La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/12/2022 | FRANCE | N°21NT02669

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 28 décembre 2022, 21NT02669


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... E..., M. D... C... et Mme A... C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 28 février 2019 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre les décisions de l'ambassade de France à Bangui (Centrafrique) du 31 octobre 2018 refusant de délivrer un visa de long séjour à M. D... C... et à Mme A... C..., en qualité de membres de famille d'un étranger bénéficiaire de la protection su

bsidiaire.

Par un jugement no 2007263 du 16 février 2021, le tribunal administ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... E..., M. D... C... et Mme A... C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 28 février 2019 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre les décisions de l'ambassade de France à Bangui (Centrafrique) du 31 octobre 2018 refusant de délivrer un visa de long séjour à M. D... C... et à Mme A... C..., en qualité de membres de famille d'un étranger bénéficiaire de la protection subsidiaire.

Par un jugement no 2007263 du 16 février 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 septembre 2021, Mme G... E..., M. D... C... et Mme A... C..., représentés par Me Soulas, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités ou, à défaut, de réexaminer leur demande, dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au profit de Me Soulas en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est entachée d'un vice de procédure en ce qu'elle méconnaît l'article R. 752-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que les vérifications préalables par l'autorité diplomatique ou consulaire n'ont pas été précédées d'une information des demandeurs ;

- elle est entachée d'une erreur de droit ou, à tout le moins, d'une erreur d'appréciation relativement au lien familial, et méconnaît les dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 octobre 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 août 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. F... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., ressortissante centrafricaine née le 1er janvier 1958 à Bangui (Centrafrique), a été admise au bénéfice de la protection subsidiaire par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) du 15 décembre 2016. Des visas de long séjour en qualité de membres de famille d'un étranger bénéficiaire de la protection subsidiaire ont été sollicités pour M. D... C... et Mme A... C..., ressortissants centrafricains nés respectivement le 31 juillet 1947 et le 15 avril 2000, qui se présentent comme son concubin et sa fille. Par deux décisions du 31 octobre 2018, l'ambassade de France à Bangui (Centrafrique) a rejeté leurs demandes. Par une décision du 28 février 2019, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre ces décisions. Mme E... et autres relèvent appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande d'annulation de cette décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint (...) / / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / II. - (...) / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. (...) ".

3. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, recodifié à l'article L. 811 : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

4. La décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est fondée sur les motifs tirés de ce que, d'une part, l'identité de M. D... C... n'est pas établie dès lors que son acte de naissance, " dressé le 10 septembre 1947 sans en-tête (...) porte un cachet des autorités centrafricaines et n'est pas signé par le déclarant ", et, d'autre part, l'acte de naissance de Mme A... C... " n'est pas conforme à l'article 502 du code de procédure civile [centrafricain] puisqu'il a été transcrit moins d'un mois après le prononcé d'un jugement supplétif, au demeurant non produit et rendu 17 ans après la naissance de la demanderesse et postérieurement à l'obtention de la protection subsidiaire de Mme E... ", ce qui relève d'une intention frauduleuse et ne permet pas " d'établir l'identité de la demanderesse et, partant, son lien familial allégué avec la réunifiante ".

5. M. D... C..., pour justifier de son identité, produit les copies de son acte de naissance et de son passeport centrafricain, indiquant qu'il est né le 31 juillet 1947 à Bangassou. Dans les circonstances particulières de l'espèce, dès lors que Mme E... a, depuis son entrée en France en 2016, constamment déclaré M. C... comme son concubin né le 31 juillet 1947 à Ouango Bangassou, que celui-ci est mentionné, dans les certificats d'état civil tenant lieu d'acte de naissance établis par le directeur de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides comme étant le père des quatre enfants de B... E... qui ont été placés sous la protection de cet office, ainsi que cela ressort du livret de famille de Mme E... établi par l'office, la preuve de l'identité de l'intéressé doit être regardée comme apportée par la production de son seul passeport, dont les mentions concordent avec les déclarations de Mme E... et les autres documents versés au dossier, alors même que son acte de naissance, prétendument dressé le 10 septembre 1947, est dépourvu de valeur probante dès lors qu'il comporte un cachet d'un officier d'état civil de la " République centrafricaine ", laquelle n'a été créée que le 1er décembre 1958.

