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08/04/2022 | FRANCE | N°20NT03819

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 08 avril 2022, 20NT03819


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Autoroutes du Sud de la France a demandé au tribunal administratif de Nantes, à titre principal, de condamner in solidum les sociétés Demathieu Bard Construction et Egis International à lui verser la somme totale de 3 224 714,82 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, au titre des préjudices résultant des désordres affectant l'ouvrage d'art franchissant le Layon entre Angers et Cholet, dit " A... ", sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, à titre subsid

iaire, de condamner ces sociétés à lui verser les mêmes sommes sur le fondem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Autoroutes du Sud de la France a demandé au tribunal administratif de Nantes, à titre principal, de condamner in solidum les sociétés Demathieu Bard Construction et Egis International à lui verser la somme totale de 3 224 714,82 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, au titre des préjudices résultant des désordres affectant l'ouvrage d'art franchissant le Layon entre Angers et Cholet, dit " A... ", sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, à titre subsidiaire, de condamner ces sociétés à lui verser les mêmes sommes sur le fondement de la responsabilité contractuelle, et de les condamner in solidum à lui verser la somme de 81 343,12 euros au titre des frais d'expertise, assortis des intérêts moratoires.

Par un jugement n° 1806035 du 7 octobre 2020, le tribunal administratif de Nantes a, en premier lieu, mis hors de cause le Céréma, en deuxième lieu, condamné in solidum la société Demathieu Bard Construction et la société Egis International à verser à la société Autoroute du Sud de la France la somme de 1 032 045,94 euros au titre des désordres de fissuration résultant du phénomène de réaction sulfatique interne, assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2018 et de la capitalisation des intérêts, en troisième lieu, condamné la société Demathieu Bard Construction à garantir la société Egis International à hauteur de 70% de la condamnation prononcée à l'article 2, en quatrième lieu, condamné la société Egis International à garantir la société Demathieu Bard Construction à hauteur de 10% de la condamnation prononcée à l'article 2, en cinquième lieu, condamné la société Unibéton à garantir la société Demathieu Bard Construction et la société Egis International à hauteur de 20 % de la condamnation prononcée à l'article 2, en sixième lieu, condamné in solidum la société Demathieu Bard Construction et la société Egis International à verser à la société Autoroutes du Sud de la France la somme de 1 487 591,38 euros au titre des désordres de fissuration liés au défaut de ferraillage, assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2018 et de la capitalisation des intérêts, en septième lieu, condamné la société COGECI à garantir la société Demathieu Bard Construction et la société Egis International à hauteur de 50 % de la condamnation prononcée à l'article 6, en huitième lieu, condamné la société Demathieu Bard Construction à garantir la société Egis International à hauteur de 20 % de la condamnation prononcée à l'article 6, en neuvième lieu, condamné la société Egis International à garantir la société Demathieu Bard Construction à hauteur de 30 % de la condamnation prononcée à l'article 6, et en dernier lieu, mis les frais d'expertise à la charge définitive de la société Demathieu Bard Construction à hauteur de 40 000 euros, de la société Egis International à hauteur de 20 000 euros, de la société COGECI à hauteur de 15 000 euros, et de la société Unibéton à hauteur de 6 243, 12 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 7 décembre 2020, le 10 décembre 2020, le 19 juillet 2021, le 16 septembre 2021, le 3 novembre 2021 et le 13 décembre 2021, la société Demathieu Bard Construction, représentée par Me Vignon, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1806035 du tribunal administratif de Nantes du 7 octobre 2020 ;

2°) en ce qui concerne les fissurations résultant de la réaction sulfatique interne :

- à titre principal, de rejeter les demandes de la société Autoroutes du Sud de la France tendant à sa condamnation ;

- à titre subsidiaire, de limiter sa condamnation à la somme de 339 088, 75 euros ;

- de condamner in solidum la société Egis International, la société Ciments Calcia et l'Etat, venant aux droits du Centre d'études techniques de l'environnement (CETE), à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

3°) en ce qui concerne les fissurations liées au défaut de ferraillage :

- à titre principal, de rejeter les demandes de la société Autoroutes du Sud de la France tendant à sa condamnation ;

- à titre subsidiaire, de limiter sa condamnation à la somme de 412 393, 17 euros ;

- de condamner in solidum la société Egis International et l'Etat, venant aux droits du CETE, à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

4°) de mettre à la charge de la société Autoroutes du Sud de la France la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier pour méconnaissance du principe du contradictoire et des dispositions de l'article R. 611-1 du code de justice administrative ; le jugement se fonde sur deux mémoires produits par la société Autoroutes du Sud de la France et la société Ciments Calcia le 25 mai 2020 qui n'ont pas été communiqués alors qu'ils contenaient des éléments nouveaux ; en outre, le jugement ne mentionne pas l'absence de communication de ces mémoires ;

- le jugement est irrégulier en ce qu'il omet, en méconnaissance de l'article R. 741-2 du code de justice administrative, de statuer sur ses conclusions à fin de garantie dirigées contre l'Etat, venant aux droits du CETE, en ce qui concerne les désordres résultant de l'insuffisance du ferraillage ;

- le jugement est entaché de plusieurs contradictions de motifs :

o concernant l'absence de mise en œuvre de mesures correctives par la société Autoroutes du Sud de la France et son influence sur l'aggravation des désordres ;

o concernant la prise en compte de l'état des connaissances scientifiques de l'époque ;

o concernant la disponibilité du ciment prévu par le marché ;

o concernant l'interprétation de la requête en référé expertise présentée par la société Autoroutes du Sud de la France en 2010 ;

- le jugement est insuffisamment motivé en méconnaissance de l'article L. 9 du code de justice administrative :

o en ce qui concerne la nature décennale des désordres dus aux fissurations résultant du phénomène de réaction sulfatique interne ;

o en ce qui concerne l'absence de caractère apparent des désordres à la réception ;

o en ce qui concerne le refus de qualification de phénomène de force majeure ;

o en ce qui concerne l'inertie de la société Autoroutes du Sud de la France dans le déclenchement d'une expertise judiciaire ;

o en ce qui concerne l'origine de la décision de remplacement du ciment en cours de chantier ;

o en ce qui concerne l'absence d'imputabilité des désordres à une faute commise par le CETE de l'Ouest ou par la société Ciments Calcia ;

o en ce qui concerne l'absence de redondance des travaux de reprise pour remédier à l'insuffisance de ferraillage et au phénomène de réaction sulfatique interne ;

- en ce qui concerne les désordres résultant du phénomène de réaction sulfatique interne :

o les demandes de condamnation de la société Autoroutes du Sud de la France fondées sur sa responsabilité contractuelle doivent être rejetées :

* eu égard à l'extinction des rapports contractuels du fait de la réception des travaux alors d'une part qu'il n'y a pas eu de réserves du fait des désordres et, d'autre part, qu'il n'y a pas eu commission d'une faute assimilable à un dol ;

* la demande est prescrite du fait de la prescription quinquennale résultant des dispositions des articles 2224 et 2222 du code civil ; la société Autoroutes du Sud de la France a eu connaissance des fissures résultant du phénomène de réaction sulfatique interne soit dès avant la réception, soit au plus tard en octobre 2004 lors du diagnostic établi par le Laboratoire des Ponts et Chaussées ; le nouveau délai de cinq ans courant du fait de la saisine du juge du référé expertise courait à compter de l'ordonnance de ce juge du 8 décembre 2010 en application de l'article 2231 du code civil ; les dispositions de l'article 1792-4-3 du code civil ne sont pas applicables, leur application étant limitée aux actions de nature délictuelle et quasi-délictuelle du maître d'ouvrage contre les constructeurs et sous-traitants ;

o les désordres ne sont pas de nature à engager sa responsabilité décennale :

* il n'est pas établi que les désordres n'étaient pas apparents à la réception de l'ouvrage :

* la société Autoroutes du Sud de la France ne produit aucun document permettant d'établir que les désordres n'étaient pas apparents à la réception :

* la société Autoroutes du Sud de la France, n'ayant pas souhaité organiser d'inspection détaillée à la réception de l'ouvrage, n'a pas mis en œuvre les mesures nécessaires pour déceler les désordres, qui doivent dès lors être considérés comme apparents à la réception ; cette absence d'inspection est de nature à engager la responsabilité du maître d'œuvre sur le fondement de son devoir de conseil ;

* il n'est pas établi que les fissurations liées à la réaction sulfatique interne seraient de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible :

* il n'est pas établi que les fissurations affectant certains des chevêtres du viaduc seraient bien liées au déclenchement d'une réaction sulfatique interne ; les méthodes employées ne permettent pas de déterminer la cause de la fissure ou de son aggravation ;

* la seule constatation de l'existence d'un phénomène de réaction sulfatique interne sur l'ouvrage n'implique pas la survenue de désordres de nature décennale ; elle conteste les méthodes employées pour apprécier l'évolution de la réaction sulfatique interne, qui ne correspondent pas aux conditions réelles, notamment d'humidité, dans lesquelles se trouve le viaduc ; les chevêtres sont protégés de la pluie par la présence du tablier ; l'expert a reconnu le caractère hypothétique des désordres ;

* il n'y a pas d'atteinte à la solidité de l'ouvrage du fait de la réaction sulfatique interne ; les désordres sont hypothétiques et à supposer qu'ils se manifestent ne font peser qu'un faible risque sur l'ouvrage ; les fissures problématiques n'affectent que les armatures secondaires ;

* du fait des fissures, l'ouvrage n'est pas rendu impropre à sa destination ; il n'y a eu aucune fermeture du viaduc à la circulation ni restriction de la circulation ;

* à titre subsidiaire, les désordres ne lui sont pas imputables :

* comme d'autres intervenants, elle ignorait l'existence du phénomène de réaction sulfatique interne et les facteurs susceptibles de générer cette pathologie du béton ; elle ne peut donc être jugée responsable des conséquences d'un phénomène qu'elle ignorait à l'époque de la réalisation des travaux ;

* elle n'est pas à l'origine de la décision de remplacement du ciment, le nouveau ciment, plus exothermique, étant de nature à favoriser la réaction sulfatique interne ; le maître d'oeuvre est à l'origine seul de cette décision conformément aux stipulations de l'article 23.2 du CCAG Travaux ; elle établit que le ciment prévu par le marché était disponible en France, même s'il n'était pas commercialisé par la société Ciments Calcia ;

* les modalités de bétonnage et le non-respect, parfois, du CCTP concernant les températures de bétonnage n'ont aucun lien de causalité avec l'apparition du phénomène de réaction sulfatique interne ;

* elle n'a pas méconnu le dosage " eau sur ciment " exigé par le CCTP ;

* les fautes commises par la société Autoroutes du Sud de la France ont contribué directement à l'aggravation de son préjudice :

* la société Autoroutes du Sud de la France a commis deux fautes avant la réception des travaux :

o la société Autoroutes du Sud de la France n'a pas fait appel à un contrôleur technique ; du fait de son importance et de ses compétences technologiques elle avait un devoir de veille technologique ;

o elle n'a pas fait réaliser une inspection détaillée du viaduc avant la réception de l'ouvrage ;

* l'inertie fautive de la société Autoroutes du Sud de la France après la réception a aggravé les dommages ; elle n'a pas informé les constructeurs de la découverte du phénomène de réaction sulfatique interne ; elle n'a pris aucune mesure conservatoire visant à étancher les chevêtres malgré les recommandations formulées dès 2003 ; elle n'a sollicité que tardivement une expertise judiciaire ;

