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28/10/2022 | FRANCE | N°22NT00761

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 28 octobre 2022, 22NT00761


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 23 décembre 2021 par lequel le préfet du Calvados l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination.

Par une ordonnance n° 2200054 du 14 février 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Caen lui a donné acte du désistement de sa requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 mars 2022, M. B..., représenté par Me B

alouka, demande à la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du 14 février 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 23 décembre 2021 par lequel le préfet du Calvados l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination.

Par une ordonnance n° 2200054 du 14 février 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Caen lui a donné acte du désistement de sa requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 mars 2022, M. B..., représenté par Me Balouka, demande à la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du 14 février 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 23 décembre 2021 du préfet du Calvados ;

3°) d'enjoindre au préfet du Calvados de lui délivrer un titre de séjour ou de réexaminer sa situation, dans le délai d'un mois, et, à titre subsidiaire, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente de la fabrication de son titre de séjour, ou jusqu'à ce qu'il ait statué sur sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'ordonnance litigieuse est irrégulière alors que son conseil a produit dans le délai de l'article R. 776-12 du code de justice administrative le mémoire complémentaire annoncé dans la requête sommaire du 10 janvier 2022 ;

- l'arrêté contesté méconnait les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le préfet du Calvados a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de son pouvoir d'appréciation de ne pas l'obliger à quitter le territoire français ;

- le préfet du Calvados ne pouvait désigner l'Afghanistan comme pays de destination compte tenu de la gravité du conflit armé en cours dans ce pays ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire étant illégale, elle entache la décision relative au délai de départ d'illégalité ;

- le préfet du Calvados a commis une erreur d'appréciation en lui interdisant le retour en France et n'a pas motivé sa décision sur ce point.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juin 2022, le préfet du Calvados conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés, en renvoyant partiellement à ses écritures de première instance.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 avril 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., se disant de nationalité afghane, né le 1er janvier 1996, a déposé une demande d'asile le 16 janvier 2018. Sa demande a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 24 juillet 2019, confirmée par un arrêt de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 26 octobre 2021. Par un arrêté du 23 décembre 2021 le préfet du Calvados l'a obligé à quitter le territoire français, dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour en France pendant une durée d'un an. M. B... relève appel de l'ordonnance du 14 février 2022 par laquelle le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Caen lui a donné acte du désistement de sa requête.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Aux termes de l'article R. 776-1 du code de justice administrative : " Sont présentées, instruites et jugées selon les dispositions du chapitre IV du titre I du livre VI du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 732-8 du même code, ainsi que celles du présent code, sous réserve des dispositions du présent chapitre, les requêtes dirigées contre : / 1° Les décisions portant obligation de quitter le territoire français, prévues aux articles L. 241-1 et L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que les décisions relatives au séjour notifiées avec les décisions portant obligation de quitter le territoire français ; / 2° Les décisions relatives au délai de départ volontaire prévues aux articles L. 251-3 et L. 612-1 du même code ; / 3° Les interdictions de retour sur le territoire français prévues aux articles L. 612-6 à L. 612-8 du même code et les interdictions de circulation sur le territoire français prévues à l'article L. 241-4 dudit code ; / 4° Les décisions fixant le pays de renvoi prévues à l'article L. 721-4 du même code (...) ". L'article R. 776-12 du même code, applicable aux recours dirigés contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français lorsque l'étranger n'est pas placé en rétention administrative ou assigné à résidence, précise ainsi que : " Lorsqu'une requête sommaire mentionne l'intention du requérant de présenter un mémoire complémentaire, la production annoncée doit parvenir au greffe du tribunal administratif dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle la requête a été enregistrée. / Si ce délai n'est pas respecté, le requérant est réputé s'être désisté à la date d'expiration de ce délai, même si le mémoire complémentaire a été ultérieurement produit. Il est donné acte de ce désistement. ".

3. Conformément à l'article R. 776-1, l'article R. 776-12 du code de justice administrative déroge, s'agissant de l'instruction des requêtes dirigées contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français, aux dispositions de droit commun de l'article R. 612-5 du même code et impose au juge administratif de constater le désistement d'office d'une requête sommaire, lorsque le mémoire complémentaire annoncé n'a pas été produit dans un délai de quinze jours à compter de la date de son enregistrement, sans qu'il y ait lieu pour le greffe du tribunal de mettre préalablement le requérant en demeure de compléter sa requête. La requête de M. B... devant le tribunal administratif, enregistrée le 10 janvier 2022, signalait son intention de produire un mémoire complémentaire dans le délai de quinze jours conformément aux dispositions de l'article R. 776-12 du code de justice administrative. Il ressort des pièces du dossier que ce mémoire complémentaire a été enregistré au greffe du tribunal le 18 janvier 2022, dans le délai de quinze jours à compter de la date d'enregistrement de sa requête et, d'ailleurs, également dans le délai de 15 jours de la mise en demeure faite le 12 janvier 2022, sur le fondement des dispositions de l'article R. 612-5 du même code, par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Caen. Dès lors, M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que l'auteur de l'ordonnance attaquée a retenu qu'il n'avait pas fait parvenir au greffe du tribunal son mémoire complémentaire dans le délai requis et lui a donné acte du désistement de sa requête. Cette ordonnance doit, par suite, être annulée.