6. En ce qui concerne Mme A... C..., celle-ci se prévaut, pour justifier de son identité, de son passeport centrafricain et du volet no 1 de l'acte de naissance no 541 dressé le 29 septembre 2017 en transcription d'un jugement supplétif d'acte de naissance no 1953 rendu le 25 septembre 2017 par le tribunal de grande instance de Bimbo. Les circonstances que ce jugement supplétif, produit pour la première fois en appel, a été rendu dix-sept ans après la naissance de l'intéressée, postérieurement à l'obtention de la protection subsidiaire de Mme E..., et qu'il a été transcrit dans les registres d'état civil le 29 septembre 2017, sans attendre l'expiration du délai de recours contre ce jugement, ne sont pas de nature à en établir le caractère frauduleux. Il en va de même des circonstances que le volet no 1 de l'acte de naissance transcrivant ce jugement n'a pas été signé par les déclarants et qu'il n'indique ni l'heure de la naissance ni les lieux de naissance et de résidence des parents de l'enfant déclarée, de façon non-conforme aux articles 129, 135 et 136 du code de la famille centrafricain.

7. Dès lors, c'est par une inexacte appréciation des faits de l'espèce que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a estimé que l'identité de M. C... et de Mme A... C... et, partant, le lien de filiation de cette dernière avec Mme E..., n'étaient pas établis.

8. Toutefois, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

9. Pour établir que la décision contestée était légale, le ministre de l'intérieur a invoqué, dans son mémoire en défense de première instance communiqué aux requérants, un autre motif tiré de ce que Mme E... n'apporte aucun élément de nature à prouver l'existence d'une vie commune suffisamment stable et continue avec M. C... antérieurement à la date d'introduction de sa demande d'asile.

10. Il ressort des pièces du dossier que Mme E... a constamment déclaré, dès le dépôt de sa demande d'asile le 18 juillet 2016, avoir eu avec son concubin M. D... C... huit enfants, nés entre 1977 et 2000, qui portent tous le nom de C.... L'acte de naissance de Mme A... C... et les certificats de naissance d'état civil tenant lieu d'acte de naissance établis par le directeur de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, pour quatre enfants de B... E... qui ont été placés sous la protection de cet office, mentionnent qu'ils ont pour père M. C.... Enfin, plusieurs enfants de B... E... ont certifié sur l'honneur qu'ils ont vécu avec leurs parents à Bangui jusqu'à leur propre départ pour la France. Dans ces conditions, et en l'absence de tout élément en sens contraire apporté par le ministre de l'intérieur, il doit être tenu pour établi que Mme E... avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue avec M. C.... Il s'ensuit que le motif cité au point 9 n'est pas de nature à justifier légalement la décision contestée, en tant qu'elle concerne M. C.... Dès lors, la substitution de motifs demandée par le ministre doit être rejetée.

11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. Le présent arrêt implique, eu égard aux motifs qui le fondent, que le ministre de l'intérieur et des outre-mer fasse droit aux demandes de visa. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas de long séjour sollicités par M. C... et Mme A... C... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

13. Mme E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Il n'y a cependant pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées pour Me Soulas au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 16 février 2021 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 28 février 2019 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de faire délivrer à M. D... C... et à Mme A... C... les visas de long séjour sollicités dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme E... et autres est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... E..., à M. D... C..., à Mme A... C..., à Me Stéphane Soulas et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 6 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Bréchot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 décembre 2022.

Le rapporteur,

F.-X. F...La présidente,

C. Buffet

La greffière,

A. Lemée

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 21NT02669


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT02669
Date de la décision : 28/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: M. François-Xavier BRECHOT
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : CABINET DIALEKTIK AVOCATS AARPI

Origine de la décision
Date de l'import : 01/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-12-28;21nt02669 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award