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20/05/2022 | FRANCE | N°21NT01833

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 20 mai 2022, 21NT01833


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à lui verser une somme globale de 523 714 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de l'arrêté du 5 octobre 2011 par lequel la directrice générale de l'Agence régionale de santé des Pays de la Loire a autorisé le transfert de l'officine de pharmacie de M. BesseauG...à Cholet.

Par un jugement n° 1705640 du 14 janvier 2020 le tribunal administratif de Nantes a jugé que, c

ompte tenu de la faute résultant de l'illégalité entachant l'autorisation de transfe...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à lui verser une somme globale de 523 714 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de l'arrêté du 5 octobre 2011 par lequel la directrice générale de l'Agence régionale de santé des Pays de la Loire a autorisé le transfert de l'officine de pharmacie de M. BesseauG...à Cholet.

Par un jugement n° 1705640 du 14 janvier 2020 le tribunal administratif de Nantes a jugé que, compte tenu de la faute résultant de l'illégalité entachant l'autorisation de transfert du 5 octobre 2011, la responsabilité de l'Etat était engagée à raison des préjudices causés à Mme B... durant la période allant du 7 février 2012 au 26 mars 2015, a rejeté les conclusions de Mme B... tendant à la condamnation de l'Etat à la réparation de son préjudice moral et du préjudice résultant de la perte de valeur de son fonds de commerce et a ordonné avant dire droit une expertise, afin d'évaluer le surplus des préjudices liés à l'autorisation irrégulièrement accordée à M. E....

Par un jugement n° 1705640 du 11 mai 2021, le tribunal administratif de Nantes a condamné l'Etat à verser à Mme B... une indemnité d'un montant de 33 336 euros et a mis à la charge définitive de l'Etat la somme de 16 447,38 euros au titre des frais d'expertise.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 juillet 2021 et 28 mars 2022, Mme F... B..., représentée par la SELARL Sapone Blaesi, demande à la cour :

1°) de réformer ces jugements des 14 janvier 2020 et 11 mai 2021 du tribunal administratif de Nantes en tant qu'ils n'ont que partiellement fait droit à ses conclusions indemnitaires ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser 423 714 euros en réparation de son préjudice économique et 100 00 euros en réparation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence ;

3°) subsidiairement d'ordonner une mesure d'expertise afin de réévaluer l'ensemble de ses préjudices financiers et d'enjoindre à l'administration de fournir les déclarations dont elle dispose sur l'évolution du chiffre d'affaires de la pharmacie E... ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle doit être indemnisée pour 161 200 euros de la perte de valeur vénale de son fonds de commerce née de la baisse de son chiffre d'affaires consécutivement au transfert illégal de la pharmacie E... ; elle avait l'intention de vendre son fonds de commerce à la date du 5 octobre 2011, alors que son activité croissait ; elle a subi une perte de chance de vendre son fonds à des conditions avantageuses du fait du transfert illégal ;

- elle sera indemnisée pour 100 000 euros de son préjudice moral né du stress consécutif à la dégradation de son chiffre d'affaires et des pressions et harcèlement subis consécutivement au transfert illégal ; son amplitude horaire de travail a augmenté et sa santé s'est détériorée ;

- contrairement à l'avis de l'expert, la pharmacie n'a pas connu de reprise totale de sa croissance après le 26 mars 2015 ; son expert-comptable fixe à 10 200 euros par an la baisse de son chiffre d'affaires ; aucune économie de charge consécutive au licenciement de sa pharmacienne adjointe ne peut être prise en compte, sachant notamment que le coût des contrats à durée déterminée contractés s'est élevé à 80 000 euros, que cela a influé sur sa marge perdue, que cela a compensé l'économie de charge alléguée et qu'il s'agissait pour elle de limiter sa perte de rentabilité ; l'emploi d'une pharmacienne adjointe était un droit ; elle sera indemnisée pour 13 680 euros de l'incidence de la baisse du chiffre d'affaires sur sa pension retraite dès lors qu'elle entendait vendre son fonds de commerce afin de déménager ;

- elle sera indemnisée pour 24 267 euros de la renégociation de son emprunt en cours, de 6 231 euros des frais et agios bancaires exposés, de 53 295 euros du coût engendré par le déblocage anticipé de son compte à terme et de 6 803 euros du fait de la liquidation d'un placement personnel ;

