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16/09/2022 | FRANCE | N°21NT01434

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 16 septembre 2022, 21NT01434


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La région Normandie a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner solidairement M. B... A..., les sociétés Boulard 14, Boulard, Dekra inspection, Normandie aménagement, Zenone constructions, Cruard couverture, l'entreprise Orquin et l'entreprise Fouchard et leurs assureurs respectifs, au paiement de la somme de 413 937,87 euros TTC en réparation des préjudices subis du fait des désordres affectant l'internat du lycée " La Roquelle " de Coutances, avec intérêts et capitalisation des intérêt

s, et de condamner l'entreprise Fouchard et son assureur à lui verser la so...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La région Normandie a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner solidairement M. B... A..., les sociétés Boulard 14, Boulard, Dekra inspection, Normandie aménagement, Zenone constructions, Cruard couverture, l'entreprise Orquin et l'entreprise Fouchard et leurs assureurs respectifs, au paiement de la somme de 413 937,87 euros TTC en réparation des préjudices subis du fait des désordres affectant l'internat du lycée " La Roquelle " de Coutances, avec intérêts et capitalisation des intérêts, et de condamner l'entreprise Fouchard et son assureur à lui verser la somme de 22 085,63 euros TTC en réparation du préjudice subi du fait des désordres affectant l'internat du lycée " La Roquelle " de Coutances, avec intérêts et capitalisation des intérêts.

Par un jugement n° 1800993 du 1er avril 2021, et une ordonnance de rectification d'erreur matérielle du 20 avril 2021, le tribunal administratif de Caen a, en premier lieu, rejeté les conclusions de la région Normandie à l'encontre des assureurs respectifs de M. B... A..., des sociétés Boulard 14, Boulard, Dekra inspection, Normandie aménagement, Zenone constructions, Cruard couverture, de l'entreprise Orquin et de l'entreprise Fouchard comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître, en deuxième lieu, condamné solidairement M. A... et les société Boulard 14, Zenone, Orquin et Cruard à verser à la région Normandie la somme de 280 718,60 euros, avec intérêts à compter du 30 avril 2018 et capitalisation des intérêts, en troisième lieu, condamné la société Fouchard à verser à la région Normandie la somme de 14 945 euros, avec intérêts à compter du 30 avril 2018 et capitalisation des intérêts, en quatrième lieu, mis les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 10 638,62 euros, à la charge solidaire de M. A..., des sociétés Boulard 14, Zenone, Cruard, Orquin et Fouchard, en cinquième lieu, condamné la société Boulard 14 à garantir M. A... à hauteur de 45,5 % de la somme mise sa charge au titre de l'article 2 du jugement, les sociétés Orquin, Zenone et Cruard à garantir M. A... chacune à hauteur de 3 % de la somme mise à sa charge, la société Boulard 14 à garantir les sociétés Orquin, Zenone et Cruard à hauteur de 45,5 % de la somme mise à leur charge, M. A... à garantir la société Boulard à hauteur de 45,5 % de la somme mise à sa charge, en sixième lieu, condamné la société Boulard 14 à garantir M. A... à hauteur de 43,2 % de la somme mise à sa charge par l'article 5 du jugement, la société Fouchard à garantir M. A... à hauteur de 5 % de la somme mise à sa charge par l'article 5 du jugement, les sociétés Orquin, Zenone et Cruard à garantir M. A... à hauteur de 2,9 % chacune de la somme mise à sa charge par l'article 5 du jugement, la société Boulard 14 à garantir les sociétés Orquin, Zenone et Cruard à hauteur de 43,2 % de la somme mise à leur charge par l'article 5 du jugement, la société Fouchard à garantir les sociétés Orquin, Zenone et Cruard à hauteur de 5 % chacune de la somme mise à leur charge par l'article 5 du jugement, M. A...

