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22/07/2022 | FRANCE | N°21NT02501

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 22 juillet 2022, 21NT02501


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 19 novembre 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours contre la décision des autorités consulaires françaises à Bamako (Mali) du 3 août 2020 rejetant sa demande de visa de long séjour au titre du regroupement familial.

Par un jugement no 2101007 du 7 juillet 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédur

e devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 septembre 2021 et l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 19 novembre 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours contre la décision des autorités consulaires françaises à Bamako (Mali) du 3 août 2020 rejetant sa demande de visa de long séjour au titre du regroupement familial.

Par un jugement no 2101007 du 7 juillet 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 septembre 2021 et le 7 juin 2022, Mme D... B... épouse A... et M. E... A..., représentés par Me Gerard, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme B... le visa sollicité ou, à défaut, de réexaminer la demande, dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que sa minute n'a pas été signée conformément à l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation sur l'identité et le lien de famille.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 octobre 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité de la requête en tant qu'elle émane de M. A... dès lors qu'il n'était ni partie ni mis en cause devant le tribunal administratif de Nantes.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. E... A..., ressortissant malien né le 1er janvier 1993, a obtenu, le 28 février 2019, le bénéfice d'une autorisation de regroupement familial en faveur de son épouse alléguée, Mme D... B..., ressortissante malienne née le 5 mars 1998 à Bamako (Mali). Une demande de visa d'entrée et de long séjour pour cette dernière a été présentée le 12 avril 2019 auprès des autorités consulaires françaises à Bamako, lesquelles l'ont rejetée, par une décision du 3 août 2020. Par une décision du 19 novembre 2020, dont la requérante demande l'annulation, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé devant elle contre la décision consulaire.

Sur la recevabilité de la requête en tant qu'elle émane de M. A... :

2. Aux termes de l'article R. 811-1 du code de justice administrative : " Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu'elle n'aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance. "

3. Il ressort des pièces du dossier que M. A... n'a pas été mis en cause, et ne devait d'ailleurs pas l'être, dans l'instance à laquelle a donné lieu, devant le tribunal administratif de Nantes, la demande de Mme B... épouse A... tendant à l'annulation de la décision du 19 novembre 2020 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. M. A... est donc sans qualité et par suite irrecevable à relever appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes a statué sur cette demande.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. Pour rejeter le recours formé devant elle contre le refus de l'autorité consulaire de délivrer un visa de long séjour à Mme B..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré de ce que " l'acte de naissance de Mme B... D... a été transcrit le 28 août 2018 selon jugement supplétif tardif, 20 ans après l'évènement, soit postérieurement à la délivrance de son passeport et six mois après son mariage avec M. A... E..., ce qui lui ôte toute valeur probante. Dans ces conditions, et en l'absence d'éléments probants de possession d'état, l'identité de la demanderesse et, partant, le lien familial allégué avec le regroupant, ne sont pas établis ; la production de ces documents relevant, au surplus, d'une intention frauduleuse. "

5. Lorsque la venue d'une personne en France a été autorisée au titre du regroupement familial, l'autorité consulaire n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin que pour un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère probant des actes d'état-civil produits pour justifier de l'identité et, le cas échéant, du lien familial de l'intéressé avec le réfugié

