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13/07/2022 | FRANCE | N°21NT01142

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 13 juillet 2022, 21NT01142


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Lonlay-l'Abbaye a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la délibération du conseil communautaire de la communauté de communes Domfront Tinchebray Interco du 10 juillet 2017 diminuant son attribution de compensation.

La commune de Lonlay-l'Abbaye a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 20 juillet 2018 par laquelle le président de la communauté de communes Domfront Tinchebray Interco a rejeté sa demande tendant à l'abrogation de la délibé

ration du 10 juillet 2017.

Par un jugement n° 1802231, 1802232 du 25 février 2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Lonlay-l'Abbaye a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la délibération du conseil communautaire de la communauté de communes Domfront Tinchebray Interco du 10 juillet 2017 diminuant son attribution de compensation.

La commune de Lonlay-l'Abbaye a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 20 juillet 2018 par laquelle le président de la communauté de communes Domfront Tinchebray Interco a rejeté sa demande tendant à l'abrogation de la délibération du 10 juillet 2017.

Par un jugement n° 1802231, 1802232 du 25 février 2021, le tribunal administratif de Caen a, en premier lieu, annulé la délibération du 10 juillet 2017 par laquelle la communauté de communes Domfront Tinchebray Interco a procédé à la diminution du montant de l'attribution de compensation de la commune de Lonlay-l'Abbaye et la décision du 20 juillet 2018 rejetant la demande d'abrogation de cette décision, et, en second lieu, enjoint à la communauté de communes Domfront Tinchebray Interco de verser à la commune de Lonlay-l'Abbaye la somme de 20 766 euros dans un délai de deux mois.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 23 avril 2021, le 30 septembre 2021 et le 14 janvier 2022, la communauté de communes Domfront Tinchebray Interco, représentée par Me Landot, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1802231, 1802232 du tribunal administratif de Caen du 25 février 2021 ;

2°) de rejeter la demande de la commune de Lonlay-l'Abbaye devant le tribunal administratif de Caen ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Lonlay-l'Abbaye la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête n° 1802231 dirigée devant le tribunal administratif de Caen contre la délibération du 10 juillet 2017 était irrecevable pour tardiveté :

o le recours a été introduit après l'écoulement du délai de deux mois prévu par l'article R. 421-1 du code de justice administrative ;

o à titre subsidiaire, à supposer que la décision n'aurait pas été directement notifiée, la commune de Lonlay-l'Abbaye avait pris connaissance de cette délibération puisque le représentant de la commune a participé à l'adoption de la délibération litigieuse ; les membres d'une assemblée délibérante sont réputés avoir une connaissance acquise de la délibération à laquelle ils participent dès la date de cette délibération ; le maire de la commune de Lonlay-l'Abbaye s'est également exprimé à propos de la délibération dans un journal dès le 20 juillet 2017 ;

o à supposer que le point de départ du délai d'introduction du recours soit le 24 mai 2018, date du recours gracieux de la commune de Lonlay-l'Abbaye, l'application du principe de sécurité juridique limitant à un an la possibilité d'introduire un recours contre une décision non notifiée n'était pas possible puisque la commune a eu connaissance de cette décision du fait de la participation du maire, par l'application des nouveaux montants sur les attributions de compensation et par la publication de la décision ; le délai raisonnable d'une année au sens de la jurisprudence Czabaj aurait débuté le 10 juillet 2017 ;

