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24/01/2023 | FRANCE | N°22NT01410

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 24 janvier 2023, 22NT01410


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

1°) Sous le n° 2204375, M. H... C..., a demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler l'arrêté du 4 avril 2022 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé de son transfert vers la Lituanie responsable de sa demande d'asile et l'arrêté du même jour d'assignation à résidence dans le département de la Sarthe, à défaut, les modalités de cette assignation, ensuite, de prescrire au préfet de Maine-et-Loire de lui remettre une attestation de demandeur d'asile et d'adresser sa d

emande d'asile à l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

1°) Sous le n° 2204375, M. H... C..., a demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler l'arrêté du 4 avril 2022 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé de son transfert vers la Lituanie responsable de sa demande d'asile et l'arrêté du même jour d'assignation à résidence dans le département de la Sarthe, à défaut, les modalités de cette assignation, ensuite, de prescrire au préfet de Maine-et-Loire de lui remettre une attestation de demandeur d'asile et d'adresser sa demande d'asile à l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, dans les huit jours à compter du jugement à intervenir, à défaut, d'examiner de nouveau sa situation dans ce même délai, et d'assortir l'une ou l'autre de ces injonctions d'une astreinte d'un montant de cent euros par jour de retard, enfin de mettre à la charge de l'Etat le versement à son avocate de la somme de 1 200 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

2°) Sous le n° 2204376, Mme I... E..., a demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler l'arrêté du 4 avril 2022 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé de son transfert vers la Lituanie responsable de sa demande d'asile et l'arrêté du même jour d'assignation à résidence dans le département de la Sarthe, à défaut, les modalités de cette assignation, ensuite, de prescrire au préfet de Maine-et-Loire de lui remettre une attestation de demandeur d'asile et d'adresser sa demande d'asile à l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, dans les huit jours à compter du jugement à intervenir, à défaut, d'examiner de nouveau sa situation dans ce même délai, et d'assortir l'une ou l'autre de ces injonctions d'une astreinte d'un montant de cent euros par jour de retard, enfin de mettre à la charge de l'Etat le versement à son avocate de la somme de 1 200 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

3°) Sous le n° 2204385, Mme J... F..., a demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler l'arrêté du 4 avril 2022 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé de son transfert vers la Lituanie responsable de sa demande d'asile et l'arrêté du même jour d'assignation à résidence dans le département de la Sarthe, à défaut, les modalités de cette assignation, ensuite, de prescrire au préfet de Maine-et-Loire de lui remettre une attestation de demandeur d'asile et d'adresser sa demande d'asile à l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, dans les huit jours à compter du jugement à intervenir, à défaut, d'examiner de nouveau sa situation dans ce même délai, et d'assortir l'une ou l'autre de ces injonctions d'une astreinte d'un montant de cent euros par jour de retard, enfin de mettre à la charge de l'Etat le versement à son avocate de la somme de 1 200 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Par un jugement n°s 2204375, 2204376, 2204385 du 12 avril 2022, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a annulé l'ensemble de ces décisions, a enjoint au préfet de Maine-et-Loire de délivrer à Mme E..., à Mme F... et à M. C..., dans un délai de huit jours à compter de la notification du présent jugement, l'attestation de demande d'asile mentionnée à l'article L. 521-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile justifiant de l'enregistrement par les autorités françaises de chacune de leur demande d'asile en vue de leur examen par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, et a mis la somme globale de 2500 euros à la charge de l'Etat en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 9 mai et 8 juillet 2022, le préfet de Maine-et-Loire demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 12 avril 2022 ;

2°) de rejeter les demandes présentées devant ce tribunal par Mme E..., Mme F... et M. C....

Il soutient que :

- c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a estimé que ses arrêtés du 4 avril 2022 portant transfert respectivement de Mme E..., de Mme F... et de M. C... aux autorités Lituaniennes méconnaissaient les dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors qu'il ressortait des pièces des dossiers de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre de l'Union européenne, à la date des décisions de transfert en litige, des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; la situation des intéressés ne correspond pas manifestement à celle des demandeurs d'asile provenant de Biélorussie qui se sont présentés massivement à la frontière lituanienne à l'instigation des autorités biélorusses ; il ressort des éléments du dossier qu'ils avaient sollicité des visas de court séjour auprès des autorités lituaniennes ; ces visas leur ont été effectivement délivrés par ces autorités les 27 octobre 2021 s'agissant de Mme F..., puis le 16 novembre 2021 s'agissant de M. C... et de Mme E... ; les intéressés ne relevaient pas du même dispositif d'accueil que celui réservé aux demandeurs d'asile venant de Biélorussie ;

