Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par un arrêt du 8 mars 2022, la cour d'appel de Caen a, sur le fondement de l'article 49 du code de procédure civile, saisi le tribunal administratif de Rennes d'une question préjudicielle, enregistrée le 14 mars 2022, portant sur l'appartenance au domaine public maritime d'un mur de soutien des terres en bordure de plage et d'une falaise surplombant la plage, en limite du centre hélio-marin de Plérin, qui se sont respectivement effondré et éboulé le 28 février 2010.
Par une ordonnance du 7 avril 2022, le président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Rennes a, sur le fondement des articles R. 351-3 et R. 345-2 du code de justice administrative, renvoyé le dossier de la question préjudicielle de la Cour d'appel de Caen à la cour administrative d'appel de Nantes.
Procédure devant la cour :
Par un mémoire, enregistré le 25 mai 2022, l'association Altygo, représentée par Me Renard, demande à la cour de dire que :
- le mur effondré soutenant les terres lui appartenant n'était pas incorporé au domaine public maritime à la date du 28 février 2010 ;
- le mur a pu être incorporé au domaine public maritime postérieurement au 28 février 2010 ;
- la falaise effondrée n'est pas incorporée au domaine public maritime.
Elle soutient que :
- le mur sinistré n'était pas, à la date du sinistre le 28 février 2010, incorporé au domaine public maritime en application des dispositions de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques :
o le fait que la digue située devant le mur était recouverte par la mer n'établit pas le mur sinistré était recouvert par les plus hautes mers en 2010, s'agissant de deux ouvrages distincts sans aucune fondation commune ;
o les fondations du mur étant plus hautes que celles de la digue, cette dernière ne permet pas de soustraire artificiellement le mur à l'action des flots ;
o les plus hautes eaux exceptionnelles ne correspondent pas aux plus hautes mers au sens des dispositions du code général de la propriété des personnes publiques ; elles sont purement théoriques ; en revanche, le mur n'est pas atteint par les plus hautes mers définies par le trait de côte Histolitt (TCH) ;
o le niveau de la mer avait augmenté entre le sinistre de 2010 et les constatations opérées par le sapiteur plus de quatre ans après ;
o le nouveau mur reconstruit après le sinistre ne permet pas non plus d'établir que le mur était atteint par les plus hautes mers en 2010, alors même que le niveau de la mer a augmenté de presque quatre centimètres durant la période ;
o les éléments figurant dans le plan de prévention des risques littoraux de la Baie de Saint-Brieuc approuvé en décembre 2016 sont postérieurs au sinistre ; le plan qui a pour objet la prévention d'événements météorologiques exceptionnels ne permet pas la délimitation du rivage de la mer ;
o si le mur devait actuellement être regardé comme incorporé en partie au domaine public maritime, cette incorporation serait postérieure au sinistre ;
- la falaise n'était pas, à la date du sinistre le 28 février 2010, incorporée au domaine public maritime en application des dispositions de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques :
o aucun élément ne permet d'établir que la falaise est atteinte par l'action des flots ; la falaise est précédée par un mur perré, ouvrage de protection, lequel n'est pas submergé lors des plus hautes mers ; la falaise est située en recul du mur sinistré ;
o l'éboulement de la falaise n'est pas dû principalement à un phénomène d'érosion mais à une pluviométrie exceptionnelle le 27 février 2010 ;
o le domaine public maritime ne comprend pas la masse des eaux ; la partie de la falaise ne peut être incorporée au domaine public maritime puisqu'elle est située à plus de onze mètres en surplomb de la plage.
Par un mémoire, enregistré le 21 juin 2022, la société anonyme (SA) SMA et la SAS Eurovia Bretagne, représentées par Me Leroux, demandent à la cour de juger que le mur effondré soutenant les terres appartenant à l'association Altygo était incorporé au domaine public maritime à la date du 28 février 2010.
Elles soutiennent que le mur effondré doit être regardé comme relevant du domaine public maritime en application du dernier alinéa de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques ; l'association ne justifie pas de l'existence d'un acte de concession translatif de propriété ; il n'est pas justifié d'une procédure de délimitation du domaine public ; le mur constitue un ouvrage de défense littorale en contact direct avec la mer ; la banquette a pour unique objet de renforcer la protection du mur par rapport à l'action des vagues ; doit par ailleurs être prise en compte la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, la commune de Plérin étant une commune littorale prioritaire.