à garantir la société Boulard 14 à hauteur de 43,2 % de la somme mise à sa charge par l'article 5

du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 28 mai 2021 et le 18 janvier 2022, et un mémoire du 20 janvier 2022 qui n'a pas été communiqué, la SARL BET Boulard 14, représentée par Me Ferretti, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 1800993 du tribunal administratif de Caen du 1er avril 2021, rectifié par une ordonnance du président du tribunal administratif de Caen du 20 avril 2021, en tant qu'il l'a condamnée ;

2°) de rejeter les demandes formulées à son encontre devant le tribunal administratif de Caen ;

3°) à titre subsidiaire :

- de limiter sa condamnation au profit de la région Normandie à la somme de 235 479, 60 euros au titre des travaux d'amélioration du confort thermique et de rejeter toute autre demande à son encontre ;

- de condamner solidairement la société Normandie Aménagement, M. A..., la société Dekra, la société Zenone Constructions, la société Cruard Couverture, la société Ets Orquin, la société Entreprise Fouchard à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre, en principal, intérêts, frais et accessoires ;

- de rejeter tout appel en garantie formulé à son encontre ;

4°) de mettre à la charge des parties perdantes la somme de cinq mille euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa responsabilité ne peut être retenue puisqu'elle n'est pas intervenue dans l'opération de construction litigieuse ; l'étude thermique a été réalisée par la société Boulard et non par elle-même ; les deux entreprises sont deux entités juridiquement distinctes ; la confusion est due à l'erreur de M. A... ;

- à titre subsidiaire, le jugement doit être annulé et toute conclusion envers elle rejetée dès lors que :

o les travaux ont été réceptionnés ;

o il n'y a pas d'atteinte à la solidité ou à la destination de l'ouvrage ; ni l'inconfort thermique et l'inconfort acoustique relevés ni le léger problème d'humidité ne rendent l'ouvrage impropre à sa destination ; l'immeuble a constamment été utilisé ; l'inconfort thermique a été pallié par des mesures de chauffe appropriées ; l'inconfort acoustique n'a jamais été mesuré ;

o elle n'a en tout état de cause aucun lien de causalité avec l'inconfort acoustique ;

- à titre très subsidiaire :

o les demandes de la région Normandie doivent être réduites :

* le problème d'humidité dans les cloisons séparatives entre chambres et blocs sanitaires relève, comme l'a jugé le tribunal administratif, de la seule responsabilité de la société Entreprise Fouchard ; en tant que bureau d'études techniques fluides, elle n'a aucun lien avec ce désordre ;

* en ce qui concerne le problème d'inconfort thermique, l'expert ne relève qu'une faute éventuelle de la société Boulard sans lien avec elle ; en cas de responsabilité, les sommes allouées à la région Normandie ne pourraient qu'être limitées aux sommes fixées par l'expert à hauteur de 235 479, 60 euros au titre des travaux d'amélioration du confort thermique ; les divers frais et aléas doivent demeurer à la charge de la région Normandie, ne constituant pas un préjudice certain ;

o en ce qui concerne les appels en garantie :

* en l'absence de faute et de lien de causalité entre les prestations réalisées et les désordres, toute demande à son encontre doit être rejetée ;

* sa responsabilité ne pouvant être que très marginale, elle est fondée à demander la garantie intégrale à l'encontre de la société Normandie Aménagement, à l'origine d'un défaut de vigilance, de M. A..., des sociétés Dekra, Zenone Construction, Cruard Couverture, Ets Orquin et Entreprise Fouchard pour défaut de conseil ; le taux de 45,5 % retenu par le tribunal administratif est exagéré alors qu'elle est intervenue très en amont de la réalisation des travaux et que les fautes de conception de la maîtrise d'œuvre sont largement imputables à M. A..., responsable en outre d'un manquement dans le suivi du chantier ; l'architecte a également failli dans sa mission d'analyse des offres ; les entreprises ont également gravement manqué à leur obligation de conseil au cours de la réalisation des travaux et devront être condamnées à au moins 80 % de la réparation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2021, la région Normandie, représentée par Me Gey, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la SARL BET Boulard 14 en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle est bien fondée à engager la responsabilité de la SARL BET Boulard 14 qui est la seule contractuellement liée avec elle, la SARL BET Boulard 14 étant membre du groupement solidaire auquel a été attribué le marché de maîtrise d'œuvre ; la circonstance que le pouvoir signé par le gérant évoque la SAS Boulard ne suffit pas à considérer que c'était cette dernière société qui était engagée, le gérant étant au demeurant à l'époque gérant des deux sociétés ; la SARL BET Boulard 14 s'est comportée comme un membre du groupement en transmettant ses demandes de paiement ; la SARL BET Boulard 14 n'a jamais formalisé l'intervention en sous-traitance de la SAS Boulard ;