* le phénomène de réaction sulfatique interne constitue un cas de force majeure, ce phénomène étant inconnu et inévitable à l'époque des travaux ; il lui est bien extérieur puisqu'il n'est la conséquence ni du dosage eau sur ciment ni des modalités de bétonnage, et qu'elle est étrangère à la décision de remplacement du béton ;

* les désordres sont imputables à la société Ciments Calcia :

* le phénomène de réaction sulfatique interne est imputable au ciment intégré dans le béton ;

* le ciment prévu par le marché n'était pas indisponible en France ; la société Ciments Calcia a commis une faute en indiquant que le ciment prévu par le marché n'était pas disponible et en sélectionnant un ciment de remplacement plus exothermique de nature à favoriser la réaction sulfatique interne ;

* les désordres sont imputables à la société Egis International venant aux droits du maître d'oeuvre :

* qui a rédigé le CCTP et n'a pas vérifié la disponibilité en France du ciment prévu par le CCTP ;

* qui a accepté un ciment de remplacement plus exothermique ;

* les désordres sont imputables également à l'Etat, venant aux droits du CETE de l'Ouest qui a méconnu ses obligations contractuelles ; le CETE n'a émis aucune réserve sur le ciment de remplacement malgré ses compétences et son devoir de veille technologique ;

o l'intégralité du préjudice revendiqué par la société Autoroutes du Sud de la France n'est pas établi :

* une grande partie des travaux de reprise étant sans lien direct avec le phénomène de réaction sulfatique interne ; la société Autoroutes du Sud de la France a fait appliquer un revêtement étanche sur l'ensemble des 14 chevêtres, dont certains ne présentaient pas de désordres ; il doit y avoir réduction à la fois du coût des travaux d'étanchement et des préjudices généraux ;

* le coût des mesures de suivi des déformations postérieures à l'achèvement des travaux réparatoires doit être exclu ;

* la demande de condamnation à 45 540 euros HT correspondant à des études complémentaires effectuées par le LERM à la demande de la société Autoroutes du Sud de la France constitue une demande nouvelle en appel et irrecevable ; la dépense a en outre été exposée en méconnaissance du principe du contradictoire puisqu'elle n'a pas été informée de ces nouvelles études ;

* la demande de condamnation à 4 935 euros HT correspondant à des mesures réalisées par Argotech doit être rejetée pour les mêmes motifs ;

* le préjudice doit tenir compte d'un abattement pour amélioration de l'ouvrage, la mise en œuvre d'un revêtement étanche sur des chevêtres ne présentant aucun désordre n'étant pas une prestation strictement nécessaire à la remise en état de l'ouvrage ;

* le préjudice doit tenir compte d'un abattement pour vétusté ; le tribunal administratif n'a pas statué sur ce moyen ; c'est l'inertie de la société Autoroutes du Sud de la France qui a conduit à l'aggravation des dommages et à la réalisation des travaux avec dix ans de retard ;

* à titre très subsidiaire, sa condamnation doit être limitée à la somme de 339 088, 75 euros, déterminée par l'expert ;

o elle doit être garantie :

* par la société Egis International compte tenu des fautes tenant :

* à la rédaction du CCTP, à la méconnaissance de son devoir de veille technologique,

* à la décision de remplacement du ciment par un ciment plus exothermique,

* à l'absence de vérification de la conformité des bétons livrés par la SAS Unibéton aux prescriptions du marché,

* à la validation du coulage du béton par temps chaud,

* à ne pas s'être assuré de la conformité du dosage eau sur ciment, à supposer celui-ci non conforme,

* au manquement à son devoir de conseil envers le maître d'ouvrage lors de la réception des travaux en n'alertant pas sur les fissures et en ne préconisant pas une inspection détaillée ;

* à l'absence d'information sur le risque de survenance d'un phénomène de réaction sulfatique interne ;

* par l'Etat venant aux droits du CETE de l' Ouest compte tenu :

* de sa solidarité avec la société Egis International :

* de son devoir de veille technologique et des erreurs affectant la rédaction du CCTP qu'il n'a pas signalées à son cotraitant ;

* de la décision de remplacement du ciment ;

* de la validation des bétons livrés et mis en œuvre, alors qu'il devait en assurer la surveillance, et des modalités de bétonnage ;

* de la validation du dosage eau sur ciment à supposer celui-ci non conforme ;

* de l'absence de préconisation d'une inspection détaillée du viaduc ;

* de l'absence d'information de la société Autoroutes du Sud de la France et des constructeurs sur le phénomène de réaction sulfatique interne ;

* de l'absence d'indication des fissures dans le dossier de recollement ;

* par la société Ciments Calcia compte tenu :

* de la méconnaissance de son devoir de veille technologique du fait de sa qualité de cimentier ; le tribunal administratif ne s'est pas prononcé sur ce point ;

* de la non fourniture du ciment prévu par le marché qui était disponible en France et de la fourniture d'un ciment plus exothermique ; la société Ciments Calcia a méconnu son devoir de conseil auprès du maître d'œuvre et des constructeurs ;

* de la teneur en ciment du béton trop importante qui est de nature à favoriser le phénomène de réaction sulfatique interne ;

* la juridiction administrative est compétente pour statuer sur son appel en garantie sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle contre la société Ciments Calcia puisque ce fournisseur a participé à l'exécution de travaux publics ;

* son action contre la société Ciments Calcia n'est pas prescrite en application de l'article 2224 du code civil, le délai quinquennal de prescription n'ayant commencé à courir qu'à compter de la communication de la requête indemnitaire de la société Autoroutes du Sud de la France le 31 juillet 2018 ;

* le fondement de son action en garantie contre la société Ciments Calcia était bien précisé ; l'action est fondée sur la responsabilité quasi-délictuelle ;

* la société Ciments Calcia étant à l'origine des désordres avec les autres intervenants, elle est bien fondée à demander sa condamnation in solidum ; sa responsabilité solidaire peut également être engagée en application de l'article 1792-4 du code civil ;

- en ce qui concerne les désordres constitués par les fissurations résultant du défaut de ferraillage :

o la demande de condamnation de la société Autoroutes du Sud de la France est prescrite :

* en ce qui concerne la demande de condamnation sur le fondement de la responsabilité décennale, en application de l'article 1792-4-1 du code civil, la requête en référé expertise introduite en 2010 par la société Autoroutes du Sud de la France n'a pu interrompre le délai de responsabilité décennale car elle portait exclusivement sur les désordres consécutifs au phénomène de réaction sulfatique interne ;

* en ce qui concerne la demande de condamnation sur le fondement de la responsabilité contractuelle, elle est prescrite en raison de la prescription quinquennale pour les mêmes motifs que les désordres résultant du phénomène de réaction sulfatique interne ; la prescription a commencé à courir à compter de la découverte du désordre en juin 2011 ; la société Autoroutes du Sud de la France ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 1792-4-3 applicables uniquement aux actions en responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle ; aucune faute assimilable à un dol n'est établie ; en tout état de cause, l'action fondée sur la faute ou le dol est également soumise au délai de prescription quinquennal de l'article 2224 du code civil ;

o sa responsabilité décennale ne peut pas être engagée :

* les désordres étaient apparents lors de la réception ; la société Autoroutes du Sud de la France n'a, en outre, pas mis en œuvre les démarches qui auraient pu permettre de détecter les désordres en temps utile ;

* les fissurations liées au défaut de ferraillage ne sont pas de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination, le viaduc n'ayant jamais été fermé ni la circulation restreinte ; la société Autoroutes du Sud de la France n'a, en outre, jamais soutenu que ces fissurations étaient susceptibles de compromettre la solidité de l'ouvrage ;

* le désordre ne lui est pas imputable :

* le désordre est imputable à une décision de la société Autoroutes du Sud de la France d'ajouter, en cours d'exécution, des trous d'homme ;

* l'insuffisance de ferraillage est imputable à COGECI, bureau d'études techniques chargé de réaliser les plans d'exécution ;

* à titre subsidiaire, elle doit être exonérée de toute responsabilité du fait des fautes commises par la société Autoroutes du Sud de la France, maître d'ouvrage :

* la société Autoroutes du Sud de la France a refusé de faire appel à un contrôleur technique ;

* la société Autoroutes du Sud de la France a tardivement demandé l'ajout des trous d'homme en mars 1999 alors que les plans de ferraillage avaient été établis par COGECI en février 1999 ;

o l'intégralité du préjudice revendiqué par la société Autoroutes du Sud de la France n'est pas établie :

* le caractère redondant des travaux de reprise exclue une prise en charge intégrale du préjudice revendiqué par la société Autoroutes du Sud de la France ; la méthode de béton précontraint préconisée par l'expert, qui consiste à disposer des armatures actives à l'extérieur du béton, au même niveau que les armatures passives existantes, referme progressivement les fissures et fait obstacle aux venues d'eau ; cette méthode vient donc étancher l'ouvrage et limiter le développement du phénomène de réaction sulfatique interne ;

* les travaux de précontrainte améliorent la durabilité de l'ouvrage et aboutissent à une remise à neuf d'un ouvrage ancien ;

* à titre subsidiaire, sa condamnation doit être limitée à la somme de 412 393, 17 euros retenue par l'expert ;

o elle doit être garantie :

* par la société Egis International à un niveau supérieur à 30 % compte tenu :

* de son manquement à son devoir de conseil en n'avertissant pas la société Autoroutes du Sud de la France et les constructeurs des difficultés et risques découlant de la modification unilatérale et tardive du projet ;

* de la méconnaissance de son obligation de contrôle des études d'exécution et de sa mission VISA ;

* de la méconnaissance de sa mission de suivi effectif des travaux, et l'absence d'observation sur la longueur insuffisante des barres d'armature ;

* de sa qualité de co-traitant du groupement titulaire de la mission d'assistance laboratoire en n'ayant fourni aucune observation sur le dossier de recollement concernant la conformité et la qualité du ferraillage ;

* sa responsabilité ne saurait être inférieure à 40 % du dommage ;

* par l'Etat venant aux droits du CETE de l'Ouest compte tenu :

* de la méconnaissance de ses missions d'assistance laboratoire qui lui confiaient l'analyse des procédures d'exécution, le respect de ces procédures et l'assistance à la réception des ferraillages ;

* de l'absence d'observations concernant les ferraillages dans le dossier de récolement ;

* sa responsabilité ne saurait être inférieure à 20 % du dommage.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 19 avril 2021, le 7 octobre 2021 et le 9 novembre 2021, la société Autoroutes du Sud de la France, représentée par Me Bertrand, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de la société Demathieu Bard Construction ;

2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement n° 1806035 du tribunal administratif de Nantes du 7 octobre 2020 :

- en tant que le tribunal administratif a rejeté sa demande de condamnation solidaire de la société Demathieu Bard Construction et de la société Egis International pour des travaux provisoires de réfection de la chaussée à hauteur de 100 228 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2018 et capitalisation des intérêts ;

- en tant que le tribunal administratif a limité à 2 000 euros chacune la condamnation de la société Demathieu Bard Construction et de la société Egis International en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

- en condamnant in solidum la société Demathieu Bard Construction et la société Egis International à lui verser :

o la somme de 45 540 euros HT au titre des études complémentaires réalisées par le LERM, avec intérêts au taux légal à compter du 19 avril 2021 ;

o la somme de 4 935 euros HT au titre d'un reliquat de prestations de mesures réalisées par Argotech, avec intérêts au taux légal à compter du 19 avril 2021 ;

3°) de mettre à la charge de la société Demathieu Bard Construction la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est régulier :

o le principe du contradictoire n'a pas été méconnu, son mémoire du 25 mai 2020 ne comportant pas d'éléments nouveaux et ayant été produit postérieurement à la clôture devant le tribunal administratif ;

o le tribunal administratif a statué implicitement sur l'appel en garantie contre l'Etat en mettant hors de cause le CEREMA ; à supposer que le jugement soit entaché d'omission sur ce point, il ne serait annulé que dans cette mesure ;

o le jugement n'est pas affecté de contradictions de motifs ;

o le jugement est suffisamment motivé ;

