Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner le centre national de la recherche scientifique (CNRS) à lui verser la somme de 73 292,47 euros à titre de rappel de salaires outre celle de 7 329,25 euros au titre des congés payés afférents.
Par un jugement n° 1703580 du 13 octobre 2020, le tribunal administratif de Nantes a condamné le CNRS à lui verser la somme de 5 000 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 21 avril 2017 et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 janvier 2021, M. B..., représenté par Me Lallement, demande à la cour :
- de réformer ce jugement du 13 octobre 2020 en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande ;
- de condamner le CNRS à lui verser la somme de 73 292,47 euros à titre de rappel de salaires, outre celle de 7 329,25 euros au titre des congés payés afférents ;
- de majorer ces sommes des indemnités dues au titre du travail le dimanche, les jours fériés, la nuit et des heures supplémentaires ;
- de condamner le CNRS à lui payer la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice résultant du paiement d'impôts supplémentaires ;
- d'assortir les sommes susmentionnées des intérêts au taux légal à compter du 20 octobre 2016 ;
- d'enjoindre au CNRS de lui délivrer les documents de fin de travail et les bulletins de salaire rectifiés sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir ;
- de mettre à la charge du CNRS la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- toutes les heures supplémentaires qu'il a effectuées ne lui ont pas été payées ;
- il est fondé à demander réparation du préjudice découlant des conditions dans lesquelles il a exercé ses fonctions, il a été privé de tout repos hebdomadaire pendant une année et devra payer des impôts supplémentaires sur les sommes qui lui sont dues.
Par un mémoire en défense enregistré le 18 mars 2021, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), représenté par Me Meier-Bourdeau, conclut :
- au rejet de la requête de M. B... ;
- à ce que soit mis à la charge de M. B... la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les conclusions indemnitaires tendant au versement de dommages et intérêts présentées par M. B... ne sont pas recevables, faute de liaison du contentieux ;
- aucun moyen n'est fondé.
Par une ordonnance du 5 mai 2021, la clôture de l'instruction a été prononcée à effet du 7 juin 2021 en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Un mémoire présenté par M. B... a été enregistré le 23 mars 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ;
- le code civil ;
- le décret n° 2000-815 du 25 août 2000 ;
- le décret n° 2002-70 du 15 janvier 2002 ;
- l'arrêté du 31 août 2001 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans les établissements publics à caractère scientifique et technologiques et au centre d'études de l'emploi ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 15 juillet 2021, B.K. c/ Republika Slovenija (Ministrstvo za obrambo) (C-742/19) ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Brisson,
- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,
- - les observations de Me de Lorgeril, représentant M. A... B....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., né le 19 janvier 1979, a été engagé par la délégation Bretagne et Pays de la Loire du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en qualité de vacataire, pour occuper des fonctions de gardien, par contrat du 9 au 30 juin 2014. Puis, par un contrat à durée déterminée du 26 juin 2014, M. B... a été recruté par le CNRS pour la période allant du 1er au 31 juillet 2014 au sein de l'unité mixte de recherche 6502 " Institut des matériaux Jean Rouxel ", à Nantes, afin d'y exercer les fonctions de gardien, à mi-temps. Par la suite, M. B... a bénéficié d'autres contrats de travail à durée déterminée pour la période allant du 1er septembre 2014 au 30 juin 2015 à 70 % de temps, du 1er août 2015 au 30 septembre 2015 à temps complet, prolongé jusqu'au 24 juillet 2016, et enfin du 1er septembre au
30 novembre 2016, à 70 % de temps. Pour la durée de ces contrats, était mis à la disposition de M. B... un logement de fonction afin de lui permettre de réaliser les heures de présence de nuit et de week-end prévues à ces contrats. Le 30 novembre 2016, la relation de travail de l'intéressé avec le CNRS a définitivement pris fin. Par des courriels des 20 et 25 octobre 2016, M. B... a demandé au CNRS le paiement des majorations légales pour travail le dimanche et les jours fériés. Par un courrier du 8 novembre 2016, l'intéressé a, de nouveau, sollicité l'indemnisation des jours de repos travaillés et des heures supplémentaires effectuées. Cette demande a été rejetée le 6 décembre 2016. M. B... a, le 22 décembre 2016, formé un recours gracieux contre cette décision de refus. De l'absence de réponse de l'administration pendant un délai de deux mois est née, le 22 février 2017, une décision implicite de rejet. Aux termes du jugement du 13 octobre 2020, dont M. B... relève appel en tant qu'il ne lui a pas donné entière satisfaction, le tribunal administratif de Nantes a, d'une part, rejeté ses conclusions tendant au paiement d'heures supplémentaires et d'autre part, ne lui a alloué qu'une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne la demande de rappels de rémunération :
2. Aux termes de l'article 2 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 visée ci-dessus : " Aux fins de la présente directive, on entend par : / 1. " temps de travail " : toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l'employeur et dans l'exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales ; / 2. " période de repos " : toute période qui n'est pas du temps de travail ; (...) ". Aux termes de l'article 6 de cette même directive : " Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que, en fonction des impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs : / (...) b) la durée moyenne de travail pour chaque période de sept jours n'excède pas quarante-huit heures, y compris les heures supplémentaires ".
