Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... A... et Mme D... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 12 novembre 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 20 juillet 2020 de l'autorité consulaire française à Conakry (Guinée) refusant de délivrer à Mme D... B... et aux enfants E... A... et G... A... des visas de long séjour en qualité de membres de famille d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire.
Par un jugement n° 2012948 du 14 juin 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme D... B... et aux enfants E... A... et G... A... les visas sollicités, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 juin 2021, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 14 juin 2021 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. F... A... et Mme D... B... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- les actes d'état-civil produits ne sont pas probants et ne permettent d'établir ni l'identité des demandeurs de visa, ni le lien familial avec M. A... ; le lien familial n'est pas mieux démontré par les éléments de possession d'état ;
- la décision contestée ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 juillet 2021, M. F... A... et Mme D... B..., représentés par Me Séguin, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
M. A... a été maintenu de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 septembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. F... A..., ressortissant guinéen, né le 15 février 1991, s'est vu reconnaître le bénéfice de la protection subsidiaire. Son épouse alléguée, Mme D... B..., née le 1er janvier 1993, et leurs enfants allégués E... A... et G... A..., respectivement nés les 1er janvier 2010 et 1er janvier 2014, ont sollicité le 10 janvier 2020 la délivrance de visas de long séjour en qualité de membres de famille de bénéficiaire de la protection subsidiaire. Par une décision du 20 juillet 2020, l'autorité consulaire française à Conakry (Guinée) a refusé de leur délivrer les visas sollicités. Par une décision du 12 novembre, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision consulaire. Par un jugement du 14 juin 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme D... B..., et aux enfants E... A... et G... A... les visas sollicités, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger (...) qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 (...) sont applicables. / (...) / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux ". La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne bénéficiaire de la protection subsidiaire ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.
3. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, prévoit par ailleurs, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. A la condition que l'acte d'état civil étranger soumis à l'obligation de légalisation et produit à titre de preuve devant l'autorité administrative ou devant le juge présente des garanties suffisantes d'authenticité, l'absence ou l'irrégularité de sa légalisation ne fait pas obstacle à ce que puissent être prises en considération les énonciations qu'il contient.
4. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté les demandes de visa au motif que l'identité des intéressés et leur lien familial à l'égard de M. A... n'étaient pas établis.
6. S'agissant des enfants E... A... et G... A..., ont été produits, pour établir leur identité et le lien familial avec M. A..., les volets n°1 d'extraits des actes de naissance n°030 et 040 dressés par l'officier d'état civil de Gaoual (Guinée) le 7 juin 2019, ainsi que leurs passeports. S'agissant de Mme D... B..., ont été produits un acte de naissance n°292 CU/GAL, dressé par l'officier d'état civil de Gaoual (Guinée) le 30 mai 2019 en transcription d'un jugement supplétif n°574 du 15 mai 2019 du tribunal de paix de Gaoual, ainsi qu'un passeport. Pour remettre en cause le caractère probant de ces documents, le ministre de l'intérieur relève que les extraits d'actes de naissance des enfants mentionnent le domicile du père des intéressés de manière imprécise et comportent des dates en chiffres, en méconnaissance des articles 170 et 79 du code civil guinéen, que les âges du père et de la mère sont incohérents compte tenu de la date de déclaration, et que les témoins n'étaient pas âgés de 21 ans à la date de la naissance, en méconnaissance de l'article 173 du code civil guinéen. Le ministre fait en outre valoir que ces documents n'ont pas été légalisés et que le prénom de la mère mentionné sur les actes de naissance des enfants (" D... "), n'est pas identique à celui figurant sur le jugement supplétif du 15 mai 2019 (" Mariam "). Par ailleurs, le ministre soutient que ce jugement supplétif a été rendu tardivement, plusieurs années après l'évènement qu'il relate, et ne comporte pas les dates, heures et lieux de naissance des parents, en méconnaissance des articles 183 et 196 du code civil guinéen. Toutefois, et alors que les documents d'état civil et les jugements produits mentionnent chacun les prénom et nom de l'enfant, leurs date et lieu de naissance et les noms et prénoms du père et de la mère, et permettent ainsi de déterminer l'identité des personnes qui y figurent et le lien de filiation, ces anomalies ne sont pas suffisantes pour établir que les actes produits ne présenteraient pas des garanties suffisantes d'authenticité ou que le jugement supplétif présenterait un caractère frauduleux. Contrairement à ce que soutient le ministre, qui n'apporte aucune démonstration sur ce point, il ne ressort pas des pièces du dossier que les tampons apposés sur les actes de naissance produits présenteraient un caractère inauthentique. La circonstance que le jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance de Mme B... mentionne une retranscription dans le registre d'état civil de l'année de naissance, ce qui n'est pas conforme aux dispositions de l'article 180 du code civil guinéen qui prévoit que les registres sont clos et arrêtés à la fin de chaque année, ne suffit pas à établir le caractère frauduleux de ce jugement. Par ailleurs les énonciations contenues dans les actes de naissance sont conformes aux différentes déclarations faites par M. A... devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui a par ailleurs présenté Mme B... comme étant sa concubine et la mère de ses enfants, ainsi qu'aux mentions figurant sur les passeports des intéressés. Dans ces conditions, en estimant que l'identité des demandeurs de visa, et partant leur lien familial à l'égard de M. F... A..., n'étaient pas établis, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. F... A... et Mme D... B..., la décision du 12 novembre 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 20 juillet 2020 de l'autorité consulaire française à Conakry (Guinée) refusant de délivrer à Mme D... B... et aux enfants E... A... et G... A... des visas de long séjour en qualité de membres de bénéficiaire de la protection subsidiaire.
Sur les frais liés au litige :
8. M. A... et Mme B..., qui ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, ne justifient pas des frais qu'ils auraient engagés pour l'instance. Les conclusions qu'ils ont présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent dès lors qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. A... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... A..., à Mme D... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 30 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 octobre 2022.
Le rapporteur,
A. C...Le président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 21NT01664