- à titre subsidiaire, c'est à tort que le tribunal administratif de Caen a retenu la méconnaissance des dispositions de l'article L. 1609 nonies C du code général des impôts IV et V :

o la commission locale d'évaluation des charges transférées (CLECT) est compétente pour adopter un rapport sur l'évaluation du transfert de charges qui est une étape distincte des attributions de compensation ; le tribunal administratif a donné un caractère obligatoire à un calendrier purement indicatif et estimé que la délibération du conseil communautaire du 13 avril 2017 fixait le montant définitif des attributions de compensation, alors que cette délibération ne faisait qu'entériner le processus et non les montants ; il a été fait le choix d'une approche séquentielle nécessitant plusieurs délibérations pour obtenir l'accord définitif ; la finalisation de l'accord passait par un vote des taux conformes par les communes ; la communauté n'est pas liée par le rapport de la commission locale d'évaluation des charges transférées ; seule l'approbation par la commune est obligatoire concernant le rapport de la CLECT, la communauté pouvant y déroger ; la fixation par montant libre des attributions de compensation est une procédure conventionnelle, nécessitant l'accord entre les parties matérialisé à travers plusieurs délibérations ; deux phases distinctes de délibérations étaient nécessaires : l'approbation des conditions de fixation et montants des attributions compensatoires d'une part et le vote des taux dans le sens des conditions prévues d'autre part ; la délibération de la commune de Lonlay-l'Abbaye du 16 février 2017 n'a pas approuvé les montants définitifs de l'accord libre mais uniquement le rapport et le principe du mécanisme proposé ; par la délibération du 27 mars 2017, la commune a confirmé l'adhésion au principe de neutralité fiscale et s'est engagée à voter les taux dans le sens du rapport de la CLECT ; le principe de neutralité fiscale a été choisi par la commune en application du principe de libre administration ; la délibération du 20 mars 2017 n'est qu'une simple adoption obligatoire du rapport de la CLECT conformément à l'article 1609 nonies C paragraphe V 1° bis ; l'article 1609 nonies C V 1° bis du code général des impôts n'interdit pas le conditionnement de l'accord selon un processus de négociation ; lorsqu'il existe en phase de négociation des conditions de vote de taux conforme, les montants des attributions de compensation ne sont pas définitifs tant que les communes n'ont pas voté leurs taux d'imposition tels qu'attendus ;

o en tout état de cause, un accord libre supposait le respect d'engagements réciproques des parties ; la commune ayant refusé les modalités de l'accord libre prévues à l'article 1609 nonies C, V, 1° bis du code général des impôts, la communauté de communes ne pouvait que constater le retour aux règles de droit commun dans sa décision de juillet 2017 ; la commune de Lonlay-l'Abbaye s'était expressément engagée en février 2017 sur le principe de la neutralité fiscale (soit à baisser ses impôts communaux qui seraient compensés par des attributions de compensation positives) mais n'a pas entériné par la suite, en augmentant ses impôts, alors que sa délibération était exécutoire de plein droit en application des articles L. 2131-1 et L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales, et la liait ;

o à supposer que la délibération du 13 avril 2017 proposait un accord libre, il faisait l'objet de réserves qui devaient être levées pour entériner définitivement l'accord libre entre la communauté et la commune ; faute de lever ces réserves, les règles de droit commun s'appliquaient ; la délibération du 13 avril 2017 ne pouvait donc être regardée comme adoptant des montants des attributions de compensation définitifs ; aucune disposition ne s'opposait à ce que la communauté de communes propose d'autres montants malgré la délibération de la commune adoptant le rapport de la CLECT ; en l'absence de réunion des conditions de l'accord libre, la communauté de communes est revenue aux règles de droit commun applicables à un contexte de fusion d'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre issues de l'article 1609 nonies C du code général des impôts, V, 5°, 1, b ; le montant de l'attribution de compensation était en application de ces dispositions en principe égal à celui perçu ou versé par l'EPCI préexistant l'année précédant la fusion dès lors que la commune de Lonlay-l'Abbaye faisait partie de la communauté de communes du Domfrontais avant la fusion de celle-ci avec la communauté de communes du canton de Tinchebray pour former la communauté de communes Domfront Tinchebray Interco ;

o obliger la communauté de communes à verser les sommes en cause à la commune de Lonlay-l'Abbaye crée une situation d'inégalité sans fondement juridique ou de fait entre les collectivités membres de l'établissement public de coopération intercommunale qui ont respecté les conditions pour l'obtention de l'accord définitif ;