- la responsabilité de la SARL BET Boulard 14 est susceptible d'être engagée sur le fondement de la responsabilité décennale en application des principes résultant des articles 1792 et 1792-2 du code civil ; les problèmes thermiques et acoustiques qui affectent les locaux de l'internat du lycée rendent le bâtiment impropre à sa destination, compte tenu de l'hébergement de jeunes internes ;

- le tribunal administratif a précisément retenu l'évaluation des préjudices effectuée par l'expert ; le tribunal administratif ne lui a aucunement accordé l'indemnisation de frais et aléas rejetés par l'expert ;

- elle s'en rapporte à la sagesse de la cour quant aux recours en garantie de la SARL BET Boulard 14 contre les autres intervenants.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 janvier 2022, et un mémoire enregistré le 23 août 2022 qui n'a pas été communiqué, la Mutuelle des architectes français et M. B... A..., représentés par Me Barthelemy, demandent à la cour :

1°) de rejeter la requête de la SARL BET Boulard 14 ;

2°) de réformer le jugement n° 1800993 du tribunal administratif de Caen du 1er avril 2021 en tant qu'il a rejeté la demande de garantie de M. A... à l'encontre de la société Dekra Industrial et de condamner la société Dekra Industrial à garantir M. A... pour toutes les condamnations prononcées à son encontre, au principal, accessoires et intérêts.

Ils soutiennent que :

- le jugement doit être confirmé en ce qu'il a condamné la SARL BET Boulard 14 :

o la SARL BET Boulard 14 est une antenne créée à Caen par la SAS Boulard et avait le même directeur et gérant ; les deux sociétés sont devenues indépendantes postérieurement à la conclusion du contrat et au chantier ; le contrat a été conclu avec la SARL BET Boulard 14 qui n'a jamais demandé de rectification et a émis des factures et encaissé les règlements ;

o la responsabilité du BET Boulard est essentielle puisqu'il a participé à la rédaction du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) ; il n'a pas réalisé l'étude thermique qu'il devait réaliser alors qu'il était le spécialiste au sein de l'équipe de maîtrise d'œuvre et que l'objet même des travaux consistait dans un complément d'isolation ; il a en outre omis d'évaluer les caractéristiques de la nouvelle façade et son impact sur l'isolation thermique ; la défaillance porte donc sur l'exécution même de sa prestation et pas sur un simple défaut de conseil ;

- le jugement doit être infirmé en ce qu'il a rejeté l'appel en garantie de M. A... contre la SAS Dekra Industrial :

o l'absence d'obturation des baies crée une absence d'étanchéité à l'air, relevant du clos et couvert, et rentre donc dans le cœur de la mission du bureau de contrôle et se rattache directement à sa mission de base L, telle que définie par l'article 2.5 de la norme BFP03-100 ; le bureau de contrôle a failli dans son rôle d'alerte ;

o l'expert impute a minima un défaut de conseil au contrôleur technique ;

o la société Normandie Aménagement, assistant du maître d'ouvrage, aurait dû relever le manquement à l'obligation réglementaire d'effectuer une étude thermique en application du décret du 31 mars 2008 ;

o les entreprises Orquin, Zenone, Fouchard et Cruard ont remis leurs offres sans se soucier de la cohérence de leurs ouvrages avec ceux des autres lots ; cette lacune s'est également poursuivie pendant l'exécution du chantier ; leur responsabilité doit être retenue au minimum à 5 % chacune.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 janvier 2022, et un mémoire enregistré le 22 août 2022 qui n'a pas été communiqué, la SAS Fouchard, représentée par Me Rabaey, demande à la cour :

1°) de rejeter les conclusions de la SARL BET Boulard 14 à son encontre ;

