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18/11/2022 | FRANCE | N°21NT01130

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 18 novembre 2022, 21NT01130


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Ecoland a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le département des Côtes-d'Armor à lui verser la somme de 60 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison de la notification, le 26 avril 2016, de douze décisions de préemption illégales.

Par un jugement n° 1802824 du 26 février 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 avril 2021, la SARL Ecolan

d, représentée par Me le Bail, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal admin...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Ecoland a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le département des Côtes-d'Armor à lui verser la somme de 60 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison de la notification, le 26 avril 2016, de douze décisions de préemption illégales.

Par un jugement n° 1802824 du 26 février 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 avril 2021, la SARL Ecoland, représentée par Me le Bail, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 26 février 2021 ;

2°) de condamner le département des Côtes-d'Armor à lui verser la somme de 60 000 euros en réparation du préjudice subi ;

3°) de mettre à la charge du département des Côtes-d'Armor une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les décisions de préemption litigieuses sont illégales en raison de leur motivation inexistante ou insuffisante et de l'absence de motifs d'intérêt général les justifiant ;

- son préjudice de 60 000 euros est établi du fait que la promesse de vente n'a pas pu être réalisée en raison de la procédure de préemption litigieuse et qu'elle n'a pu percevoir la rémunération que prévoyait cette promesse au titre de son travail de négociation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 septembre 2021, le département des Côtes-d'Armor, représenté par Me Heitzmann, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de la SARL Ecoland ;

2°) de mettre à la charge de la SARL Ecoland la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les décisions de préemption litigieuses sont parfaitement légales ;

- il n'y pas de lien de causalité direct et certain entre le préjudice allégué et ces décisions.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Derlange, président assesseur,

- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,

- et les observations de Me Fonseca, pour la SARL Ecoland et de Me Taillet, pour le département des Côtes-d'Armor.

Considérant ce qui suit :

1. Le 29 mai 2015, les consorts A... et la société civile A... ont consenti à la SARL G2B une promesse de vente sur un ensemble de terrains situés sur le territoire des communes de Laniscat et Plelauff (Côtes-d'Armor). La promesse de vente prévoyait notamment que la SARL Ecoland devait percevoir de la part de l'acquéreur une rémunération de 60 000 euros à titre de frais de négociation. En vue de la réalisation de cette vente, plusieurs déclarations d'intention d'aliéner (DIA) ont été reçues le 3 mars 2016 par le département des Côtes-d'Armor. Par douze décisions du 25 avril 2016 notifiées le lendemain au vendeur et au représentant de l'État dans le département, le président du conseil départemental des Côtes-d'Armor a décidé de préempter plusieurs parcelles pour une surface totale d'un peu plus de 236 ha au prix de 393 809 euros en lieu et place du prix de 1 403 010 euros consenti par la SARL G2B au titre de la promesse de vente signée le 29 mai 2015. Par courrier du 8 juin 2016 reçu par le département des Côtes-d'Armor le 10 juin 2016, Mme A... a informé le département de son intention de maintenir le prix figurant dans ses déclarations d'intention d'aliéner. Dans le délai de quinze jours qui lui était alors imparti en application de l'article R. 213-11 du code de l'urbanisme, le département des Côtes-d'Armor n'a pas saisi la juridiction compétente en matière d'expropriation en vue de faire fixer le prix de la vente et a en conséquence dû être regardé comme renonçant à l'exercice de son droit de préemption. Par lettre du 8 mars 2018, la SARL Ecoland a demandé au département des Côtes-d'Armor de l'indemniser du préjudice de 60 000 euros qu'elle estime avoir subi en raison de l'intervention, le 25 avril 2016, de douze décisions de préemption qu'elle estime illégales. Le tribunal administratif de Rennes, saisi du litige, a rejeté la demande de la SARL Ecoland par jugement du 26 février 2021. La SARL Ecoland relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) / 3° Subordonnent l'octroi d'une autorisation à des conditions restrictives ou imposent des sujétions ; (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée (...) doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Les décisions de préemption prises sur le fondement de l'article L. 215-4 du code de l'urbanisme dans les zones de préemption créées au titre des espaces naturels sensibles doivent, en application des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration, comporter l'énoncé des motifs de droit et de fait ayant conduit l'autorité administrative à préempter. Cette obligation de motivation implique que la décision comporte une référence à l'acte portant création de la zone de préemption et indique les raisons pour lesquelles la préservation et la protection des parcelles en cause justifiaient la préemption. Elle n'impose en revanche pas à l'auteur de la décision de préciser la sensibilité du milieu naturel ou la qualité du site, dès lors que l'inclusion de parcelles dans une zone de préemption est nécessairement subordonnée à leur intérêt écologique, ou les modalités futures de protection et de mise en valeur des parcelles qu'elle envisage de préempter.

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 113-8 du code de l'urbanisme : " Le département est compétent pour élaborer et mettre en œuvre une politique de protection, de gestion et d'ouverture au public des espaces naturels sensibles, boisés ou non, destinée à préserver la qualité des sites, des paysages, des milieux naturels et des champs naturels d'expansion des crues et d'assurer la sauvegarde des habitats naturels selon les principes posés à l'article L. 101-2 ". Aux termes de l'article L. 215-1 du même code : " Pour mettre en œuvre la politique prévue à l'article L. 113-8, le département peut créer des zones de préemption dans les conditions définies au présent article. (...) ". Aux termes de l'article L. 215-4 de ce même code : " A l'intérieur des zones délimitées en application de l'article L. 215-1, le département dispose d'un droit de préemption ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions du code de l'urbanisme que le droit de préemption dans les espaces naturels sensibles institué au profit des départements poursuit l'objectif de protection et d'ouverture au public de ces espaces, lequel constitue un objectif d'intérêt général. Les décisions de préemption doivent elles-mêmes répondre aux objectifs de cette politique et être justifiées par la protection des parcelles en cause et leur ouverture ultérieure au public, sous réserve que la fragilité du milieu naturel ou des impératifs de sécurité n'y fassent pas obstacle.