3. Comme l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt visé ci-dessus du 15 juillet 2021, au regard des dispositions de la directive n° 2003/88, applicable à tous les secteurs d'activité privés ou publics, les périodes d'astreinte effectuées sur des lieux de travail qui ne se confondent pas avec le domicile du travailleur doivent normalement être qualifiées, dans leur intégralité, de temps de travail, dès lors que le travailleur doit rester éloigné de son environnement social et familial et bénéficie d'une faible latitude pour gérer le temps pendant lequel ses services ne sont pas sollicités. S'agissant des autres périodes d'astreinte, la Cour a jugé qu'elles étaient également susceptibles d'être qualifiées de temps de travail selon qu'elles permettent ou non au travailleur de gérer librement son temps pendant ses périodes d'astreinte et de consacrer ce temps à ses propres intérêts. Une telle qualification doit faire l'objet d'une appréciation au cas par cas, prenant en compte, premièrement, le temps de réaction laissé au travailleur, deuxièmement, les contraintes et facilités accordées au travailleur pendant cette période et, troisièmement, la fréquence moyenne des prestations effectives normalement réalisées par ce travailleur.
4. L'article 2 du décret du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat et dans la magistrature définit " la durée de travail effectif " comme étant : " (...) le temps pendant lequel les agents sont à la disposition de leur employeur et doivent se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. " L'article 5 du même décret dispose que : " une période d'astreinte s'entend comme une période pendant laquelle l'agent, sans être à la disposition permanente et immédiate de son employeur, a l'obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour effectuer un travail au service de l'administration, la durée de cette intervention étant considérée comme un temps de travail effectif. ". Aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 31 août 2001 visé ci-dessus : " pour des activités caractérisées par de fortes variations, le travail peut s'organiser selon un cycle autre qu'hebdomadaire. (...). Elle est mise en place par décision du directeur général ou du directeur après avis du comité technique paritaire (...) ". L'article 6 de cet arrêté prévoit que " (...) le règlement intérieur de chaque unité, service ou site précise le cycle ou les cycles applicables, la liste des structures ou fonctions qui y sont collectivement soumises, les conditions de mise en œuvre de ces cycles et les horaires de travail en résultant (...) " et l'article 7 de ce même arrêté dispose que : " pour les astreintes et les contraintes particulières de travail auxquelles sont soumis certains personnels, la liste des emplois concernés et les modalités de prise en compte sont fixées par décision du directeur général, après avis du comité technique paritaire ".
5. La rémunération des gardiens employés par le CNRS distingue les périodes de travail effectif durant lesquelles les agents sont à la disposition permanente de l'établissement public et doivent se conformer à ses directives des périodes d'astreinte durant lesquelles ils doivent pouvoir intervenir pour effectuer les missions qui leur sont confiées.
6. Il résulte des stipulations des contrats conclus entre le CNRS et M. B... que celui-ci devait assurer au sein de l'institut des matériaux de Nantes, outre divers travaux, des missions de gardiennage et de surveillance (rondes diurnes ou nocturnes). Au cours de la période du
1er septembre 2013 au 30 juin 2014, son contrat prévoyait une obligation de service de
19h à 8h tous les jours y compris les week-end et jours fériés ; à compter du 1er septembre 2014, les contrats de travail prévoyaient non seulement une obligation de service de 2h du lundi au vendredi, de 21h30 à 23h30, et de 2h30 les samedi et dimanche de 21h à 23h30 mais également de 8h15 à 14h les samedis et dimanches. En contrepartie, un logement meublé de 80 m2 était mis à sa disposition.