- l'arrêté du 28 septembre 2011 autorisant M. E... à exploiter une pharmacie a été abrogé par l'arrêté du 5 octobre 2011 dont la légalité sur ce point n'avait pas été contestée ; le jugement du 26 février 2015 du tribunal administratif de Nantes rejette ses conclusions dirigées contre l'arrêté du 28 septembre 2015 au motif de cette abrogation ; cet arrêté n'a jamais été exécuté et est devenu caduc ; l'arrêté du 28 septembre 2011 est illégal pour le motif retenu par le jugement du 26 février 2015 à l'encontre de l'arrêté du 5 octobre 2011 ;

- l'expertise sollicitée s'impose afin de réévaluer ses préjudices financiers, et après injonction faite à l'ARS de communiquer les déclarations de chiffre d'affaires de la pharmacie de M. E....

Par un mémoire, enregistré le 3 mars 2022, l'Agence régionale de santé des Pays de la Loire, représentée par son directeur général, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de Mme B... ;

2°) par des conclusions d'appel incident, d'annuler les jugements du tribunal administratif de Nantes des 14 janvier 2020 et 11 mai 2021 en ce qu'ils emportent condamnation de l'Etat.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il n'expose pas pourquoi il écarte son argument tiré de ce que l'annulation de l'arrêté du 5 octobre 2011 a eu pour effet de remettre en vigueur l'arrêté du 28 septembre 2011 qui autorisait le transfert d'officine de M. E... ; il est insuffisamment motivé en ce qu'il fixe la période de référence pour la détermination du calcul du droit à indemnisation de Mme B... ;

- la responsabilité de l'Etat n'est pas engagée alors que l'annulation de l'arrêté du 5 octobre 2021 a eu pour effet de faire revivre l'arrêté du 28 septembre 2021 autorisant le transfert d'officine qui n'a pas été annulé ;

- il n'y avait pas lieu d'indemniser Mme B... du licenciement de son adjointe, dont le recrutement ne s'imposait pas ;

- il n'y avait pas lieu d'indemniser Mme B... pour la période courant jusqu'au 26 mars 2015 alors que l'annulation de l'autorisation est intervenue le 26 février 2015 ;

- les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 7 mars 2022 la clôture d'instruction a été fixée au 29 mars 2022.

Un mémoire présenté par l'Agence régionale de santé des Pays de la Loire a été enregistré le 13 avril 2022, soit après la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,

- et les observations de Me Séqueval, représentant Mme B..., et de Mme C..., représentant l'agence régionale de santé des Pays de la Loire.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... E... exploitait une officine de pharmacieJ...à Cholet (Maine-et-Loire). Il a sollicité le 3 février 2011 le transfert de son officine dans la même commune. Par un arrêté du 28 septembre 2011, la directrice de l'agence régionale de santé (ARS) des Pays de la Loire a autorisé M. E... à transférer sa pharmacie G... à Cholet. Puis, par un arrêté du 5 octobre suivant, elle a abrogé cet arrêté et autorisé à nouveau ce transfert d'officine. Par un jugement du 26 février 2015 le tribunal administratif de Nantes a annulé, notamment à la demande de Mme B..., exploitante d'une pharmacie située H... à Cholet, l'arrêté du 5 octobre 2011 ainsi que le rejet par le ministre de la santé de son recours hiérarchique formé contre cet arrêté, et a rejeté les conclusions de Mme B... dirigées contre l'arrêté du 28 septembre 2011. Ce jugement a été confirmé par un arrêt du 12 janvier 2016 de la cour administrative d'appel de Nantes saisie de demandes d'annulation de ce jugement en tant qu'il a annulé l'autorisation de transfert du 5 octobre 2011 et la décision ministérielle de rejet du recours hiérarchique. M. E..., qui avait ouvert sa pharmacie le 7 février 2012, a été radié du tableau de l'ordre des pharmaciens le 26 mars 2015. Il a ensuite été autorisé à transférer son officine à la même adresse par des arrêtés des 8 et 24 février 2016 du directeur de l'agence régionale de santé dont la légalité a été reconnue par la juridiction administrative. Par un courrier du 27 mars 2017, reçu par l'agence régionale de santé des Pays de la Loire le 29 mars suivant, et resté sans réponse, Mme B... a formé une demande indemnitaire préalable tendant à la réparation de ses préjudices nés de l'autorisation de transfert irrégulièrement accordée à M. E... le 5 octobre 2011. Par un jugement avant dire droit du 14 janvier 2020, qui a notamment décidé de la tenue d'une expertise financière, et par un jugement du 11 mai 2021, le tribunal administratif de Nantes a condamné l'Etat à verser à Mme B... une indemnité de 33 336 euros, ainsi que 16 447,38 euros au titre des frais d'expertise et 2 500 euros au titre des frais d'instance. Mme B... relève appel de ces jugements en tant que l'Etat n'a pas été condamné à lui verser 423 714 euros en réparation de son préjudice économique et 100 000 euros en indemnisation de son préjudice moral et de ses troubles dans ses conditions d'existence. L'ARS, par des conclusions d'appel incident, demande l'annulation de ces jugements en ce qu'ils emportent condamnation de l'Etat.

