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15/11/2022 | FRANCE | N°22NT01098

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 15 novembre 2022, 22NT01098


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler les arrêtés du 4 janvier 2022 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et l'assignant à résidence dans le département de la Loire-Atlantique pour une durée de 45 jours renouvelable trois fois, ensuite, d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans un délai de 8 jours

à compter de la notification du présent jugement et de lui remettre un dossi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler les arrêtés du 4 janvier 2022 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et l'assignant à résidence dans le département de la Loire-Atlantique pour une durée de 45 jours renouvelable trois fois, ensuite, d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans un délai de 8 jours à compter de la notification du présent jugement et de lui remettre un dossier de demande d'asile pour transmission à l'office français de protection des réfugiés et apatrides pour examen et d'enregistrer sa demande de protection internationale en procédure normale, enfin, de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1800 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve pour ledit conseil de renoncer à la part contributive de l'Etat versée au titre de l'aide juridictionnelle.

Par un jugement n° 2200355 du 20 janvier 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 11 avril 2022, Mme B..., représentée par Me Papineau, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 20 janvier 2022 ;

2°) d'annuler les arrêtés du 4 janvier 2022 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et l'assignant à résidence dans le département de la Loire-Atlantique ;

3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de lui remettre une attestation de demandeur d'asile dans un délai de 8 jours à compter de la notification de la présente décision et de lui remettre un dossier de demande d'asile pour transmission à l'office français de protection des réfugiés et apatrides pour examen et d'enregistrer sa demande de protection internationale en procédure normale ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- l'arrêté de transfert est entaché d'un défaut de motivation ;

- l'arrêté de transfert est entaché d'une erreur de fait qui révèle un défaut d'examen personnel de l'intéressé ; elle n'a jamais résidé en Guinée pas plus que ses deux enfants qui résident actuellement en Côte d'Ivoire ;

- l'arrêté de transfert est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement n° 604/2013 et méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'arrêté de transfert méconnait l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'arrêté l'assignant à résidence dans le département de la Loire-Atlantique est illégal du fait de l'illégalité de l'arrêté de transfert aux autorités espagnoles.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 août 2022, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés et informe la cour que l'intéressée a été déclarée en fuite et que le délai d'exécution du transfert contesté est, en conséquence, prolongé jusqu'au 20 juillet 2023.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 février 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante ivoirienne née le 12 décembre 1998 à Danane (Côte d'Ivoire), déclare être entrée en France pendant l'été 2021. Sa demande d'asile a été enregistrée le 28 octobre 2021 par les services de la préfecture de la Loire-Atlantique. La consultation du système Eurodac a révélé que ses empreintes digitales avaient été relevées par les autorités espagnoles le 2 août 2021, sous le n° ES 2 1843080540, lors de son entrée dans ce pays. Consécutivement à leur saisine le 29 octobre 2021 sur le fondement du paragraphe 1 de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013, les autorités espagnoles ont, le 4 novembre suivant, expressément accepté de reprendre en charge l'intéressée. Par deux arrêtés du 4 janvier 2022, le préfet de Maine-et-Loire a ordonné le transfert de Mme B... aux autorités espagnoles et l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Mme B... a sollicité auprès du tribunal administratif de Nantes l'annulation de ces deux arrêtés. Elle relève appel du jugement du 20 janvier 2022 par lequel le magistrat désigné a rejeté sa demande.

Sur l'arrêté de transfert :

2. En premier lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

3. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

4. Mme B... fait état de l'existence de défaillances qui affecteraient les conditions d'accueil et de prise en charge des demandeurs d'asile en Espagne, invoquant le risque que sa demande d'asile ne soit pas traitée dans ce pays et qu'elle ne puisse bénéficier d'une prise en charge adaptée à son état de grossesse. Elle indique, enfin, qu'elle craint d'être renvoyée " par ricochet " dans son pays d'origine où ses craintes sont réelles. Elle doit être regardée comme invoquant la méconnaissance des dispositions rappelées au point précédent.

