Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 18 mai 2021 par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé de lui délivrer le visa de court séjour sollicité.
Par un jugement n° 2107984 du 31 janvier 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du ministre de l'intérieur du 18 mai 2021 et a enjoint à ce dernier de délivrer à M. B... un visa de court séjour dans un délai de deux mois.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 février 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 31 janvier 2022 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes ;
3°) d'enjoindre à M. B... de rembourser les 1 200 euros mis à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en première instance.
Il soutient que M. B... ne justifiant plus d'un emploi depuis le mois de décembre 2021, il ne dispose pas des ressources suffisantes pour lui permettre de prendre en charge les frais de son séjour en France ; l'objet de sa visite en France a disparu depuis le mariage de sa mère en juin 2020 ; il n'a jamais produit d'attestation d'accueil à l'appui de sa demande de visa ; il existe un risque de détournement de l'objet du visa dès lors que les éléments présentés ne permettent pas de s'assurer du retour de l'intéressé, célibataire et sans emploi, à Madagascar alors que nombre de membres de sa famille résident en France ; rien n'empêche ses proches de le rencontrer à Madagascar.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention d'application de l'accord de Schengen, signée le 19 juin 1990 ;
- le règlement (CE) n° 810/2009 du 13 juillet 2009 du Parlement européen et du Conseil établissant un code communautaire des visas ;
- le règlement (CE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... B..., ressortissant malgache né le 20 mai 1991, a sollicité la délivrance d'un visa de court séjour auprès des autorités consulaires françaises à Tananarive (Madagascar). Par une décision du 7 février 2020 ces autorités ont refusé de délivrer ce visa. Par une décision du 22 juin 2020, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire. Par un jugement n° 2006067 du 11 décembre 2020, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer la demande de visa de M. B... dans un délai de deux mois à compter de sa notification. Par une décision du 18 mai 2021, le ministre de l'intérieur a refusé de délivrer le visa sollicité. Par le jugement attaqué dont le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision du 18 mai 2021 et a enjoint au ministre de délivrer le visa sollicité dans un délai de deux mois.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. La décision contestée du 18 mai 2021 de refus de délivrance du visa de court séjour sollicité par M. B... est fondée sur la circonstance qu'il existe un risque de détournement de l'objet du visa à des fins migratoires du fait de sa présentation d'une attestation de travail frauduleuse datée du 24 janvier 2020 et de la présence en France de membres de sa famille. Le ministre fait également valoir devant la cour que le visa sollicité devait être rejeté dès lors que l'intéressé n'a plus de revenus professionnels depuis qu'il a démissionné de son emploi en décembre 2021, et qu'il n'a jamais produit d'attestation d'accueil de la part de sa famille d'accueil, dont les revenus sont limités.
3. Aux termes de l'article 10 de la convention d'application de l'accord de Schengen signée le 19 juin 1990 : " 1. Il est institué un visa uniforme valable pour le territoire de l'ensemble des Parties contractantes. Ce visa (...) peut être délivré pour un séjour de trois mois au maximum (...) ". Aux termes de l'article 21 du règlement (CE) du 13 juillet 2009 du Parlement européen et du Conseil établissant un code communautaire des visas : " 1. Lors de l'examen d'une demande de visa uniforme, (...) une attention particulière est accordée à l'évaluation du risque d'immigration illégale (...) que présenterait le demandeur ainsi qu'à sa volonté de quitter le territoire des États membres avant la date d'expiration du visa demandé. ". Aux termes de l'article 32 du même règlement : " 1. (...) le visa est refusé : (...) / b) s'il existe des doutes raisonnables sur l'authenticité des documents justificatifs présentés par le demandeur ou sur la véracité de leur contenu, sur la fiabilité des déclarations effectuées par le demandeur ou sur sa volonté de quitter le territoire des États membres avant l'expiration du visa demandé. (...) ".
4. Par ailleurs, aux termes de l'article 6 du règlement (CE) du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes dit " code frontières Schengen " : " 1. Pour un séjour prévu sur le territoire des États membres, d'une durée n'excédant pas 90 jours (...) les conditions d'entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes: (...) c) justifier l'objet et les conditions du séjour envisagé, et disposer de moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans leur pays d'origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel leur admission est garantie, ou être en mesure d'acquérir légalement ces moyens; (...) 4. L'appréciation des moyens de subsistance se fait en fonction de la durée et de l'objet du séjour et par référence aux prix moyens en matière d'hébergement et de nourriture dans l'État membre ou les États membres concernés, pour un logement à prix modéré, multipliés par le nombre de jours de séjour. / (...) L'appréciation des moyens de subsistance suffisants peut se fonder sur la possession d'argent liquide, de chèques de voyage et de cartes de crédit par le ressortissant de pays tiers. (...). ". Aux termes de l'article 14 du même règlement : " 1. L'entrée sur le territoire des États membres est refusée au ressortissant de pays tiers qui ne remplit pas l'ensemble des conditions d'entrée énoncées à l'article 6, paragraphe 1, et qui n'appartient pas à l'une des catégories de personnes visées à l'article 6, paragraphe 5. 2. L'entrée ne peut être refusée qu'au moyen d'une décision motivée indiquant les raisons précises du refus. (...) ". Aux termes de l'article L. 211-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " Tout étranger qui déclare vouloir séjourner en France pour une durée n'excédant pas trois mois dans le cadre d'une visite familiale ou privée doit présenter un justificatif d'hébergement. Ce justificatif prend la forme d'une attestation d'accueil signée par la personne qui se propose d'assurer le logement de l'étranger, ou son représentant légal, et validée par l'autorité administrative. Cette attestation d'accueil constitue le document prévu par la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 pour justifier les conditions de séjour dans le cas d'une visite familiale ou privée ".
