La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/12/2022 | FRANCE | N°22NT01656

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 16 décembre 2022, 22NT01656


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C..., a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 9 septembre 2020 du préfet du Finistère lui refusant la délivrance d'un titre de séjour.

Par un jugement n° 2004831 du 4 avril 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 31 mai 2022, Mme C..., représentée par

Me Jeanneteau, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes

du 4 avril 2022 ;

2°) d'annuler cette décision du 9 septembre 2020 ou, à titre subsidiaire, de l'abroger ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C..., a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 9 septembre 2020 du préfet du Finistère lui refusant la délivrance d'un titre de séjour.

Par un jugement n° 2004831 du 4 avril 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 31 mai 2022, Mme C..., représentée par

Me Jeanneteau, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 4 avril 2022 ;

2°) d'annuler cette décision du 9 septembre 2020 ou, à titre subsidiaire, de l'abroger ;

3°) d'enjoindre au préfet du Finistère, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour ou, à titre subsidiaire, une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre infiniment subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois ;

4°) de mettre à la charge de l'État, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 2 000 euros, à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le tribunal, qui a omis de statuer sur les conclusions à fin d'abrogation de la décision contestée, a entaché son jugement d'irrégularité ;

- le jugement attaqué est également entaché d'irrégularité en ce que les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré du vice de procédure résultant de l'irrégularité de l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ;

- dès lors qu'elle ne pourra ni bénéficier d'un traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine, ni y voyager sans risque, la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour a été prise en méconnaissance des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 juin 2022, le préfet du Finistère conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun moyen n'est fondé.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 juillet 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., ressortissante russe née le 15 avril 1935, serait entrée irrégulièrement en France le 24 octobre 2012, selon ses déclarations. Le bénéfice de l'asile lui a été refusé par une décision du 14 février 2014 du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmée par une décision du 10 février 2015 de la Cour nationale du droit d'asile. Sa demande de réexamen a été rejetée par une décision du 26 août 2015 du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. L'intéressée a sollicité la délivrance d'un titre de séjour pour raisons médicales le 25 mai 2020. Par une décision du 9 septembre 2020, le préfet du Finistère a rejeté sa demande. Mme C... relève appel du jugement du 4 avril 2022 du tribunal administratif de Rennes rejetant sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, dans un mémoire enregistré le 10 mars 2022, Mme C... avait demandé au tribunal administratif de Rennes, à titre subsidiaire, de prononcer l'abrogation de la décision du 9 septembre 2020 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour. Le tribunal, qui a rejeté les conclusions à fin d'annulation présentées par l'intéressée à titre principal, a omis de se prononcer sur ces conclusions subsidiaires. Il y a lieu, dès lors, d'annuler le jugement attaqué du 4 avril 2022 en tant qu'il n'a pas statué sur ces conclusions.

3. En second lieu, les premiers juges n'ont pas répondu au moyen, qui n'était pas inopérant, invoqué par Mme C... et tiré du vice de procédure entachant la décision contestée portant refus de titre de séjour, prise sur le fondement d'un avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) irrégulier au regard des dispositions de l'article R. 313-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le jugement attaqué doit, en raison de cette omission, être annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de l'intéressée aux fins d'annulation de cette décision.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Rennes contre la décision du 9 septembre 2020 du préfet du Finistère lui refusant la délivrance d'un titre de séjour.

Sur la légalité de la décision contestée :

5. Par un arrêté du 24 août 2020, régulièrement publié le 24 août 2020 au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet du Finistère a donné délégation à M. Christophe Marx, secrétaire général de la préfecture et signataire de la décision contestée, à l'effet de signer en toutes matières, en cas d'absence ou d'empêchement, tous les actes relevant des attributions du préfet, à l'exception de certains actes au nombre desquels ne figurent pas ceux pris en matière de police des étrangers. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision contestée doit être écarté.

6. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (...) ".

7. Aux termes de l'article R. 313-22 de ce code, alors en vigueur : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé (...) ". Aux termes de l'article R. 313-23 du même code, alors en vigueur : " Le rapport médical mentionné à l'article R. 313-22 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement le demandeur ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre, dans les conditions prévues par l'arrêté mentionné au deuxième alinéa de l'article R. 313-22. Le médecin de l'office peut solliciter, le cas échéant, le médecin qui suit habituellement le demandeur ou le médecin praticien hospitalier. Il en informe le demandeur. Il peut également convoquer le demandeur pour l'examiner et faire procéder aux examens estimés nécessaires. Le demandeur présente au service médical de l'office les documents justifiant de son identité. A défaut de réponse dans le délai de quinze jours, ou si le demandeur ne se présente pas à la convocation qui lui a été fixée, ou s'il n'a pas présenté les documents justifiant de son identité le médecin de l'office établit son rapport au vu des éléments dont il dispose et y indique que le demandeur n'a pas répondu à sa convocation ou n'a pas justifié de son identité. Il transmet son rapport médical au collège de médecins. (...) / Le collège peut demander au médecin qui suit habituellement le demandeur, au médecin praticien hospitalier ou au médecin qui a rédigé le rapport de lui communiquer, dans un délai de quinze jours, tout complément d'information. Le demandeur en est simultanément informé. Le collège de médecins peut entendre et, le cas échéant, examiner le demandeur et faire procéder aux examens estimés nécessaires. Le demandeur présente au service médical de l'office les documents justifiant de son identité (...) / L'avis est rendu par le collège dans un délai de trois mois à compter de la transmission du certificat médical. Lorsque le demandeur n'a pas présenté au médecin de l'office ou au collège les documents justifiant son identité, n'a pas produit les examens complémentaires qui lui ont été demandés ou n'a pas répondu à la convocation du médecin de l'office ou du collège qui lui a été adressée, l'avis le constate (...) ".