6. D'une part, aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

7. D'autre part, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.

8. Il ressort des pièces du dossier que, pour établir son identité, Mme B... a présenté, à l'appui de sa demande de visa, un jugement supplétif rendu le 23 août 2018 par le tribunal de grande instance de la commune II du district de Bamako ainsi qu'un acte de naissance no 568 établi, par transcription de ce jugement, le 28 août 2018 dans les registres du centre d'état civil principal de Missira, commune II. Elle a également produit, à l'appui de son recours contentieux, un extrait d'acte de naissance no 1623 établi le 20 août 1998 dans les registres du centre d'état civil principal de Sogoniko, commune VI. La requérante soutient que cet extrait de l'acte de naissance établi en 1998 avait été égaré par son mari lorsqu'il est rentré en France à la suite de leur mariage au Mali en février 2018, ce qui les a conduits à engager des démarches afin d'obtenir un nouvel acte de naissance, par l'établissement d'un jugement supplétif. Si le ministre fait valoir à raison que la requérante aurait pu, par application des dispositions des articles 63 et suivants de la loi malienne du 28 juin 2006, se voir délivrer des copies d'extraits de son acte de naissance, cette circonstance ne permet pas, dans les circonstances particulières de l'espèce, d'établir l'intention frauduleuse de Mme B... à avoir sollicité le jugement supplétif rendu le 23 août 2018. Par ailleurs, les mentions des nom, prénom, sexe, date et lieu de naissance de l'intéressée qui figurent dans les actes dressés en 1998 et 2018 concordent, de même que les mentions des nom, prénom, domicile et profession de ses parents, à l'exception du prénom de la mère de l'intéressée qui est orthographié " Aïssata " dans l'extrait de l'acte dressé en 1998 et " Assitan " dans l'acte dressé en 2018, cette dernière orthographe étant conforme aux mentions qui figurent dans le jugement supplétif et dans les autres actes d'état civil de la requérante. La requérante produit également son permis de conduire délivré le 18 octobre 2019, son passeport établi le 7 mai 2018 et sa carte nationale d'identité malienne établie le 15 décembre 2017, et soutient qu'elle a fourni ce dernier document d'identité pour attester de son identité le jour de son mariage avec M. A.... Dans ces conditions, en estimant que l'identité de la requérante n'était pas établie et que les documents présentés révélaient une intention frauduleuse, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a inexactement apprécié les faits de l'espèce.

9. Cependant, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

10. Pour établir que la décision contestée était légale, le ministre de l'intérieur a invoqué, dans son mémoire en défense de première instance communiqué à la requérante, un autre motif tiré de ce que le lien matrimonial n'est pas établi par les actes d'état civil produits.

11. Afin d'établir la réalité de son mariage avec M. A... le 8 février 2018, la requérante verse au dossier un extrait, une copie littérale et un volet no 3 de l'acte de mariage no 48 établi le 8 février 2018 par l'officier d'état civil du centre principal de Missira (Bamako, commune II). Contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, l'ensemble de ces documents porte le même numéro 48, alors même que certains d'entre eux y accolent la référence au registre no 1 de l'année en cause. Les noms et prénoms, dates et lieux de naissance de chacun des époux sont identiques sur tous ces documents, de même que l'identité de leurs parents, à l'exception d'une erreur matérielle du prénom du père de l'époux orthographié " Makancir " dans l'extrait d'acte de mariage et " Makanciré " dans les autres documents. Si le ministre fait encore valoir qu'une autre copie littérale de l'acte de mariage, établie le 5 septembre 2018, ne fait pas apparaître l'identité des témoins des époux, cette identité figure de façon concordante sur les autres documents produits. Enfin, la discordance entre deux documents relative au montant de la dot et les autres irrégularités alléguées de certains documents tenant à la présence d'abréviation quant à certains lieux et à des mentions en chiffres et non en lettres ne sont, en l'espèce, pas de nature à priver l'acte de mariage des requérants de sa valeur probante. Enfin, l'intention frauduleuse alléguée par le ministre n'est établie par aucune des pièces versées au dossier, la requérante versant d'ailleurs en appel des photographies de son mariage avec M. A... et de nombreux justificatifs de transferts d'argent de celui-ci à son profit, ainsi que des preuves des séjours de son mari au Mali pour l'y retrouver. Dès lors, le nouveau motif invoqué par le ministre n'est pas de nature à fonder légalement la décision contestée.

12. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme B... épouse A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

13. Le présent arrêt implique, eu égard aux motifs qui le fondent, que le ministre de l'intérieur fasse droit à la demande de Mme B... épouse A.... Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa de long séjour sollicité par Mme B... épouse A... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 200 euros à verser à Mme B... épouse A... au titre des frais liés à l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 7 juillet 2021 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 19 novembre 2020 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de faire droit à la demande de Mme B... épouse A... tendant à se voir délivrer un visa de long séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'État versera à Mme B... épouse A... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... épouse A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... épouse A..., à M. E... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 21 juin 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Douet, présidente de la formation de jugement,

- M. Bréchot, premier conseiller,

- Mme Bougrine, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 juillet 2022.

Le rapporteur,

F.-X. C...La présidente,

H. Douet

La greffière,

A. Lemée

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 21NT02501


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT02501
Date de la décision : 22/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme DOUET
Rapporteur ?: M. François-Xavier BRECHOT
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : GERARD COLINE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-07-22;21nt02501 ?
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