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18/11/2022 | FRANCE | N°22NT01957

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 18 novembre 2022, 22NT01957


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... et Mme B... C... épouse A... ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les arrêtés du 29 novembre 2021 par lesquels le préfet du Morbihan a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de ces mesures d'éloignement dans l'hypothèse où elles seraient exécutées d'office.

Par un jugement n°s 2201183, 2201184 du 10 juin 2022, le tribunal administratif de Rennes a annu

lé ces deux arrêtés et a enjoint au préfet du Morbihan de leur délivrer une autorisati...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... et Mme B... C... épouse A... ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les arrêtés du 29 novembre 2021 par lesquels le préfet du Morbihan a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de ces mesures d'éloignement dans l'hypothèse où elles seraient exécutées d'office.

Par un jugement n°s 2201183, 2201184 du 10 juin 2022, le tribunal administratif de Rennes a annulé ces deux arrêtés et a enjoint au préfet du Morbihan de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour en qualité de parents d'enfant malade.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 27 juin 2022, le préfet du Morbihan demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 10 juin 2022 ;

2°) de rejeter les demandes de M. et Mme A....

Il soutient qu'alors que le tribunal administratif de Rennes a lui-même reconnu que l'enfant pourrait bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine, ses arrêtés n'étaient entachés d'aucune illégalité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 juillet 2022, M. et Mme E... et B... A..., représentés par Me Le Verger, concluent au rejet de la requête et demandent à la cour de mettre à la charge de l'État en faveur de leur conseil une somme de 1 500 euros sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le préfet n'est pas fondé à contester le motif d'annulation de l'arrêté du 11 février 2021 retenu par les premiers juges, dès lors qu'eu égard aux troubles neurologiques avec épilepsie et malformation cérébrale dont souffre le jeune D..., de l'évolution positive de son état en raison de sa prise en charge spécialisée en France, de son besoin d'un cadre sécurisant et stable, l'arrêté en litige portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français affecte de manière suffisamment directe et certaine la situation de leur enfant et méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 août 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme G... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... et Mme C... épouse A..., de nationalité albanaise, et nés les 3 juin 1981 et 24 juillet 1986, sont entrés irrégulièrement en France le 7 septembre 2017 accompagnés de leurs deux enfants mineurs, F... né en 2010 et D..., né en 2014. Leurs demandes d'asile ont été définitivement rejetées par la Cour nationale du droit d'asile en juillet 2018. Les époux A... ont conjointement sollicité le 28 août 2018 puis le 23 août 2021 un titre de séjour à raison de l'état de santé de leur fils cadet, D.... Sur avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, par deux arrêtés du 29 novembre 2021, le préfet du Morbihan a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination en cas d'exécution d'office des mesures d'éloignement. Le préfet du Morbihan relève appel du jugement du 10 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé ces arrêtés.

Sur le motif d'annulation retenu par les premiers juges :

2. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

3. Pour rejeter les demandes de titres de séjour présentées par les requérants, le préfet du Morbihan s'est approprié le sens de l'avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) du 18 octobre 2021, confirmant en tous points l'avis précédemment émis le 28 août 2018, selon lequel si l'état de santé de leur fils nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, l'enfant peut effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Il ressort des pièces du dossier que le jeune D..., âgé de sept ans à la date des arrêtés litigieux, présente un trouble du développement avec épilepsie et malformations cérébrales. Ni l'attestation du 28 février 2018 par laquelle trois médecins de l'hôpital régional de Fier en Albanie indiquent que le jeune D... a été hospitalisé pendant cinq jours en réanimation en août 2017 à la suite d'un épisode de convulsions prononcées et recommandent un traitement plus spécialisé à l'étranger, en faisant état de l'absence de neuro-pédiatre au sein de l'hôpital et de la non-disponibilité du traitement anti-épileptique " Keppra ", ni les certificats d'une pédiatre qui suit l'enfant D... en France, estimant que le traitement antiépileptique en place " doit être maintenu pour l'instant sans modification au risque de déséquilibrer la situation " et qu'il est nécessaire pour l'enfant, compte tenu des répercussions de son parcours de vie sur son développement, de grandir dans un environnement sécurisant, ne remettent en cause l'avis rendu collégialement par les médecins de l'Office selon lequel l'enfant peut bénéficier d'un traitement approprié en Albanie. Dans ces conditions, et alors que les arrêtés en litige n'ont ni pour objet ni pour effet de séparer l'enfant de ses parents et de sa fratrie et que rien ne fait obstacle à la scolarisation des enfants A... en Albanie, le préfet du Morbihan est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que les arrêtés litigieux méconnaissaient les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant qui imposent d'accorder une intention primordiale à l'intérêt des enfants.

4. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme A... en première instance et en appel.

