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15/04/2022 | FRANCE | N°20NT01712

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 15 avril 2022, 20NT01712


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... d'Anglejan Chatillon et Mme D... d'Anglejan Chatillon ont demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 18 mars 2019 par laquelle la directrice du Conservatoire du littoral a décidé d'exercer le droit de préemption sur les parcelles cadastrées section B n° 281 et n° 282 situées respectivement au lieudit " Entretenant " et 1060 rue de la 1ère division, sur le territoire de la commune de Colleville-sur-Mer.

Par un jugement n° 1900821 du 24 mars 2020, le tribunal administ

ratif de Caen a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requê...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... d'Anglejan Chatillon et Mme D... d'Anglejan Chatillon ont demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 18 mars 2019 par laquelle la directrice du Conservatoire du littoral a décidé d'exercer le droit de préemption sur les parcelles cadastrées section B n° 281 et n° 282 situées respectivement au lieudit " Entretenant " et 1060 rue de la 1ère division, sur le territoire de la commune de Colleville-sur-Mer.

Par un jugement n° 1900821 du 24 mars 2020, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 23 juin 2020, 23 avril 2021, 28 mai 2021 et 30 juillet 2021, M. et Mme d'Anglejan Chatillon, représentés par Me Guillini, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen n°1900821 du 24 mars 2020 ;

2°) d'annuler la décision du Conservatoire du littoral du 18 mars 2019 ;

3°) de mettre à la charge du Conservatoire du littoral la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la signataire de la décision attaquée est incompétente dès lors qu'aucune décision de délégation du conseil d'administration, seul compétent pour exercer le droit de préemption, ne l'a habilitée à poursuivre l'acquisition par préemption d'une parcelle concernée par un programme d'acquisition couvrant la commune de Colleville-sur-Mer ;

- la décision attaquée méconnaît les dispositions de l'article L. 215-11 du code de l'urbanisme.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 août 2020, le conservatoire de l'espace littoral et rivages lacustres , représenté par la SELARL Cabinet Coudray, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. et Mme d'Anglejan Chatillon la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par M. et Mme d'Anglejan Chatillon ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de l'environnement ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Douet,

- les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,

- et les observations de Me Gatel, substituant Me Guillini, représentant M. et Mme d'Anglejan Chatillon, et les observations de Me Taillet, substituant Me Heitzmann, représentant le conservatoire de l'espace littoral et rivages lacustres.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme d'Anglejan Chatillon ont signé le 8 décembre 2018 un compromis de vente pour se rendre acquéreurs des parcelles cadastrées section B n° 281 et 282, situées respectivement au lieudit " Entretenant " et au 1060 rue de la 1ère division, à Colleville-sur-Mer (Calvados), dans le périmètre de préemption dit " F... " créé par un arrêté du préfet du Calvados du 22 juin 1979 au titre des espaces naturels sensibles. Les vendeurs ont adressé une déclaration d'intention d'aliéner au président du Conseil départemental du Calvados, qui a renoncé à l'exercice de son droit de préemption. La directrice du Conservatoire du littoral et des rivages lacustres a, par décision du 18 mars 2019, exercé le droit de substitution que lui reconnaît l'article R. 215-14 du code de l'urbanisme, et préempté l'ensemble immobilier. M. et Mme d'Anglejan Chatillon relèvent appel du jugement du 24 mars 2020 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 18 mars 2019.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 18 mars 2019 :

En ce qui concerne la légalité externe :

2. Aux termes de l'article R. 322-4 du code de l'environnement : " Le Conservatoire procède aux acquisitions nécessaires de terrains ou de droits immobiliers soit par entente amiable, soit par préemption, soit par voie d'expropriation ". Aux termes de l'article R. 322-26 du même code : " I.-Le conseil d'administration règle par ses délibérations les affaires de l'établissement public et définit l'orientation de la politique à suivre. / II. - Il délibère notamment sur : / 1° La stratégie foncière de l'établissement, les programmes pluriannuels d'investissement et les grandes orientations de l'aménagement et de la gestion des immeubles du domaine relevant du Conservatoire ; / 2° Les programmes d'intervention foncière et d'acquisition ; (...) ". Aux termes de l'article R. 322-37 de ce code : " Le directeur du Conservatoire / (...) conclut les acquisitions, échanges, ventes et cessions d'immeubles ou de droits immobiliers dans les conditions fixées par le conseil d'administration en application des 2° et 4° de l'article R. 322-26 ". Enfin, l'article R. 322-37 de ce code dispose que le directeur du Conservatoire " peut déléguer sa signature à des personnels de l'établissement, dans des limites qu'il détermine. Il peut déléguer une partie de ses pouvoirs aux personnels de l'établissement qu'il désigne pour exercer des fonctions de responsabilité. "

3. Il résulte des dispositions précitées que le directeur du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres ne peut légalement exercer le droit de préemption de cet établissement public que sur autorisation de son conseil d'administration. La délibération n°2008-71 du 29 octobre 2008 du conseil d'administration autorise le directeur du Conservatoire à " signer les actes authentiques après négociations amiables, à notifier les décisions de préemption (...) à diligenter les procédures d'expropriation (...) ", et dispose que " En cas d'absence du directeur, les directeurs adjoints sont autorisés à signer par délégation les décisions de préemption au sein des périmètres autorisés ". Il ressort par ailleurs de l'annexe à cette décision, ainsi que d'une seconde décision du 24 février 2011 actualisant l'identification des sites de Normandie, que les sites autorisés comprennent celui d'Omaha Beach sur le territoire des communes de Colleville-sur-Mer, Sainte-Honorine-des-Pertes et Saint-Laurent-sur-Mer. Cette délibération du 29 octobre 2008 doit être regardée comme autorisant le directeur à exercer le droit de préemption au nom du Conservatoire.