- les autres moyens présentés par Mme E..., Mme F... et M. C... seront rejetés ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juin 2022, et un mémoire enregistré le 23 décembre 2022 - non communiqué - Mme E..., Mme F... et M. C..., représentés par Me Danet, concluent au rejet de la requête et demandent que soit mise à la charge de l'Etat (préfet du Maine-et Loire) la somme de 1200 euros à verser au conseil des défendeurs en application des dispositions combinées des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que les moyens soulevés par le préfet de Maine-et-Loire ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Mme E..., Mme F... et M. C... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 mai 2022.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coiffet ;

- et les observations de Me Perrot, substituant Me Danet, représentant Mme E..., Mme F... et M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C... né le 2 avril 1981, son épouse Mme E..., née le 25 octobre 1985 et la mère de cette dernière, Mme F..., née le 1er janvier 1968, ressortissants azerbaïdjanais, sont entrés en France le 9 janvier 2022. Le 18 janvier 2022, ils ont présenté des demandes d'asile auprès des services de la préfecture de Loire-Atlantique. Le 25 janvier 2022, les autorités lituaniennes ont été saisies par les autorités françaises d'une demande de prise en charge de Mme F..., son visa étant expiré depuis une période de moins de six mois au vu des dispositions de l'article 12-4 du règlement Dublin III, puis, le 31 janvier 2022, d'une demande de prise en charge de M. C... et Mme E..., leurs visas étant en cours de validité, au regard des dispositions de l'article 12-2 du même règlement. Un accord implicite de prise en charge de Mme F... a été constaté le 31 mars 2022 et un accord express est intervenu le 31 mars 2022 pour M. C... et Mme E.... Par trois arrêtés du 4 avril 2022, le préfet de Maine-et-Loire a prononcé le transfert des intéressés aux autorités lituaniennes et les ont assignés à résidence dans le département de Loire-Atlantique pour une durée de 45 jours renouvelables. Par un jugement du 12 avril 2022, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a annulé ces arrêtés. Cette annulation a été prononcée aux motifs qu'ils méconnaissaient les dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors qu'il ressortait des pièces des dossiers de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre de l'Union européenne, à la date des décisions de transfert en litige, des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Les arrêtés d'assignation à résidence ont été annulés par voie de conséquence de cette illégalité. Le préfet de Maine-et-Loire relève appel de ce jugement. Il soutient qu'il n'a pas, en décidant du transfert de M. C..., de Mme E... et de Mme F... aux autorités lituaniennes, commis d'erreur d'appréciation et que l'annulation, par voie de conséquence, des arrêtés décidant leur assignation à résidence ne se justifiait pas en conséquence.

Sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a prononcé l'annulation de l'arrêté de transfert :

2. D'une part, aux termes de l'article 29 du règlement n° 604-2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. /2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".

3. D'autre part, l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel, ni d'ailleurs le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

4. Le délai initial de six mois dont disposait le préfet de Maine-et-Loire pour procéder à l'exécution du transfert de M. C..., de Mme E... et de Mme F... vers la Lituanie a été interrompu par la saisine du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes. Ce délai a recommencé à courir à compter de la notification à l'administration du jugement du 12 avril 2022 rendu par ce dernier. Il ressort des pièces du dossier que ce délai n'a pas fait l'objet d'une prolongation et que cet arrêté n'a pas reçu exécution pendant sa période de validité. Par suite, la décision de transfert litigieuse est devenue caduque sans avoir reçu de commencement d'exécution à la date du présent arrêt. La France est donc devenue responsable de l'examen de la demande d'asile sur le fondement des dispositions du 2 de l'article 29 du règlement n° 604-2013 rappelées ci-dessus. Le litige ayant perdu son objet, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du préfet de Maine et Loire tendant à l'annulation du jugement du 12 avril 2022, en tant qu'il a prononcé l'annulation des arrêtés du 4 avril 2022 portant transfert vers la Lituanie.

Sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a prononcé l'annulation des arrêtés portant assignation à résidence :

5. Les arrêtés portant assignation à résidence de M. C..., de Mme E... et de Mme F... ayant été exécutés et ayant produit des effets, il y a lieu de se prononcer sur leur légalité.

En ce qui concerne l'exception d'illégalité de l'arrêté de transfert :

S'agissant du moyen d'annulation retenu par le tribunal :

6. Le chapitre III du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 comprend les articles 7 à 15 fixant les critères hiérarchisés de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile. Selon les termes de l'article 12 de ce règlement : " 1. Si le demandeur est titulaire d'un titre de séjour en cours de validité, l'État membre qui l'a délivré est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. / 2. Si le demandeur est titulaire d'un visa en cours de validité, l'État membre qui l'a délivré est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. / (...) / 4. Si le demandeur est seulement titulaire d'un ou de plusieurs titres de séjour périmés depuis moins de deux ans ou d'un ou de plusieurs visas périmés depuis moins de six mois lui ayant effectivement permis d'entrer sur le territoire d'un État membre, les paragraphes 1, 2 et 3 sont applicables aussi longtemps que le demandeur n'a pas quitté le territoire des États membres.". Selon les dispositions de ce même paragraphe 2 de l'article 3, le transfert d'un demandeur d'asile vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable est impossible lorsqu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il y existe des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. De même, l'article L. 572-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " La procédure de transfert vers l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile ne peut être engagée dans le cas de défaillances systémiques dans l'Etat considéré mentionné au 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ". Il résulte de ces dispositions que, sauf à priver d'effet utile une partie de ce règlement, la seule circonstance qu'un Etat ait accepté, même expressément, sa responsabilité dans l'examen d'une demande d'asile est par elle-même sans incidence sur la possibilité de relever l'existence, dans cet Etat, de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs au sens de ces dispositions.

7. Pour estimer que les arrêtés portant transfert contestés méconnaissaient les dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et retenir l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile en Lituanie, le premier juge s'est fondé sur le dispositif instauré sur place - 5 centres d'hébergement dédiés et loi du 23 décembre 2021 - pour faire face à l'afflux massif de demandeurs d'asile provenant de Biélorussie depuis le mois de juin 2021 et sur les critiques sévères émises par la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe et le défenseur des droits lituaniens, ce dernier pointant les traitements inhumains et dégradants subis par les demandeurs d'asile regroupés dans ces centres, au sein desquels sont également enfermés des mineurs. Toutefois, il ressort des pièces des dossiers, en particulier de la consultation du fichier Visabio, que M. C... et Mme E... se sont vu délivrer par les autorités lituaniennes des visas de court séjour valables du 29 décembre 2021 au 18 janvier 2021 et que Mme F... avait bénéficié d'un visa de court séjour valable du 29 décembre 2021 au 9 janvier 2022. Ainsi, ne pouvant être regardés comme des demandeurs d'asile ayant franchi irrégulièrement la frontière lituanienne, les intéressés - autorisés à entrer et résider temporairement en Lituanie sous couvert de visas de court séjour expirés depuis moins de six mois- ne relevaient pas du même dispositif d'accueil que celui réservé aux demandeurs d'asile venant de Biélorussie mais devaient voir leur demande instruite par la Lituanie conformément à l'article 12 précité du règlement. Il ne ressort d'aucun élément du dossier que M. C..., Mme E..., accompagnés de leurs deux enfants mineurs, et Mme F... n'auraient pas été en mesure de bénéficier des conditions matérielles d'accueil et d'une prise en charge adaptée conformes aux exigences du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Ainsi, c'est à tort, comme le soutient le préfet de Maine-et-Loire, que le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a estimé en retenant un tel motif que les arrêtés du 4 avril 2022 portant transfert des intéressés aux autorités lituaniennes étaient entachés d'illégalité.

8. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance par M. C..., Mme E... et Mme F... contre ces arrêtés.

S'agissant des autres moyens présentés par M. C..., Mme E... et Mme F... contre les arrêtés de transfert :

9. En premier lieu, les arrêtés contestés du 4 avril 2022 ont été signés par Mme G.... Par un arrêté du 4 mars 2022, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture et consultable sur internet, le préfet de Maine-et-Loire a donné délégation à Mme B..., directrice de l'immigration et des relations avec les usagers à la préfecture, et en son article 2 à Mme G..., cheffe du pôle régional Dublin de la même direction, en cas d'absence ou d'empêchement de Mme B..., dont il n'est pas établi qu'elle n'était pas absente ou empêchée, à l'effet de signer les décisions d'application du règlement " Dublin III " prises à l'égard des ressortissants étrangers. Dès lors, le moyen tiré de l'absence de délégation de signature régulière du signataire de la décision contestée manque en fait et doit être écarté.