Sur les autres moyens invoqués par M. et Mme A... :

5. Aux termes de l'article L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les parents étrangers de l'étranger mineur qui remplit les conditions prévues à l'article L. 425-9, ou l'étranger titulaire d'un jugement lui ayant conféré l'exercice de l'autorité parentale sur ce mineur, se voient délivrer, sous réserve qu'ils justifient résider habituellement en France avec lui et subvenir à son entretien et à son éducation, une autorisation provisoire de séjour d'une durée maximale de six mois. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / Cette autorisation provisoire de séjour ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle. / Elle est renouvelée pendant toute la durée de la prise en charge médicale de l'étranger mineur, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites. / Elle est délivrée par l'autorité administrative, après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans les conditions prévues à l'article L. 425-9. " Aux termes de l'article

L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / (...) ".

6. Il ressort des pièces du dossier que les arrêtés en litige ont bien été rendus après avis émis régulièrement par un collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, ainsi que le prévoient les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, auxquelles renvoient celles de l'article L. 425-10 du même code.

7. En l'espèce, il est constant, ainsi que cela ressort des avis émis par le collège des médecins de l'Office dont le préfet du Morbihan s'est approprié le sens, que l'état de santé du jeune D..., atteint d'un trouble du neurodéveloppement avec épilepsie et malformation cérébrale, nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité. M. et Mme A... contestent en revanche le sens des avis du collège de médecins de l'Office en ce qu'ils concluent à l'existence d'un traitement approprié de l'enfant dans son pays d'origine. Toutefois, en dépit de l'indisponibilité du médicament Keppra administré à D... en France, et des défaillances du système de santé albanais, dénoncé dans les rapports généraux produits en première instance par les époux A..., et ainsi qu'il a été dit au point 3, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'enfant ne pourrait bénéficier d'un traitement approprié en Albanie, alors que la liste produite par le préfet en première instance mentionne plusieurs médicaments remboursables ayant la même substance active que le médicament Keppra et de nombreux médicaments traitant l'épilepsie. Il s'ensuit que les arrêtés litigieux ne méconnaissent pas les dispositions de l'article L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme A..., entrés sur le territoire national en septembre 2017 avec leurs deux fils aînés, ne peuvent se prévaloir que de trois ans et quelques mois de présence en France à la date des arrêtés attaqués. Si leurs fils ont été scolarisés depuis leur arrivée en France et qu'ils étaient en classe de CE1 et CM1 à la date des arrêtés attaqués, rien ne fait obstacle à ce qu'ils poursuivent leur scolarité en Albanie, pays dans lequel ils sont nés et dans lequel ils ont vécu leurs premières années. Aucune pièce du dossier ne permet de remettre en cause le sens de l'avis émis à deux reprises par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration selon lequel l'enfant D... peut bénéficier d'un traitement approprié en Albanie. Au regard de tous ces éléments, et malgré les efforts d'insertion déployés par M. et Mme A..., les arrêtés en litige portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit des intimés au respect de leur vie privée et familiale. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 doit en conséquence être écarté. Les arrêtés attaqués ne sont pas davantage entachés d'une erreur manifeste dans l'appréciation de leurs conséquences sur la situation personnelle des époux A... et de leurs trois enfants.

9. L'illégalité des refus de titre n'étant pas établie, M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que les mesures d'obligation de quitter le territoire français prises à leur encontre devraient être annulées par voie de conséquence de l'annulation des refus de titre qui leur ont été opposés.

10. Il résulte des motifs énoncés au point 7 que les arrêtés en litige ne contreviennent pas aux dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui prohibent l'éloignement des étrangers résidant habituellement en France si leur état de santé nécessite une prise en charge dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une extrême gravité, à moins qu'ils puissent bénéficier dans leur pays d'origine, eu égard à l'offre de soins, d'un traitement approprié.

11. Enfin, l'illégalité des refus de titre et des obligations de quitter le territoire français prises à l'encontre des intimés n'étant pas établie, les intéressés ne sont pas fondés à demander l'annulation par voie de conséquence des décisions fixant le pays de renvoi.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Morbihan est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé ses arrêtés du 11 février 2021, lui a enjoint de délivrer à M. et Mme A... une autorisation provisoire de séjour et a mis à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des frais de procès. Par voie de conséquence, les conclusions présentées par M. et Mme A... tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 10 juin 2022 est annulé.

Article 2 : Les demandes présentée par M. et Mme A... devant le tribunal administratif de Rennes et leurs conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à

M. E... A..., à Mme B... C... épouse A... et à Me Le Verger.

Une copie en sera adressée, pour information, au préfet du Morbihan.

Délibéré après l'audience du 27 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- Mme Lellouch, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 novembre 2022.

La rapporteure,

J. G...

Le président,

D. Salvi

Le greffier,

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT01957


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT01957
Date de la décision : 18/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux des pensions

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: Mme Judith LELLOUCH
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : LE VERGER

Origine de la décision
Date de l'import : 27/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-11-18;22nt01957 ?
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