Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... A..., M. B... A..., M. D... A... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 31 mars 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises en poste à Islamabad rejetant les demandes de visa de long séjour présentées par M. B... A..., M. D... A... et le jeune F... A....
Par un jugement n° 2105897 du 27 décembre 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision du 31 mars 2021 et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas de long séjour sollicités.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 23 février 2022, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 27 décembre 2021 ;
2°) de rejeter la demande présentée par les consorts A... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- aucune disposition du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'ouvre le bénéfice de la réunification familiale à la fratrie du réfugié majeur ;
- le tribunal ne pouvait accueillir les moyens tirés de la méconnaissance des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3§1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant sans rechercher s'il existait un rapport juridique de dépendance entre l'aîné et ses frères ;
- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, il n'est pas démontré que les frères se trouvant en Afghanistan seraient dans une situation de dépendance vis-à-vis de leur grand frère ni même de vulnérabilité ;
- il n'est pas davantage établi que leurs parents seraient décédés ni qu'ils seraient dépourvus de toute autre attache familiale en Afghanistan.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 mai 2022, M. E... A..., agissant en son nom personnel et pour le compte du jeune F... A..., M. B... A... et M. D... A..., représentés par Me Decoux, concluent au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
Vu :
- la décision n° 22NT00553 du 29 avril 2022 rejetant la demande de sursis à exécution du jugement attaqué ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les observations de Me Decoux, représentant les consorts A....
Considérant ce qui suit :
1. M. E... A..., ressortissant afghan né en 1984, entré en France en 2015, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié en 2016. Des demandes de visa de long séjour ont été formées par ses trois frères, Ali Reza A..., Mohammad A... et F... A..., nés respectivement, le 22 octobre 2000, le 18 avril 2003 et le 12 janvier 2009. Par une décision du 11 décembre 2019, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, saisie d'un recours formé le 17 octobre 2019, a maintenu les refus opposés à ces demandes par les autorités consulaires françaises en poste à Islamabad. Cette décision du 11 décembre 2019 a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Nantes du 8 février 2021 au motif que la situation des demandeurs et en particulier leur situation familiale n'avait pas été complètement analysée. A la suite de ce jugement, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a réexaminé le recours du 17 octobre 2019 et, par une décision du 31 mars 2021, de nouveau rejeté ce recours. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 27 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a, à la demande des consorts A..., annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 31 mars 2021 et lui a enjoint de délivrer les visas de long séjour sollicités.
Sur l'annulation prononcée par les premiers juges :
2. Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du certificat administratif n° 226803 délivré le 2 juillet 2018 par une juridiction afghane et le certificat administratif n° 177923 délivré par cette même autorité le 1er juillet 2017 que la mère de E..., Ali Reza, Mohammad et F... A... est décédée le 14 avril 2009 tandis que leur père est décédé le 28 août 2014. Les trois plus jeunes frères étaient âgés de treize, onze et cinq ans lorsqu'ils ont perdu leur père. Les requérants soutiennent, par ailleurs, que M. E... A... s'est occupé de ses frères dès 2010 en raison de l'état de santé dégradé de leur père. M. E... A... s'est rendu en France en décembre 2015 pour participer à un évènement culturel puis est demeuré sur le territoire français où la qualité de réfugié lui a été reconnue en 2016. Selon la traduction du certificat, mentionné ci-dessus, du 1er juillet 2017, " Les parents sont décédés depuis de nombreuses années. Les enfants sont placés de façon informelle et temporaire chez [leur oncle maternel] dont la situation économique (...) ne permet plus de garder les enfants à sa charge. ". La prise en charge des trois frères, alors âgés de seize, quatorze et huit ans, a été confiée à M. E... A.... Les requérants justifient des transferts d'argent adressés, entre 2019 et 2022, par M. E... A... soit à son frère cadet soit à des membres de la famille de son épouse s'occupant ponctuellement des frères. Alors même que ces derniers ne seraient pas dépourvus de toute attache familiale ou privée en Afghanistan, les refus de visa qui leur ont été opposés alors que leurs parents sont décédés et que leur frère aîné, qui s'est occupé d'eux depuis 2010 et subvient à leurs besoins, est réfugié en France, ont porté à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels ces décisions de refus ont été prises. Il s'ensuit que la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 2 mars 2021 qui maintient les refus opposés aux demandes de visa de long séjour présentées par Ali Reza A..., Mohammad A... et F... A... méconnaît les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
4. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 2 mars 2021 et lui a enjoint de délivrer les visas sollicités par Ali Reza A..., Mohammad A... et F... A....
Sur les frais liés au litige :
5. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y pas lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement aux requérants d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par les consorts A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A..., M. B... A..., M. D... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 5 juillet 2022, à laquelle siégeaient :
M. Pérez, président de chambre,
Mme Douet, présidente-assesseure,
Mme Bougrine, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 juillet 2022.
La rapporteure,
K. C...
Le président,
A. PEREZLa greffière,
A. LEMEE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT00552