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25/11/2022 | FRANCE | N°21NT02442

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 25 novembre 2022, 21NT02442


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme I... D..., agissant tant en son nom personnel qu'en tant que représentante légale des jeunes Aminata C... et Isha C..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 7 octobre 2019 de l'ambassadeur de France en Guinée et en Sierra Léone refusant de délivrer aux jeunes Aminata C... et Isha C... des visas d'entrée et de long sé

jour en France au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme I... D..., agissant tant en son nom personnel qu'en tant que représentante légale des jeunes Aminata C... et Isha C..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 7 octobre 2019 de l'ambassadeur de France en Guinée et en Sierra Léone refusant de délivrer aux jeunes Aminata C... et Isha C... des visas d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2004532 du 23 novembre 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 26 août 2021 et le 28 septembre 2022, Mme I... D..., agissant tant en son nom personnel qu'au nom de la jeune Isha C..., et Mme Aminata C..., représentées par Me Goujon, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 23 novembre 2020 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme Aminata C... et à la jeune Isha C... les visas sollicités, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, ou, à défaut, de réexaminer les demandes de visa dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 20 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil, Me Goujon, de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elles soutiennent que :

- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité, en ce qu'il a fait droit à une demande de substitution de motif présentée par l'administration après la clôture de l'instruction, et peu de temps avant l'audience, sans qu'elles aient pu obtenir communication de l'entier dossier de demande de visa ;

- la décision contestée est insuffisamment motivée ;

- le motif invoqué par l'administration méconnaît les dispositions des articles L. 752-1 et L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que celles de l'article 47 du code civil ;

- la décision contestée méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 novembre 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Mme I... D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 juin 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Le Brun a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme I... D..., ressortissante sierra léonaise née le 4 janvier 1989, a obtenu, par une décision du 12 mars 2015 de la Cour nationale du droit d'asile, le bénéfice de la protection subsidiaire en France. Le 23 juillet 2019, les jeunes Aminata C... et Isha C..., ressortissantes sierra léonaises nées, respectivement, le 20 juin 2002 et le 20 juin 2008, et qui se présentent comme les filles de Mme D..., ont sollicité auprès de l'ambassade de France en Guinée et en Sierra Léone la délivrance de visas d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale. Par une décision du 7 octobre 2019, l'ambassadeur de France a refusé de leur délivrer les visas sollicités. Le 5 décembre suivant, les intéressées ont saisi la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Le silence gardé par la commission sur ce recours a fait naître une décision implicite de rejet à l'expiration d'un délai de deux mois. Mme D..., agissant tant en son nom personnel qu'en tant que représentante légale de la jeune Isha C..., et Mme C..., devenue entre-temps majeure, relèvent appel du jugement du 23 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours de Mme D... au motif que ses déclarations " conduisent à conclure à une tentative frauduleuse pour obtenir un visa au titre de membres de famille d'une personne protégée ". Dans son mémoire en défense de première instance, le ministre de l'intérieur a convenu que ce motif était erroné. Toutefois, pour établir que la décision contestée était légale, le ministre a invoqué, dans ce mémoire qui a été communiqué à Mme D..., un autre motif tiré de ce que les documents d'état civil produits à l'appui des demandes de visa des intéressées ne permettent pas d'établir leur identité, ni la réalité du lien de filiation les unissant à Mme D....

3. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existante à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

4. D'une part, aux termes de l'article L. 752-1, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II.- Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. / La réunification familiale ne peut être refusée que si le demandeur ou le bénéficiaire ne se conforme pas aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil. / Est exclu de la réunification familiale un membre de la famille dont la présence en France constituerait une menace pour l'ordre public ou lorsqu'il est établi qu'il est instigateur, auteur ou complice des persécutions et atteintes graves qui ont justifié l'octroi d'une protection au titre de l'asile. ". L'article L. 411-2, alors en vigueur, du même code dispose que : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". L'article L. 411-3, alors en vigueur, de ce code prévoit que : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ".

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 111-6, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. / Le demandeur d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, ressortissant d'un pays dans lequel l'état civil présente des carences, qui souhaite rejoindre ou accompagner l'un de ses parents mentionné aux articles L. 411-1 et L. 411-2 ou ayant obtenu le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, peut, en cas d'inexistence de l'acte de l'état civil ou lorsqu'il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l'existence d'un doute sérieux sur l'authenticité de celui-ci qui n'a pu être levé par la possession d'état telle que définie à l'article 311-1 du code civil, demander que l'identification du demandeur de visa par ses empreintes génétiques soit recherchée afin d'apporter un élément de preuve d'une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. Le consentement des personnes dont l'identification est ainsi recherchée doit être préalablement et expressément recueilli. Une information appropriée quant à la portée et aux conséquences d'une telle mesure leur est délivrée. (...) ". L'article 47 du code civil, dans sa rédaction alors applicable, dispose, par ailleurs, que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

6. Pour justifier de l'identité d'K... C... et d'J... C... et du lien de filiation les unissant à elle, Mme D... a produit à l'appui de leurs demandes de visa des copies certifiées conformes de leur acte de naissance, établies le 19 septembre 2016, et portant l'en-tête " LATE/BC/2014 ". Ces copies énoncent qu'K... C... et J... C... sont nées respectivement le 20 juin 2002 et le 20 juin 2008 et qu'elles sont issues de la relation de Mme I... D... avec M. H... C..., ressortissant sierra léonais. Si le ministre de l'intérieur relève que ces copies certifiées conformes d'acte de naissance diffèrent, en leur forme, sur plusieurs points, de celles qui avaient été produites à l'appui de précédentes demandes de visa, il ne conteste, toutefois, pas que les énonciations que comportent ces nouvelles copies concordent avec celles des anciennes copies et qu'elles correspondent, en outre, aux mentions figurant sur les passeports des intéressées ainsi qu'aux informations renseignées par Mme D... à l'occasion de sa demande d'asile. Si le ministre fait également valoir qu'un acte de naissance délivré pour une naissance hors mariage enregistrée plus d'un an après l'événement qu'il relate doit, selon le droit local, comporter l'en-tête " DELAYED ", et non " LATE ", et ne peut, en outre, comporter la mention du nom du père qu'à la condition d'être signé par les deux parents, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, de telles irrégularités, à les supposer avérées, ne sont pas, en tout état de cause, de nature à faire douter de l'identité des intéressées et partant du lien de filiation les unissant à Mme D.... Il suit de là que le motif invoqué ci-dessus par le ministre de l'intérieur n'est pas de nature à fonder légalement la décision contestée. Dès lors, sa demande de substitution de motifs doit être rejetée.

7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme D... et Mme C... sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé les refus de visa opposés à Mme C... et à la jeune Isha C....

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

8. Eu égard à ses motifs, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance des visas sollicités à Mme Aminata C... et à la jeune Isha C.... Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer d'y procéder dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Mme D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Goujon d'une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du 23 novembre 2020 du tribunal administratif de Nantes et la décision implicite contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à Mme Aminata C... et à la jeune Isha C... des visas d'entrée et de long séjour en France dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Goujon une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme I... D..., à Mme Aminata C..., à Me Goujon et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 8 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Le Brun, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 novembre 2022.

Le rapporteur,

Y. Le Brun

La présidente,

C. BUFFET

La greffière,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT02442


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT02442
Date de la décision : 25/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: M. Yann LE BRUN
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : GOUJON

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-11-25;21nt02442 ?
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