Sur les conclusions d'appel principal :

2. Les jugements attaqués, pour leur partie non contestée par Mme B..., ont retenu que la responsabilité de l'Etat était engagée du fait de l'illégalité interne entachant l'autorisation donnée par la directrice de l'ARS des Pays de la Loire le 5 octobre 2011 au transfert de l'officine de M. BesseauG...à Cholet. L'illégalité de la décision d'ouverture d'une officine de pharmacie étant de nature à engager la responsabilité de l'administration, Mme B... est en droit d'obtenir l'indemnisation du préjudice en ayant effectivement résulté pour elle et dont il lui appartient d'établir la réalité et le montant. L'indemnité alors susceptible d'être allouée à la victime d'un dommage causé par la faute de l'administration a pour seule vocation de replacer la victime, autant que faire se peut, dans la situation qui aurait été la sienne si le dommage ne s'était pas produit, c'est-à-dire, lorsque la faute résulte d'une décision illégale, si celle-ci n'était pas intervenue.

3. Mme B... soutient en premier lieu qu'elle doit être indemnisée pour un montant de 161 200 euros de son préjudice né de la perte de valeur vénale de son fonds de commerce résultant de la décision illégale accordant le transfert de l'officine de M. E.... Afin d'établir sa volonté de vendre sa pharmacie en 2011 Mme B... produit un mandat de vente conclu avec un cabinet immobilier nantais du 1er septembre 2011, sans exclusivité, pour un montant de 1 100 000 euros. Cependant ce document ne mentionne pas le fonds de commerce mis en vente, ne comporte que le paraphe de Mme B... et surtout il ne permet pas à lui seul d'établir la mise en vente effective de ce bien, et par voie de conséquence l'absence d'acquéreurs. Aucun autre élément ne venant établir le projet de Mme B... de vendre son fonds de commerce en 2011, ses conclusions indemnitaires présentées à ce titre ne peuvent qu'être rejetées.

4. En deuxième lieu, Mme B... expose qu'elle a eu à souffrir de troubles dans ses conditions d'existence du fait de l'arrêté autorisant le transfert de l'officine de M. E.... Elle fait valoir qu'elle a ainsi subi l'intrusion d'individus dans son officine provoquant du tapage et n'acceptant de sortir qu'après l'intervention des forces de l'ordre, ainsi que l'inscription de graffitis outrageants sur son commerce, visibles de la voie publique. Ces faits sont cependant survenus en 2016 et le lien avec l'illégalité de l'arrêté du 5 octobre 2011 n'est pas établi alors que le jugement attaqué, non contesté sur ce point par Mme B..., retient que la responsabilité de l'Etat du fait de cette faute n'est engagée que pour les préjudices subis du 7 février 2012 au 27 mars 2015. Il en va de même, pour le même motif, de la dégradation de son état de santé " depuis plusieurs mois " attestée le 7 novembre 2016 par son médecin traitant. En revanche, pendant la période ouvrant droit à indemnité Mme B... a subi un préjudice moral certain né des incertitudes économiques pesant sur son entreprise du fait de l'implantation de la pharmacie de M. E... à proximité de la sienne et des incidences sur sa réputation professionnelle des procédures qu'elle avait engagées devant la juridiction administrative qui ont été dénoncées publiquement par son confrère ainsi qu'il résulte des propos d'une cliente. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice et des troubles dans les conditions d'existence de Mme B... en allouant à cette dernière à ces titres la somme de 5 000 euros.

