Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... D... et M. C... A... D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 14 octobre 2020 par laquelle les autorités consulaires françaises en poste au Caire ont refusé de délivrer au second un visa de long séjour et la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre cette décision consulaire.
Par un jugement n° 2100900 du 6 juillet 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 11 août 2021 et le 29 septembre 2021, M. B... A... D... et M. C... A... D..., représentés par Me Mougel, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 6 juillet 2021 ;
2°) d'annuler les décisions contestées ;
3°) d'enjoindre à l'administration de délivrer à M. C... A... D... un visa d'entrée en France ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- alors que son père, porteur d'un handicap grave nécessitant une assistance, son demi-frère, sa demi-sœur et sa fille sont français, il séjournait lui-même en France depuis l'âge de six ans avant d'être immobilisé en Egypte en raison de l'expiration de son titre de séjour ;
- faute de pouvoir rentrer en France, il se trouve en situation irrégulière en Egypte ;
- le pays dont il est ressortissant est en guerre ;
- le refus de visa qui lui est opposé viole tous les principes existants en matière d'octroi de visa.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Bougrine a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 14 octobre 2020, les autorités consulaires françaises en poste au Caire ont refusé de délivrer M. C... A... D..., ressortissant yéménite, un visa de long séjour. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre cette décision consulaire. M. C... A... D... et son père, M. B... A... D..., relèvent appel du jugement du 6 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de ces deux décisions.
2. En application des dispositions de l'article D. 211-5, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est substituée à la décision par laquelle les autorités consulaires françaises au Caire ont refusé de délivrer le visa de long séjour demandé par M. C... A... D.... Il s'ensuit que, ainsi que l'a jugé le tribunal, les conclusions de la demande doivent être regardées comme dirigées uniquement contre la décision de la commission, les conclusions dirigées contre la décision consulaire étant irrecevables.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. M. C... A... D... est un ressortissant yéménite né le 15 juillet 1993 à Sana'a. Il ressort du jugement du tribunal de grande instance de Montpellier du 25 mai 2011 que ses parents ont divorcé en 1996 et que sa mère a, par un " accord homologué par le président du tribunal de SANAA en date du 24 septembre 1998 (...) déclaré renoncer à ses enfants " au profit de leur père. M. C... A... D... est, alors, entré en France en 1999, à l'âge de six ans, avec son père et ses petits frères. Il y est demeuré depuis lors, y a effectué sa scolarité et a bénéficié d'une prise en charge par l'aide sociale à l'enfance. Le jugement précédemment mentionné du tribunal de grande instance de Montpellier, qui confie l'exercice exclusif de l'autorité parentale au père, indique également que les enfants n'ont pas de nouvelles de leur mère. En outre, le père de M. C... A... D... ainsi que sa demi-sœur et son demi-frère sont ressortissants français. Le requérant est également le père d'une enfant, de nationalité française, née le 27 novembre 2017. Il ressort des pièces du dossier que M. C... A... D..., qui était titulaire d'un titre de séjour pluriannuel portant la mention " vie privée et familiale ", a effectué un voyage touristique en Egypte au cours duquel la validité de son titre de séjour a expiré. Il s'est alors heurté à de nombreuses difficultés, dues notamment au fonctionnement des services consulaires en période de crise sanitaire, avant de se voir opposer un refus de visa lui permettant de rentrer en France. Compte tenu de l'intensité des liens, décrits ci-dessus, qui unissent M. A... D... à la France et alors que le ministre de l'intérieur se borne à faire valoir qu'il n'est pas démontré que l'intéressé serait à la charge de son père français ni qu'il subviendrait aux besoins de son enfant de nationalité française, le refus de visa qui lui est opposé porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et méconnaît par, suite, les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Il résulte de ce qui précède que M. C... A... D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
6. Sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard aux motifs sur lesquels il se fonde, que le ministre de l'intérieur délivre un visa de long séjour à M. A... D.... Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre au ministre d'y procéder dans le délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. C... A... D... de la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 6 juillet 2021 et la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. C... A... D... un visa de long séjour, dans le délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Article 3 : L'Etat versera à M. C... A... D... la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... D..., à M. B... A... D... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 29 mars 2022, à laquelle siégeaient :
M. Pérez, président de chambre,
Mme Douet, présidente-assesseure,
Mme Bougrine, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 avril 2022.
La rapporteure,
K. BOUGRINE
Le président,
A. PEREZLa greffière,
A. LEMEE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT02306