Par un mémoire, enregistré le 21 juin 2022, la Mutuelle assurance des instituteurs de France, représentée par Me Fergon, demande à la cour de dire que le mur et la falaise effondrés au droit de la propriété de l'association Altygo étaient incorporés au domaine public maritime à la date du 28 février 2010.
Elle soutient que :
- le mur effondré le 28 février 2010, dont on ne sait par qui il a été édifié et qui n'était pas entretenu par l'association Altygo, était implanté sur le domaine public maritime ; il est artificiel de faire la distinction entre la banquette en béton et le mur qui repose sur elle ; cette banquette est immergée aux plus hautes mer ainsi que la base du mur lui-même ; les terrains artificiellement soustraits à l'action de la mer, par exemple par un mur remplissant une fonction de digue, demeurent intégrés au domaine public maritime en application de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques ; le mur est également intégré au domaine public maritime en raison de la théorie de la domanialité publique globale et de la théorie de l'accession de l'article 552 du code civil ; le fait que le mur constitue une digne est conforté par l'analyse des services de l'Etat pour la rédaction du plan de prévision contre les risques d'inondation littorale ;
- la falaise effondrée le 28 février 2010, avait sa base immergée en période de vives eaux, la digue à son pied n'étant réputée efficace qu'en période de mortes eaux ; la falaise constituant un ensemble, la limite de la domanialité publique ne peut être que le sommet de la falaise.
Par un mémoire, enregistré le 23 juin 2022, la SAS Apave Nord Ouest et la SA Lloyd's Insurance Compagny, représentées par Me Noury, demandent à la cour de juger que le mur et la falaise litigieux étaient avant le sinistre et sont actuellement incorporés au domaine public maritime.
Elles soutiennent que le mur et la falaise relèvent du domaine public maritime dès lors qu'ils voient leurs bases immergées à chaque marée haute, conformément aux dispositions du 1° de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques ; le mur repose sur une banquette qui fait partie du domaine public maritime et constitue lui-même une digue faisant partie du domaine public maritime artificiel ; l'association ne démontre pas être propriétaire du mur ou de la falaise ni avoir assumé la moindre obligation d'entretien.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de procédure civile ;
- la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Béria-Guillaumie, première conseillère,
- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,
- et les observations de Me Bruckmann, représentant la Mutuelle assurance des instituteurs de France, de Me Guillois, représentant ALTYGO, et de Me English représentant les sociétés Eurovia Bretagne et SMAD.
Considérant ce qui suit :
1. L'association de l'œuvre d'hygiène sociale des Côtes d'Armor, devenu ultérieurement Objectif Handicap Solidarités puis Altygo, exploite, en surplomb de la plage des Nouelles de Saint-Laurent, un centre de rééducation fonctionnelle, dénommé centre hélio-marin, situé 17 rue du docteur A... à Plérin. L'assureur de l'association pour le centre hélio-marin est la Mutuelle assurance des instituteurs de France (MAIF). Le 28 février 2010, à l'occasion de la tempête " Xynthia ", une partie du mur de soutien du terrain d'assiette du centre hélio-marin construit en bordure de la plage de Plérin et une partie de la falaise surplombant la plage se sont effondrées. L'association a déclaré le sinistre auprès de son assureur le 4 mars suivant. En janvier 2012, la MAIF a effectué une proposition d'indemnisation à son assurée. Insatisfaite du montant proposé qui ne prenait pas en compte les dommages affectant la falaise, l'association Objectif Handicap Solidarité a saisi le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc, lequel a procédé à la désignation d'un expert. Ce dernier a rendu son rapport en octobre 2015. Par un jugement du 26 septembre 2016, le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc a condamné la MAIF à indemniser l'association, au titre de la garantie du risque de catastrophe naturelle, pour les préjudices résultant de l'effondrement du mur de soutènement et de l'effondrement de la falaise et de la voirie desservant le bâtiment Nord du centre hélio-marin. Par un arrêt du 18 décembre 2019, la cour d'appel de Rennes, saisie par la MAIF, a confirmé la condamnation de l'assureur à indemniser l'association Altygo des désordres résultant de l'effondrement du mur de soutènement et de l'éboulement de la falaise et de la voirie. Néanmoins, par un arrêt du 24 mars 2021, la première chambre civile de la Cour de cassation a cassé et annulé toutes les dispositions de l'arrêt de la cour d'appel de Rennes et renvoyé l'affaire à la cour d'appel de Caen. Cette dernière, par un arrêt du 8 mars 2022, a renvoyé au tribunal administratif de Rennes une question préjudicielle sur la domanialité du mur de soutien et de la falaise qui se sont effondrés en février 2010. Le tribunal administratif de Rennes a renvoyé l'examen de la question préjudicielle à la cour administrative d'appel de Nantes en application des dispositions des articles R. 351-3 et R. 345-2 du code de justice administrative.