- le tribunal administratif ne pouvait faire droit aux conclusions à fin d'injonction de la commune de Lonlay-l'Abbaye qui étaient irrecevables ; les conclusions à fin d'annulation devaient être rejetées, entrainant le rejet des conclusions à fin d'injonction.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 15 juillet 2021 et le 29 octobre 2021, la commune de Lonlay-l'Abbaye, représentée par Me Petit, conclut au rejet de la requête et demande, en outre, qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la communauté de communes Domfront Tinchebray Interco en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête n° 1802231 contre la délibération du 10 juillet 2017 était recevable :

o la connaissance acquise n'est pas opposable aux communes qui souhaitent attaquer les délibérations d'un établissement public de coopération intercommunale dont elles sont membres, quand bien même leurs représentants auraient siégé lors de la séance au cours de laquelle la décision a été adoptée ; par ailleurs les délibérations prises par un organe collégial doivent, lorsqu'elles revêtent des décisions individuelles, être notifiées à leurs destinataires ; dès lors la circonstance que l'intéressé ait participé à une délibération de l'organe collégial est sans incidence sur le déclenchement du délai de recours, le délai ne pouvant courir qu'à compter de la notification de la décision avec mention des voies et délais de recours ;

o la délibération de la communauté de communes portant sur le montant de l'attribution de compensation accordée à une commune membre constitue une décision individuelle qui doit être notifiée en application de l'article L. 221-8 du code des relations entre le public et l'administration et de l'article L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales, applicable aux établissements publics de coopération intercommunale en application de l'article L. 5211-3 du code ; cette délibération du 10 juillet 2017 ne lui a pas été notifiée ;

o le point de départ du délai raisonnable ne pouvait être le 10 juillet 2017 dès lors que cela reviendrait à faire jouer la théorie de la connaissance acquise alors que seule la notification de la délibération était susceptible de déclencher les délais de recours ; le délai de recours ne pouvait courir avant le 24 mai 2018, date du recours tendant à l'abrogation de la délibération ;

o en tout état de cause, si son maire a participé au conseil communautaire à l'occasion duquel la délibération a été adoptée, le vote a été obtenu au terme d'une présentation fallacieuse du président de la communauté de communes ; la délibération ne mentionnait pas la possibilité de voies et délais de recours ;

- en application de l'article 1609 nonies, C, V, 1° bis du code général des impôts, la méthode de fixation libre des attributions de compensation requiert une délibération à la majorité des deux-tiers de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale sur le montant de l'attribution de compensation et une délibération de chaque commune membre approuvant ce même montant d'attribution de compensation :

o en l'espèce, il y a eu des délibérations concordantes de la communauté de communes et de toutes ses communes membres sur les montants d'attributions de compensation, à hauteur de 130 024 euros pour la commune de Lonlay-l'Abbaye, seule condition exigée par les dispositions de l'article 1609 nonies, C, V, 1° bis du code général des impôts ; la délibération du 13 avril 2017 avait pour objet de fixer un montant d'attributions de compensation définitif sans nécessiter une nouvelle délibération du conseil communautaire ; aucune condition, tenant au fait que les communes n'augmentent pas leurs impôts, n'avait été émise au versement des attributions de compensation ; le concept de neutralité fiscale pour les contribuables lors de la fixation des attributions de compensation à la suite d'une fusion d'établissement public de coopération intercommunale n'existe pas en droit positif ; aucune autre délibération de la communauté de communes n'est intervenue pour fixer de manière définitive le montant des attributions de compensation des autres communes membres de la communauté de communes ; la modification de son attribution de compensation ne pouvait être faite que dans le cadre des procédures de révision ;