4. Il a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif.

Sur la légalité de l'arrêté contesté :

5. En premier lieu, par un arrêté n° 14-2021-09-03-00005 du 2 septembre 2021, publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture du 6 septembre 2021 et consultable sur le site internet de la préfecture, le préfet du Calvados a donné délégation à Mme D... E..., adjointe au chef du bureau de l'asile et de l'éloignement et chef de section " Asile ", à l'effet de signer notamment les refus de séjour, les obligations de quitter le territoire, les décisions relatives au délai de départ volontaire, les décisions désignant le pays de destination et les interdictions de retour sur le territoire français. Le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de l'arrêté contesté doit, par suite, être écarté.

6. En deuxième lieu, la décision d'interdiction de retour en France d'une durée d'un an, qui mentionne l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et se fonde sur des éléments de fait précisés dans l'arrêté relatifs à la situation familiale de M. B..., est suffisamment motivée, en droit et en fait. Par suite, le moyen tiré de son insuffisante motivation doit être écarté.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".

8. M. B... soutient qu'il serait exposé à des traitements inhumains ou dégradants en cas de renvoi en Afghanistan eu égard à la situation sécuritaire dans ce pays et du fait de la famille d'une compatriote avec laquelle il a entretenu une relation amoureuse hors mariage. Toutefois, il n'assortit ses écritures d'aucun élément personnalisé et précis et ne produit aucune pièce au soutien de ses allégations. Il n'établit ainsi pas la réalité de risques auxquels il serait personnellement exposé en cas de renvoi en Afghanistan. D'ailleurs, ainsi qu'il a été dit au point 1, l'OFPRA et la CNDA ont rejeté sa demande d'asile. Par suite, il y a lieu d'écarter les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

10. Pour soutenir que l'arrêté contesté porterait atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale, M. B... se borne à soutenir qu'il vit en France depuis cinq ans et y dispose désormais de solides attaches. Toutefois, il n'établit pas la réalité des attaches alléguées, alors qu'il ressort des pièces du dossier qu'il est célibataire, sans charges de famille et qu'il ne soutient pas être dépourvu de liens familiaux en Afghanistan, où il a vécu au moins jusqu'à l'âge de vingt-et-un ans. Dans ces conditions, l'arrêté préfectoral du 23 décembre 2021 ne porte pas d'atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

11. En cinquième lieu, eu égard à ce qui a été dit aux points 8 et 10, le moyen tiré de ce que le préfet du Calvados aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de son pouvoir de régularisation de la situation administrative de M. B... doit être écarté.

12. En sixième lieu, eu égard à ce qui a été dit précédemment, dont il résulte que la décision litigieuse portant obligation de quitter le territoire français est légale, les moyens tirés de son illégalité à l'encontre des décisions fixant le pays de renvoi et le délai de départ volontaire doivent être écartés.

13. En septième et dernier lieu, aux termes de L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11 ".

14. Les seules circonstances avancées par M. B... tirées de son intégration et des craintes d'un retour dans son pays d'origine, qui ainsi qu'il a été dit précédemment ne sont pas caractérisées, ne suffisent pas pour considérer, eu égard à la faiblesse de ses liens avec la France, que le préfet du Calvados aurait commis une erreur d'appréciation en lui interdisant le retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit donc être écarté.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 23 décembre 2021 du préfet du Calvados.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

16. Le présent arrêt, qui rejette la requête de M. B..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions de l'intéressé aux fins d'injonction doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

17. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que le conseil de M. B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : L'ordonnance n° 2200054 du 14 février 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Caen est annulée.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de

Caen et le surplus des conclusions de sa requête devant la cour sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié M. A... B..., à Me Balouka et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera transmise, pour information, au préfet du Calvados.

Délibéré après l'audience du 11 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Laure Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 octobre 2022.

Le rapporteur,

S. C...

Le président,

L. LAINÉ

La greffière,

S. LEVANT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT00761


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT00761
Date de la décision : 28/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Stéphane DERLANGE
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : CABINET SARAH BALOUKA - AARPI CONCORDANCE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 06/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-10-28;22nt00761 ?
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