2°) de rejeter l'appel en garantie de M. A... la visant ;

3°) de mettre à la charge de la SARL BET Boulard 14 la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle s'en rapporte à la sagesse de la cour quant à l'intervention et la responsabilité de la SARL BET Boulard 14 ;

- en ce qui concerne le désordre d'humidité, elle ne conteste ni le caractère décennal des désordres d'infiltration ni l'évaluation de la réparation des désordres ;

- en ce qui concerne l'inconfort thermique :

o aucun défaut de conseil ne peut lui être imputé puisqu'elle est intervenue une fois les murs intérieurs réalisés et ne pouvait savoir que les emplacements des châssis retirés n'avaient pas été rebouchés et isolés ; elle ne pouvait par ailleurs intégrer les fenêtres non bouchées au stade de l'étude de dimensionnement thermique des radiateurs puisque ces fenêtres ne figuraient pas sur les plans ; l'appel en garantie de la SARL BET Boulard 14 à son encontre n'est donc pas fondé ;

o en tout état de cause un défaut de conseil ne constitue pas une faute susceptible d'engager sa responsabilité décennale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 janvier 2022, la SAS Dekra Industrial, représentée par Me Beaudoire, demande à la cour :

1°) à titre principal, de rejeter la requête de la SARL BET Boulard 14 ;

2°) à titre subsidiaire :

- de juger que la société Boulard assumera la part de responsabilité imputée à hauteur de 45,5 % à la SARL BET Boulard 14 ;

- de condamner M. A..., la SAEML Normandie Aménagement, les sociétés Boulard, Cruard, Orquin et Fouchard à la garantir ;

3°) de mettre à la charge de la SARL BET Boulard 14 ou de toute autre partie perdante la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la SARL BET Boulard 14 apparait bien comme partie prenante sur le chantier sur le contrat de maîtrise d'œuvre ; elle a en outre été payée de ses prestations par le maître d'ouvrage ; le fait que par des accords internes, la SARL BET Boulard 14 ait refacturé tout ou partie des prestations à la SAS Boulard ne vient pas modifier les rapports contractuels avec le maître d'ouvrage ; si un contrat de sous-traitance avait existé avec la SARL BET Boulard 14, le maître d'ouvrage aurait quand même été fondé à rechercher la responsabilité de la SARL BET Boulard 14 ;

- à titre subsidiaire, si la responsabilité de la SARL BET Boulard 14 n'était pas retenue, la SAS Boulard devrait être condamnée à supporter la part de responsabilité de la SARL BET Boulard 14, soit 45.5 % du coût des dommages thermiques ;

- le jugement du tribunal administratif doit être confirmé en ce qu'il a estimé que le contrôleur technique n'avait pas été missionné pour les problématiques thermiques ;sa mission de contrôle technique était limitée aux missions Hand + L + LE + SEI ; le contrôleur technique n'a pas de devoir général de conseil, le devoir de conseil étant strictement limité au cadre de la mission souscrite par le maître d'ouvrage, en application des dispositions des articles L. 111-23 et L. 111-24 du code de la construction et de l'habitation ; la région maître d'ouvrage a fait le choix de ne pas lui confier la mission thermique et a fait le choix d'être assistée d'un maître d'ouvrage délégué et d'un maître d'œuvre titulaire d'une mission complète ; la SARL BET Boulard 14 ne soulève aucun grief précis et circonstancié à son encontre ;

- à titre subsidiaire, elle est fondée à appeler en garantie M. A..., maître d'œuvre de l'opération, la SAEML Normandie Aménagement, maître d'ouvrage délégué, et les sociétés Cruard, Orquin et Fouchard qui ont accompli les travaux en sachant que les façades présentaient un défaut de conception majeur.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code des marchés publics ;

- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;

- le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'œuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé ;

- l'arrêté du 21 décembre 1993 précisant les modalités techniques d'exécution des éléments de mission de maîtrise d'œuvre confiés par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lainé, président de chambre,

- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,

- et les observations de Me Ferretti, représentant la société BET Boulard 14, et de Me Gey, représentant la région Normandie.