o la communauté de communes ne pouvait modifier de manière unilatérale son attribution de compensation en application de l'article 1609 nonies C, V, 5°, 1 a du code général des impôts dès lors que la commune n'est pas issue d'un établissement public de coopération intercommunale faisant application de l'article 1609 nonies C du code général des impôts, la communauté de communes du Domfrontais était un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre à fiscalité additionnelle ;

o à supposer qu'il n'y a pas eu application de la procédure de fixation libre des attributions de compensation, la communauté de communes aurait alors dû appliquer les dispositions de l'article 1609 nonies C, V, 5°, 1, B du code général des impôts ; le montant de son attribution de compensation devait alors être calculé conformément au 2° du V de l'article 1609 nonies C du code général des impôts ; la délibération litigieuse du 10 juillet 2017 n'applique aucunement ces dispositions puisque son attribution de compensation a été recalculée en la diminuant de 10 383 euros correspondant à l'augmentation des impôts, en dehors de tout cadre légal.

L'instruction a été close au 25 janvier 2022, date d'émission d'une ordonnance prise en application des dispositions combinées des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code général des impôts ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Béria-Guillaumie, première conseillère,

- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,

- et les observations de Me Bunod, représentant la communauté de communes Domfront Tinchebray Interco et de Me Roux, représentant la commune de Lonlay-l'Abbaye.

Considérant ce qui suit :

1. La communauté de communes du Domfrontais, à laquelle adhérait la commune de Lonlay-l'Abbaye (Orne), a fusionné, à compter du 1er janvier 2017, avec la communauté de communes du Canton de Tinchebray pour former la communauté de communes Domfront Tinchebray Interco. L'ancienne communauté de communes du Canton de Tinchebray étant en régime de fiscalité professionnelle unique, une harmonisation fiscale a été prévue. Par une délibération du 16 février 2017, le conseil municipal de la commune de Lonlay-l'Abbaye a approuvé le principe d'une neutralité fiscale pour les contribuables de chacune des communes, se matérialisant par une baisse des impôts communaux sur le territoire du Domfrontais devant être compensée par des attributions de compensation positive de la communauté vers les communes, a validé le principe d'une dérogation au droit commun pour le calcul des attributions de compensation qui devaient être affinées par la commission locale d'évaluation des charges transférées (CLECT) en 2017 et s'est engagé à modifier en 2017 ses impôts en fonction des taux intercommunaux. Le rapport de la commission locale d'évaluation des charges transférées a été approuvé par les membres de la commission lors de sa séance du 13 mars 2017, le rapport proposant des taux d'imposition communaux pour la taxe d'habitation et la taxe foncière sur les propriétés bâties et non bâties, en vue d'assurer une neutralité budgétaire pour la communauté de communes et une neutralité fiscale pour les contribuables. Dans sa délibération du 13 mars 2017, la CLECT a rappelé le calendrier prévisionnel, prévoyant entre le 21 mars et le 13 avril 2017 l'approbation de son rapport par les conseils municipaux et le vote des taux communaux ajustés et modulés en fonction des taux intercommunaux. Le rapport de la CLECT a été adopté à l'unanimité par le conseil communautaire de la communauté de communes Domfront Tinchebray Interco lors de sa séance du 20 mars 2017. Lors de sa séance du 27 mars 2017, le conseil municipal de Lonlay-l'Abbaye a approuvé le rapport de la CLECT, a approuvé le tableau relatif au calcul des coûts des compétences et aux attributions de compétences, selon la procédure dérogatoire et a décidé de voter les taux communaux ultérieurement. Par une délibération du 13 avril 2017, le conseil communautaire de Domfront Tinchebray Interco a décidé de fixer les montants des attributions de compensation au profit de l'ensemble des communes conformément au rapport de la CLECT " sous réserve que toutes les communes votent dans le même sens ". Lors de sa séance du 14 avril 2017, le conseil municipal de Lonlay-l'Abbaye a adopté les taux d'imposition pour l'année 2017, supérieurs de 5 % aux prévisions du rapport de la CLECT. Par une délibération du 10 juillet 2017, le conseil communautaire de Domfront Tinchebray Interco a décidé, à l'unanimité, de diminuer le montant de l'attribution de compensation de la commune de Lonlay-l'Abbaye de 10 383 euros, fixant le montant de l'attribution définitive de la commune à la somme de 119 641 euros. Par un courrier du 24 mai 2018, la commune de Lonlay-l'Abbaye a demandé à la communauté de communes d'abroger la délibération du 10 juillet 2017 en tant qu'elle diminue le montant de son attribution de compensation. Cette demande a été rejetée par le président de la communauté de communes le 20 juillet 2018. La commune de Lonlay-l'Abbaye a saisi le tribunal administratif de Caen de demandes tendant à l'annulation de la délibération du conseil communautaire du 10 juillet 2017 et de la décision du président de la communauté de communes du 20 juillet 2018. La communauté de communes Domfront Tinchebray Interco relève appel du jugement du 25 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Caen a annulé les deux décisions contestées et a enjoint à la communauté de communes de verser à la commune de Lonlay-l'Abbaye la somme de 20 766 euros.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance de la commune de Lonlay-l'Abbaye :

