont passibles de l'impôt sur les sociétés que les seuls bénéfices réalisés dans des entreprises exploitées en France ou dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions.
4. Aux termes de l'article 4 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 : " 2. Les revenus des entreprises [...] commerciales [...] ne sont imposables que dans l'Etat sur le territoire duquel se trouve un établissement stable ". Aux termes de l'article 2 de la même convention : " / 4. Le domicile fiscal [...] des personnes morales [...] est au lieu de leur centre effectif de direction, ou si cette direction effective ne se trouve ni dans l'un ni dans l'autre des Etats contractants, au lieu de leur siège [...] ".
5. Il résulte de l'instruction que la SARL Mach 1 a transféré fin 2012 son siège social au Luxembourg et s'est dotée d'un conseil de gérance composé de M. et Mme C... ainsi que de M. A..., domicilié au Luxembourg, dans le cadre d'une convention de mise à disposition signée le 30 novembre 2012 avec la société European Property et Estate. Elle soutient qu'elle a exercé depuis cette date son activité de holding au Luxembourg, son établissement situé à Saint-Clément-de-la-Place n'ayant conservé qu'une activité opérationnelle. Il résulte toutefois de l'instruction que M. et Mme C..., qui sont les responsables des filiales exclusivement françaises de la SARL Mach 1, ont continué leur activité en France. Si la société requérante se prévaut de réunions du conseil de gérance au nombre de trois par an où seraient prises les décisions stratégiques et qui se tiendraient au Luxembourg, il résulte de l'instruction qu'en réalité ces décisions sont déterminées en amont par M. et Mme C... et mises à exécution en France, M. A... n'exerçant ses fonctions de gérant que selon les instructions de M. et Mme C... en application de la convention de mandat passé avec la société European Property et Estate. Enfin, le service fait valoir que la SARL Mach 1 ne dispose pas de locaux au Luxembourg, son adresse étant une simple adresse de domiciliation, ni de moyens humains et matériels, l'ensemble des frais relatifs à son fonctionnement étant engagés en France au même titre que les dépenses exposées dans le cadre de son activité de holding.
6. Il résulte de l'ensemble de ces éléments, qui ne sont pas contredits de manière efficiente, que le centre effectif de direction de la SARL Mach 1 s'est maintenu en France après 2012 et qu'elle a donc conservé son domicile fiscal en France. Il n'est pas davantage établi par la société requérante qu'une partie de ses bénéfices serait imputable à un établissement stable au Luxembourg. Par suite, les bénéfices de la SARL Mach 1 étaient, pour les exercices vérifiés, imposables en totalité en France, en application des dispositions combinées de l'article 209 du code général des impôts et des stipulations précitées de la convention fiscale franco-luxembourgeoise.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
7. En premier lieu, aux termes de l'article 218 A du code général des impôts : "1. L'impôt sur les sociétés est établi au lieu du principal établissement de la personne morale. / Toutefois, l'administration peut désigner comme lieu d'imposition : / soit celui où est assurée la direction effective de la société ; / soit celui de son siège social. / 2. Les personnes morales exerçant des activités en France ou y possédant des biens, sans y avoir leur siège social, sont imposables au lieu fixé par arrêté du ministre de l'économie et des finances publié au Journal officiel. ". En application de ces dispositions, l'article 23 ter de l'annexe IV au même code prévoit que : " Le lieu d'imposition des personnes morales désignées au 2 de l'article 218 A du code général des impôts est fixé : / pour les sociétés ou personnes morales dont l'activité s'exerce en France dans un ou plusieurs établissements, au lieu du principal établissement ; / pour les sociétés ou personnes morales qui exercent une activité en France sans y avoir d'établissement, au service des impôts des entreprises étrangères ; ".
8. Il résulte de ces dispositions que les personnes morales qui exercent des activités en France, dans un ou plusieurs établissements, sans y avoir leur siège social, et qui sont imposables en France, le sont au lieu de leur principal établissement. L'administration a pu, par suite, à bon droit, notifier les pièces de la procédure de rectification au représentant de la SARL Mach 1 au siège de l'unique établissement de la société en France, à Saint-Clément-de-la-Place, qui, ainsi qu'il a été dit précédemment, constitue le siège de sa direction effective. La société requérante n'est, par suite, pas fondée à soutenir qu'en n'adressant pas les pièces de la procédure à son siège social au Luxembourg l'administration aurait méconnu le caractère contradictoire de la procédure d'imposition et l'aurait privée de toute voie de recours.