8. Pour refuser la délivrance du titre de séjour pour raisons médicales sollicité par Mme C..., le préfet du Finistère s'est fondé sur l'avis émis le 15 juillet 2020 par le collège de médecins de l'OFII, indiquant que l'état de santé de l'intéressée nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité mais qu'elle pouvait bénéficier effectivement dans son pays d'origine d'un traitement approprié et qu'elle pouvait voyager sans risque vers ce pays.

9. La requérante soutient que cet avis ne précise pas si les éléments de procédure que constituent la convocation pour examen et les demandes d'examens complémentaires ont été réalisés ou non. Toutefois, aucune des dispositions légales applicables ne fait obligation, ni au médecin rapporteur ni au collège de médecins, de mentionner dans son avis des convocations, demandes ou examens complémentaires qu'ils n'ont pas effectués. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision de refus de titre de séjour aurait été prise au terme d'une procédure irrégulière ne peut qu'être écarté.

10. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... souffre d'une cardiopathie ischémique ancienne, d'une hypothyroïdie, d'une ostéoporose et d'un syndrome

anxio-dépressif réactionnel, que son état de santé nécessite un traitement médicamenteux et des soins à domicile et que sa mobilité est fortement réduite. Toutefois, alors qu'aucun des certificats médicaux ne fait état d'une impossibilité de prise en charge dans son pays d'origine, l'intéressée ne justifie pas d'une telle impossibilité en se bornant à se prévaloir d'une absence de ressources et de considérations générales tirées d'articles de presse portant sur le système de santé russe. La requérante ne justifie pas davantage être dans l'impossibilité d'y bénéficier de l'assistance quotidienne d'un tiers dont elle invoque la nécessité, alors qu'elle a vécu jusqu'à l'âge de soixante-dix-sept ans en Russie et qu'elle n'allègue ni n'établit que sa fille et son petit-fils, qui assurent cette assistance, se trouveraient en situation régulière en France. En outre, si Mme C... fait valoir que son état de santé ne lui permet pas d'effectuer un long voyage par voie terrestre, elle n'établit pas qu'elle se trouvait, à la date de la décision contestée, dans l'impossibilité de se rendre en Russie par un autre moyen de transport. Par suite, en refusant de délivrer à l'intéressée le titre de séjour qu'elle avait sollicité pour raisons médicales, le préfet du Finistère n'a pas méconnu les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

11. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

12. Mme C... fait valoir qu'elle réside en France depuis 2012 et qu'elle y bénéficie d'un suivi médical depuis cinq ans et de l'assistance de sa fille et de son petit-fils. Il ressort toutefois des pièces du dossier que l'intéressée est entrée et s'est maintenue irrégulièrement en France, en dépit du rejet définitif de sa demande d'asile et ne justifie pas d'une particulière intégration. Ainsi qu'il a été dit au point 10, la requérante ne justifie de l'impossibilité de bénéficier dans son pays d'origine ni d'une prise en charge appropriée à son état de santé, ni de l'assistance qui pourrait lui être apportée, notamment par sa fille et son petit-fils. Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment des conditions de séjour en France de Mme C..., la décision contestée lui refusant la délivrance d'un titre de séjour n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Dès lors, en prenant cette décision, le préfet du Finistère n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur les conclusions à fin d'abrogation :

13. La légalité de la décision contestée, qui a le caractère de décision individuelle, s'appréciant à la date à laquelle elle a été prise, Mme C... n'est pas fondée à en demander directement l'abrogation au juge, en s'appuyant sur des changements postérieurs, de fait ou de droit, à son édiction.

14. Il résulte de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à demander l'annulation, ni l'abrogation, de la décision de refus de titre de séjour en litige. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.

D E C I D E

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Rennes ainsi que le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Finistère.

Délibéré après l'audience du 1er décembre 2022 , à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- Mme Lellouch, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition du greffe le 16 décembre 2022.

La rapporteure,

C. B...

Le président,

D. Salvi

Le greffier,

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22NT016562


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT01656
Date de la décision : 16/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: Mme Christiane BRISSON
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : JEANNETEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-12-16;22nt01656 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award