5. L'administration peut, indépendamment d'autres motifs de rejet tels que la menace pour l'ordre public, refuser la délivrance d'un visa, qu'il soit de court ou de long séjour, en cas de risque avéré de détournement de son objet, lorsqu'elle établit que le motif indiqué dans la demande ne correspond manifestement pas à la finalité réelle du séjour de l'étranger en France. Elle peut à ce titre opposer un refus à une demande de visa de court séjour en se fondant sur l'existence d'un risque avéré de détournement du visa à des fins migratoires.
6. Il résulte par ailleurs des dispositions citées au point 4 que l'obtention d'un visa d'entrée et de court séjour est subordonnée à la condition que le demandeur justifie à la fois de sa capacité à retourner dans son pays d'origine et de moyens de subsistance suffisants pendant son séjour. Il appartient au demandeur de visa dont les ressources personnelles ne lui assurent pas ces moyens d'apporter la preuve de ce que les ressources de la personne qui l'héberge et qui s'est engagée à prendre en charge ses frais de séjour au cas où il n'y pourvoirait pas sont suffisantes pour ce faire. Cette preuve peut résulter de la production d'une attestation d'accueil validée par l'autorité compétente et comportant l'engagement de l'hébergeant de prendre en charge les frais de séjour du demandeur, sauf pour l'administration à produire des éléments de nature à démontrer que l'hébergeant se trouverait dans l'incapacité d'assumer effectivement l'engagement qu'il a ainsi souscrit.
7. Afin d'établir l'existence d'un risque de détournement de l'objet du visa à des fins migratoires, le ministre de l'intérieur et des outre-mer fait essentiellement valoir que l'intéressé a démissionné de l'emploi de " conseiller clients " qu'il exerçait sous couvert d'un contrat à durée indéterminée au sein de la société Odity établie à Madagascar et qu'il est depuis lors sans emploi et sans revenus. Cependant cette circonstance est postérieure à la décision litigieuse du 18 mai 2021, et par suite sans incidence sur sa légalité qui s'apprécie à la date de son intervention, puisque M. B... n'aurait démissionné de son emploi qu'en décembre 2021. Si la décision ministérielle contestée fait également valoir que l'intéressé a présenté à l'appui de sa demande une attestation de travail frauduleuse du 24 janvier 2020, une telle situation n'est pas établie. Il ressort en effet des pièces du dossier que si le signataire de cette attestation de travail ne réside plus à Madagascar, cette personne demeure le président fondateur de la société Odity, ainsi qu'il résulte d'une autre attestation du directeur du site malgache de cette société. Par ailleurs, si le contrat de travail de 2019 liant ce dernier à cette société a été signé du président fondateur, le fait que l'attestation de travail du 24 janvier 2020 comporte une autre signature n'est pas de nature à établir une fraude alors que cette signature est suivie de la mention " la Direction ". Il ressort au demeurant des pièces du dossier qu'à la date de la décision contestée l'intéressé était employé depuis le 2 avril 2019 par la société Odity au bénéfice d'un contrat à durée indéterminée lui procurant des revenus réguliers dont il n'est pas contesté qu'ils lui permettaient, au besoin après mobilisation de son épargne personnelle, de financer son projet de séjour en France. Aussi la circonstance qu'il n'aurait pas présenté une attestation d'accueil de nature à justifier des revenus de sa mère et de son futur époux est sans incidence sur la légalité du refus de visa sollicité. S'il est également fait état du fait que la mère du requérant et son compagnon, tous deux ressortissants français, sont établis en France, et que l'intéressé est célibataire, ces circonstances ne sont pas à elles seules de nature à établir le risque de détournement de l'objet du visa allégué qui était alors justifié par la volonté de M. B... d'assister au mariage de sa mère en France. En conséquence, c'est au terme d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des motifs retenus par la décision contestée que le ministre de l'intérieur a rejeté la demande de visa sollicitée par M. B....
8. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé sa décision du 18 mai 2021 et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre des frais d'instance. En conséquence, ses conclusions tendant au remboursement de cette dernière somme par M. B... ne peuvent en tout état de cause qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. C... B....
Délibéré après l'audience du 14 octobre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 novembre 2022.
Le rapporteur,
C. A...
Le président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 22NT00487