5. En troisième lieu, le jugement attaqué fixe à 60 000 euros le montant de la perte d'exploitation subie par l'officine de Mme B... au regard d'un chiffre d'affaires perdu estimé à 200 000 euros et un taux de marge global proche de 30 %. Il résulte de l'instruction, comprenant le rapport de l'expert-comptable désigné par le président du tribunal administratif de Nantes, que l'évolution du chiffre d'affaires de l'officine de Mme B... présente des particularités dès lors qu'il a subi un net décrochage dès le mois de février 2012, que le transfert de l'officine de M. E... ne peut expliquer à lui seul, et qu'après la cessation d'activité de celle-ci en avril 2015, si les ventes du commerce de Mme B... ont connu un léger rebond elles ont à nouveau diminué en tendance. Dans ces conditions, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que le calcul du chiffre d'affaires reconstitué de sa société entre février 2012 et avril 2015 devait se faire par simple extrapolation de son chiffre d'affaires précédant cette période, sans prendre en compte les correctifs apportés par l'expert désigné afin d'intégrer les évolutions de long terme de son chiffre d'affaires. Plus largement, les circonstances invoquées tenant au fait que M. E... a obtenu une nouvelle autorisation en février 2016 lui ayant permis de se réinstaller au même endroit ou le fait que Mme B... aurait perdu des clients après avril 2015 au motif d'un dénigrement de son activité ou une attractivité accrue de son concurrent du fait de la rénovation d'un supermarché n'expliquent pas le décrochage du chiffre d'affaires relevé dès février 2012 et sont insuffisants pour expliquer le fait qu'il a été observé une baisse tendancielle du chiffre d'affaires de son officine après la cessation d'activité de la pharmacie de M. E... en mars 2015. Il s'ensuit que la contestation par Mme B... de l'indemnisation de la perte d'exploitation fixée à 60 000 euros par les premiers juges ne peut qu'être écartée.

6. En quatrième lieu, le jugement attaqué indemnise Mme B... pour 13 104 euros des frais induits par le licenciement de sa pharmacienne adjointe, le 3 décembre 2012, en raison de la réduction de son chiffre d'affaires consécutivement à la concurrence irrégulière de M. E.... Le jugement prend également en compte dans le calcul du droit à indemnisation de Mme B... la circonstance que ce licenciement a eu pour conséquence directe pour la requérante une économie de charges, salaires et charges sociales de la personne licenciée, à hauteur de 40 000 euros, ainsi que le nécessaire recours de Mme B... à des pharmaciens remplaçants employés en contrats à durée déterminée après ce licenciement. D'une part, dès lors que l'adjointe de Mme B... a été licenciée, il convient de déduire l'économie de charges consécutive née de l'absence de rémunération et de paiement de cotisations sociales qui sont indéniables, et ce alors même que ce licenciement est la conséquence d'un choix de gestion rationnel pris par la requérante en conséquence de l'autorisation de transfert accordée à M. E.... D'autre part, Mme B... n'établit pas que le coût qu'elle a exposé ensuite pour l'emploi de pharmaciens en contrats à durée déterminée serait supérieur à celui retenu par les premiers juges par référence aux conclusions de l'expert et, en tout état de cause, la circonstance que ce coût aurait été équivalent à celui identifié au titre de l'économie de charges résultant du licenciement de son adjointe le 3 décembre 2012, est sans incidence sur le fait que cette dernière somme, établie, doit être exclue du droit à indemnisation de la requérante. Dans ces conditions, Mme B... n'est pas fondée à soutenir qu'il y a lieu de majorer les sommes qui lui ont été allouées par le jugement attaqué au titre du licenciement de son adjointe.

7. En cinquième lieu, Mme B... soutient qu'elle doit être indemnisée à hauteur de 13 680 euros des incidences négatives de la baisse du chiffre d'affaires de son officine sur le calcul de ses droits à retraite. Il résulte de l'instruction, dont les conclusions de l'expert qui ne sont pas précisément contestées sur ce point, qu'en admettant une telle incidence celle-ci serait extrêmement limitée eu égard aux régimes de retraite de Mme B... et l'expert conclut à l'absence de préjudice financier significatif au regard des justificatifs présentés par l'intéressée. A l'appui de sa contestation, Mme B... n'apporte toujours pas d'élément probant. Ainsi les modalités de calcul de la somme demandée par l'appelante ne sont pas établies sachant par ailleurs que Mme B... a fait valoir ses droits à la retraite le 1er octobre 2017 à l'âge de 62 ans. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir qu'il y aurait lieu de faire droit à sa demande indemnitaire présentée à ce titre.