2. La cour d'appel de Caen pose à la juridiction administrative les questions préjudicielles suivantes : " 1° dire si le mur effondré soutenant les terres appartenant à la société Altygo était incorporé au domaine public maritime à la date du 28 février 2010, / 2° dire s'il l'a été par la suite et à quelle date, / 3° dire si la falaise effondrée était incorporée au domaine public maritime à la date du 28 février 2010 et jusqu'à quel niveau, / 4° dire si elle l'a été par la suite et à quelle date ".
3. L'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques dispose que : " Le domaine public maritime naturel de L'Etat comprend : / 1° Le sol et le sous-sol de la mer entre la limite extérieure de la mer territoriale et, côté terre, le rivage de la mer. / Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu'elle couvre et découvre jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles ; / 2° Le sol et le sous-sol des étangs salés en communication directe, naturelle et permanente avec la mer ; / 3° Les lais et relais de la mer : / a) Qui faisaient partie du domaine privé de l'Etat à la date du 1er décembre 1963, sous réserve des droits des tiers ; / b) Constitués à compter du 1er décembre 1963. (...) / Les terrains soustraits artificiellement à l'action du flot demeurent compris dans le domaine public maritime naturel sous réserve des dispositions contraires d'actes de concession translatifs de propriété légalement pris et régulièrement exécutés ". Par ailleurs l'article L. 2111-6 du même code dispose que : " Le domaine public maritime artificiel est constitué : / 1° Des ouvrages ou installations appartenant à une personne publique mentionnée à l'article L. 1, qui sont destinés à assurer la sécurité et la facilité de la navigation maritime ; / 2° A l'intérieur des limites administratives des ports maritimes, des biens immobiliers, situés en aval de la limite transversale de la mer, appartenant à l'une des personnes publiques mentionnées à l'article L. 1 et concourant au fonctionnement d'ensemble des ports maritimes, y compris le sol et le sous-sol des plans d'eau lorsqu'ils sont individualisables ".
Sur le mur de soutien :
4. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment des constatations opérées par l'expert nommé par la juridiction judiciaire, que le mur litigieux, dont une partie s'est effondrée le 28 février 2010, a été construit au début du XXème siècle, probablement entre 1910 et 1921 à hauteur moindre que celle qu'il avait lors de son effondrement en février 2010. Ce mur a ensuite fait l'objet d'un rehaussement. Il résulte d'une photographie figurant dans les archives départementales, non datée mais dont il est admis qu'elle représente la situation en 1910, que le mur initial déjà présent était séparé de la plage par quelques arbres, cette surface boisée ne devant dès lors pas être recouverte à l'époque par les plus hautes mers. Il résulte également de l'instruction qu'en février 2010 comme aujourd'hui, le mur soutenant le terrain d'assiette du centre hélio-marin ne jouxte pas directement la plage des Nouelles mais en est séparé par une " banquette " en béton, implantée plus profondément que le mur dans le sous-sol. Le mur appartenant à l'association Altygo et cette banquette donnant sur la plage constituent deux ouvrages distincts. Il ne résulte pas de l'instruction que les plus hautes mers, en dehors de perturbations météorologiques exceptionnelles comme celle de la tempête " Xynthia " intervenue en février 2010, dépassaient cette banquette située à l'avant du mur litigieux. Par ailleurs, il résulte de l'instruction, notamment de la cartographie du trait de côte Histolitt, produite à l'appui de ses écritures par l'association Altygo et librement consultable sur le site internet du gouvernement " geoportail ", que ce trait de côte, qui matérialise en l'état des connaissances la laisse des plus hautes mers dans le cas d'une marée astronomique de coefficient 120 et dans des conditions météorologiques normales, se situe en devant du mur litigieux et ne l'inclut aucunement. Dès lors, il ne résulte pas de l'instruction que la parcelle sur laquelle est implantée le mur litigieux était recouverte, en février 2010, par les plus hautes mers en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles, ni n'en avait été artificiellement soustraite. Il suit de là qu'en février 2010, date du sinistre en cause, le mur de soutien du terrain d'emprise du centre hélio-marin n'était pas implanté sur une parcelle du domaine public maritime.