4. Cependant, si, par une décision du 11 février 2019, la directrice du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres a autorisé Mme E... C..., directrice de l'action foncière et des systèmes d'information à signer, au nom de la directrice, " l'ensemble des actes relatifs à l'organisation, au fonctionnement et à la représentation de l'établissement prévus par les articles R. 322-1 et suivants du code de l'environnement ou par les délibérations du conseil d'administration, à l'exception des actes suivants : les réquisitions de payer adressées à l'agent comptable ; les procédures de commande publique dérogatoires aux règles de mise en concurrence pour raison d'urgence impérieuse ; les contrats de travail à durée indéterminée ", cette décision n'autorisait pas Mme C... à signer la décision de préempter un bien au nom du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres dès lors que l'exercice du droit de préemption ne fait pas partie des actes relevant de l'organisation et du fonctionnement du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, non plus que de sa représentation. Enfin il ne ressort d'aucune pièce du dossier que Mme C... exerçait des fonctions de directrice adjointe. Par suite, la décision attaquée est entachée d'incompétence.

En ce qui concerne la légalité interne :

5. Aux termes de l'article L. 113-8 du code de l'urbanisme : " Le département est compétent pour élaborer et mettre en œuvre une politique de protection, de gestion et d'ouverture au public des espaces naturels sensibles, boisés ou non, destinée à préserver la qualité des sites, des paysages, des milieux naturels et des champs naturels d'expansion des crues et d'assurer la sauvegarde des habitats naturels selon les principes posés à l'article L. 101-2 ". Aux termes de l'article L. 113-14 du même code : " Pour mettre en œuvre la politique prévue à l'article L. 113-8, le département peut créer des zones de préemption dans les conditions définies aux articles L. 215-1 et suivants ". Aux termes de l'article L. 215-11 du même code : " A titre exceptionnel, l'existence d'une construction ne fait pas obstacle à l'exercice du droit de préemption dès lors que le terrain est de dimension suffisante pour justifier son ouverture au public et qu'il est, par sa localisation, nécessaire à la mise en œuvre de la politique des espaces naturels sensibles des départements. Dans le cas où la construction acquise est conservée, elle est affectée à un usage permettant la fréquentation du public et la connaissance des milieux naturels ".

6. Il ressort des pièces du dossier que les parcelles préemptées, d'une superficie de 2 406 m² sont une propriété clôturée comprise dans un hameau et qu'elles comportent une maison de 120 m² d'emprise au sol, un garage, une cave attenante, une terrasse, un jardin et une prairie. Le hameau de quelques maisons est encerclé par une vaste zone qui appartient déjà au Conservatoire de l'espace littoral, dans la zone de préemption au titre des espaces naturels sensibles d'Omaha Beach. Si le Conservatoire du littoral soutient que la décision de préemption est motivée par le souhait de constituer une entité foncière plus importante et plus cohérente et d'éviter un morcellement foncier, ces motifs ne justifient pas de la nécessité de la préemption litigieuse au regard de l'objectif de préservation et de protection de ces parcelles au titre de la mise en œuvre de la politique des espaces naturels sensibles. S'agissant de la maison d'habitation, il ressort des pièces du dossier qu'elle est destinée à être conservée et transformée en maison des gardes, le Conservatoire faisant valoir que la localisation de cette maison au centre de l'espace naturel sensible est un avantage pour la surveillance de l'espace protégé. Toutefois un tel projet ne justifie pas davantage de la nécessité de la préemption au regard de l'objectif de protection des espaces naturels sensibles, alors en outre qu'il ressort des pièces du dossier qu'un autre local, certes moins grand et situé à Colleville-sur-Mer, est déjà affecté à cet usage. Dans ces conditions, le moyen tiré par M. et Mme d'Anglejan Chatillon de la méconnaissance de l'article L. 215-11 du code de l'urbanisme doit être accueilli.

7. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme aucun autre moyen n'est de nature, en l'état de l'instruction, à conduire à l'annulation de la décision du 18 mars 2019.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué, que M. et Mme d'Anglejan Chatillon sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de M. et Mme d'Anglejan Chatillon, lesquels ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, de mettre à la charge du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, le versement à M. et Mme d'Anglejan Chatillon d'une somme de 1 500 euros au titre des frais qu'ils ont exposés.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen en date du 24 mars 2020 et la décision du 18 mars 2019 sont annulés.

Article 2 : Le Conservatoire de l'espace littoral et rivages lacustres versera à M. et Mme d'Anglejan Chatillon la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions du Conservatoire de l'espace littoral et rivages lacustres présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... d'Anglejan Chatillon, à Mme D... d'Anglejan Chatillon née B... et au Conservatoire de l'espace littoral et rivages lacustres.

Délibéré après l'audience du 29 mars 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président de chambre,

- Mme Douet, présidente-assesseure,

- M. Bréchot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 avril 2022.

La rapporteure,

H. DOUET

Le président,

A. PÉREZ

La greffière,

A. LEMEE

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT01712


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT01712
Date de la décision : 15/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: Mme Hélène DOUET
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : CABINET COUDRAY CONSEIL et CONTENTIEUX

Origine de la décision
Date de l'import : 26/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-04-15;20nt01712 ?
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