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13/07/2022 | FRANCE | N°22NT01025

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 13 juillet 2022, 22NT01025


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 21 février 2022 par laquelle le préfet de Maine-et-Loire a prononcé son transfert auprès des autorités estoniennes pour l'examen de sa demande d'asile et la décision du même jour par laquelle le préfet l'a assignée à résidence.

Par un jugement n° 2202481 du 3 mars 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 avr

il 2022, Mme A... B..., représentée par Me Chauvière, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 21 février 2022 par laquelle le préfet de Maine-et-Loire a prononcé son transfert auprès des autorités estoniennes pour l'examen de sa demande d'asile et la décision du même jour par laquelle le préfet l'a assignée à résidence.

Par un jugement n° 2202481 du 3 mars 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 avril 2022, Mme A... B..., représentée par Me Chauvière, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2202481 du tribunal administratif de Nantes du 3 mars 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 21 février 2022 par laquelle le préfet de Maine-et-Loire a prononcé son transfert auprès des autorités estoniennes pour l'examen de sa demande d'asile et la décision du même jour par laquelle le préfet l'a assignée à résidence ;

3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire à titre principal de prendre en charge sa demande d'asile et de lui remettre une attestation de demande d'asile en procédure normale, ou à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai de 48 heures ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son avocate au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat.

Elle soutient que :

. en ce qui concerne la décision portant transfert aux autorités estoniennes :

- la décision est insuffisamment motivée en méconnaissance de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ; la décision ne précise pas le cadre de la procédure de transfert, ni le critère de responsabilité retenu ;

- le défaut de motivation démontre un défaut d'examen rigoureux et approfondi notamment du risque de violation des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- les dispositions de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues ;

- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation quant à l'application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ; elle est dans une situation de particulière vulnérabilité en raison de son statut de demandeur d'asile, des persécutions subies dans son pays d'origine, de ses problèmes de santé ;

. en ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :

- la décision est insuffisamment motivée en méconnaissance de l'article L. 732-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; les critères de l'assignation à résidence, soit l'impossibilité pour l'étranger de quitter immédiatement le territoire français et l'exécution du transfert qui demeure une perspective raisonnable, ne figurent pas dans la décision ; la durée de l'assignation n'est pas motivée ;

- la décision méconnait les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et n'a aucune justification en dehors de la procédure Dublin initiée à son encontre ; la décision l'oblige à se rendre au commissariat central de Nantes alors qu'elle vit avec son fils sur le territoire de la commune de Saint-Nazaire, où son fils est scolarisé depuis novembre 2021 ;

- la décision méconnait le droit au recours effectif en réduisant son délai de recours contentieux à 48 heures.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 juin 2022, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le délai de transfert de Mme B... vers l'Estonie est reporté au 4 septembre 2022 ;

- les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 23 mars 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Béria-Guillaumie, première conseillère,

- et les observations de Me Chauvière, représentant Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante russe née en septembre 1981, est entrée en France en octobre 2021 en compagnie de son fils. Elle a déposé une demande d'asile qui a été enregistrée le 13 octobre 2021. Par une décision du 21 février 2022, le préfet de Maine-et-Loire a prononcé son transfert auprès des autorités estoniennes pour l'examen de sa demande d'asile et, par une décision du même jour, a également prononcé son assignation à résidence. Mme B... relève appel du jugement du 3 mars 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 21 février 2022.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que Mme B..., mère d'un enfant de sept ans et isolée sur le territoire français, a constamment indiqué avoir quitté la Russie en raison des violences physiques importantes que lui avait infligées son ancien époux et des menaces de ce dernier. Il ressort également des pièces du dossier, notamment des résultats des examens médicaux pratiqués sur l'intéressée postérieurement à la décision litigieuse mais qui révèlent une pathologie préexistante, que Mme B... souffre d'hémorragies digestives nécessitant la réalisation fréquente et régulière de transfusions sanguines et entrainant une anémie profonde. Par ailleurs, elle justifie de la survenue d'une pathologie rénale nécessitant des explorations complémentaires. Dans ces conditions, compte tenu de la situation personnelle de Mme B... et également de sa situation de santé, qui requiert la continuité du traitement et du suivi dont elle bénéficie actuellement, elle est fondée à soutenir que le préfet de Maine-et-Loire a entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas application des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 aux fins d'instruire sa demande d'asile en France.

4. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée à demander l'annulation de la décision du 21 février 2022 portant transfert auprès des autorités estoniennes. L'illégalité de cette décision entraine l'annulation de la décision du même jour portant assignation à résidence dans le département de la Loire-Atlantique.

5. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du préfet de Maine-et-Loire du 21 février 2022.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement, compte tenu du motif d'annulation retenu, qu'il soit enjoint, dans un délai qu'il y a lieu de fixer à deux mois, au préfet de Maine-et-Loire d'admettre Mme B... au bénéfice de la procédure d'asile normale et de transmettre sa demande à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.

Sur les frais liés au litige :

7. Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me Chauvière dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : Les arrêtés du préfet de Maine-et-Loire du 21 février 2022 portant à l'encontre de Mme B... transfert auprès des autorités estoniennes et assignation à résidence, ainsi que le jugement n° 2202481 du tribunal administratif de Nantes du 3 mars 2022, sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de Maine-et-Loire d'admettre Mme B... au bénéfice de la procédure d'asile normale dans un délai de deux mois.

Article 3 : L'Etat versera à Me Chauvière la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à Me Chauvière et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise pour information au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 28 juin 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juillet 2022.

La rapporteure,

M. BÉRIA-GUILLAUMIELe président,

L. LAINÉ

La greffière,

S. LEVANT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT01025


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT01025
Date de la décision : 13/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Marie BERIA-GUILLAUMIE
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : CHAUVIERE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-07-13;22nt01025 ?
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