- en ce qui concerne les désordres résultant du phénomène de réaction sulfatique interne :

o les conditions d'engagement de la responsabilité décennale sont remplies :

* les désordres n'étaient pas apparents lors de la réception de l'ouvrage :

* le procès-verbal des opérations préalables à la réception ne mentionne pas de fissures au titre des réserves ; il tient lieu d'inspection détaillée ;

* à supposer que les fissures aient été apparentes à la réception, le maître d'ouvrage ne pouvait en apprécier toutes les conséquences ;

* à supposer le désordre apparent, la responsabilité du maître d'œuvre serait engagée sur le fondement du devoir de conseil ;

* le dommage est de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs ; les fissures présentent une dimension anormale et étendue ; le béton présente un gonflement de 1,5 % exceptionnellement élevé par rapport à la norme de référence ; rien n'établit que le phénomène de réaction sulfatique interne était en voie de stabilisation ; les désordres présentent un caractère évolutif et sans intervention l'état des chevêtres se dégraderait et l'ouverture des fissures produirait une corrosion des armatures ; le phénomène de réaction sulfatique interne en lui-même dégrade les performances du béton ;

* les désordres sont imputables :

* à la modification du ciment par un ciment fortement exothermique ; la société Demathieu Bard Construction n'a pas émis de réserve sur le béton utilisé et ne peut donc soutenir être étrangère au changement de ciment ; au demeurant dans ses rapports avec le maître d'ouvrage, l'entreprise ne peut se prévaloir de la faute d'un tiers ;

* à la violation du dosage eau / ciment prescrit par le CCTP ;

* aux conditions de bétonnage par la société Demathieu Bard Construction par temps chaud sans précaution particulière ;

* la réaction sulfatique interne ne constitue pas un phénomène de force majeure, ne pouvant être regardée comme extérieure à l'entreprise qui a procédé au coulage du béton ; la condition d'imprévisibilité n'est pas non plus remplie ;

* elle n'a commis aucune faute en qualité de maître d'ouvrage, même partiellement, exonératoire de la responsabilité du constructeur :

* il n'y avait aucune obligation de faire appel à un contrôleur technique conformément aux article L. 111-26 et R. 111-38 du code de la construction et de l'habitation ; une mission de contrôle extérieur avait été confiée au CETE ;

* la seule circonstance qu'elle disposerait de services techniques ne fonde pas une faute, sauf immixtion fautive dans l'exécution du marché ce qui n'est pas le cas ;

* elle n'a pas commis de faute à ne pas avoir prévenu les constructeurs des investigations intervenues avant les opérations d'expertise dès 2004 - 2005 ;

* elle n'a pas commis de faute à ne pas avoir procédé à l'étanchement des chevêtres plus tôt, opération très coûteuse et sur laquelle les avis étaient partagés ; seul un défaut d'entretien du maître d'ouvrage est de nature à exonérer les constructeurs, l'étanchement des chevêtres ne constituant pas une mesure d'entretien des chevêtres ;

* à titre subsidiaire, à supposer qu'une légère augmentation des injections à réaliser doivent demeurer à sa charge, le montant serait limité à la somme de 7 242 euros HT ;

* en ce qui concerne l'évaluation du préjudice :

* tous les chevêtres doivent être étanchés pour remédier aux désordres, le préjudice incluant aussi les investigations, le suivi des déformations et les préjudices généraux ; les analyses menées sur les chevêtres sur lesquels les essais de l'expertise n'avaient pas été menés ont également montré une réaction sulfatique interne avec un potentiel de gonflement très fort ;

* l'addition des factures de la société Argotech entre avril 2018 et fin 2020 montre un montant supérieur au montant retenu par l'expert ; la société Demathieu Bard Construction doit être condamnée à verser un supplément de 4 935 euros HT ;

o en ce qui concerne la responsabilité contractuelle :

* s'applique la prescription décennale résultant des dispositions de l'article 1792-4-3 du code civil ; la requête en référé expertise de septembre 2010 a interrompu la prescription ;

* elle est recevable et bien fondée à rechercher la responsabilité contractuelle de la société Egis International au titre de sa mission d'assistance aux opérations de réception, impliquant un devoir de conseil auprès du maître d'ouvrage ;

- en ce qui concerne les désordres résultant du défaut de ferraillage :

o aucune prescription n'est acquise, la requête en référé introduite en septembre 2010 ayant interrompu le délai de responsabilité décennale ; la requête en référé visait les désordres consécutifs aux fissurations et ce sont les opérations d'expertise qui ont permis de découvrir que ces fissurations étaient causées non seulement par un phénomène de réaction sulfatique interne mais aussi par une insuffisance de ferraillages ; sa requête en référé n'a jamais entendu circonscrire le périmètre de sa demande aux seules fissures résultant du phénomène de réaction sulfatique interne ;

o aucune prescription n'est acquise en ce qui concerne la responsabilité contractuelle, la prescription décennale prévue par l'article 1792-4-3 du code civil trouvant à s'appliquer ;

o à titre subsidiaire, s'applique un délai de prescription trentenaire du fait d'une faute assimilable à la fraude ou au dol :

* la faute consistant, par souci d'économie, à couper des armatures en deux constitue bien une faute assimilable à la fraude ou au dol ;

* le fait pour le maître d'oeuvre de viser les plans d'exécution sans tenir compte des notes de calcul constitue également une telle faute ;

* à titre très subsidiaire, le délai de prescription en cas de faute assimilable à une fraude ou un dol n'a pu courir qu'à compter de la découverte du dommage dans toute son ampleur soit à compter du dépôt du rapport d'expertise ;

o les désordres sont de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs sur le fondement des articles 1792 et 1792-4-1 du code civil :

* les fissures causées pour partie par le défaut de ferraillage n'étaient pas apparentes à la réception ;

* le défaut de ferraillage n'assure pas la sécurité structurelle de l'ouvrage conformément à la réglementation ; l'expert n'a autorisé le maintien de l'ouvrage en service que sous certaines restrictions et mesures conservatoires et dans des conditions provisoirement non conformes à la réglementation ;

* le désordre est imputable :

* au bureau d'études COGECI, sous-traitant de la société Demathieu Bard Construction, qui a réalisé les plans de ferraillages ; la société Demathieu Bard Construction est tenue à l'égard du maître d'ouvrage des fautes commises par son sous-traitant ;

* à la société Egis International, maître d'œuvre chargé du contrôle des études d'exécution au titre de la mission VISA ;

* elle n'a commis aucune faute exonératoire de la responsabilité des constructeurs :

* sa demande de réalisation de trous d'homme pour permettre un accès à l'intérieur des piles du viaduc n'a pas été prise en compte par la COGECI dans ses plans d'exécution ; il n'y a aucun lien entre la présence des trous d'homme et la longueur des barres ; il s'agit d'une demande de modification ponctuelle et légitime qui ne caractérise pas une immixtion ;

* il n'était pas obligatoire de faire appel à un contrôleur technique en application des articles L. 111-26 et R. 111-38 du code de la construction et de l'habitation ;

o en ce qui concerne l'évaluation du préjudice :

* c'est à tort que l'expert a rejeté la demande de prise en charge de travaux conservatoires de réfection des chaussées réalisés en 2014 pour un montant de 100 228 euros HT, les travaux normaux de réfection de la couche de roulement n'ayant pu être réalisés en raison de l'insuffisance des ferraillages ;

* il n'y a pas redondance des travaux, la précontrainte ayant été rendue indispensable non pour empêcher les venues d'eau mais pour pallier l'insuffisance des ferraillages ;

* il ne saurait y avoir un abattement pour vétusté, les dommages étant apparus très peu de temps après la réception.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 22 avril 2021, le 16 septembre 2021 et le 15 novembre 2021, la société Ciments Calcia, représentée par Me Martins-Schreiber, demande à la cour :

1°) à titre principal :

- de réformer partiellement le jugement n° 1806035 du tribunal administratif de Nantes du 7 octobre 2020 en tant qu'il n'a pas rejeté les demandes formulées à son encontre comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaitre ;

- de rejeter comme portés devant une juridiction incompétente les appels en garantie dirigés contre elle par la société Demathieu Bard Construction et la société Egis International ;

2°) à titre subsidiaire, de rejeter les appels en garantie dirigés à son encontre par la société Demathieu Bard Construction et la société Egis International ;

3°) de mettre à la charge de la société Demathieu Bard Construction et de la société Egis International la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le juge administratif est incompétent pour connaitre des demandes formées à son encontre dès lors qu'en sa qualité de fournisseur du ciment entré dans la composition du béton fabriqué par la SAS Unibéton, elle ne peut être qualifiée de constructeur d'ouvrage au sens des dispositions de l'article 1792 du code civil ni de fabricant d'un ouvrage, d'une partie d'ouvrage ou d'un élément d'équipement au sens de l'article 1792-4 du code civil ; sa responsabilité ne peut être recherchée que par son co-contractant la société Unibéton sur le fondement du droit de la vente ;

- à titre subsidiaire, les appels en garantie de la société Demathieu Bard Construction et de la société Egis International doivent être rejetés :

o la demande de la société Demathieu Bard Construction se heurte à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil ; la société a eu connaissance de l'existence du phénomène de réaction sulfatique interne au plus tard le 17 septembre 2010, date de la requête de la société Autoroutes du Sud de la France ; la société Demathieu Bard Construction ne peut se prévaloir de la suspension de prescription prévue par l'article 2239 du code civil, ayant été défenderesse dans la procédure de référé instruction introduite par la société Autoroutes du Sud de la France ;

o la demande de la société Egis International se heurte à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil ; la société a eu connaissance de l'existence du phénomène de réaction sulfatique interne au plus tard le 17 septembre 2010 date de la requête de la société Autoroutes du Sud de la France ; elle ne peut se prévaloir de la suspension de prescription prévue par l'article 2239 du code civil, ayant été défenderesse dans la procédure de référé instruction introduite par la société Autoroutes du Sud de la France ;

o les demandes de la société Demathieu Bard Construction et de la société Egis International à son encontre sont irrecevables faute d'indiquer le fondement juridique de leur appel en garantie ;

- elle ne peut être condamnée solidairement avec les constructeurs dès lors qu'en sa qualité de fournisseur du ciment entré dans la composition du béton prêt à l'emploi, elle ne relève pas de l'application des dispositions des articles 1792 et suivants du code civil ;

- c'est à juste titre que le tribunal administratif a estimé que les désordres consécutifs au phénomène de réaction sulfatique interne ne lui étaient pas imputables :

o elle n'a commis aucune faute susceptible d'être à l'origine de la réaction sulfatique interne :

* le phénomène était inconnu lors de la réalisation du chantier ;

