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25/11/2022 | FRANCE | N°22NT00619

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 1ère chambre, 25 novembre 2022, 22NT00619


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 2 février 2021 par lequel le préfet de Maine-et-Loire lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office lorsque le délai sera expiré.

Par un jugement n° 2102625 du 31 janvier 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé cet arrêté.

Procédure devant la

cour :

Par une requête enregistrée le 28 février 2022, le préfet de Maine-et-Loire demande à ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 2 février 2021 par lequel le préfet de Maine-et-Loire lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office lorsque le délai sera expiré.

Par un jugement n° 2102625 du 31 janvier 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé cet arrêté.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 28 février 2022, le préfet de Maine-et-Loire demande à la cour d'annuler ce jugement.

Il soutient que :

- son arrêté ne méconnait pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le jugement est entaché d'une erreur de droit dès lors que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'était pas opérant à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français ;

- pour les autres moyens soulevés par M. A..., il s'en rapporte à ses écritures de première instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le traité sur l'Union européenne ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. La demande d'asile de M. C... A... ressortissant soudanais, né le 8 décembre 1987, irrégulièrement entré en France le 15 juin 2018, a été rejetée par une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 18 août 2020, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 28 janvier 2021. M. A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 2 février 2021 par lequel le préfet de Maine-et-Loire, en application du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lui a conséquence fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination vers lequel il pourra être reconduit d'office lorsque le délai sera expiré. Par un jugement du 31 janvier 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé cet arrêté. Le préfet de Maine-et-Loire fait appel de ce jugement.

Sur les moyens retenus par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

3. En premier lieu, pour annuler l'obligation de quitter le territoire français litigieuse, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes s'est fondé sur le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, comme le soutient le préfet de Maine-et-Loire, un tel moyen, qui au demeurant n'avait pas été invoqué par M. A... à l'encontre de cette décision, n'était pas opérant, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'ayant ni pour objet ni pour effet de fixer le pays à destination duquel M. A... devra être reconduit d'office.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

4. M. A... a soutenu en première instance qu'il serait exposé à des risques de mauvais traitements en cas de retour au Soudan, du fait de ses engagements politiques passés. Il a précisé qu'en 2010, alors qu'il était étudiant, il a manifesté contre l'ancien président El Béchir, lors de la venue de ce dernier dans son université. Il a indiqué avoir alors été arrêté et avoir subi des violences physiques. Il a été relâché puis exclu de son université. Puis, lors de nouvelles manifestations contre le pouvoir en place, en 2013, il a de nouveau été arrêté et torturé. Toutefois, et comme le fait valoir le préfet de Maine-et-Loire, le régime du président El Béchir a été renversé par un coup d'Etat de l'armée le 11 avril 2019, après un soulèvement populaire, et remplacé par un " conseil militaire de transition " pour deux ans. Dès lors, compte tenu de ce changement de circonstances, M. A... n'établit pas, par la seule invocation de faits anciens qu'il a rappelés, qu'il serait personnellement exposé à des risques pour sa vie et sa sécurité en cas de retour au Soudan à la date de l'arrêté contesté du 2 février 2021.

5. Il résulte des points 3 et 4 que le préfet de Maine-et-Loire est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné s'est fondé, pour annuler l'arrêté litigieux, sur le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif, aucun autre moyen n'étant soulevé en appel.

Sur les autres moyens invoqués par M. A... :

En ce qui concerne le moyen commun aux décisions contestées et tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté :

7. L'arrêté contesté a été signé par Mme Daverton, secrétaire générale de la préfecture de Maine-et-Loire. Par un arrêté du 23 novembre 2020, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le même jour, le préfet lui a donné délégation à l'effet de signer tous actes et décisions afférents aux attributions de l'Etat dans ce département, à quelques exceptions limitativement énumérées dont ne relèvent pas les décisions portant obligation de quitter le territoire ou fixant le pays d'éloignement. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté doit, dès lors, être écarté comme manquant en fait.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

8. En premier lieu, la décision contestée, prise au visa, notamment, du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, indique les dispositions légales sur lesquelles s'est fondé le préfet de Maine-et-Loire pour prononcer l'éloignement de M. A... et les circonstances de fait propres à la situation personnelle de ce dernier qui justifient cette mesure. Elle est, ainsi, suffisamment motivée, le préfet n'étant pas tenu de faire état de l'ensemble des circonstances relatives à la situation de l'intéressé mais uniquement de celles qui fondent la décision contestée.

