Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association des Amis de l'île du Large Saint-Marcouf a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 5 mars 2019 par lequel le préfet de la Manche a instauré des mesures de protection sur le territoire des îles Saint-Marcouf ainsi que la décision implicite par laquelle le ministre de la transition écologique et solidaire a rejeté son recours hiérarchique contre cet arrêté.
Par un jugement n° 1901757 du 14 octobre 2020, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée 14 décembre 2020, l'association des Amis de l'île du Large Saint-Marcouf, représentée par Me Vève, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 14 octobre 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 5 mars 2019 du préfet de la Manche ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté contesté est entaché d'un vice d'incompétence : seul le ministre en charge des pêches maritimes, et non le préfet de la Manche, était compétent, en vertu de l'article R. 411-15 du code de l'environnement, pour instaurer des mesures de protection du biotope sur l'île du Large, celle-ci appartenant au domaine public maritime ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il intègre l'île du Large dans le périmètre de protection du biotope ;
- il est entaché d'illégalité en ce qu'il instaure des mesures de protection de biotope non-nécessaires et disproportionnées ;
- il méconnaît le principe général d'égalité des citoyens devant la loi, et plus particulièrement le principe d'égalité des usagers du domaine public, en ce qu'il prévoit des conditions d'accostage et de débarquement différents entre elle et le Groupe ornithologique normand sur l'île du Large, alors que leurs activités respectives ont les mêmes effets sur la faune et la flore et sont, en outre, justifiées, toutes les deux, par des considérations d'intérêt général.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juillet 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Par une ordonnance du 13 juillet 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 27 août 2021 à 12 heures.
Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a produit un mémoire en défense le 11 août 2022, soit postérieurement à la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B... ;
- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Vève, représentant l'association des Amis de l'Ile du Large Saint-Marcouf.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 5 mars 2019, le préfet de la Manche a instauré des mesures de protection des îles Saint-Marcouf afin de garantir l'équilibre biologique des milieux et la conservation des biotopes nécessaires à la reproduction, à l'alimentation, à la croissance, au repos et à la survie de plusieurs espèces d'oiseaux maritimes et d'une espèce végétale protégées. L'association des Amis de l'île du Large Saint-Marcouf a formé un recours auprès du ministre de la transition écologique contre cet arrêté. Le silence gardé par le ministre sur ce recours a fait naître une décision implicite de rejet à l'expiration d'un délai de deux mois. L'association des Amis de l'île du Large Saint-Marcouf relève appel du jugement du 14 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté et de la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 1er des statuts de l'association des Amis de l'île du Large Saint-Marcouf : " L'Association (...) a pour but d'assurer la réhabilitation, la sauvegarde et l'ouverture au public de l'île du Large Saint-Marcouf, définie au cadastre comme suit AH n° 1 à 8 ". L'arrêté préfectoral du 5 mars 2019 qui instaure des mesures de protection des biotopes sur les parties situées au-dessus du niveau des plus hautes mers des deux îles composant l'archipel Saint-Marcouf, interdit, notamment, d'accoster et de débarquer sur l'île du Large entre le 1er avril et le 31 juillet, sauf dérogation et autorisations préalables. Dès lors, l'association des Amis de l'île du Large Saint-Marcouf justifie d'un intérêt à demander l'annulation de cet arrêté.
3. En second lieu, aux termes de l'article 9 des statuts de l'association des Amis de l'île du Large Saint-Marcouf : " (...) / Le Président représente l'Association en justice, tant en demande qu'en défense. / (...) ". Aucune autre stipulation ne réserve à un autre organe le pouvoir de décider d'engager une action en justice au nom de l'association. Ainsi, le président de l'association avait qualité pour former au nom de celle-ci, un recours pour excès de pouvoir contre l'arrêté du 5 mars 2019 du préfet de la Manche portant protection de biotope des Îles Saint-Marcouf.