* elle a livré un ciment conforme à la commande d'Unibéton et aux normes en vigueur lors de la construction de l'ouvrage et au demeurant aux normes actuelles ; le ciment initialement prévu au CCTP était indisponible en France et elle ne le commercialisait pas ; tous les intervenants ont donné leur accord unanime au changement de ciment à la suite des essais de convenance ; le remplacement ne peut être qualifié de fautif compte tenu de la méconnaissance du phénomène par l'ensemble des intervenants au moment du chantier ;

o les désordres sont imputables à la seule société Demathieu Bard Construction ; les principaux facteurs de survenance du phénomène de réaction sulfatique interne sont l'importante montée en température au jeune âge du béton et les apports d'eau du fait de fissurations de retrait, soit les conséquences de l'action de la société Demathieu Bard Construction ; la réaction sulfatique interne s'est déclenchée lorsque l'entreprise a fait du béton contenant du ciment en bétonnant des pièces massives par temps chaud ce qui explique que la réaction ne s'est pas produite dans l'ensemble des ouvrages, notamment les piles.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 27 juillet 2021 et le 5 novembre 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- le principe du contradictoire n'a pas été méconnu :

o les mémoires produits par la société Autoroutes du Sud de la France et la société Ciments Calcia le 25 mai 2020 n'apportaient pas d'éléments nouveaux et les premiers juges ne se sont pas fondés sur des éléments contenus dans des mémoires non communiqués ;

o à titre subsidiaire, la société Demathieu Bard Construction n'établit pas que la méconnaissance de l'obligation de communication résultant de l'article R. 611-1 du code de justice administrative aurait eu pour effet de préjudicier à ses droits ;

- le jugement n'a pas omis de statuer de statuer sur des conclusions de la société Demathieu Bard Construction puisqu'en ne retenant pas expressément comme fondée la demande de cette dernière tendant à être garantie par l'Etat, les juges l'ont implicitement écartée ;

- le jugement est suffisamment motivé ;

- le jugement n'est pas entaché de contradictions de motifs ;

- en ce qui concerne les fissurations résultant de la réaction sulfatique interne, le CETE n'a pas commis de faute à l'origine de ces désordres :

o la société Demathieu Bard Construction ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une faute commise par le CETE dans l'exécution de sa mission de veille technologique, ni de lien de causalité avec les dommages ;

o le CETE n'a pas commis de faute compte tenu de l'état des connaissances scientifiques sur le phénomène de réaction sulfatique interne, qui était alors très peu documenté à la date des travaux de construction du viaduc ;

o le CETE n'a pas pris part à la décision de remplacement en cours du chantier du ciment initialement prévu par le marché par un ciment plus exothermique ;

o le CETE n'a pas manqué à son devoir d'assistance et de surveillance puisqu'une mise en demeure a été adressée par le maître d'œuvre à la société pour qu'elle se conforme au CCTP et évite le bétonnage par temps chaud ;

o la société Egis International a été condamnée en sa qualité de maître d'œuvre et non au titre de sa fonction d'assistance laboratoire ; la condamnation de la société Egis International ne saurait donc impliquer la condamnation de l'Etat son co-traitant du marché d'assistance laboratoire ;

- en ce qui concerne les désordres consécutifs à l'insuffisance de ferraillage, le CETE n'est pas intervenu dans le dimensionnement du ferraillage de l'ouvrage.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 17 septembre 2021 et le 15 novembre 2021, la SAS Unibéton, représentée par Me El Fadl, demande à la cour :

1°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement n° 1806035 du tribunal administratif de Nantes du 7 octobre 2020 en tant qu'il l'a condamnée, par l'article 5 du jugement, à garantir la société Demathieu Bard Construction et la société Egis International à hauteur de 20 % de la condamnation à la réparation des dommages résultant du phénomène de réaction sulfatique interne ;

2°) de rejeter la demande de garantie présentée par la société Egis International à son encontre :

- à titre principal comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaitre ;

- à titre subsidiaire comme non fondée ;

3°) de mettre à la charge de la société Egis International :

- la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes l'a condamnée à garantir la société Demathieu Bard Construction à hauteur de 20 % de la condamnation pour les désordres résultant du phénomène de réaction sulfatique interne dès lors que :

o la société Demathieu Bard Construction n'avait formé aucun appel en garantie à son encontre ;

o la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaitre d'un appel en garantie de la société Demathieu Bard Construction à son encontre puisqu'elles sont liées par un contrat de droit privé ;

- c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes l'a condamnée à garantir la société Egis International à hauteur de 20 % de la condamnation pour les désordres résultant du phénomène de réaction sulfatique interne :

o l'action ne relevait pas de la compétence de la juridiction administrative, en sa qualité de fournisseur de béton à l'entreprise de travaux qui ne lui a pas conféré la qualité de participant à une opération de construction ;

o à titre subsidiaire, la demande de la société Egis International est prescrite en application des dispositions de l'article 2224 du code civil, applicable à toutes les actions introduites postérieurement à la réforme de la prescription ; comme elle a la qualité de fournisseur et non de constructeur, le point de départ du délai de prescription est la demande en référé qui constitue la date à laquelle la société Egis International a eu connaissance de la demande dirigée contre elle ;

o elle n'a aucune responsabilité dans la survenance du phénomène de réaction sulfatique interne :

* il ne saurait lui être imputé une méconnaissance d'un prétendu devoir de veille technologique renforcé compte tenu de l'état des connaissances sur le phénomène de réaction sulfatique interne à la date de l'étude puis de la construction du viaduc ; il était impossible à la profession d'avoir connaissance du phénomène avant mai 2000, les premières recommandations n'ayant été publiées qu'en novembre 2003 ; il ne saurait lui être imputé une responsabilité sans faute ou une obligation de résultat ne ressortant d'aucun texte ;

* en qualité de fournisseur, elle n'a pas vocation à connaitre les détails de la mise en œuvre du produit qu'elle fournit en fonction des données transmises par le maître d'œuvre et l'entreprise ; elle a fourni un béton conforme aux préconisations contractuelles et exempt de tout vice ; la modification du ciment a été testée et validée par le maître d'œuvre et l'entreprise ; le choix ne lui est aucunement imputable et est au demeurant non fautif compte tenu de l'état des connaissances scientifiques ;

* elle n'a commis aucune faute dans le rapport eau / ciment puisque l'expert a finalement confirmé la conformité au CCTP du dosage en eau du ciment ;

* la suppression de l'entraineur d'air n'a joué aucun rôle dans l'apparition des dommages ; en tout état de cause, cette suppression a été validée par le maître d'œuvre ;

* elle n'est pas responsable des conditions de mise en œuvre du béton, aucune obligation de conseil due à l'entreprise n'existant s'agissant de règles de l'art bien connues de cette dernière et de règles rappelées par le CCTP ; il ne lui appartient pas de donner des instructions à l'entreprise, seule spécialiste de la mise en œuvre du béton ;

* le béton qu'elle a fourni a été réceptionné sans réserve de la part de la société Demathieu Bard Construction ;

* l'origine du désordre réside exclusivement dans les conditions de bétonnage par temps chaud des pièces massives par la société Demathieu Bard Construction.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 octobre 2021, la SAS Egis International, représentée par Me Dupuy, demande à la cour :

1°) à titre principal, d'annuler le jugement n° 1806035 du tribunal administratif de Nantes du 7 octobre 2020 en tant qu'il l'a condamnée au profit de la société Autoroutes du Sud de la France ;

2°) à titre subsidiaire :

- en ce qui concerne les désordres résultant de l'insuffisance de ferraillage :

o de mettre 5 % des désordres à la charge de la société Autoroutes du Sud de la France ;

o de limiter à 80 % des désordres sa condamnation ;

o de condamner in solidum la société Demathieu Bard Construction, la COGECI et l'Etat, venant aux droits du CETE de l'Ouest, à la garantir intégralement de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre ;

o de rejeter tout appel en garantie présenté par la société Demathieu Bard Construction allant au-delà de 20 % des éventuelles condamnations ;

- en ce qui concerne les désordres liés à la réaction sulfatique interne :

o de mettre 8 % du dommage à la charge de la société Autoroutes du Sud de la France ;

o de condamner in solidum la société Demathieu Bard Construction, la société Unibéton, la société Ciments Calcia et l'Etat, venant aux droits du CETE de l'Ouest, à la garantir à hauteur de 90 %, très subsidiairement 86% des désordres ;

o de rejeter tout appel en garantie présenté par la société Demathieu Bard Construction allant au-delà de 10 % des éventuelles condamnations ;

3°) de mettre à la charge de la société Autoroutes du Sud de la France la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, en ce qui concerne les demandes relatives à l'insuffisance de ferraillage, les demandes présentées à son encontre doivent être rejetées quel que soit le fondement invoqué :

o la demande de la société Autoroutes du Sud de la France fondée sur la responsabilité décennale des constructeurs se heurte à la prescription ; les demandes relatives à l'insuffisance de ferraillage ont été formulées pour la première fois dans la requête du 8 juillet 2018 postérieurement au délai de dix ans ; la requête en référé expertise n'a pas d'effet interruptif car elle ne concernait pas le problème de dimensionnement de l'ouvrage provenant d'une erreur de conception dans les plans de ferraillage ;

o à titre subsidiaire, le maître d'ouvrage a commis une faute de nature à exonérer les constructeurs de la totalité de leur responsabilité du fait de sa demande en cours de chantier d'insérer des trous d'homme dans l'ouvrage pour en assurer l'entretien ;

o la demande de la société Autoroutes du Sud de la France fondée sur la responsabilité contractuelle des constructeurs se heurte à la prescription :

* à la prescription quinquennale en application des dispositions de l'article 2222 du code civil ; le problème de dimensionnement des aciers a été identifié par l'expert judiciaire dans sa note technique du 17 juillet 2011 ce qui constitue le point de départ du délai ;

* à supposer qu'elle soit applicable, à la prescription décennale en application des dispositions de l'article 1792-4-3 du code civil, le délai courant à compter de la réception des travaux ;

* en cas de faute assimilable à une fraude ou un dol, la prescription quinquennale issue de l'article 2222 du code civil est applicable ; en outre, aucune faute de cette nature n'est établie à son encontre ;

o à titre subsidiaire, la demande fondée sur la responsabilité contractuelle des constructeurs n'est pas fondée :

* elle n'a pas commis de manquement à son devoir de conseil lors de la réception ;

* le maître d'ouvrage a commis une faute du fait de son immixtion ;

- à titre subsidiaire, en ce qui concerne les désordres relatifs au défaut de ferraillage :

o le jugement doit être confirmé :

* en ce qui concerne le refus d'indemniser le préjudice relatif aux travaux de réfection de la chaussée en 2014 ;

* en ce qu'il a estimé que son appel en garantie contre COGECI n'était pas prescrit ;

* en ce qu'il a estimé qu'elle était fondée à être garantie par COGECI et la société Demathieu Bard Construction ;

o les désordres sont imputables à des manquements et fautes commis par COGECI :

* l'établissement des plans et les notes de calcul, entachées d'erreurs, incombaient à COGECI ;

* elle est donc fondée à engager la responsabilité délictuelle de COGECI sur le fondement de l'article 1240 du code civil ;

o les désordres sont imputables à des manquements et faute commis par la société Demathieu Bard Construction ; la mission EXE d'élaboration des notes et plans d'exécution incombait contractuellement à la société Demathieu Bard Construction qui a choisi de les sous-traiter et en demeure responsable en application de l'article 4.1.1 du fascicule E5 du CCTP ; le contrôle interne qui concerne les sous-traitants a été défaillant ;

o le jugement doit être réformé quant au partage de responsabilités qu'il a retenu :

* le jugement a omis de statuer sur l'appel en garantie de l'Etat venant aux droits du CETE de l'Ouest ;

* la faute du maître d'ouvrage qui s'est immiscé dans l'exécution et a demandé en cours de chantier d'insérer des trous d'homme dans l'ouvrage doit être retenue et permet d'imputer à la société Autoroutes du Sud de la France une part d'au moins 10 % du dommage ;