8. En sixième lieu, Mme B... expose que la baisse d'activité et de chiffre d'affaires de son officine a eu des répercussions négatives sur ses finances personnelles et professionnelles l'obligeant à renégocier un emprunt en 2013 et en 2014, à débloquer de manière anticipée un compte à terme et contraignant son conjoint à se défaire d'un placement personnel. Il résulte toutefois de l'instruction que si la renégociation d'un emprunt contracté par Mme B... est établie en 2013 et 2014 son origine n'est pas la conséquence de la marge manquée. Ainsi l'expert démontre que dès 2010 les ressources durables de l'entreprise sont inférieures au remboursement des emprunts contractés. Il ressort également de son rapport que les restructurations de la dette de la société sont la conséquence de prélèvements de Mme B... dans la trésorerie de son entreprise dont les montants sont trop élevés au regard de sa capacité d'autofinancement. Cette analyse repose sur l'observation des résultats de la société et non sur des calculs effectués au regard de revenus moyens des pharmaciens. Il est également établi que Mme B... a procédé à une première restructuration de sa dette en 2011, soit avant le transfert de M. E.... Pour les mêmes motifs, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que le déblocage anticipé et partiel en 2012 d'un compte à terme souscrit en 2009, puis l'utilisation de son solde en 2014 par versement sur le compte bancaire de sa pharmacie, seraient la conséquence de l'arrêté illégal de la directrice de l'ARS des Pays de la Loire. De plus, il résulte de l'instruction que les difficultés financières alléguées n'ont pas empêché Mme B... d'ouvrir un nouveau compte à terme en janvier 2014 par versement d'un excédent de trésorerie de sa société. Elle n'est pas davantage fondée pour ces motifs à se prévaloir du fait que son conjoint aurait résilié un plan d'épargne logement pour un total de 6 800 euros. Dès lors, le lien direct et certain entre l'illégalité fautive ouvrant droit à l'indemnisation de Mme B... et les préjudices financiers invoqués n'est pas établi. Par suite, les conclusions indemnitaires présentées au titre de ces préjudices par Mme B... ne peuvent qu'être rejetées.

9. Mme B... soutient en septième lieu, qu'il y a lieu de l'indemniser des frais d'avocat, d'huissier, d'expert-comptable et de déplacements qu'elle a exposés en lien avec le transfert illégal de l'officine de M. E.... Elle ne présente cependant pas à l'appui de sa demande devant la cour de conclusions chiffrées. En tout état de cause les frais d'avocat, ainsi que les frais de déplacement dont elle demande la prise en charge financière concernent les procédures contentieuses relatives à la légalité des décisions de 2011 de l'ARS autorisant le transfert d'officine de M. E... et à l'occasion desquelles le tribunal administratif de Nantes et la cour administrative d'appel de Nantes ont déjà statué sur ses demandes présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par ailleurs, le lien entre les frais d'huissier dont elle demande le remboursement et la présente procédure n'est pas établi et les frais d'expertise-comptable dont elle fait état ne sont pas justifiés sachant qu'un expert-comptable a été désigné par le président du tribunal administratif de Nantes. Il s'ensuit que les demandes présentées à ce titre par Mme B... ne peuvent en tout état de cause qu'être rejetées.

Sur les conclusions d'appel incident :

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

10. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".

11. En premier lieu, l'agence régionale de santé des Pays de la Loire a soutenu devant les premiers juges que la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée au motif de l'illégalité du transfert de l'officine de M. E.... Elle précisait que dès lors que le jugement du tribunal administratif de Nantes du 26 février 2015 a annulé l'arrêté de la directrice de l'ARS du 5 octobre 2011 qui autorisait ce transfert et abrogeait également l'arrêté de la même autorité du 28 septembre 2011 autorisant déjà ce transfert, ce même transfert n'était pas illégal du fait de la remise en vigueur, consécutive à cette annulation de la décision d'abrogation, de l'arrêté du 28 septembre 2011 et qu'il ne pouvait être fait droit à la demande d'indemnisation de Mme B.... Il résulte toutefois des points 2 à 4 du jugement attaqué du 14 janvier 2020 que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments des parties, exposent avec la précision requise les motifs pour lesquels la responsabilité de l'Etat est engagée. Par suite, l'ARS des Pays de la Loire n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait irrégulier pour ce motif.

12. En second lieu, le jugement du tribunal administratif de Nantes du 14 janvier 2020 en son point 4, et celui du 11 mai 2021 en son point 5, indiquent avec la précision nécessaire le motif pour lequel les premiers juges ont considéré que la responsabilité de l'Etat est engagée jusqu'au 26 mars 2015, date à laquelle l'exploitation du commerce de M. E... a effectivement cessé. Par suite, l'agence régionale de santé des Pays de la Loire n'est pas fondée à soutenir que ce jugement est irrégulier en l'absence de motivation suffisante.