7. M. B... fait valoir que si l'alarme anti-intrusion et techniques était reliée à son téléphone mobile, ce qui permettait ainsi un éloignement relatif du logement, l'alarme technique était située dans le hall d'accueil de l'institut et l'alarme incendie était, quant à elle, localisée à l'intérieur même de ce logement faisant ainsi obstacle à ce que l'intéressé puisse s'en éloigner afin de pouvoir être en mesure de pouvoir intervenir sans délai en cas de besoin. Le requérant soutient également que la personne amenée à devoir le suppléer pendant ses absences devait avoir accès au logement de fonction afin en particulier de pouvoir surveiller les alarmes.
8. Toutefois, s'il résulte de l'instruction que lors de ses absences, au cours des périodes de septembre 2014 à juin 2015 puis de septembre et novembre 2016, M. B... a dû être remplacé, les fonctions de gardiennage ont alors été exercées par sa compagne. En outre, il ressort en particulier des mentions figurant sur les bulletins de paie délivrés à compter d'octobre 2015, que le logement sis au sein de l'institut des matériaux de Nantes, apparait comme étant l'adresse personnelle de l'intéressé. Dans ces conditions, le logement mis à sa disposition de M. B... à titre gratuit et dont les charges étaient assumées par l'employeur, qui constituait sa résidence principale, doit être regardé comme constituant au sens des dispositions rappelées ci-dessus, son domicile.
9. Alors même que le requérant devait rester à la disposition de son employeur hors des périodes au cours lesquelles il devait effectuer des tâches précises sur son lieu de mission et en y restant joignable à tout moment, les permanences auxquelles il était tenu et pendant lesquelles il pouvait vaquer à ses propres occupations, constituaient, non pas des heures effectives de travail, mais des astreintes au sens des dispositions rappelées ci-dessus.
10. Il s'ensuit que M. B... n'est pas fondé à demander le paiement desdites heures d'astreinte comme des heures effectives de travail. Ses conclusions à fin de versement de rappels de salaires et des congés y afférents ne peuvent dès lors qu'être rejetées.
En ce qui concerne le surplus des conclusions indemnitaires :
11. En application de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, une requête tendant au paiement d'une somme d'argent n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur la demande formée devant elle.
12. La décision par laquelle l'administration rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommageables d'un fait qui lui est imputé lie le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par ce fait générateur, quels que soient les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime et que sa réclamation ait ou non spécifié les chefs de préjudice en question. Il s'ensuit que la fin de non-recevoir opposée par le CNRS à la demande de l'intéressé et tirée de l'absence de présentation par M. B..., dans la réclamation préalable du 8 novembre 2016, de demande de réparation des troubles dans ses conditions d'existence, ne peut qu'être écartée.
13. Il résulte de l'instruction et notamment des conditions dans lesquelles M. B... a été amené à exercer ses fonctions rappelées ci-dessus, ont été à l'origine de troubles dans ses conditions d'existence. Par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal, le requérant est fondé à en demander réparation. En ayant évalué à 5 000 euros les troubles dans ses conditions d'existence, les premiers juges en ont fait une juste appréciation.
14. Enfin, si une faute commise par l'administration est de nature à engager sa responsabilité lorsqu'elle a causé un dommage, un tel préjudice ne saurait résulter du seul paiement de l'impôt. Par suite, et alors même qu'il n'est pas établi que la somme allouée en réparation des préjudices subis par M. B..., serait assujettie au paiement de l'impôt sur le revenu, ce chef de préjudice ne peut qu'être écarté.
15. Il s'ensuit que M. B... n'est pas fondé à demander la majoration des sommes qui lui ont été attribuées par le tribunal en réparation des préjudices qu'il a invoqués. Le requérant n'est, dans ces conditions, pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a limité à 5 000 euros le montant de l'indemnité réparant ses préjudices. Ses conclusions tendant au versement d'intérêts au taux légal et à la capitalisation de ces intérêts ne peuvent qu'être rejetées.
Sur l'injonction de délivrer divers documents administratifs :
16. En dehors des cas expressément prévus par des dispositions législatives particulières, il n'appartient pas au juge administratif d'adresser des injonctions à l'administration. Les conclusions de M. B... tendant à ce qu'il soit enjoint au CNRS de lui délivrer divers documents relatifs à sa rémunération ne peuvent, par suite, être accueillies.
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CNRS, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
18. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de
M. B... la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le CNRS et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : M. B... versera au CNRS la somme de 1 500 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au Centre national de la recherche scientifique.
Délibéré après l'audience du 24 mars 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Salvi président,
- Mme Brisson, présidente-assesseure,
- M. L'hirondel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 avril 2022.
La rapporteure,
C. BRISSON
Le président,
D. SALVI
La greffière,
A. MARTIN
La République mande et ordonne à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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21NT00101