5. En second lieu, la seule circonstance, établie par une photographie accompagnant un constat d'huissier d'octobre 2021, que le flot de la marée haute atteint le bord de la banquette située en contrebas du mur litigieux et que des vagues peuvent atteindre le bas du mur sous l'effet du vent ne permet pas d'établir qu'à la date de lecture de l'arrêt, la ligne des plus hautes mers en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles ait reculé jusqu'au mur en cause. Il suit de là qu'à la date de lecture de l'arrêt, le mur de soutien du terrain d'emprise du centre hélio-marin n'est pas implanté sur une parcelle du domaine public maritime.
Sur la falaise :
6. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment des constatations opérées par l'expert nommé par le juge judiciaire, que la partie de la falaise au nord du terrain de l'association Altygo, qui s'est effondrée en février 2010, était située à une dizaine de mètres au-dessus de la plage et en outre à l'arrière d'un ouvrage en plan incliné servant de digue. Il ne résulte dès lors pas de l'instruction, alors surtout que le domaine public maritime naturel ne comprend que le sol et le sous-sol recouvert par les plus hautes mers et non le surplomb de ceux-ci, qu'en février 2010 la falaise en cause aurait été recouverte par les plus hautes mers en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles, ni ne pouvait être regardée comme un lais ou relais de la mer. Dans ces conditions, à la date du sinistre, la falaise éboulée à proximité des bâtiments nord du centre hélio-marin ne relevait pas du domaine public maritime.
7. En second lieu, alors même que la falaise en cause est séparée de la plage par un ouvrage en plan incliné et que l'éboulement a pu avoir pour effet de reculer la falaise par rapport au trait de côte, il ne résulte aucunement de l'instruction qu'à la date de mise à disposition du présent arrêt, une partie de la falaise soit recouverte par les plus hautes mers en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles. Il suit de là qu'à la date de prononcé de l'arrêt, la falaise au nord de la plage des Nouelles au niveau des bâtiments nord du centre hélio-marin ne relève pas du domaine public maritime.
DECIDE :
Article 1er : Il est répondu à la question préjudicielle renvoyée par la cour d'appel de Caen que :
- le mur effondré soutenant les terres appartenant à la société Altygo n'était pas implanté en février 2010 sur une parcelle du domaine public maritime ;
- à la date de prononcé du présent arrêt, le mur de soutien du terrain d'assiette du centre hélio-marin n'est pas davantage implanté sur une parcelle du domaine public maritime ;
- la falaise effondrée en février 2010 ne relevait pas du domaine public maritime ;
- la falaise ne relève pas du domaine public maritime à la date de prononcé de l'arrêt.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la Mutuelle assurance des instituteurs de France, à l'association Altygo, à la société Blezat, à la société Allianz Iard, à la société Apave Nord-Ouest, à la société Lloyds Insurance Company, à la société Eurovia Bretagne, et à la société SMA.
Une copie en sera adressée pour information à la cour d'appel de Caen.
Délibéré après l'audience du 28 juin 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère,
- Mme Chollet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juillet 2022.
La rapporteure,
M. BÉRIA-GUILLAUMIELe président,
L. LAINÉ
La greffière,
S. LEVANT
La République mande et ordonne au préfet des Côtes-d'Armor en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT01246