* son rôle était limité puisque si l'article 3.1 du marché de maîtrise d'œuvre lui confiait des études de projet, la conception d'exécution (EXE) incombait à la société Demathieu Bard Construction, en particulier l'élaboration des notes de calcul et plans d'exécution (article 2.2 du fascicule A du CCTP) ; après établissement des études d'exécution, elle ne s'est vu confier qu'une mission VISA ; elle ne saurait se voir imputer une part supérieure à 20 % de responsabilité du fait de cette mission ;

* la faute déterminante dans la survenue du désordre est celle de la société Demathieu Bard Construction et de son sous-traitant ;

* dès lors la société Demathieu Bard Construction, la COGECI et l'Etat doivent être condamnés in solidum à la garantir à hauteur de 80 % de toute condamnation prononcée à son encontre ; l'appel en garantie formé par la société Demathieu Bard Construction à son encontre doit être limité à 20%du dommage ;

- en ce qui concerne les demandes relatives à la fissuration provoquée par le phénomène de réaction sulfatique interne :

o le jugement doit être confirmé en ce qu'il a retenu l'absence de désordres apparents à la réception ;

o les autres conditions de l'engagement de la responsabilité décennale des constructeurs ne sont pas remplies :

* les désordres ne présentent pas un caractère décennal futur et certain ; en l'espèce, 20 ans après la construction de l'ouvrage, les désordres imputables à la réaction sulfatique interne ne revêtent pas un caractère décennal ; il n'est pas établi qu'ils le revêtiront un jour ni dans quel délai ; les conditions d'essais pour déterminer le potentiel de gonflement sont très éloignées des conditions réelles du viaduc ;

* à titre subsidiaire, il existe des causes exonératoires de sa responsabilité :

* les désordres sont imputables à la société Autoroutes du Sud de la France qui n'a pris aucune mesure conservatoire alors qu'à partir de décembre 2004, les facteurs et le caractère évolutif de la réaction sulfatique interne étaient connus et les premières recommandations d'étanchement émises ; le maître d'ouvrage a donc contribué directement et exclusivement au développement de la réaction sulfatique interne ;

* les désordres sont imputable à un cas de force majeure, le phénomène n'étant pas connu de la profession au moment des faits ;

o les demandes fondées sur la responsabilité contractuelle de droit commun ne sont pas fondées :

* le maître d'ouvrage ne démontre aucune faute qui lui serait imputable, en moins une faute assimilable à un dol ou une fraude ; il n'est pas établi que les dommages liés à la réaction sulfatique interne auraient été apparents à la réception et que le maître d'oeuvre aurait dû en avoir connaissance ;

* la réception a été prononcée sans réserve, excluant l'engagement de la responsabilité contractuelle ;

* elle serait fondée à invoquer les mêmes causes exonératoires que pour la responsabilité décennale ;

o à titre subsidiaire, les sommes allouées à la société Autoroutes du Sud de la France doivent être réduites du fait de son implication dans le développement du phénomène de réaction sulfatique interne ; la société Autoroutes du Sud de la France devra garder à sa charge au moins 10 % du préjudice, soit la somme de 103 204, 59 euros ;

o en ce qui concerne les appels en garantie contre la SAS Unibéton, la société Ciments Calcia et la société Demathieu Bard Construction :

* la juridiction administrative est compétente pour connaitre de ses appels en garantie contre la SAS Unibéton et la société Ciments Calcia dès lors qu'ils sont participants à l'exécution d'une opération de travaux publics, sans qu'importe que ce dernier n'ait pas la qualité de constructeur, et qu'elle n'est pas liée avec ces sociétés par un contrat de droit privé ;

* l'appel en garantie contre la SAS Unibéton et la société Ciments Calcia ne se heurte pas à la prescription ; le délai de prescription quinquennale n'a commencé à courir qu'à compter du dépôt de la requête au fond déposé par la société Autoroutes du Sud de la France ;

* la société Demathieu Bard Construction doit être condamnée à la garantir :

* la société Demathieu Bard Construction a mis en œuvre le matériau directement impliqué dans le phénomène de réaction sulfatique interne ;

* la société Demathieu Bard Construction est impliquée dans la modification du ciment initialement prévu par le maître d'oeuvre dans le CCTP ; elle est responsable des matériaux qu'elle met en œuvre ;

* la société Demathieu Bard Construction est impliquée dans la suppression de l'entraineur d'air qui était prévu dans la composition du béton ;

* la société Demathieu Bard Construction est impliquée dans les conséquences d'un bétonnage par temps chaud alors que le CCTP alertait spécifiquement l'entreprise sur les précautions à prendre concernant le bétonnage par temps chaud ;

* la SAS Unibéton doit être condamnée à la garantir sur le fondement de l'article 1240 du code civil :

* les fournisseurs de béton et les cimentiers ne pouvaient pas légitimement ignorer l'existence du phénomène de réaction sulfatique interne puisqu'ils avaient un devoir de veille technologique ;

* la SAS Unibéton a fourni le matériau directement impliqué dans le phénomène de réaction sulfatique interne, un béton fabriqué à partir d'un ciment riche en sulfates et fortement exothermique ;

* la SAS Unibéton est impliquée dans la modification du ciment initialement prévu par le CCTP ;

* la SAS Unibéton est impliquée dans la suppression de l'entraineur d'air qui était prévu dans la composition du béton ;

* la SAS Unibéton est impliquée dans les conséquences d'un bétonnage par temps chaud ;

* la société Ciments Calcia doit être condamnée à la garantir sur le fondement de l'article 1240 du code civil :

* les cimentiers ne pouvaient pas légitimement ignorer l'existence du phénomène de réaction sulfatique interne puisqu'ils avaient un devoir de veille technologique ;

* la société Ciments Calcia a fourni le matériau directement impliqué dans le phénomène de réaction sulfatique interne, un béton fabriqué à partir d'un ciment riche en sulfates et fortement exothermique ;

* la société Ciments Calcia est impliquée dans la modification du ciment initialement prévu par le CCTP ;

* l'Etat doit être condamné à la garantir du fait de la méconnaissance de l'obligation de veille technologique, de la modification du ciment et des conditions de bétonnage ;

o compte tenu des fautes respectives de chacun, sa responsabilité doit être limitée à 10 % et elle doit être garantie par la société Demathieu Bard Construction, la SAS Unibéton, la société Ciments Calcia et l'Etat à hauteur de 90 % ; à titre subsidiaire il convient de retenir la ventilation des responsabilités proposée par l'expert judiciaire soit 14 % pour elle, 8 % pour la société Autoroutes du Sud de la France, 12 % pour le LRPC, 32 % pour la société Demathieu Bard Construction, 21 % pour la SAS Unibéton, et 13 % pour la société Ciments Calcia.

- la répartition des frais d'expertise doit être également modifiée.

Par une ordonnance du 8 octobre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 novembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- le décret n°78-1306 du 26 décembre 1978 approuvant le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Béria-Guillaumie, première conseillère,

- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,

- et les observations de Me Mariet, représentant la société Demathieu Bard Construction, de Me Lionel-Marie, représentant la société Autoroutes du Sud de la France, de Me Martins-Schreiber, représentant la société Ciments Calcia, de Me Allere, représentant la SAS Unibéton, de Me Garaudet, représentant la SAS Egis International.

Une note en délibéré, présentée pour la société Demathieu Bard Construction, a été enregistrée le 29 mars 2022.

Une note en délibéré, présentée pour la société Autoroutes du Sud de la France, a été enregistrée le 30 mars 2022.

Considérant ce qui suit :

1. La société Autoroutes du Sud de la France, concessionnaire de l'autoroute A 87 entre Angers et la Roche-sur-Yon, a souhaité faire construire plusieurs ouvrages d'art sur la portion nord de l'autoroute, notamment un viaduc, ouvrage d'art exceptionnel, pour franchir la rivière du Layon. La maîtrise d'œuvre de l'opération a été confiée, par un marché de septembre 1997, à un groupement solidaire constitué de la Société Centrale d'Etudes et de Réalisation Routières (SCETAUROUTE), aux droits de laquelle vient désormais la SAS Egis International, et la société anonyme Jean Muller International, la SCETAUROUTE étant désignée en qualité de mandataire du groupement. Les travaux de construction du A... ont été confiés, par un marché des 26 novembre et 7 décembre 1998, à la société Demathieu Bard Construction pour le lot principal (béton) et à la société anonyme Baudin Châteauneuf pour le lot accessoire (charpente métallique). Par ailleurs, un marché portant sur une assistance laboratoire au contrôle des travaux d'ouvrages d'art a été confié, le 27 mai 1999, au Centre d'études techniques de l'équipement de l'Ouest, relevant d'un service déconcentré de l'Etat, le Laboratoire régional des Ponts et Chaussées d'Angers, solidairement avec la SCETAUROUTE. Les travaux ont été menés à compter de l'été 1999, la société Demathieu Bard Construction s'étant fournie en béton prêt à l'emploi auprès de la société Unibéton. Cette dernière s'est approvisionnée en matériaux constitutifs du béton auprès de la société Ciments Calcia, pour le ciment, et auprès des sociétés Carrières et Travaux de Château-Panne et Carrières Nivet pour les granulats. Par une décision du 26 octobre 2000, la société Autoroutes du Sud de la France a prononcé la réception des travaux au 21 septembre précédent, sous quelques réserves qui ont ultérieurement été levées par une décision du 16 janvier 2002.

2. Des fissurations sont cependant apparues sur les chevêtres du A... et des études menées à partir de 2004 par le Centre d'études techniques de l'équipement (CETE) Ouest dépendant du Laboratoire Régional des Ponts et Chaussées d'Angers ont estimé que ces fissurations pouvaient être le résultat d'un gonflement interne dû à un phénomène chimique dénommé réaction sulfatique interne. La société Autoroutes du Sud de la France a saisi, le 14 septembre 2010, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes en vue de la désignation d'un expert. Il a été fait droit à cette demande par une ordonnance du 8 décembre 2010. L'expert désigné a rendu son rapport le 10 février 2018. Le 2 juillet 2018, la société Autoroutes du Sud de la France a saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à la condamnation in solidum de la société Demathieu Bard Construction et de la société Egis International à l'indemniser des préjudices résultant des désordres affectant le A.... Par un jugement du 7 octobre 2020, le tribunal administratif de Nantes a, en premier lieu, mis hors de cause le Céréma, établissement public de l'Etat substitué au CETE Ouest, en deuxième lieu, condamné in solidum la société Demathieu Bard Construction et la société Egis International à verser à la société Autoroutes du Sud de la France la somme de 1 032 045,94 euros au titre des désordres de fissuration résultant du phénomène de réaction sulfatique interne, assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2018 et de leur capitalisation, en troisième lieu, condamné la société Demathieu Bard Construction à garantir la société Egis International à hauteur de 70% de la condamnation prononcée à l'article 2, en quatrième lieu, condamné la société Egis International à garantir la société Demathieu Bard Construction à hauteur de 10% de la condamnation prononcée à l'article 2, en cinquième lieu, condamné la société Unibéton à garantir la société Demathieu Bard Construction et la société Egis International à hauteur de 20 % de la condamnation prononcée à l'article 2, en sixième lieu, condamné in solidum la société Demathieu Bard Construction et la société Egis International à verser à la société Autoroutes du Sud de la France la somme de 1 487 591,38 euros au titre des désordres de fissuration liés au défaut de ferraillage, assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2018 et de leur capitalisation, en septième lieu, condamné la société COGECI à garantir la société Demathieu Bard Construction et la société Egis International à hauteur de 50 % de la condamnation prononcée à l'article 6, en huitième lieu, condamné la société Demathieu Bard Construction à garantir la société Egis International à hauteur de 20 % de la condamnation prononcée à l'article 6, en neuvième lieu, condamné la société Egis International à garantir la société Demathieu Bard Construction à hauteur de 30 % de la condamnation prononcée à l'article 6, et en dernier lieu, mis les frais d'expertise à la charge définitive de la société Demathieu Bard Construction à hauteur de 40 000 euros, de la société Egis International à hauteur de 20 000 euros, de la société COGECI à hauteur de 15 000 euros, et de la société Unibéton à hauteur de 6 243, 12 euros.