En ce qui concerne le bien-fondé des jugements attaqués :

13. En premier lieu, l'agence régionale de santé des Pays de la Loire soutient que la responsabilité de l'Etat n'est pas engagée dès lors que le jugement du 26 février 2015 du tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté du 5 octobre 2011 qui, outre le fait qu'il autorisait M. E... à transférer son officine, abrogeait son arrêté précédent du 28 septembre 2011 autorisant déjà le même transfert. Elle en déduit que, du fait de l'arrêté du 28 septembre 2011, remis en vigueur après l'annulation de son abrogation, M. E... était titulaire d'une autorisation de transfert pendant la période en débat. En tout état de cause, il résulte de l'instruction que la décision du 28 septembre 2011 est entachée de la même illégalité de fond que celle de l'arrêté du 5 octobre 2011, censurée par le jugement du 26 février 2015, dès lors que l'autorisation avait été accordée à M. E... à la même adresse et qu'en conséquence pour les motifs exposés au point 6 de ce jugement l'autorisation de transfert compromettait l'approvisionnement nécessaire en médicaments de la population résidant dans le quartier en méconnaissance des articles L. 5125-14 et L. 5125-3 alors en vigueur du code de la santé publique. Par suite, l'ARS des Pays de la Loire n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de l'Etat n'est pas engagée du fait du transfert de l'officine de M. E... I....

14. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction qu'après l'annulation de son autorisation de transfert par le jugement du 26 février 2015, M. E... a poursuivi l'exploitation de son officine de pharmacie jusqu'au 26 mars suivant, date effective de l'arrêt de son exploitation. Par suite, alors qu'il appartenait à l'Etat de s'assurer du respect par M. E... de l'annulation de son autorisation de transfert qui impliquait la cessation de son activité pour sa partie réglementée, l'ARS n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée en l'espèce jusqu'au 26 mars 2015.

15. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que le licenciement de la pharmacienne adjointe de Mme B..., le 3 décembre 2012, est la conséquence de la baisse d'activité de sa pharmacie en raison de l'illégalité du transfert de celle de M. E.... Dans ces conditions, alors même que la réglementation en vigueur n'imposait pas le recrutement d'une adjointe au regard du chiffre d'affaires de la société de Mme B..., il y a lieu d'indemniser cette dernière du coût de ce licenciement au regard de son motif. Par suite, l'ARS des Pays de la Loire n'est pas fondée à soutenir que les premiers juges ne pouvaient allouer une somme à ce titre à Mme B... ou devaient la proratiser afin de ne prendre en compte que les périodes où le recours à cette pharmacienne adjointe s'imposait du fait de congés de Mme B....

16. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de procéder à une nouvelle expertise des préjudices financiers allégués par Mme B... ou d'enjoindre à l'ARS de communiquer les déclarations de chiffre d'affaires de la pharmacie de M. E..., que Mme B... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ne lui ont pas accordé la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice moral et n'ont pas condamné l'Etat à lui verser en conséquence la somme globale de 38 336 euros et que les conclusions d'appel incident de l'ARS des Pays de la Loire doivent être rejetées.

Sur les frais d'instance :

17. Il convient, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme B....

D E C I D E :

Article 1er : La somme de 33 336 euros que l'Etat a été condamné à verser à Mme B... par l'article 1er du jugement n° 1705640 du 11 mai 2021 est portée à 38 336 euros.

Article 2 : Les articles 1er des jugements n° 1705640 des 17 décembre 2019 et 11 mai 2021 du tribunal administratif de Nantes sont réformés en ce qu'ils ont de contraire à l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Mme B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... B... et au ministre des solidarités et de la santé.

Une copie en sera adressée pour information à l'agence régionale de santé des Pays de la Loire.

Délibéré après l'audience du 3 mai 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Rivas, président de la formation de jugement,

- M. Guéguen, premier conseiller,

- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 mai 2022.

Le président de la formation de jugement, rapporteur,

C. D...

L'assesseur le plus ancien dans le grade le plus élevé,

J-Y. GUÉGUEN

La greffière,

S. LEVANT

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT01833


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT01833
Date de la décision : 20/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. RIVAS
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : SCP SAPONE BLAESI

Origine de la décision
Date de l'import : 31/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-05-20;21nt01833 ?
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