5. Il convient, tout d'abord, de rappeler que la décision de transfert de l'intéressée aux autorités espagnoles ne constitue pas une mesure d'éloignement vers la Côte d'Ivoire. Ensuite, aucun élément produit au débat ne permet de tenir pour établi que sa demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités espagnoles dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que l'Espagne est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les éléments versés au dossier ne démontrent pas l'existence de défaillances systémiques affectant la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Espagne, entraînant un risque de traitement inhumain et dégradant. Eu égard à ce qui vient d'être dit, la requérante ne démontre pas non plus, qu'elle serait personnellement exposée à des risques de traitements inhumains ou dégradants en Espagne. Ainsi la requérante ne démontre pas davantage en appel qu'en première instance qu'elle ne pouvait pas, à la date de la décision de transfert contestée, être remise aux autorités de cet Etat dans des conditions de nature à lui permettre de bénéficier d'une prise en charge adaptée à sa situation. Faute d'établir ainsi qu'elle serait exposée au risque de subir en Espagne des traitements contraires aux dispositions des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions ainsi que de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...)". La faculté laissée aux autorités françaises, par les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement précité, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

7. Mme B... soutient que son état de grossesse et le fait que son compagnon, qui l'accompagne dans toutes ses démarches, a reconnu l'enfant qu'elle porte font obstacle à son transfert aux autorités espagnoles. Cependant, il ressort, d'une part, des pièces du dossier que lors de son entretien individuel, Mme B... a indiqué qu'elle était célibataire et n'a pas fait état de sa grossesse. Alors qu'elle a expliqué devant le premier juge à l'audience n'avoir découvert sa grossesse que postérieurement à cet entretien, la requérante n'établit pas, ni même n'allègue avoir informé les services préfectoraux de sa situation avant que n'intervienne la décision de transfert contestée. Si, par ailleurs, Mme B... se prévaut d'un état de santé fragile entrainant des vertiges, des nausées et des vomissements, les éléments médicaux qu'elle produit n'établissent pas que sa grossesse, qui se déroule sans difficultés particulières, ferait obstacle à son transfert vers l'Espagne où elle pourra également bénéficier d'un suivi médical. Elle n'établit pas davantage avoir porté à la connaissance des services préfectoraux la circonstance qu'elle entretiendrait depuis quelques mois une relation amoureuse avec M. D... et qu'il avait reconnu l'enfant à naître qu'elle porte. Les pièces du dossier établissent, au contraire, que sa relation avec M. D..., que Mme B... a indiqué avoir rencontré au début du mois d'octobre 2021, est particulièrement récente et que les intéressés qui bénéficient chacun à titre individuel d'un hébergement social, comme la requérante le rappelle dans ses écritures d'appel, ne sont pas en mesure de justifier d'une vie commune. En outre, M. D... qui est entré en France au mois d'août 2020 et dont la demande d'asile a été rejetée, réside en France sous couvert d'un récépissé de demande de titre de séjour et ne saurait être regardé comme ayant nécessairement vocation à demeurer sur le territoire français. Dans ces conditions, il n'est pas établi que Mme B... se trouverait dans une situation imposant d'instruire sa demande d'asile en France. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'arrêté de transfert contesté du 4 janvier 2022 serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit également être écarté.

8. En troisième lieu, et pour le surplus, Mme B... se borne à reprendre devant le juge d'appel les mêmes moyens que ceux invoqués en première instance sans plus de précisions ou de justifications et sans les assortir d'éléments nouveaux. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par le premier juge et tirés de ce que l'arrêté du 4 janvier 2022 décidant son transfert aux autorités espagnoles est suffisamment motivé en droit et en fait, et n'est entaché d'aucun défaut d'examen des conséquences pour l'intéressée de son transfert vers l'Espagne, qui aurait été révélé par une erreur de fait sur le pays de résidence de ses enfants, erreurs résultant de ses propres déclarations lors de son entretien individuel du 28 octobre 2021.

9. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de Mme B... dirigées contre la décision de transfert aux autorités espagnoles doivent être rejetées.

Sur l'arrêté d'assignation à résidence :

10. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : (...) 1° bis Fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 ou d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ; (...) ".

11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 9 que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté l'assignant à résidence par voie de conséquence de l'annulation de la décision de transfert aux autorités espagnoles contre. Par suite, cet unique moyen dirigé contre ce dernier arrêté doit être écarté.

12. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté ses conclusions dirigées contre les arrêtés du 4 janvier 2022 du préfet de Maine-et-Loire décidant de la transférer aux autorités espagnoles et l'assignant à résidence.

Sur les frais d'instance :

13. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que doivent être rejetées les conclusions de la requérante aux fins d'injonction et celles tendant au bénéfice des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera adressée pour information au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 21 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 novembre 2022.

Le rapporteur,

O. A...Le président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22NT01098 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT01098
Date de la décision : 15/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: Mme MALINGUE
Avocat(s) : PAPINEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 20/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-11-15;22nt01098 ?
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