3. La société Demathieu Bard Construction relève appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 7 octobre 2020 en tant qu'il l'a condamnée au profit de la société Autoroutes du Sud de la France, qu'il a rejeté ses appels en garantie contre la société Ciments Calcia et l'Etat et qu'il a limité à 10 et 20 % des dommages la garantie de la société Egis International. La société Autoroutes du Sud de la France demande la condamnation in solidum de la société Demathieu Bard Construction et de la société Egis International à lui verser une somme complémentaire de 150 703 euros HT. Par ailleurs, par la voie de l'appel incident, la SAS Unibéton demande l'annulation du jugement en tant qu'il l'a condamnée à garantir la société Demathieu Bard Construction et par la voie de l'appel provoqué, l'annulation du même jugement en tant qu'il l'a condamnée à garantir la société Egis International. La société Egis International, quant à elle, demande à titre principal par la voie de l'appel provoqué, l'annulation du jugement du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il l'a condamnée au profit de la société Autoroutes du Sud de la France et à titre subsidiaire, d'une part, par la voie de l'appel incident la réformation du jugement attaqué en tant qu'il l'a condamnée à garantir la société Demathieu Bard Construction et d'autre part, par la voie de l'appel provoqué, la condamnation in solidum d'une part de la société Demathieu Bard Construction, la COGECI et l'Etat, et d'autre part, de la société Demathieu Bard Construction, la SAS Unibéton, la société Ciments Calcia et l'Etat à la garantir des condamnations prononcées à son encontre. Enfin, la société Ciments Calcia demande, à titre principal, la réformation du jugement attaqué en tant qu'il a reconnu la compétence de la juridiction administrative pour statuer sur les appels en garantie à son encontre.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

4. En premier lieu, le litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, sauf si les parties sont unies par un contrat de droit privé.

5. Il résulte de l'instruction que la société Demathieu Bard Construction a acheté le béton prêt à l'emploi qu'elle a utilisé pour la construction du A... auprès de la SAS Unibéton. La société Demathieu Bard Construction et la SAS Unibéton étaient donc unies par un contrat de droit privé. Il suit de là que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est estimé compétent pour condamner la SAS Unibéton à garantir la société Demathieu Bard Construction à hauteur de 20 % du montant de la réparation des dommages imputables à la réaction sulfatique interne, alors au surplus qu'il résulte de l'instruction que la société Demathieu Bard Construction n'avait formulé aucun appel en garantie contre son fournisseur de béton.

6. En second lieu, conformément aux principes régissant la responsabilité décennale des constructeurs, la personne publique maître de l'ouvrage peut rechercher devant le juge administratif la responsabilité des constructeurs pendant le délai d'épreuve de dix ans, ainsi que, sur le fondement de l'article 1792-4 du code civil, la responsabilité solidaire du fabricant d'un ouvrage, d'une partie d'ouvrage ou d'un élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance. L'article 1792-4 du code civil, dans sa rédaction applicable, dispose en effet que : " Le fabricant d'un ouvrage, d'une partie d'ouvrage ou d'un élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance, est solidairement responsable des obligations mises par les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 à la charge du locateur d'ouvrage qui a mis en œuvre, sans modification et conformément aux règles édictées par le fabricant, l'ouvrage, la partie d'ouvrage ou élément d'équipement considéré (...) ".

7. Ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, la société Demathieu Bard Construction, titulaire du marché de construction du A..., a acquis auprès de la SAS Unibéton le béton prêt à l'emploi nécessaire. La société Unibéton a, quant à elle, acquis les différents composants nécessaires à la fabrication du béton auprès d'entreprises tierces et a notamment acquis le ciment entrant dans la composition du béton auprès de la société Ciments Calcia. Dans ces conditions, d'une part, ces deux sociétés, eu égard à l'objet de leur contrat respectif, ont la qualité de simples fournisseurs et ne peuvent être regardées comme des participants à l'opération des travaux publics de construction du A.... D'autre part, il est constant que le béton ainsi livré prêt à l'emploi par la SAS Unibéton à la société Demathieu Bard Construction est commercialisé auprès d'autres sociétés ou maîtres d'ouvrage. Le fait que les caractéristiques de la composition de ce béton ont été définies précisément à l'avance par les documents techniques du marché n'est pas de nature à établir l'existence de circonstances particulières permettant de démontrer que ce simple matériau pouvait être qualifié d'ouvrage, de partie d'ouvrage ou d'élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance, au sens des dispositions de l'article 1792-4 du code civil définissant la qualité de fabricant. Il en va de même du ciment fourni par la société Ciments Calcia pour entrer dans la composition du béton frais de la SAS Unibéton, dont il est constant qu'il figure sur le catalogue de la société cimentière et est couramment commercialisé auprès d'autres sociétés ou maîtres d'ouvrage. Dès lors, les conclusions de la société Demathieu Bard Construction dirigées contre la société Ciments Calcia et les conclusions de la société Egis International dirigées contre la société Ciments Calcia et la SAS Unibéton doivent être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaitre. C'est ainsi à tort que le tribunal administratif de Nantes, s'estimant compétent pour en connaitre, a statué au fond sur ces conclusions.

Sur l'appel principal de la société Demathieu Bard Construction :

En ce qui concerne les moyens contestant la régularité du jugement :

8. En premier lieu, l'article R. 611-1 du code de justice administrative dispose que : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ".

9. Il résulte de l'instruction, notamment des pièces relatives à la procédure suivie devant les premiers juges, que par une ordonnance du 25 mai 2020 adoptée en application des dispositions des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative, le tribunal administratif a prononcé la clôture avec effet immédiat de l'instruction de l'affaire. Il résulte également de l'instruction qu'un mémoire présenté le même jour pour la société Ciments Calcia avant la notification de cette ordonnance et un mémoire présenté le même jour pour la société Autoroutes du Sud de la France après la notification de cette ordonnance n'ont pas été communiqués par les premiers juges aux autres parties. La société Demathieu Bard Construction reproche au jugement du tribunal administratif de Nantes, d'une part, de ne pas avoir mentionné l'absence de communication de ces mémoires et, d'autre part, de s'être fondé, en méconnaissance du principe du contradictoire, sur des éléments figurant dans ces mémoires. Néanmoins, il résulte du jugement attaqué que celui-ci, après avoir visé l'ordonnance de clôture d'instruction du 25 mai 2020, s'est borné à mentionner sans les analyser ces deux mémoires, ce qui signifie implicitement mais nécessairement que ceux-ci n'ont pas été communiqués ni utilisés par les premiers juges. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que le mémoire présenté pour la société Ciments Calcia ne comportait pas d'élément ni d'argumentation nouveaux. Le mémoire présenté pour la société Autoroutes du Sud de la France se bornait, quant à lui, à développer des arguments à l'appui de moyens déjà soulevés et s'il produisait un nouveau rapport d'étude du laboratoire d'études et de recherche sur les matériaux (LERM) de juillet 2020, il ne résulte aucunement de l'instruction que le tribunal administratif se serait fondé sur ces nouveaux arguments ou sur cette pièce. Ainsi, la société Demathieu Bard Construction n'est pas fondée à soutenir que le jugement du tribunal administratif de Nantes du 7 octobre 2020 serait irrégulier en raison d'une méconnaissance du principe du contradictoire.

10. En deuxième lieu, l'article R. 741-2 du code de justice administrative dispose que : " La décision mentionne que l'audience a été publique, sauf s'il a été fait application des dispositions de l'article L. 731-1. Dans ce dernier cas, il est mentionné que l'audience a eu lieu ou s'est poursuivie hors la présence du public. / Elle contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application (...) ".

11. La société Demathieu Bard Construction reproche au jugement attaqué d'avoir omis de statuer sur ses conclusions d'appel en garantie dirigées contre l'Etat, venant aux droits du CETE, au titre des désordres résultant de l'insuffisance du ferraillage. Il résulte néanmoins de l'instruction que le premier mémoire présenté pour le compte de cette société devant le tribunal administratif de Nantes ne comportait que des conclusions d'appel en garantie dirigées contre le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) dont la société estimait qu'il venait aux droits du CETE. Dans son second mémoire enregistré devant les premiers juges, la société Demathieu Bard Construction avait certes redirigé ses conclusions à fin d'appel en garantie en ajoutant au CEREMA l'Etat venant aux droits du CETE. Néanmoins, il résulte clairement de l'argumentation développée dans ce second mémoire que la société, bien que désignant de manière vague un appel en garantie " de toute condamnation qui serait susceptible d'être prononcée à son encontre ", entendait uniquement obtenir la garantie de l'Etat au titre des désordres résultant du phénomène chimique de la réaction sulfatique interne. En l'absence de conclusions explicites tendant à la condamnation de l'Etat, venant aux droits du CETE, à la garantir au titre des désordres résultant de l'insuffisance du ferraillage, la société Demathieu Bard Construction n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait, partiellement, irrégulier en raison de l'omission à statuer sur ces conclusions.

12. En dernier lieu, en application de l'article L. 9 du code de justice administrative, les jugements doivent être motivés.

13. Il résulte de l'instruction que le tribunal administratif a relevé, au point 3 de son jugement, que les fissurations affectant le A... entraineront à terme, sans mesure corrective, une dégradation progressive et inéluctable de l'ouvrage avec une diminution de la résistance du béton et la corrosion des armatures. Il a ainsi, et alors qu'il n'était pas tenu de répondre à l'ensemble de l'argumentation des parties, suffisamment motivé son jugement en ce qui concerne la nature décennale des désordres affectant le viaduc en conséquence du phénomène chimique de réaction sulfatique interne. Par ailleurs, en relevant dans ce même point que les désordres provoqués par la réaction sulfatique interne n'avaient pas fait l'objet de réserves et en en déduisant, ainsi que du reste de l'instruction, que les désordres en cause n'étaient pas apparents lors de la réception de l'ouvrage, le tribunal administratif a suffisamment motivé son jugement sur ce dernier point. Il résulte en outre de l'instruction qu'au point 5 de son jugement le tribunal administratif a relevé que la survenance du phénomène de réaction sulfatique interne ne pouvait être regardée comme remplissant la condition d'extériorité nécessaire pour caractériser un cas de force majeure, compte tenu du fait que certains facteurs de survenue de ce phénomène chimique résident dans les conditions d'élaboration et de mise en œuvre du béton. Il a ainsi suffisamment motivé son refus de retenir l'existence d'un cas de force majeure. Par ailleurs, pour écarter l'existence d'une faute exonératoire commise par le maître d'ouvrage au point 6 de son jugement, le tribunal administratif a certes relevé que la circonstance que la société Autoroutes du Sud de la France n'avait saisi la juridiction administrative d'une demande d'expertise que peu de temps avant l'expiration de la garantie décennale était sans influence sur la survenue des désordres ou de leur aggravation. Mais les premiers juges ont également relevé à ce même point que dès la découverte des désordres, le maître d'ouvrage a suivi les recommandations qui lui avaient été faites de surveillance renforcée de l'ouvrage et qu'il n'avait commis aucune faute en ne réalisant les mesures d'étanchement qu'en 2017. Le tribunal administratif, qui n'était ainsi qu'il a été rappelé pas tenu de répondre à l'ensemble de l'argumentation des parties, a donc suffisamment motivé son jugement en ce qui concerne " l'inertie " reprochée à la société Autoroutes du Sud de la France. Par ailleurs, au point 21 de leur jugement, les premiers juges ont expressément souligné que compte tenu des connaissances scientifiques à la date des travaux de construction du A..., aucune faute ne pouvait être retenue quant au changement du ciment entrant dans la composition du béton, par rapport aux prescriptions du CCTP. Compte tenu de cette affirmation, la circonstance que le jugement ne précise pas qui serait à l'origine de la décision de changer de catégorie de ciment ou retienne dès lors qu'il ne pouvait y avoir de faute retenue à l'encontre de la société Ciments Calcia, fournisseur du ciment, ou du CETE, n'entache pas d'insuffisance de motivation le jugement attaqué. Enfin, au point 28 de son jugement, le tribunal administratif a relevé expressément que l'opération de renforcement des chevêtres par précontrainte préconisée par l'expert, pour remédier au défaut de ferraillage, pouvait avoir comme conséquence de limiter les infiltrations d'eau dans ces parties d'ouvrage mais n'avait aucunement le même objet que l'opération d'étanchéification des chevêtres visant à faire disparaître ou contrôler le phénomène de réaction sulfatique interne. Il a ainsi suffisamment motivé son jugement concernant l'absence de redondance des préjudices. Il résulte de ce qui précède que la société Demathieu Bard Construction n'est pas fondée à soutenir que le jugement du tribunal administratif de Nantes du 7 octobre 2020 serait insuffisamment motivé et, pour ce motif, irrégulier.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

S'agissant des désordres résultant du phénomène de réaction sulfatique interne :

Quant à la responsabilité décennale des constructeurs :

14. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.