2. L'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable, dispose que : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ". Par ailleurs, l'article R. 421-5 du même code dispose que : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ".

3. En premier lieu, la délibération litigieuse du 10 juillet 2017 par laquelle le conseil communautaire de la communauté de communes Domfront Tinchebray Interco a diminué le montant de l'attribution de compensation allouée à la commune de Lonlay-l'Abbaye constitue une décision individuelle. Il est constant néanmoins qu'elle ne comporte pas l'exposé des voies et délais de recours permettant l'opposabilité à la commune requérante devant le tribunal administratif du délai de recours contentieux prévu par les dispositions de l'article R. 421-1 du code de justice administrative. Par ailleurs, la connaissance acquise par les délégués des communes qui ont participé à la séance du conseil de l'établissement public de coopération intercommunale au cours de laquelle a été adoptée une délibération de cet établissement public ne fait pas courir le délai de recours contentieux contre les communes membres de cet établissement. Il suit de là que la circonstance que le maire de la commune de Lonlay-l'Abbaye a participé à la séance du conseil communautaire au cours de laquelle a été adoptée la délibération litigieuse du 10 juillet 2017 n'est pas de nature à faire courir le délai de recours contentieux de deux mois à l'encontre de cette décision, au surplus dépourvue ainsi qu'il a été dit ci-dessus, de la mention des voies et délais de recours ouverts à son encontre.

4. En second lieu, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.

5. Il ressort des pièces du dossier que la délibération litigieuse du 10 juillet 2017, qui n'était soumise à aucune modalité spécifique de publicité, a été portée à la connaissance de la commune de Lonlay-l'Abbaye elle-même, par un courriel de la communauté de communes du 28 septembre 2017 adressant à l'ensemble des communes membres de la communauté de communes le procès-verbal des délibérations de la séance du 10 juillet 2017. Cette circonstance est seule de nature à faire courir le délai d'un an mentionné au point précédent. Dans ces conditions, à la date du 19 septembre 2018, date à laquelle la commune de Lonlay-l'Abbaye a saisi le tribunal administratif de Caen, le délai d'un an n'était pas encore écoulé.

6. Il résulte de ce qui précède que la communauté de communes Domfront Tinchebray Interco n'est pas fondée à soutenir que la demande de la commune de Lonlay-l'Abbaye devant le tribunal administratif de Caen était irrecevable en raison de sa tardiveté.