10. En deuxième lieu, les arrêtés du 4 avril 2022 portant transfert de M. C..., Mme E... et Mme F... auprès des autorités lituaniennes comportent de façon précise et circonstanciée l'exposé détaillé des motifs de droit et considérations de fait qui les fondent et qui en sont le support nécessaire. Par suite, le moyen tiré de ce que ces décisions seraient insuffisamment motivées en droit et en fait ne peut qu'être écarté.

11. En troisième lieu, aux termes de l'article 20 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " Début de la procédure - 1. Le processus de détermination de l'Etat membre responsable commence dès qu'une demande de protection internationale est introduite pour la première fois auprès d'un Etat membre. / 2. Une demande de protection internationale est réputée introduite à partir du moment où un formulaire présenté par le demandeur ou un procès-verbal dressé par les autorités est parvenu aux autorités compétentes de l'Etat membre concerné. Dans le cas d'une demande non écrite le délai entre la déclaration d'intention et l'établissement d'un procès- verbal doit être aussi court que possible. (...) ". Aux termes de l'article 21 du même règlement : " Présentation d'une requête aux fins de prise en charge- 1. L'Etat membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre Etat membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre Etat membre aux fins de prise en charge du demandeur. / (...) / Si la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur n'est pas formulée dans les délais fixés par le premier et le deuxième alinéa, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale incombe à l'Etat membre auprès duquel la demande a été introduite. Il ressort des pièces versées en première instance que le préfet de Maine et Loire qui a respecté les délais de saisine des autorités lituaniennes n'a pas méconnu les dispositions de l'article 21 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013. Le moyen sera écarté.

12. En quatrième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle et familiale de M. C..., Mme E... et de Mme F... et en particulier de leur vulnérabilité, de leur parcours migratoire et de la situation des enfants les accompagnant, Sakina E... et Vali C..., nés respectivement les 17 septembre 2007 et 17 février 2014. Si les intéressés ont fait état de problèmes de santé pour eux-mêmes et leurs enfants, ils n'ont cependant fourni aucun document permettant d'étayer leurs dires. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.

13. En cinquième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; /b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; /e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. (...) ".

14. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre l'ensemble des éléments d'information prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. La remise de ces éléments doit intervenir en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations. Eu égard à leur nature, la remise par l'autorité administrative de ces informations prévues par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie

15. Il ressort des pièces du dossier que M. C..., Mme E... et Mme F... se sont vu remettre le jour même de l'enregistrement de leurs demandes d'asile en préfecture, et à l'occasion de l'entretien individuel dont il ont bénéficié le 18 janvier 2022, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées, en langue française, qu'il ont déclaré comprendre. S'ils soutiennent qu'ils ne peuvent lire le français, il ressort des comptes rendu d'entretien qui se sont tenus avec l'aide d'un interprète en langue azéri, langue que les intéressés ont déclaré comprendre, que les informations sur les règlements communautaires leur ont été communiquées oralement. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'ils auraient été privés d'une garantie au motif que l'information qui leur a été donnée par les services préfectoraux aurait dû l'être dès leur passage dans la structure de pré-accueil. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit à l'information du demandeur d'asile énoncé à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

16. En sixième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien a lieu dans les conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien (...) ". Il résulte de ces dispositions que les autorités de l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable doivent vérifier que le demandeur d'asile a bien reçu et compris les informations prévues par l'article 4 du même règlement.

17. Aucun élément du dossier n'établit que l'entretien individuel dont ont bénéficié les intéressés le 18 janvier 2022, qui a été assuré par un agent habilité de la préfecture qui a apposé ses initiales sur le résumé de l'entretien et qui est ainsi réputé qualifié en vertu du droit national au sens des dispositions précitées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013, n'aurait pas été mené par une personne qualifiée et dans des conditions qui n'en auraient pas garanti la confidentialité. Dès lors, le moyen tiré de la violation de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 ne peut également qu'être écarté.