A. La nature et la date des dommages :

15. Il résulte de l'instruction, tant des investigations menées à la demande de la société Autoroutes du Sud de la France depuis l'année 2004 que de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif, que le béton des chevêtres du A... est affecté de fissurations qui sont pour certaines imputables à un phénomène chimique de réaction sulfatique interne se produisant au cœur des pièces de béton. Si la société Demathieu Bard Construction conteste l'existence même d'un phénomène de réaction sulfatique interne ou le lien entre ce phénomène et les fissurations, la totalité des investigations et expertises menées sur les chevêtres du viaduc depuis l'année 2004 ont confirmé l'existence de ce phénomène qui a été de plus objectivé par des examens au microscope électronique. L'expert nommé par le tribunal a relevé, au vu de l'ensemble des mesures réalisées, que si le potentiel de gonflement du béton, entrainant les fissurations à partir de l'extérieur de la pièce, s'était déjà exprimé à la date des opérations d'expertise, le béton des piles du viaduc conservait, pour la majorité des piles, un fort potentiel de gonflement, très supérieur aux recommandations en la matière. Si la société Demathieu Bard Construction conteste la méthodologie utilisée par les laboratoires requis pour déterminer le potentiel de gonflement du béton des chevêtres du viaduc, en soulignant que le traitement des carottes de béton en laboratoire dans l'eau ou dans une atmosphère d'humidité à 100 % s'éloigne des conditions réelles dans lesquelles le viaduc est implanté, il est constant que les essais de laboratoire ne visent pas à reproduire les conditions réelles d'exploitation mais à déterminer le potentiel de gonflement du béton et à rechercher les solutions curatives à ce gonflement. De plus, l'expert a relevé le caractère humide de la région angevine où est implanté l'ouvrage en cause.

16. Par ailleurs, s'il est constant qu'à la date des opérations d'expertise, et avant les mesures curatives mises en œuvre par la société Autoroutes du Sud de la France sur les préconisations de l'expert, le béton des chevêtres des piles du A... présentait une résistance suffisante, notamment en 2013 date de réalisation des carottages, pour assurer la sécurité de l'ouvrage, il résulte de l'instruction, notamment des constatations opérées par l'expert, que le développement au sein de ces pièces massives d'une réaction sulfatique interne entraine une chute importante de la résistance du béton, alors même que le potentiel de gonflement demeure encore élevé. L'expert a ainsi relevé que les déformations subies par le béton continuaient d'évoluer, et notamment de manière plus rapide dans l'épaisseur même des chevêtres. Par ailleurs, il souligne que la dégradation progressive des chevêtres et l'ouverture continue de fissures entrainera un apport d'eau sur la structure métallique interne des chevêtres et une corrosion de cette armature. Il a également relevé l'existence de fissures y compris sur les armatures principales de l'ouvrage, même si elles étaient encore modérées à la date de réalisation des opérations d'expertise. La société Demathieu Bard Construction ne saurait donc sérieusement soutenir que le phénomène ne concerne que les armatures secondaires de l'ouvrage, non nécessaires à sa stabilité. Dans ces conditions, même si, dans le délai de garantie décennale, les désordres affectant les chevêtres qui soutiennent le A... résultant du phénomène de réaction sulfatique interne ne compromettent pas de manière immédiate la solidité de cet ouvrage, il est établi qu'ils sont de nature à compromettre celle-ci de manière certaine eu égard à l'évolution dégradante en cours, de l'ouverture, l'étendue et la profondeur des fissures et en l'absence de traitement d'étanchéité.

17. En second lieu, il résulte de l'instruction, notamment de l'ensemble des investigations menées sur l'ouvrage à la demande de la société Autoroutes du Sud de la France et des opérations d'expertise ordonnées par le tribunal administratif, que les fissurations sont apparues et ont été découvertes en 2004. Si la société Demathieu Bard Construction soutient qu'il ne serait pas établi que les désordres n'auraient pas été apparents à la date de la réception, il résulte des procès-verbaux respectifs de opérations préalables à la réception et de la réception même de l'ouvrage qu'aucune mention n'y est faite de l'existence de telles fissurations. Compte tenu du déroulement des opérations préalables puis des opérations de réception, il ne résulte aucunement de l'instruction que le maître d'ouvrage aurait commis une faute en n'organisant pas d'inspection détaillée, dont la société appelante n'explicite en outre pas la teneur ou les caractéristiques. Dans ces conditions, il n'est aucunement établi que les désordres résultant du phénomène de réaction sulfatique interne auraient été apparents à la date de la réception des travaux de construction du A....

18. Il résulte de ce qui a été dit aux points 15 à 17 que ces désordres sont, par leurs caractéristiques, de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs.

B. L'imputabilité des dommages :

19. Il résulte de l'instruction, notamment des constations opérées par l'expert et de la littérature scientifique présente au dossier ou résumée par l'expert, que le phénomène chimique de réaction sulfatique interne a plus de risques de se produire notamment lorsque la température du béton lors de son coulage est plus élevée à cœur. Il est également constant que le ciment préconisé par le CCTP applicable n'a pas été utilisé sur le chantier et a été remplacé par un ciment différent dont l'expert et l'ensemble des parties reconnaissent qu'il est plus exothermique que celui qui était préconisé par les documents contractuels et qu'il a donc contribué à élever la température du béton lors du coulage de celui-ci. La circonstance que la société Demathieu Bard Construction ne serait pas à l'origine de la décision de changer le ciment prévu par le CCTP et les raisons mêmes de ce changement sont sans incidence sur l'imputabilité à la société appelante des désordres découlant de l'utilisation de ce ciment plus exothermique dès lors qu'il est constant qu'elle a effectivement utilisé, sans aucune réserve, le béton fabriqué à partir de ce ciment. Il résulte également de l'instruction que l'expert a relevé que parmi les piles des chevêtres examinées lors de l'expertise, celles qui présentaient les plus fortes fissurations étaient celles qui avaient été coulées par la société Demathieu Bard Construction alors que les températures extérieures étaient les plus chaudes, en méconnaissance au demeurant des obligations qui découlaient du CCTP. Les estimations de l'expert quant aux températures à cœur du béton lors de son coulage, circonstance propre à favoriser la réaction sulfatique interne, s'élevaient ainsi, par exemple, à 87 degrés pour la pile 3 du viaduc Ouest, laquelle avait été coulée à une température extérieure de 32 degrés et avec un béton lui-même à 31 degrés. A l'inverse, la température à cœur de la pile 2 du viaduc Est, coulée à une température extérieure de 19 degrés avec un béton à 36, 5 degrés, ne s'élevait selon les estimations qu'à 83 degrés. Par ailleurs, l'expert relevait que la pile 2 Ouest coulée à une température extérieure de 15 degrés ne présentait que peu de réaction sulfatique interne et une résistance élevée. Si la société Demathieu Bard Construction conteste le lien entre coulage du béton par temps chaud et développement du phénomène chimique, l'analyse qu'elle produit concernant d'autres éléments du viaduc, qui infirmerait ce lien, concerne principalement les semelles des piles du viaduc, pièces moins massives et donc par nature moins favorables au développement d'une réaction sulfatique interne. Par ailleurs, si la requérante conteste, en s'appuyant sur une contre-expertise diligentée par ses soins, avoir méconnu ses obligations contractuelles en ce qui concerne le dosage eau/ciment, il résulte de l'instruction que l'expert s'est borné à relever qu'à son sens ce dosage avait été méconnu mais qu'il n'a nullement imputé, notamment dans son examen de l'imputabilité du désordre, le déclenchement ou l'importance de la réaction sulfatique interne à cet élément, qui apparait dès lors sans incidence sur l'imputabilité des désordres quand bien même l'expert souligne de manière générale que le rapport eau/ciment a intérêt à être réduit. Enfin, compte tenu de la nature de la garantie décennale des constructeurs, la circonstance, alléguée par la société Demathieu Bard Construction, qu'elle n'aurait commis aucune faute dès lors d'une part qu'elle ignorait, comme le reste des intervenants, l'existence du phénomène de réaction sulfatique interne, et d'autre part qu'elle n'aurait pas méconnu ses obligations contractuelles et ne serait pas à l'origine du changement de ciment, n'est pas de nature à l'exonérer de l'obligation de garantie qu'elle doit au maître de l'ouvrage du seul fait de sa participation à la réalisation des ouvrages affectés de désordres.

20. Il résulte de ce qui précède que la société Demathieu Bard Construction n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges, par un raisonnement exempt des contradictions alléguées quant aux conséquences de l'état des connaissances scientifiques et quant à l'existence ou non en France du ciment recommandé par le CCTP, ont reconnu l'imputabilité des désordres résultant de la réaction sulfatique interne à son intervention.

C. L'invocation de la faute du maître d'ouvrage :

21. En premier lieu, l'article L. 111-26 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction applicable, disposait que : " Le contrôle technique peut, par décret en Conseil d'Etat, être rendu obligatoire pour certaines constructions qui, en raison de leur nature ou de leur importance, présentent des risques particuliers pour la sécurité des personnes ". Par ailleurs, aux termes de l'article R. 111-38 du même code, dans sa rédaction applicable : " Sont soumises obligatoirement au contrôle technique prévu à l'article L. 111-23 les opérations de construction ayant pour objet la réalisation : / 1. D'établissements recevant du public, au sens de l'article R. 123-2, classés dans les 1re, 2e et 3e catégories visées à l'article R. 123-19 ; / 2. D'immeubles dont le plancher bas du dernier niveau est situé à plus de 28 mètres par rapport au niveau du sol le plus haut utilisable par les engins des services publics de secours et de lutte contre l'incendie ; /3. De bâtiments, autres qu'à usage industriel : / Comportant des éléments en porte à faux de portée supérieure à 20 mètres ou des poutres ou arcs de portée supérieure à 40 mètres, ou / Comportant, par rapport au sol naturel, des parties enterrées de profondeur supérieure à 15 mètres, ou des fondations de profondeur supérieure à 30 mètres, ou / Nécessitant des reprises en sous-oeuvre ou des travaux de soutènement d'ouvrages voisins, sur une hauteur supérieure à 5 mètres ".

