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11/10/2022 | FRANCE | N°22NT00662

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 11 octobre 2022, 22NT00662


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme M'Mah B... a demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler les arrêtés du 4 janvier 2022 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et l'assignant à résidence dans le département de la Loire-Atlantique pour une durée de 45 jours renouvelable trois fois, ensuite, d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal de lui délivrer une attestation de demande d'asile et, à titre subsidiaire,

de procéder au réexamen de sa situation et de prendre une nouvelle décision...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme M'Mah B... a demandé au tribunal administratif de Nantes, tout d'abord, d'annuler les arrêtés du 4 janvier 2022 du préfet de Maine-et-Loire décidant son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et l'assignant à résidence dans le département de la Loire-Atlantique pour une durée de 45 jours renouvelable trois fois, ensuite, d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal de lui délivrer une attestation de demande d'asile et, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation et de prendre une nouvelle décision, enfin, de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 700 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve pour ledit conseil de renoncer à la part contributive de l'Etat versée au titre de l'aide juridictionnelle.

Par un jugement n° 2200321 du 19 janvier 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 3 mars 2022, Mme B..., représentée par Me Desfrançois, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette sa demande d'annulation de l'arrêté de transfert du 4 janvier 2022 aux autorités italiennes ;

2°) d'annuler cet arrêté du 4 janvier 2022 ;

3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de lui remettre une attestation de demandeur d'asile ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les meilleurs délais ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- les dispositions des articles 4 et 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ont été méconnues ;

- l'arrêté de transfert est entaché d'un défaut d'examen ;

- l'arrêté de transfert méconnait l'article 3 de la CEDH et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ainsi que l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- l'arrêté de transfert est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement n° 604/2013.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mai 2022, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 février 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention relative aux droits de l'enfant ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- et les observations de Me Desfrançois, représentant Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante guinéenne, née le 2 mars 1996 à Conakry (Guinée) est entrée irrégulièrement en France le 23 octobre 2021. Sa demande d'asile a été enregistrée le 28 octobre 2021 par les services de la préfecture de la Loire-Atlantique. La consultation du système Eurodac a révélé que ses empreintes digitales avaient été relevées par les autorités italiennes le 9 septembre 2021 lors de son entrée dans ce pays, soit dans une période de moins de douze mois avant son arrivée en France. Consécutivement à leur saisine le 29 octobre 2021, les autorités italiennes ont implicitement accepté de reprendre en charge l'intéressée. Par deux arrêtés du 4 janvier 2022, le préfet de Maine-et-Loire a ordonné le transfert de Mme B... aux autorités italiennes et l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Mme B... a sollicité auprès du tribunal administratif de Nantes l'annulation de ces deux arrêtés. Elle relève appel du jugement du 19 janvier 2022 du magistrat désigné en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 janvier 2022 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Sur la légalité de l'arrêté de transfert :

2. En premier lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

3. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

4. Mme B... fait état de l'existence de défaillances qui affecteraient les conditions d'accueil et de prise en charge des demandeurs d'asile en Italie, en invoquant le risque que sa demande d'asile ne soit pas traitée dans ce pays, notamment compte tenu du contexte sanitaire et qu'elle ne puisse bénéficier d'une prise en charge adaptée à son état de santé et en indiquant enfin qu'elle craint d'être renvoyée " par ricochet " dans son pays d'origine où ses craintes sont réelles.

5. Il convient, tout d'abord, de rappeler que la décision de transfert de l'intéressée aux autorités italiennes ne constitue pas une mesure d'éloignement vers la Guinée. Ensuite, aucun élément produit au débat ne permet de tenir pour établi que sa demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Contrairement à ce que soutient la requérante, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté contesté, les autorités italiennes avaient demandé la suspension de l'exécution des mesures de transfert. Si Mme B... se prévaut également de plusieurs rapports d'organisations non gouvernementales publiés entre 2019 et 2021 faisant état d'une détérioration des conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile en Italie et notamment de difficultés dans l'accès aux soins, les documents produits ne sont pas de nature à caractériser l'existence de défaillances systémiques. Eu égard à ce qui vient d'être dit, la requérante ne démontre pas non plus, qu'elle serait personnellement exposée à des risques de traitements inhumains ou dégradants en Italie. Ainsi la requérante ne démontre pas davantage en appel qu'en première instance qu'elle ne pouvait pas, à la date de la décision de transfert contestée, être prise en charge par les autorités de cet Etat dans des conditions de nature à lui permettre de bénéficier d'une prise en charge adaptée à sa situation. Faute d'établir ainsi qu'elle serait exposée au risque de subir en Italie des traitements contraires aux dispositions des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions ainsi que de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...)". La faculté laissée aux autorités françaises, par les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement précité, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

7. Mme B... se prévaut d'une situation de vulnérabilité qui serait caractérisée par sa situation de demandeur d'asile et l'absence de prise en charge par les autorités italiennes, et évoque également ses problèmes de santé consistant en des difficultés à marcher, des douleurs dans tout le corps ainsi qu'une fatigue importante. Toutefois, et au regard notamment de ce qui a été rappelé au point précédent, il n'est pas établi par les pièces versées au dossier, que les problèmes de santé dont elle soutient souffrir, seraient d'une gravité la plaçant dans une situation de vulnérabilité imposant d'instruire sa demande d'asile en France. En particulier, il ne ressort pas des pièces du dossier que le transfert de l'intéressée vers l'Italie serait de nature à entraîner une altération de son état de santé. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'arrêté de transfert contesté du 22 juillet 2021 serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

8. En quatrième lieu, et pour le surplus, Mme B... se borne à reprendre devant le juge d'appel les mêmes moyens que ceux invoqués en première instance sans plus de précisions ou de justifications et sans les assortir d'éléments nouveaux. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par le premier juge et tirés de ce que l'arrêté du 4 janvier 2022 décidant son transfert aux autorités italiennes ne méconnait ni les dispositions des article 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 relatives respectivement au droit à l'information du demandeur de la protection internationale et aux conditions de son entretien, et enfin, n'est entaché d'aucun défaut d'examen des conséquences pour l'intéressée de son transfert vers l'Italie.

9. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté ses conclusions dirigées contre l'arrêté du 4 janvier 2022 du préfet de Maine-et-Loire décidant de la transférer aux autorités italiennes.

Sur les frais d'instance :

10. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que doivent être rejetées les conclusions de la requérante aux fins d'injonction et celles tendant au bénéfice des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme M'Mah B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera adressée pour information au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 23 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 octobre 2022.

Le rapporteur,

O. A...Le président,

O. GASPON

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°22NT00662 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT00662
Date de la décision : 11/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: Mme MALINGUE
Avocat(s) : DESFRANCOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-10-11;22nt00662 ?
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