En ce qui concerne la légalité de la délibération du 10 juillet 2017 :

7. Aux termes de l'article 1609 nonies C du code général des impôts, dans sa rédaction applicable : " IV. - Il est créé entre l'établissement public de coopération intercommunale soumis aux dispositions fiscales du présent article et les communes membres une commission locale chargée d'évaluer les transferts de charges. (...) / La commission locale chargée d'évaluer les charges transférées remet dans un délai de neuf mois à compter de la date du transfert un rapport évaluant le coût net des charges transférées. Ce rapport est approuvé par délibérations concordantes de la majorité qualifiée des conseils municipaux prévue au premier alinéa du II de l'article L. 5211-5 du code général des collectivités territoriales, prises dans un délai de trois mois à compter de la transmission du rapport au conseil municipal par le président de la commission. Le rapport est également transmis à l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale. (...) / V. - 1° L'établissement public de coopération intercommunale verse à chaque commune membre une attribution de compensation. (...) Le conseil de l'établissement public de coopération intercommunale communique aux communes membres, avant le 15 février de chaque année, le montant prévisionnel des attributions au titre de ces reversements. / Le conseil de l'établissement public de coopération intercommunale ne peut procéder à une réduction des attributions de compensation qu'après accord des conseils municipaux des communes intéressées. / Toutefois, dans le cas où une diminution des bases imposables réduit le produit global disponible des impositions mentionnées au premier alinéa du 2°, l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale peut décider de réduire les attributions de compensation ; / 1° bis Le montant de l'attribution de compensation et les conditions de sa révision peuvent être fixés librement par délibérations concordantes du conseil communautaire, statuant à la majorité des deux tiers, et des conseils municipaux des communes membres intéressées, en tenant compte du rapport de la commission locale d'évaluation des transferts de charges. (...) / A défaut d'accord, le montant de l'attribution est fixé dans les conditions figurant aux 2°, 4° et 5° ; / 2° L'attribution de compensation est égale (...) / 5° 1. - Lorsqu'à la suite d'une fusion réalisée dans les conditions prévues à l'article L. 5211-41-3 du code général des collectivités territoriales, un établissement public de coopération intercommunale fait application du régime prévu au présent article et des dispositions de l'article 1638-0 bis, l'attribution de compensation versée ou perçue à compter de l'année où l'opération de fusion produit pour la première fois ses effets au plan fiscal est égale : / a) Pour les communes qui étaient antérieurement membres d'un établissement public de coopération intercommunale soumis au présent article : à l'attribution de compensation que versait ou percevait cet établissement public de coopération intercommunale l'année précédant celle où cette opération a produit pour la première fois ses effets au plan fiscal, sous réserve des dispositions de l'avant-dernier alinéa du 2° du présent V. Il peut être dérogé au présent a soit par délibérations concordantes de l'établissement public de coopération intercommunale et des communes intéressées dans les conditions du 1° bis, soit, uniquement les deux premières années d'existence du nouvel établissement public de coopération intercommunale par délibération de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale statuant à la majorité des deux tiers. (..) / b) Pour les communes qui étaient antérieurement membres d'un établissement public de coopération intercommunale ne faisant pas application du présent article : au montant calculé conformément au 2° du présent V. / (...) / 2. - Lorsque, dans le cadre d'une modification de périmètre, de l'adhésion individuelle d'une commune ou d'une transformation dans les conditions prévues aux articles L. 5211-41-1 et L. 5214-26 du même code, un établissement public de coopération intercommunale est soumis au régime prévu au présent article et qu'il est fait application des dispositions de l'article 1638 quater, l'attribution de compensation versée ou perçue à compter de l'année où les opérations précitées ont produit pour la première fois leurs effets au plan fiscal est égale à : / (...) b) Pour les communes qui étaient antérieurement membres d'un établissement public de coopération intercommunale ne faisant pas application du présent article : au montant calculé conformément au 2° du présent V. / (...) 4. - L'attribution de compensation versée chaque année aux communes membres qui étaient antérieurement membres d'un établissement public de coopération intercommunale sans fiscalité propre est calculée dans les conditions prévues au 2° (...) ".

