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17/06/2022 | FRANCE | N°22NT00651

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 17 juin 2022, 22NT00651


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 8 décembre 2021 du préfet du Morbihan lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.

Par un jugement n° 2200130 du 17 février 2022, le président du tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet du Morbihan de réexaminer la situation de Mme D... dans un délai d'un mois et d

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 8 décembre 2021 du préfet du Morbihan lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.

Par un jugement n° 2200130 du 17 février 2022, le président du tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet du Morbihan de réexaminer la situation de Mme D... dans un délai d'un mois et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au bénéfice de son conseil en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 mars 2022, le préfet du Morbihan demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du président du tribunal administratif de Rennes du 17 février 2022 ;

2°) de rejeter la demande de Mme D....

Il soutient que le premier juge a estimé à tort que la décision portant obligation de quitter le territoire français avait été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 31 mars 2022, Mme D..., représentée par Me Le Verger, conclut au rejet de la requête et demande en outre à la cour d'enjoindre au préfet du Morbihan, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir et de mettre à la charge de l'État, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle fait valoir que :

- le préfet n'est pas fondé à contester le motif d'annulation de l'arrêté du 8 décembre 2021 retenu par le premier juge ;

- compte tenu de son état de santé, la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'erreur d'appréciation au regard des dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision fixant le pays de renvoi a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Mme B... D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 mai 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., ressortissante de la République démocratique du Congo, née le 13 août 1988, est entrée irrégulièrement en France le 2 janvier 2020, selon ses déclarations. Le bénéfice de l'asile lui a été refusé par une décision du 30 juin 2021 du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmée par une décision du 26 novembre 2021 de la Cour nationale du droit d'asile. Par un arrêté du 8 décembre 2021, le préfet du Morbihan a obligé Mme B... D... à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. le préfet du Morbihan relève appel du jugement du 17 février 2022 par lequel le président du tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté.

Sur le motif d'annulation retenu par le premier juge :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. Il ressort des pièces du dossier que Mme D..., ressortissante de la République démocratique du Congo entrée irrégulièrement en France le 2 janvier 2020, est mariée depuis le 7 décembre 2019 avec un compatriote avec lequel elle aurait eu six enfants, nés entre 2005 et 2015 en République démocratique du Congo, dont l'un est décédé en 2021. Il ressort des pièces du dossier que l'époux de Mme D..., né en 1974, a été admis à entrer et à séjourner en France à compter de 2016 en qualité d'étudiant, a sollicité le renouvellement de son dernier titre de séjour le 3 mars 2021 et bénéficié d'un récépissé dont la dernière prolongation a expiré le 24 novembre 2021. Dans ces conditions, à supposer même que les époux puissent être regardés comme partageant une communauté de vie et d'intérêt à la date de l'arrêté litigieux, ce qu'ils n'établissent pas, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à cette même date, l'époux de Mme D..., se trouvait en situation régulière ou avait vocation à rester sur le territoire français, M. A... E... ayant d'ailleurs fait l'objet d'un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français par un arrêté du 24 février 2022 du préfet du Morbihan. En outre, Mme D..., qui ne justifie ni de liens particuliers en France, ni d'une particulière intégration n'est pas dépourvue d'attaches dans son pays d'origine, où elle a vécu l'essentiel de son existence et où résident notamment ses cinq enfants survivants. Dans ces conditions, la décision contestée obligeant Mme D... à quitter le territoire français n'a pas été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le préfet du Morbihan est fondé à soutenir que c'est à tort que le président du tribunal administratif de Rennes a annulé, pour ce motif, la décision contestée portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours ainsi que, par voie de conséquence, la décision fixant le pays de renvoi.

4. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme D... en première instance et en appel.

Sur les autres moyens invoqués par la requérante :

5. Pour les mêmes motifs que ceux exposés, au point 3, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 423-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. Si Mme D... soutient qu'elle a sollicité le 28 décembre 2021 auprès du préfet du Morbihan la délivrance d'un titre de séjour pour raisons médicales, cette demande est postérieure à l'arrêté contesté. Par suite, l'intéressée ne peut utilement se prévaloir de que ce dernier arrêté aurait été pris en méconnaissance des règles de procédure applicables aux demandes présentées à raison de l'état de santé.

7. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ".

8. Si Mme D... se prévaut de son état de santé, les certificats médicaux produits tant en première instance qu'en appel, qui se bornent à évoquer, pour l'un, établi en mars 2020, un état de stress post-traumatique et, pour les autres, à faire état d'entretiens dans le cadre d'un suivi médico-psychologique depuis l'été 2020, ne permettent d'établir, eu égard aux termes insuffisamment circonstanciés dans lesquels ils sont rédigés, ni que l'état de santé de l'intéressée nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, ni qu'elle ne pourrait bénéficier d'une prise en charge appropriée dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français aurait été prise en méconnaissance des dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

9. Pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 3 et 8, en obligeant Mme D... à quitter le territoire français, le préfet du Morbihan n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

10. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

11. Mme D... soutient qu'elle serait en danger en cas de retour en République démocratique du Congo, où elle a subi des persécutions et où l'un de ses enfants a perdu la vie. Toutefois, l'intéressée, dont la demande d'asile a été rejetée par des décisions des 30 juin 2021 et 26 novembre 2021 des instances en charge de l'asile, qui ont estimé que ses déclarations imprécises et fluctuantes ne permettaient de tenir pour avérés les faits invoqués et les craintes énoncées, n'apporte à l'appui de ses allégations aucun élément probant et circonstancié permettant d'établir la réalité du risque invoqué. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de renvoi aurait été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Morbihan est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 8 décembre 2021. Par voie de conséquence, les conclusions présentées tant en première instance qu'en appel par Mme D... à fin d'injonction sous astreinte et celles tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.

D E C I D E

Article 1er : Le jugement n° 2200130 du 17 février 2022 du président du tribunal administratif de Rennes est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Rennes et ses conclusions présentées par voie d'appel incident sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme B... D....

Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Morbihan.

Délibéré après l'audience du 2 juin 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- M. L'hirondel, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition du greffe le 17 juin 2022.

La rapporteure,

C. C...

Le président,

D. Salvi

La greffière,

A. Martin

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22NT006512


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT00651
Date de la décision : 17/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: Mme Christiane BRISSON
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : LE VERGER

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-06-17;22nt00651 ?
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