18. En septième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 7, les moyens tirés, d'une part, de l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation commise par le préfet de Maine-et-Loire au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, et d'autre part, de la méconnaissance de l'intérêt supérieur de l'enfant ne peuvent qu'être écartés.

19. Les arrêtés portant transfert de M. C..., Mme E... et Mme F... aux autorités lituaniennes n'étant pas entachés d'illégalité, ainsi qu'il ressort de ce qui a été dit aux points précédents, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de ce que les arrêtés les assignant à résidence doivent être annulés par voie d'exception d'illégalité.

En ce qui concerne les moyens dirigés contre l'arrêté portant assignation à résidence :

20. En premier lieu, pour les mêmes motifs que ceux retenus au point 9, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des arrêtés assignant à résidence M. C..., Mme E... et Mme F... doit être écarté.

21. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que les arrêtés du 4 avril 2022 du préfet de Maine-et-Loire assignant à résidence M. C..., Mme E... et Mme F..., tout d'abord, visent les règlements n°603/2013 et n° 604/2013 du 26 juin 2013 du Parlement européen et du conseil, le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment les articles L.561-2 1°bis, L.742-1 et L.742-5 et l'arrêté du 25 février 2022 portant transfert de l'intéressé aux autorités espagnoles, ensuite, indiquent précisément que les intéressés répondent aux conditions pour qu'une mesure d'assignation intervienne, notamment que leur éloignement demeure une perspective raisonnable, et, enfin, rappellent leur lieu de domiciliation. Les décisions assignant à résidence les intéressés, qui comportent de façon précise et circonstanciée l'énoncé des considérations de fait et des motifs de droit qui les fondent, sont dès lors suffisamment motivées. Le moyen sera écarté.

22. En troisième lieu, il ne ressort d'aucun élément du dossier que les arrêtés d'assignation à résidence seraient entachés d'un défaut d'examen de la situation personnelle de M. C..., Mme E... et Mme F... et qu'ils auraient été privés d'un droit au recours effectif. Ces moyens seront écartés.

23. En quatrième et dernier lieu, M. C..., Mme E... et Mme F... soutiennent que l'obligation de présentation qui leur est imposée tous les lundis à l'exception des jours fériés de se présenter à la gendarmerie de La Flèche est excessive et trop contraignante. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que les mesures d'assignation à résidence des intéressés et de présentation hebdomadaire, qui ne sont pas disproportionnées, méconnaîtraient le droit au respect de la liberté individuelle, dès lors qu'elles ne sont pas privatives de liberté. Pour les mêmes motifs, les décisions portant assignation à résidence ne méconnaissent pas les dispositions de l'article L.561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

24. Il résulte de ce qui précède que le préfet de Maine-et-Loire est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a prononcé l'annulation de ses arrêtés du 4 avril 2022 assignant M. C..., Mme E... et Mme F... à résidence.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

25. Si, compte tenu de la caducité des décisions de transfert contestées, la France est l'Etat membre responsable de la demande d'asile présentée par M. C..., Mme E... et Mme F..., le présent arrêt, qui prononce un non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation du jugement en tant qu'il a prononcé l'annulation des arrêtés du 4 avril 2022 du préfet de Maine-et-Loire portant transfert aux autorités lituaniennes, n'implique, par lui-même, aucune mesure d'exécution.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête du préfet de Maine-et-Loire tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Nantes du 12 avril 2022 prononçant l'annulation de ses arrêtés du 4 avril 2022 décidant du transfert de M. C..., Mme E... et Mme F... aux autorités lituaniennes.

Article 2 : Le jugement nos 2204375, 2204376 et 2204385 du tribunal administratif de Nantes du 12 avril 2022 est annulé en tant qu'il a prononcé l'annulation des arrêtés du 4 avril 2022 du préfet de Maine-et-Loire assignant à résidence M. C..., Mme E... et Mme F.... La demande des intéressés devant le tribunal est rejetée dans cette mesure.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme I... E..., à Mme J... F..., à M. H... C... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera adressée au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 6 janvier 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 janvier 2023.

Le rapporteur

O. CoiffetLe président

O. GASPON

La greffière,

I. PETTONLe rapporteur

O. CoiffetLe président

H. LENOIR

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22NT01410 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT01410
Date de la décision : 24/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: Mme MALINGUE
Avocat(s) : DANET

Origine de la décision
Date de l'import : 29/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-01-24;22nt01410 ?
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