8. Il résulte des dispositions citées ci-dessus de l'article 1609 nonies C du code général des impôts que la fixation du montant de l'attribution de compensation et les conditions de sa révision peuvent être déterminées soit, à défaut d'accord, dans les conditions figurant aux 2°, 4° et 5° du V de l'article, soit par des délibérations concordantes du conseil communautaire statuant à la majorité des deux tiers et des conseils municipaux des communes membres intéressées, en tenant compte du rapport de la commission locale d'évaluation des charges transférées, conformément au 1° bis du V de l'article 1609 nonies C du code général des impôts. Il ressort des pièces du dossier que la communauté de communes Domfront Tinchebray Interco a fait le choix d'une fixation libre du montant de l'attribution de compensation conformément au 1° bis du V de l'article applicable. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que quand bien même la commission locale d'évaluation des charges transférées avait proposé des montants d'attribution de compensation calculés en partant de l'hypothèse que les différentes communes membres de l'établissement public de coopération intercommunale fixeraient leurs taux d'imposition pour l'année 2017 conformément aux préconisations de la commission locale, le montant de l'attribution de compensation de la commune de Lonlay-l'Abbaye a fait l'objet d'une délibération concordante de l'établissement public de coopération intercommunale et de la commune intéressée. Il ressort en effet des pièces du dossier que lors de sa séance du 13 avril 2017, le conseil communautaire de la communauté de communes Domfront Tinchebray Interco a fixé le montant de l'attribution de compensation de la commune de Lonlay-l'Abbaye à la somme de 130 024 euros. Antérieurement, par une délibération du 27 mars 2017, le conseil municipal de la commune de Lonlay-l'Abbaye avait, tout en décidant de voter ultérieurement les taux d'imposition communaux, approuvé le recours à la procédure de révision dérogatoire des attributions de compensation et approuvé notamment le montant de l'attribution prévu à son profit par la commission locale d'évaluation des charges transférées. Or, il résulte des dispositions du V de l'article 1609 nonies C du code général des impôts que le montant des attributions de compensation d'une commune ne peut être réduit que soit après accord du conseil municipal de la commune intéressée, soit en cas de diminution des bases imposables réduisant le produit global disponible des impositions, soit lors d'un nouveau transfert de charges. Dans ces conditions, compte tenu de l'existence de ces deux délibérations concordantes du conseil communautaire et du conseil municipal quant au montant de l'attribution de compensation devant être versée à la commune, la communauté de communes Domfront Tinchebray Interco ne pouvait unilatéralement, par la délibération litigieuse, diminuer de 10 383 euros le montant de l'attribution de compensation de la commune de Lonlay-l'Abbaye.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la communauté de communes Domfront Tinchebray Interco n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé la délibération de son conseil communautaire du 10 juillet 2017 et la décision de son président du 20 juillet 2018 et lui a enjoint de reverser à la commune de Lonlay-l'Abbaye la somme de 20 766 euros.

Sur les frais du litige :

10. En premier lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Lonlay-l'Abbaye, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la communauté de communes Domfront Tinchebray Interco demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

11. En second lieu, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la communauté de communes Domfront Tinchebray Interco la somme que la commune de Lonlay-l'Abbaye demande en application de ces mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la communauté de communes Domfront Tinchebray Interco est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Lonlay-l'Abbaye et de la communauté de communes Domfront Tinchebray Interco tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Lonlay-l'Abbaye et à la communauté de communes Domfront Tinchebray Interco.

Une copie en sera adressée pour information au préfet de l'Orne.

Délibéré après l'audience du 28 juin 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juillet 2022.

La rapporteure,

M. BÉRIA-GUILLAUMIELe président,

L. LAINÉ

La greffière,

S. LEVANT

La République mande et ordonne au préfet de l'Orne en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT01142


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT01142
Date de la décision : 13/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Marie BERIA-GUILLAUMIE
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : SELARL LANDOT et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-07-13;21nt01142 ?
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