9. En deuxième lieu, l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne prévoit : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne s'adresse uniquement aux institutions et organes de l'Union. Il suit de là que le moyen tiré de sa violation par une autorité d'un Etat membre est inopérant. Toutefois, il résulte également de cette jurisprudence que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter son point de vue de manière utile et effective. En particulier, il n'implique pas l'obligation, pour le préfet, d'entendre l'étranger spécifiquement au sujet de l'obligation de quitter le territoire français qu'il envisage de prendre après avoir statué sur le droit au séjour à l'issue d'une procédure ayant respecté son droit d'être entendu.

10. En l'espèce, s'il est constant que M. A... n'a pas été invité par l'administration à présenter, préalablement à l'édiction de la décision contestée, ses observations écrites ou orales sur la perspective d'une mesure d'éloignement, il ne pouvait ignorer, dans la mesure où il était informé du rejet définitif de sa demande d'asile, qu'il était susceptible de faire l'objet d'une telle mesure, alors même qu'il ne soutient, ni n'allègue, avoir présenté une demande de titre de séjour sur un autre fondement. Il ne ressort pas, en outre, des pièces du dossier que l'intéressé aurait été privé de la possibilité de présenter des observations écrites ou orales, ou qu'il aurait demandé en vain un entretien circonstancié avec les services préfectoraux. Il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.

11. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office ou, si un recours a été formé, dans le délai prévu à l'article L. 731-2 contre une décision de rejet de l'office, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1, dès lors que la demande d'asile a été introduite auprès de l'office, vaut autorisation provisoire de séjour et est renouvelable jusqu'à ce que l'office et, le cas échéant, la cour statuent. ".

12. Contrairement à ce que soutient le requérant, il ressort des pièces du dossier que la décision de la Cour nationale du droit d'asile le concernant a été lue en audience publique le 28 janvier 2021, soit avant l'arrêté contesté du 2 février 2021. Par conséquent, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

13. En quatrième lieu, le caractère suffisant de la motivation de la décision contestée, pour les motifs exposés au point 8, révèle que le préfet de Maine-et-Loire s'est livré à l'examen de la situation personnelle de M. A... avant de prononcer à son encontre la décision d'éloignement contestée. A cet égard, si l'intéressé se prévaut de son état de santé, il n'est ni établi, ni même allégué qu'il aurait porté ces éléments à la connaissance des services préfectoraux.

14. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " L'étranger auquel la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé ou qui ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 743-2 et qui ne peut être autorisé à demeurer sur le territoire à un autre titre doit quitter le territoire français, sous peine de faire l'objet d'une mesure d'éloignement prévue au titre Ier du livre V et, le cas échéant, des pénalités prévues au chapitre Ier du titre II du livre VI. (...) ". Contrairement à ce que soutient M. A..., ces dispositions n'imposaient pas au préfet de Maine-et-Loire d'actualiser la situation de l'intéressé en l'absence d'informations en ce sens de la part de ce dernier. S'il soutient que son état de santé ne sera pas effectivement pris en charge et entraînera des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations. Enfin, s'il fait état de craintes pour sa sécurité en cas de retour dans son pays d'origine, ce moyen peut être écarté par les mêmes motifs que ceux indiqués au point 3.

15. En sixième et dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. ".

16. M. A... déclare être entré en France le 15 juin 2018, soit deux ans et demi avant la date de l'arrêté. Il n'est pas contesté que son épouse, qui a la même nationalité que lui, et leur enfant ne résident pas en France. Il a vécu au Soudan jusqu'à l'âge de trente ans. Dans ces conditions, et malgré son implication dans une association, la décision contestée ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de M. A..., en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

17. Si le requérant indique reprendre les moyens soulevés à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français, il y a lieu de les écarter pour les mêmes motifs que ceux indiqués aux points 7 à 16.

18. Il y a lieu d'écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour les mêmes motifs que ceux indiqués au point 4.

19. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Maine-et-Loire est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté du 2 février 2021 pris à l'encontre de M. A....

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2102625 du 31 janvier 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. C... A....

Copie en sera adressée au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 10 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Geffray, président,

- M. Penhoat, premier conseiller,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 novembre 2022.

La rapporteure

P. B...Le président

J-E. Geffray

La greffière

A. Marchais

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT00619


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22NT00619
Date de la décision : 25/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GEFFRAY
Rapporteur ?: Mme Pénélope PICQUET
Rapporteur public ?: M. BRASNU

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-11-25;22nt00619 ?
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