Considérant ce qui suit :

1. La région Basse-Normandie, aux droits de laquelle vient la région Normandie, a décidé de confier, par un contrat des 19 octobre et 21 décembre 2004, à la société d'économie mixte Normandie Aménagement, un mandat de maîtrise d'ouvrage public pour la réalisation des travaux de restructuration, de constructions neuves et de grosses réparations dans les lycées et établissements assimilés du département de la Manche. Dans le cadre de ces travaux confiés à la maîtrise d'ouvrage déléguée de la société Normandie Aménagement, la région a décidé de faire procéder à la rénovation des façades et de locaux dans le bâtiment de l'internat du lycée professionnel La Roquelle à Coutances. La maîtrise d'œuvre de l'ouvrage a été confiée, par un contrat des 16 mai et 16 juillet 2007, à un groupement constitué par M. A..., architecte, la SAS Ecodiag Ingénierie, en charge de la structure, le bureau d'études techniques (BET) Bader en charge de l'électricité, le BET Boulard 14 en charge des fluides, et la société B2C, coordinateur SPS. Par un contrat des 10 février 2007 et 28 février 2008, un marché de contrôle technique, portant sur les missions L (solidité des ouvrages et éléments d'équipement indissociables assurant le clos et le couvert), SEI (sécurité des personnes), LE (solidité des constructions existantes), HAND (prescriptions réglementaires pour l'accès des personnes handicapées) et IE (installations électriques) a été confié à la SAS Norisko Construction, aux droits de laquelle vient la SAS Dekra Industrial. Le lot n° 3 " Maçonnerie - Démolition " a été attribué à la SARL Zenone Constructions par un marché des 15 octobre et 26 novembre 2009. Les lots n° 5 " Bardage stratifié - Echafaudage ", n° 6 " Menuiseries extérieures Alu ", et n° 9 " Faux Plafonds " ont été confiés respectivement à la SAS Cruard Couverture, à la SAS CTI-BAT, à la SARL Legoupil Aménagement 14 par des contrats des mêmes dates. Les lots n° 8 " Menuiseries intérieures - Cloisons sèches " et n° 12 " Revêtement de sols " ont étés respectivement confiés à la SARL ENT Orquin et à M. C... des contrats des 16 octobre et 26 novembre 2009. Le lot n° 13 " Chauffage - Ventilation " a été attribué à la SAS Fouchard par un contrat des 12 octobre et 26 novembre 2009. Enfin, le lot n° 15 " Electricité " a été confié à la SNC Ineo Normandie par un marché des 19 octobre et 26 novembre 2009. Les différents lots ont été réceptionnés entre mars et novembre 2013, sans réserve ou avec des réserves ultérieurement levées.