9. En deuxième lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 256 du livre des procédures fiscales : " Un avis de mise en recouvrement est adressé par le comptable public compétent à tout redevable des sommes, droits, taxes et redevances de toute nature dont le recouvrement lui incombe lorsque le paiement n'a pas été effectué à la date d'exigibilité. (...) ". Aux termes de l'article R. 256-1 de ce livre : " l'avis de mise en recouvrement prévu à l'article L 256 indique pour chaque impôt ou taxe le montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l'objet de cet avis. Lorsque l'avis de mise en recouvrement est consécutif à une procédure de rectification, il fait référence à la proposition prévue à l'article L 57 ou à la notification prévue à l'article L 76 et, le cas échéant, au document adressé au contribuable l'informant d'une modification des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications ". Aux termes de l'article R. 256-6 du même livre : " La notification de l'avis de mise en recouvrement comporte l'envoi au redevable, soit au lieu de son domicile, de sa résidence ou de son siège, soit à l'adresse qu'il a lui-même fait connaître au service des impôts ou au service des douanes et droits indirects compétent, de l'"ampliation" prévue à l'article R. 256-3. ".
10. La société requérante soutient que les dispositions de l'article R. 256-6 du livre des procédures fiscales ont été méconnues faute pour l'administration d'avoir notifié l'avis de mise en recouvrement à son siège situé au Luxembourg. Toutefois, l'éventuelle irrégularité de la notification de l'avis de mise en recouvrement alléguée par la société requérante n'affecte pas la validité du titre lui-même. Au surplus, il résulte de l'instruction que l'avis de mise en recouvrement a été adressé au siège de sa direction effective situé en France. Ainsi, alors que la société requérante ne soutient ni même n'allègue avoir été privée d'une garantie, le moyen invoqué par la société requérante doit, en tout état de cause, être écarté.
11. En troisième lieu, l'article L. 64 du livre des procédures fiscales prévoit que : " Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : a) Qui donnent ouverture à des droits d'enregistrement ou à une taxe de publicité foncière moins élevés ; b) Ou qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus ; c) Ou qui permettent d'éviter, en totalité ou en partie, le paiement des taxes sur le chiffre d'affaires correspondant aux opérations effectuées en exécution d'un contrat ou d'une convention. / L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus feront l'objet d'un rapport annuel. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification. ".
12. En estimant que le siège de direction effective de la société Mach 1 s'était maintenu en France au cours de la période vérifiée, l'administration s'est bornée à apprécier une situation de fait, dont elle a tiré les conséquences en matière d'impôt sur les sociétés, sans remettre en cause la réalité de la présence de son siège social au Luxembourg. Dans ces conditions, l'administration fiscale, qui n'a pas implicitement cherché à réprimer un abus de droit, n'avait pas à saisir le comité consultatif prévu par les dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales.
Sur la majoration pour manquement délibéré :
13. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
14. En se fondant sur la circonstance que la SARL Mach 1, qui ne pouvait ignorer, eu égard aux modalités concrètes de sa gestion, que son établissement français constituait le siège de sa direction effective, a intentionnellement minoré son résultat pour échapper à l'impôt en France, l'administration fiscale doit être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, du caractère délibéré des manquements commis par la société requérante. C'est, par suite, à bon droit qu'elle a mis à la charge de cette dernière la majoration de 40% prévue au a) de l'article 1729 du code général des impôts.
15. Il résulte de ce qui précède que la SARL Mach 1 n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a refusé de faire droit à sa demande. Par suite, la requête, y compris ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doit être rejetée.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SARL Mach 1 est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Mach 1 et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 12 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, présidente de chambre,
- M. Geffray président-assesseur,
- M. Penhoat, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 janvier 2023.
Le rapporteur
A. B...La présidente
I. Perrot
La greffière
A. Marchais
La République mande et ordonne au ministre de ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
No 21NT023752