Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. G... A..., agissant en qualité de représentant légal de ses enfants mineurs H... C... A... et D... A..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 3 octobre 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision de l'ambassade de France en Guinée du 2 juin 2020, rejetant les demandes de visas de long séjour présentées pour Mohammad Lamine A... et Mariam A... en qualité de bénéficiaires de la procédure de regroupement familial, ainsi que la décision consulaire.
Par un jugement no 2010138 du 19 avril 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 juin 2021, M. G... A..., agissant en qualité de représentant légal de ses enfants mineurs H... C... A... et D... A..., représentés par Me Cuzin-Tourham, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France méconnaît les dispositions des articles L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 47 du code civil et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 août 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 22 décembre 2021, l'instruction a été close le 26 janvier 2022.
Un mémoire a été présenté par M. A... le 24 juin 2022, postérieurement à la clôture de l'instruction, et n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. F...,
- et les observations de Me Régent, substituant Me Cuzin-Tourham, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. G... A..., ressortissant guinéen né le 28 décembre 1988, a obtenu le 30 septembre 2016 l'autorisation du préfet du Bas-Rhin de regroupement familial au profit de ses enfants allégués H... C... A... et D... A..., nés respectivement le 5 mai 2006 et le 3 octobre 2008. Ces derniers ont, pour la troisième fois, sollicité le 14 janvier 2020 un visa de long séjour en qualité de bénéficiaires de la procédure de regroupement familial auprès de l'ambassade de France en Guinée. Par une décision du 2 juin 2020, cette autorité a rejeté ces demandes. Par une décision implicite née le 3 octobre 2020, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre ces décisions consulaires. M. A... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 3 octobre 2020.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
2. En vertu des dispositions combinées des articles R. 414-1 et R. 611-8-4 du code de justice administrative, lorsqu'une partie adresse à la juridiction un mémoire ou des pièces par l'intermédiaire de l'application informatique dénommée Télérecours, son identification selon les modalités prévues pour le fonctionnement de cette application vaut signature pour l'application des dispositions du code de justice administrative.
3. Il ressort du dossier de première instance que la demande de M. A... au tribunal administratif de Nantes a été présentée par son avocat au moyen de l'application Télérecours. En application des dispositions mentionnées au point précédent, la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur à la demande de première instance et tirée de l'absence de la signature de la demande doit être écartée.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France :
4. Il ressort du mémoire en défense présenté par le ministre de l'intérieur en première instance que la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est fondée sur le motif tiré de ce que les documents d'état-civil produits étant dépourvus de valeur probante et en l'absence d'éléments de possession d'état, l'identité des demandeurs de visas et leur lien familial à l'égard de M. A... ne sont pas établis.
5. D'une part, aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
6. D'autre part, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
7. Pour justifier de leur identité et de leur lien de filiation avec M. A..., les demandeurs de visa produisent, d'une part, le volet no 1 de deux actes de naissance nos 876 et 1992 dressés par l'officier d'état civil de la ville de Ratoma, respectivement, le 22 mai 2006 pour le jeune H... C... A... et le 17 octobre 2008 pour la jeune D... A..., d'autre part, des jugements supplétifs d'acte de naissance nos 31106 et 31109 rendus par le tribunal de première instance de Conakry II le 24 novembre 2015 ainsi que les extraits des actes de naissance nos 4046 et 4047 délivrés le 26 novembre 2015 qui en assurent la transcription, et, enfin, deux nouveaux jugements supplétifs d'acte de naissance nos 14374 et 14375, rendus le 18 juillet 2018 par la même juridiction après que celle-ci eut annulé ses précédents jugements nos 31106 et 31109 par un jugement du 4 juillet 2018 au motif que ceux-ci avaient été transcrits avant l'expiration du délai d'appel, ainsi que de nouveaux extraits des actes de naissances nos 3810 et 3811 dressés le 23 août 2018 qui en assurent la transcription. Le ministre de l'intérieur ne peut utilement soutenir que les jugements supplétifs rendus le 18 juillet 2018 ne comportent pas toutes les mentions requises par les articles 175, 196 et 183 du code civil guinéen dès lors que ces dispositions sont applicables à l'établissement des actes d'état civil et non à celui d'un jugement supplétif d'acte de naissance. Par ailleurs, si le ministre de l'intérieur fait valoir que ces jugements ont été rendus au lendemain de l'enregistrement des requêtes, cette circonstance n'est pas, à elle seule, de nature à établir en l'espèce leur caractère frauduleux. Il en va de même des irrégularités affectant les actes de naissance dressés en transcription de ces jugements, en tant qu'ils comportent des dates portées en chiffre en contrariété avec l'article 179 du code civil guinéen, et du fait qu'ils n'ont pas fait l'objet d'une légalisation en contrariété avec l'article 182 du même code. Par ailleurs, ni la circonstance que le jugement de divorce des époux A... rendu le 30 décembre 2011 par le tribunal de première instance de Conakry II comporte des erreurs sur les prénoms des enfants, indiqués comme étant Lamine et Mariama au lieu de Mohammad Lamine et Mariam, ni le fait que leur mère, Mme E... B..., ait présenté lors d'une précédente demande de visas des enfants un passeport frauduleux indiquant qu'elle était née le 21 mars 2000 au lieu du 3 avril 1990, ne sont en l'espèce de nature à établir le caractère frauduleux des jugements supplétifs produits. Contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, la circonstance que, du fait de l'intervention des derniers jugements supplétifs rendus le 18 juillet 2018 après l'annulation des jugements supplétifs du 24 novembre 2015, les 11ème, 12ème et 13ème chiffres du numéro d'identification national unique des passeports des enfants figurant sur leurs passeports délivrés en 2016 ne correspondent pas au numéro des actes de naissance dressés le 23 août 2018, postérieurement à l'établissement de ces passeports, est sans incidence sur la portée et l'authenticité des jugements supplétifs en cause. Enfin, s'il est vrai que la production de plusieurs actes de naissance différents pour une même personne est, en principe, de nature à remettre en cause leur valeur probante et que l'établissement d'un jugement supplétif d'acte de naissance n'était pas nécessaire dès lors que les intéressés disposaient d'actes de naissance dressés immédiatement après leur naissance, il ressort des pièces du dossier que les différents actes en cause comportent des mentions concordantes, tandis que M. A... explique de façon circonstanciée qu'il a été induit en erreur par les personnes qu'il a mandatées en Guinée pour effectuer les démarches en vue de solliciter la délivrance de visas d'entrée en France et de passeports pour ses enfants. Dès lors, c'est par une inexacte appréciation des faits de l'espèce que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a estimé que l'identité des demandeurs de visa et leur lien familial avec M. A... n'étaient pas justifiés.
8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Le présent arrêt implique, eu égard aux motifs qui le fondent, que le ministre de l'intérieur fasse droit à la demande de visa des jeunes H... C... A... et D... A.... Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa de long séjour sollicité par les jeunes H... C... A... et D... A..., dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 200 euros à verser à M. A... au titre des frais liés à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 19 avril 2021 et la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de faire droit à la demande des jeunes H... C... A... et D... A... tendant à se voir délivrer un visa de long séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à M. A... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 5 juillet 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Douet, présidente-assesseure,
- M. Bréchot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 juillet 2022.
Le rapporteur,
F.-X. F...Le président,
A. Pérez
La greffière,
A. Lemée
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 21NT01639