2. Au mois de décembre 2014, le lycée a signalé à la région des problèmes de courant d'air, de températures anormalement basses et des sifflements très bruyants dans l'internat, entraînant des plaintes des internes et de leurs parents. La région Normandie a obtenu la désignation d'un expert par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Caen du 25 janvier 2016. L'expert désigné a rendu son rapport définitif en février 2017. En avril 2018, la région Normandie a saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à la condamnation des maîtres d'œuvre et de plusieurs des entreprises intervenues sur le chantier de l'internat du lycée professionnel La Roquelle. Par un jugement du 1er avril 2021, le tribunal a, en premier lieu, rejeté les conclusions de la région Normandie à l'encontre des assureurs respectifs de M. B... A..., des sociétés Boulard 14, Boulard, Dekra inspection, Normandie aménagement, Zenone constructions, Cruard couverture, de l'entreprise Orquin et de l'entreprise Fouchard comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître, en deuxième lieu, condamné solidairement M. A... et les sociétés Boulard 14, Zenone, Orquin et Cruard à verser à la région Normandie la somme de 280 718,60 euros, avec intérêts à compter du 30 avril 2018 et capitalisation des intérêts, au titre du désordre n° 1 concernant les pénétrations d'air par les façades, en troisième lieu, condamné la société Fouchard à verser à la région Normandie la somme de 14 945 euros avec intérêts à compter du 30 avril 2018 et capitalisation des intérêts, au titre du désordre n° 2 concernant les moisissures sur les cloisons entre les chambres et les blocs sanitaires, en quatrième lieu, mis les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 10 638,62 euros, à la charge solidaire de M. A..., des sociétés Boulard 14, Zenone, Cruard, Orquin et Fouchard, en cinquième lieu, condamné la société Boulard 14 à garantir M. A... à hauteur de 45,5 % de la somme mise sa charge au titre de l'article 2 du jugement, les sociétés Orquin, Zenone et Cruard à garantir M. A... à hauteur de 3 % chacune de la somme mise à sa charge, la société Boulard 14 à garantir les sociétés Orquin, Zenone et Cruard à hauteur de 45,5 % de la somme mise à leur charge, M. A... à garantir la société Boulard 14 à hauteur de 45,5 % de la somme mise à sa charge, en sixième lieu, condamné la société Boulard 14 à garantir M. A... à hauteur de 43,2 % de la somme mise à sa charge par l'article 5 du jugement, la société Fouchard à garantir M. A... à hauteur de 5 % de la somme mise à sa charge par l'article 5 du jugement, les sociétés Orquin, Zenone et Cruard à garantir M. A... à hauteur de 2,9 % chacune de la somme mise à sa charge par l'article 5 du jugement, la société Boulard 14 à garantir les sociétés Orquin, Zenone et Cruard à hauteur de 43,2 % chacune de la somme mise à leur charge par l'article 5 du jugement, la société Fouchard à garantir les sociétés Orquin, Zenone et Cruard à hauteur de 5 % de la somme mise à leur charge par l'article 5 du jugement, M. A... à garantir la société Boulard 14 à hauteur de 43,2 % de la somme mise à sa charge par l'article 5 du jugement.

3. La SARL BET Boulard 14 relève appel du jugement du tribunal administratif de Caen du 1er avril 2021 en tant qu'il l'a condamnée au profit de la région Normandie. Par ailleurs, par la voie de l'appel provoqué, M. A..., architecte maître d'œuvre, et son assureur la Mutuelle des architectes français demandent la condamnation de la société Dekra Industrial à garantir M. A... de toutes les condamnations prononcées à son encontre par le jugement du tribunal administratif de Caen du 1er avril 2021.

Sur l'appel principal de la SARL BET Boulard 14 :

En ce qui concerne le principe de la condamnation de la SARL BET Boulard 14 :

4. La SARL BET Boulard 14 soutient que sa responsabilité ne peut être engagée à l'égard de la région Normandie, maître d'ouvrage, dès lors qu'elle n'a exécuté aucune prestation pour le compte de cette personne publique et que les prestations ont été réalisées par la SAS Boulard, société juridiquement distincte. Il résulte de l'instruction que l'acte d'engagement relatif au groupement de maîtrise d'œuvre et ses annexes présentent des mentions contradictoires. L'annexe 2 à cet acte d'engagement mentionnait en effet la SARL BET Boulard 14 comme membre du groupement solidaire de maîtrise d'œuvre tandis que le pouvoir donné par le dirigeant de la société à l'architecte mandataire du groupement pour signer le marché public était libellé au nom de la SAS Boulard. Toutefois, il n'est pas contesté que le numéro de compte bancaire figurant sur l'annexe 2 à l'acte d'engagement pour le règlement des prestations de maîtrise d'œuvre incombant au bureau d'études était celui de la SARL BET Boulard 14. Par ailleurs, il résulte de l'instruction, notamment des factures produites par la société appelante, que c'est la SARL BET Boulard 14 qui a systématiquement facturé à la région maître d'ouvrage le montant des prestations en faisant référence à son marché de maîtrise d'œuvre et au montant des missions qui lui avaient été confiées. Dans ces conditions, seule la SARL BET Boulard 14 doit être regardée comme ayant la qualité de cocontractant de la région Basse-Normandie puis de la région Normandie. La circonstance que les prestations de bureau d'études fluides ont en réalité été exécutées par la SAS Boulard, juridiquement distincte de la SARL BET Boulard 14, est uniquement de nature à faire regarder la société ayant exécuté les prestations comme un sous-traitant de fait de la SARL BET Boulard 14, qui demeure responsable, à l'égard du maître d'ouvrage, des manquements de son sous-traitant.