4. En l'espèce, il ressort de deux des douze décisions de préemption litigieuses qu'elles sont uniquement motivées par la volonté du département des Côtes-d'Armor d'aménager une aire de repos pour les usagers d'une voie verte située à proximité et que les dix autres se bornent à déduire des caractéristiques naturelles, visuelles et patrimoniales des parcelles préemptées l'intérêt que présente leur acquisition par le département. Ces décisions, qui ne mentionnent ainsi pas les raisons pour lesquelles la préservation et la protection des parcelles en cause justifiaient la préemption sont insuffisamment motivées.

5. Alors que la SARL Ecoland fait valoir que les décisions litigieuses ne sont pas justifiées par le motif d'intérêt général que constitue l'objectif de protection des espaces naturels sensibles mentionné aux dispositions précitées du code de l'urbanisme, le département des Côtes-d'Armor n'apporte aucune précision ni aucune justification à l'appui de l'affirmation dans ses écritures que les mesures de protection et les usages existants sur les parcelles des consorts A... seraient insuffisants pour garantir leur préservation, eu égards aux diverses menaces qui pèsent aujourd'hui sur les milieux, notamment en ce que cela entrainerait une banalisation progressive des milieux et une perte importante de biodiversité. En revanche, cette affirmation apparaît contredite notamment par les analyses figurant au rapport d'enquête du 11 décembre 2017, établi dans le cadre de la procédure d'expropriation alors menée, faisant état de ce que les consorts A... assuraient une gestion et une protection très satisfaisante de leurs parcelles et pour en conclure que l'opération d'expropriation envisagée était dénuée d'intérêt général. Dans ces conditions, la SARL Ecoland est également fondée à soutenir que les décisions de préemption litigieuses ne sont pas justifiées par la protection des parcelles en cause et leur ouverture au public.

6. A l'issue d'une procédure de préemption qui n'a pas abouti, le propriétaire du bien en cause peut, si la décision de préemption n'était pas légalement justifiée, obtenir réparation du préjudice que lui a causé de façon directe et certaine cette illégalité. Il en va de même du négociateur chargé de la vente qui devait recevoir une commission prévue dans la promesse de vente initiale.

7. En l'espèce, le paragraphe " Négociation " de la promesse de vente du 29 mai 2015 stipule que l'acquéreur des biens immobiliers en cause s'engage à verser à la société Ecoland, à laquelle il avait donné un mandat de négociation, une rémunération de 60 000 euros taxe sur la valeur ajoutée (TVA) incluse et précise que " Cette rémunération sera payée le jour ou la vente sera définitivement conclue ". La perception par la SARL Ecoland de la commission de 60 000 euros prévue par la promesse de vente est donc liée à la réalisation de la vente par acte authentique. Or, dès lors que le département des Côtes-d'Armor devait être regardé comme ayant renoncé aux préemptions, à compter du 26 juin 2016, faute d'avoir saisi le juge de l'expropriation pour faire fixer le prix de vente des terrains en cause, les vendeurs retrouvaient une totale liberté pour consentir une nouvelle promesse de vente ou conclure par acte authentique la vente déjà envisagée. Le seul écoulement d'une durée d'un mois et onze jours entre la date limite de validité de la promesse de vente, le 15 mai 2016, et la date à laquelle le département devait être regardé comme ayant renoncé aux préemptions ne faisait pas obstacle à la vente et en conséquence ne peut suffire à considérer que le préjudice de la requérante tenant à la perte de ses honoraires de transaction liés à la réalisation de la vente était uniquement et directement imputable à l'illégalité des décisions de préemption, alors surtout que les déclarations d'intention d'aliéner permettant d'engager la procédure de préemption n'avaient été adressées au département que le 2 mars 2016, dès lors que la caducité invoquée de la promesse n'empêchait pas la poursuite de la vente. Dans ces conditions, le préjudice tenant à la perte par la société Ecoland de sa rémunération de 60 000 euros apparaît imputable à l'absence de réalisation de la vente par les parties, alors que celles-ci en avaient la possibilité, mais est dénué de lien suffisamment direct et certain avec l'illégalité invoquée des décisions de préemption.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Ecoland n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du département des Côtes-d'Armor, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que la SARL Ecoland demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SARL Ecoland la somme demandée par le département des Côtes-d'Armor sur le fondement des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SARL Ecoland est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du département des Côtes-d'Armor au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Ecoland et au département des Côtes-d'Armor.

Délibéré après l'audience du 25 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 novembre 2022.

Le rapporteur,

S. DERLANGE

Le président,

L. LAINÉ

La greffière,

S. LEVANT

La République mande et ordonne au préfet des Côtes-d'Armor en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT01130


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT01130
Date de la décision : 18/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Stéphane DERLANGE
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : THOME HEITZMANN SOCIETE D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 27/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-11-18;21nt01130 ?
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