4. Il résulte de tout ce qui précède que la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance présentée par l'association des Amis de l'île du Large Saint-Marcouf doit être écartée.
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté préfectoral du 5 mars 2019 :
5. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques : " Le domaine public maritime naturel de L'Etat comprend : / (...) 3° Les lais et relais de la mer : / a) Qui faisaient partie du domaine privé de l'Etat à la date du 1er décembre 1963, sous réserve des droits des tiers ; / b) Constitués à compter du 1er décembre 1963. / (...) ". Aux termes de l'article L. 2111-6 du même : " Le domaine public maritime artificiel est constitué : / 1° Des ouvrages ou installations appartenant à une personne publique mentionnée à l'article L. 1, qui sont destinés à assurer la sécurité et la facilité de la navigation maritime ; / (...) ".
6. D'autre part, aux termes de l'article R. 411-15 du code de l'environnement dans sa rédaction alors applicable : " Afin de prévenir la disparition d'espèces figurant sur la liste prévue à l'article R. 411-1, le préfet peut fixer, par arrêté, les mesures tendant à favoriser, sur tout ou partie du territoire d'un département à l'exclusion du domaine public maritime où les mesures relèvent du ministre chargé des pêches maritimes, la conservation des biotopes tels que mares, marécages, marais, haies, bosquets, landes, dunes, pelouses ou toutes autres formations naturelles, peu exploitées par l'homme, dans la mesure où ces biotopes ou formations sont nécessaires à l'alimentation, à la reproduction, au repos ou à la survie de ces espèces. ". Il résulte de ces dernières dispositions que le ministre chargé des pêches maritimes est compétent pour décider d'instaurer des mesures tendant à favoriser la conservation des biotopes d'espèces, animales ou végétales, protégées sur le domaine public maritime.
7. L'archipel des îles Saint-Marcouf est composé de deux îlots, l'île de Terre et l'île du Large, séparés l'un de l'autre par un chenal de quatre-cents mètres, et situés à environ sept kilomètres de la côte Est de la péninsule du Cotentin. Il ressort des pièces du dossier que ces îles, qui appartiennent à l'Etat, correspondent aux parties émergées d'un haut fond de grès armoricain connu sous le nom de A... du Cardonne et sont également constituées d'alluvions que la mer apporte sur le rivage. Elles forment ainsi des lais et relais de mer pour l'application de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques et relèvent, à ce titre, du domaine public maritime naturel de l'Etat. Il ressort, également, des pièces du dossier que l'île du Large supporte une ancienne forteresse militaire, édifiée au 19e siècle, qui abrite, au sommet de sa tour centrale, un feu de signalisation maritime, dont l'entretien et la maintenance sont placés sous la responsabilité de la direction interrégionale de la mer Manche Est-Mer du Nord. Cette ancienne forteresse fait office de phare et doit, dès lors, être regardée comme un ouvrage destiné à la sécurité et à la facilité de la navigation maritime. Elle relève, à ce titre, du domaine public maritime artificiel de l'Etat. Il suit de là que l'arrêté préfectoral du 5 mars 2019 contesté qui édicte des mesures applicables sur le domaine public maritime a été pris par une autorité incompétente.
8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que l'association des Amis de l'île du Large Saint-Marcouf est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 mars 2019 du préfet de la Manche.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme que l'association des Amis de l'île du Large Saint-Marcouf réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement 14 octobre 2020 du tribunal administratif de Caen et l'arrêté du 5 mars 2019 du préfet de la Manche sont annulés.
Article 2 : Les conclusions de l'association des Amis de l'île du Large Saint-Marcouf tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetée .
Article 3 : Le présent arrêté sera notifié à l'association des Amis de l'île du Large Saint-Marcouf et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Manche.
Délibéré après l'audience du 18 octobre 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Le Brun, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 novembre 2022.
Le rapporteur,
Y. B...
La présidente,
C. BUFFET
La greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT04000