5. Il suit de là que la SARL BET Boulard 14 n'est pas fondée à soutenir que sa responsabilité ne pouvait être engagée envers la région Normandie en l'absence de lien contractuel avec cette dernière.

En ce qui concerne le caractère décennal des désordres :

6. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans.

7. En premier lieu, la responsabilité décennale d'un constructeur ne peut être mise en jeu, au titre d'un chantier, qu'à compter de la réception, partielle ou totale, de l'ouvrage. La SARL BET Boulard 14 ne peut donc utilement soutenir que sa responsabilité ne peut être engagée en raison de la réception de l'ensemble des travaux au cours de l'année 2013.

8. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction qu'au cours de la réfection de la façade de l'internat du lycée de Coutances, les anciennes fenêtres ont été déposées mais pour plus de la moitié n'ont pas été rebouchées, un simple bardage ayant été fixé sur les emplacements où elles étaient auparavant insérées. Il en résulte, d'après les constatations opérées par l'expert nommé par le juge des référés du tribunal administratif, que la pression de l'air sur les façades exposées au vent entraîne d'importantes circulations d'air depuis l'extérieur dans les locaux par les plénums des faux plafonds et génère à la fois des sifflements et des problèmes thermiques importants. Si la SARL BET Boulard 14 invoque l'existence de simples " inconforts " thermique et acoustique, il résulte de l'instruction que malgré le chauffage porté à un niveau maximum, certaines chambres de l'internat ne dépassent pas les températures de 13 ou 14 degrés. De telles températures, auxquelles s'ajoutent des sifflements dus aux courants d'air, ne permettent pas aux jeunes internes d'occuper sereinement, dans des conditions normales, leur chambre. Ce désordre est donc, contrairement à ce que soutient la société appelante, de nature à rendre l'immeuble impropre à sa destination et ainsi susceptible d'engager la responsabilité décennale des constructeurs. Par ailleurs, il résulte des constatations de l'expert que si le désordre est en partie imputable aux entreprises Cruard chargée du bardage et de l'isolation extérieure et Orquin, chargée des doublages intérieurs, qui auraient dû réagir en l'absence de comblement des baies laissées vacantes, le désordre est également imputable au groupement de maîtrise d'œuvre qui n'a pas prévu le comblement des fenêtres déposées. Or, il est constant que le bureau d'études Boulard 14 était le spécialiste des fluides et problèmes thermiques au sein du groupement de maîtrise d'œuvre. Il en résulte que le désordre consécutif à l'omission de comblement des fenêtres de la façade de l'internat du lycée de Coutances, lequel est à l'origine tant des températures trop basses que des sifflements dus aux courants d'air, est bien directement imputable à la SARL BET Boulard 14.

En ce qui concerne la réparation des désordres :

9. En premier lieu, le tribunal administratif n'a aucunement mis à la charge de la SARL BET Boulard 14 une somme au titre du désordre n° 2 relatif à l'apparition de moisissures sur les cloisons séparant les chambres et les blocs sanitaires.

10. En second lieu, les premiers juges ont évalué le montant du préjudice subi par la région Normandie du fait du désordre n° 1, consécutif à l'omission de combler la moitié des fenêtres déposées, à la somme globale de 280 718, 60 euros, représentant le coût des travaux de réfection retenus par l'expert à hauteur de 235 479, 60 euros ainsi qu'une somme de 45 239 euros correspondant, comme l'indiquent les premiers juges aux points 17 et 18 du jugement attaqué, à 95 % de la somme globale de 47 620 euros, mentionnée au point 17, dans la mesure où le désordre n° 1 représente 95 % des deux désordres cumulés. Il résulte en effet de l'instruction que la somme globale de 47 620 euros correspond aux frais annexes générés par les deux désordres indemnisés, s'ajoutant au coût des travaux de réfection eux-mêmes, soit des frais de publicité pour mise en concurrence, des honoraires de maitrise d'œuvre, le coût d'intervention d'un coordonnateur de sécurité, les aléas techniques prévisibles et les révisions et actualisations des prix. En se bornant à relever que le préjudice certain subi par le maître d'ouvrage devrait être limité strictement au coût des travaux de réfection, la SARL BET Boulard 14 ne conteste pas utilement les montants des divers frais annexes retenus par l'expert, dont le principe n'est pas sérieusement contesté au regard de l'ampleur et de la nature du chantier.

En ce qui concerne les appels en garantie :

11. Si la SARL BET Boulard 14 conteste l'évaluation à 45,5 % de sa part de responsabilité dans la réparation des préjudices, retenue par le tribunal administratif pour la condamner à garantir M. A..., et les sociétés Orquin, Zenone et Cruard à cette hauteur, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par les premiers juges aux points 10 à 13 de leur jugement.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL BET Boulard 14 n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen, d'une part, l'a condamnée solidairement avec M. A..., et les sociétés Zenone, Orquin et Cruard à verser à la région Normandie la somme de 280 718, 60 euros et, d'autre part, l'a condamnée à garantir M. A..., et les sociétés Orquin, Zenone et Cruard à hauteur de 45, 5 % de cette somme.

Sur l'appel provoqué de M. A... et de la Mutuelle des architectes français :

13. M. A..., architecte mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre, et son assureur demandent la réformation du jugement attaqué du tribunal administratif de Caen en tant qu'il a rejeté l'appel en garantie dirigé contre la société Dekra Industrial, contrôleur technique. Ces conclusions sont dirigées non contre l'appelante mais contre d'autres intimés et s'analysent ainsi comme des conclusions d'appel provoqué. Or ce qui est jugé sur l'appel principal n'aggrave pas la situation de M. A... et de son assureur. Par suite, leurs conclusions d'appel provoqué ne peuvent qu'être rejetées comme irrecevables.

Sur les conclusions des sociétés SARL Orquin, SAS Cruard Couverture et SARL G. Zenone Constructions :

14. Les sociétés SARL Orquin, SAS Cruard Couverture et SARL G. Zenone Constructions demandent à ce que la société BET Boulard 14 et M. A... soient condamnés à les garantir intégralement de toute condamnation prononcée à leur encontre au profit de la région Normandie au titre du désordre n°1 et à hauteur de 95% au titre des frais et honoraires de l'expert. Ces conclusions ne sont pas dirigées contre la seule appelante principale et ne sont pas provoquées par l'appel principal. Par suite, elles ne sont pas recevables.

Sur les frais du litige :

15. En premier lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la région Normandie et de la société Dekra Industrial, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, les sommes que la SARL BET Boulard 14 et M. A... demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SARL BET Boulard 14 la somme de 1 500 euros à verser à la région Normandie en application de ces mêmes dispositions.

16. Enfin, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SARL BET Boulard 14 les sommes que la SAS Fouchard, les sociétés SARL Orquin, SAS Cruard Couverture et SARL G. Zenone Constructions et la SAS Dekra Industrial demandent au titre de ces mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SARL BET Boulard 14 est rejetée.

Article 2 : La SARL BET Boulard 14 versera à la région Normandie la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les surplus des conclusions des parties sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL BET Boulard 14, à M. B... A... et à la Mutuelle des architectes français, à la société Dekra Industrial, aux sociétés SARL Orquin, SAS Cruard Couverture et SARL G. Zenone Constructions, à la SAS Fouchard, à la SAEM Normandie Aménagement, à la SELARL Guillaume Lemercier, liquidateur de la SAS BET Boulard et à la région Normandie.

Copie en sera adressée, pour information, à l'expert.

Délibéré après l'audience du 30 août 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 septembre 2022.

Le président de chambre,

rapporteur,

L. LAINÉ

L'assesseure la plus ancienne

dans le grade le plus élevé,

C. BRISSONLe président,

L. LAINE

La greffière,

S. LEVANT

La République mande et ordonne au préfet de la Manche en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 21NT01434

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT01434
Date de la décision : 16/09/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Laurent LAINE
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : DAVY RABAEY BOT

Origine de la décision
Date de l'import : 25/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-09-16;21nt01434 ?
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