22. Il est constant que les dispositions de l'article R. 111-38 du code de la construction et l'habitation, dans leur rédaction alors applicable à la date des marchés litigieux, n'obligeaient aucunement la société Autoroutes du Sud de la France à faire appel aux services d'un contrôleur technique, le viaduc ne rentrant dans aucune des catégories visées dans cet article. La société Demathieu Bard Construction n'invoque par ailleurs aucune autre disposition créant une telle obligation à la charge du maître d'ouvrage, en se bornant à affirmer que la société Autoroutes du Sud de la France aurait commis une faute en ne faisant pas appel à un contrôleur technique.

23. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que des opérations préalables à la réception ont été menées et qu'il n'a pas découlé de celles-ci l'obligation de mener des inspections plus approfondies de l'ouvrage. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les désordres n'ont été révélés qu'à partir de l'année 2004. Dans ces conditions, la société Demathieu Bard Construction n'est pas fondée à soutenir que la société Autoroutes du Sud de la France aurait commis une faute de nature exonératoire en ne faisant pas procéder à une inspection détaillée du viaduc avant de prononcer la réception de l'ouvrage.

24. En troisième lieu, il ne résulte aucunement de l'instruction que la société Autoroutes du Sud de la France, maître d'ouvrage, aurait été défaillante dans son obligation de surveillance, d'entretien et de conservation de l'ouvrage à partir de la découverte des désordres en 2004. Il résulte, au contraire, de l'instruction que la société Autoroutes du Sud de la France a procédé à une surveillance serrée du viaduc puis a sollicité à intervalles très réguliers l'intervention du Laboratoire d'études Recherches et Matériaux pour des examens poussés avec carottages et examens au microscope électronique du béton des chevêtres du viaduc, et a respecté les préconisations de ce laboratoire spécialiste de surveillance renforcée de l'ouvrage. Il n'est pas démontré que la mise en œuvre tardive par la société ASF de mesures d'étanchement des fissures en 2017, aurait été de nature à aggraver son préjudice, l'expert ayant souligné les conséquences négligeables du délai sur l'évolution des désordres et sur l'obligation d'injecter du béton dans les fissures. Enfin, ainsi que l'ont souligné les premiers juges, la circonstance que la société ASF n'a sollicité une expertise judiciaire que peu de temps avant l'expiration du délai d'action de dix ans prévu par l'article 1792-4-1 du code civil est restée sans influence sur la survenue des désordres ou leur aggravation.

25. Il résulte de ce qui précède que la société Demathieu Bard Construction n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges, par un raisonnement exempt de toute contradiction quant à l'inertie invoquée de la société Autoroutes du Sud de la France, ont exclu l'existence d'une faute exonératoire du maître d'ouvrage.

D. L'invocation d'un cas de force majeure :

26. Le phénomène de réaction sulfatique interne étant, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, lié aux conditions de coulage du béton comme aux caractéristiques de sa composition, à supposer même qu'il ait été inconnu lors de l'exécution du marché à la fin des années 1990, ce qu'au demeurant les pièces du dossier ne démontrent pas, les premiers cas ayant été documentés en Allemagne dans les années 1980 et observés en France dans les années 1990, ne saurait être regardé, contrairement à ce que soutient la société Demathieu Bard Construction qui a elle-même procédé au coulage du béton, comme un événement extérieur, imprévisible et irrésistible ayant constitué un cas de force majeure susceptible de l'exonérer de sa responsabilité.

E. Le préjudice subi par la société Autoroutes du Sud de la France :

27. Les premiers juges ont mis à la charge in solidum de la société Demathieu Bard Construction et de la société Egis International, en premier lieu, la somme de 599 711 euros HT retenue par l'expert et correspondant aux travaux d'étanchéification de l'ensemble des chevêtres des piles du viaduc, en deuxième lieu, les sommes de 85 335, 90 euros HT au titre des missions d'études confiées notamment au PRPC d'Angers, lesquelles ont été utiles à l'expert, et de 189 179, 33 euros HT au titre d'études complémentaires confiées par l'expert au LERM, en troisième lieu, un montant évalué à 20 720 euros HT au titre du suivi des déformations postérieurement aux travaux réparatoires, et en dernier lieu, la somme globale de 137 099,71 euros HT au titre de frais généraux supportés par la société Autoroutes du Sud de la France lors des travaux réparatoires.

28. Il résulte de l'instruction que le coût de 599 711 euros HT retenu par l'expert puis par les premiers juges correspond au coût de l'étanchement des quatorze chevêtres du pont, sept étant situés à l'ouest et sept à l'est, à l'exclusion des culées sur lesquelles l'expert n'avait décelé aucun désordre. La société Demathieu Bard Construction soutient que les investigations et expertises n'avaient démontré de désordres que sur certains des chevêtres et que l'indemnisation accordée à la société Autoroutes du Sud de la France devrait être strictement limitée au coût de l'étanchement de ces chevêtres. Il résulte certes des investigations menées sur le A..., tant par les services de la société Autoroutes du Sud de la France et par le LERM antérieurement à l'expertise que par l'expert nommé par le tribunal, que les chevêtres Est 1, 2, 5, 6 et 7 et les chevêtres Ouest 2 et 6 ne sont que peu affectés de fissurations, à la différence des chevêtres Est 3 et 4 et des chevêtres Ouest 1, 2, 4, 5 et 7 qui sont eux moyennement ou très affectés. Néanmoins il résulte de l'instruction que les sept chevêtres moins concernés sont également affectés de fissurations et que des examens au microscope électronique de carottes issues de ces chevêtres globalement plus sains ont démontré une exceptionnelle présence d'ettringite au cœur du béton traduisant une initiation de réaction sulfatique interne. Il suit de là que la société appelante n'est pas fondée à soutenir que le préjudice de la société Autoroutes du Sud de la France évalué par l'expert et pris en compte par le tribunal administratif de Nantes au titre des travaux de reprise indemnisables pour la société Autoroutes du Sud de la France serait disproportionné.

29. Par ailleurs, pour les mêmes motifs qu'exposés au point précédent, la société Demathieu Bard Construction n'est pas fondée à soutenir que l'indemnisation due à la société Autoroutes du Sud de la France devrait être diminuée du fait d'une amélioration de l'ouvrage par l'étanchement de la totalité des chevêtres du viaduc.

30. En deuxième lieu, compte tenu de la date d'apparition des désordres, moins de quatre ans après la réception de l'ouvrage, et de la durée de vie d'une telle construction, la société Demathieu Bard Construction n'est pas non plus fondée à soutenir que l'indemnisation due au maître d'ouvrage devrait être diminuée d'un abattement de vétusté.

31. En dernier lieu, la seule circonstance que des préjudices soient postérieurs à des travaux réparatoires ne sauraient exclure qu'ils soient en lien avec les désordres initiaux. Il résulte de l'expertise que l'expert a estimé nécessaire la poursuite pendant quelques années de la surveillance des chevêtres après leur étanchement pour évaluer si le phénomène de réaction sulfatique interne avait été maitrisé. Le coût de cette surveillance, que l'expert a limité à quelques années malgré la demande de la société Autoroutes du Sud de la France qui souhaitait une surveillance tout au long de la concession, est donc bien la conséquence directe des désordres connus par le A... du fait de l'apparition de phénomènes de gonflement interne. La société Demathieu Bard Construction n'est donc pas fondée à soutenir que le coût des mesures de suivi des déformations postérieures à l'achèvement des travaux devrait être exclu de l'indemnisation totale due à la société Autoroutes du Sud de la France.

32. Il résulte de tout ce qui précède que la société Demathieu Bard Construction n'est pas fondée à remettre en cause l'évaluation du préjudice effectuée par les premiers juges, ni à demander, à titre subsidiaire, à être condamnée à une somme de 339 088, 75 euros déterminée par l'expert qui a évalué différemment les responsabilités respectives de chaque intervenant.

F. Les appels en garantie de la société Demathieu Bard Construction :

1. L'appel en garantie de la société Demathieu Bard Construction contre la société Egis International :

33. Ainsi qu'il a été rappelé précédemment, le phénomène de réaction sulfatique interne à l'origine des désordres affectant le A... résulte en grande partie d'une réaction chimique se produisant au cœur du béton lorsque celui-ci est mis en place à une température élevée. Il résulte également de l'instruction que le remplacement du ciment, constituant du béton utilisé par la société Demathieu Bard Construction pour la construction du viaduc, par un ciment plus exothermique a contribué à la survenue du désordre. Si un tel remplacement peut également être regardé comme imputable au maître d'œuvre, qui a soit accepté le choix du nouveau ciment soit ne s'y est pas opposé, il n'est toutefois pas établi qu'un tel remplacement présentait, à la date de réalisation des travaux, un caractère fautif. Il résulte en effet de l'instruction, notamment des rappels historiques et scientifiques effectués par l'expert, que le phénomène de réaction sulfatique interne, et plus encore ses causes, pouvaient être ignorés de l'ensemble des intervenants ayant participé à la construction du A.... En effet, seul un premier article en langue française avait paru en 1998 évoquant ce phénomène chimique mais les causes et les traitements possibles n'étaient pas alors développés dans des publications plus aisément accessibles aux entreprises du secteur du béton. Dans ces conditions, aucune faute ne peut être imputée au maître d'œuvre pour avoir approuvé ou tout le moins ne pas s'être opposé au changement du ciment entrant dans la composition du viaduc par rapport aux prévisions du CCTP.

34. En revanche, il résulte de l'instruction, notamment du marché de maitrise d'œuvre conclu en septembre 1997 avec la SCETAUROUTE, aux droits de laquelle vient la société Egis International, que cette société s'était vu confier une mission de direction de l'exécution des travaux. A ce titre, il est constant que le maître d'œuvre a interrogé l'entreprise quant au respect des obligations posées par le CCTP relatives à l'interdiction du bétonnage lors de températures trop élevées pour permettre un coulage du béton dans les règles de l'art. Néanmoins, s'il a attiré l'attention de l'entreprise sur ce défaut de respect de ses obligations contractuelles, qui s'est ultérieurement révélé favoriser le phénomène de réaction sulfatique interne, il ne résulte pas de l'instruction que le maître d'œuvre aurait adopté des mesures plus contraignantes à l'égard de la société Demathieu Bard Construction. Dans ces conditions, les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation des faits de l'espèce en retenant la responsabilité de la société Egis International, venant aux droits de la SCETAUROUTE, à hauteur de 10 % et en la condamnant à garantir la société Demathieu Bard Construction à cette proportion du dommage.

35. Il résulte de ce qui précède que la société Demathieu Bard Construction n'est pas fondée à demander la condamnation de la société Egis International à la garantir à un niveau supérieur à 10 % du désordre résultant de la réaction sulfatique interne.

2. L'appel en garantie de la société Demathieu Bard Construction contre l'Etat venant aux droits du CETE :

36. Il résulte de l'instruction que le Centre d'études techniques de l'équipement de l'Ouest, relevant du Laboratoire régional des Ponts et Chaussées d'Angers, a conclu en cotraitance avec la SCETAUROUTE un marché d'assistance laboratoire avec la société Autoroutes du Sud de la France en vue de la réalisation d'essais non destructifs sur le site. Si la société Demathieu Bard Construction soutient qu'elle est fondée à appeler en garantie l'Etat, venant aux droits du CETE, du fait de sa solidarité avec la société Egis International, venant aux droits de la SCETAUROUTE, il résulte de ce qui a été dit précédemment qu'en raison des connaissances scientifiques à la date de la rédaction des documents contractuels et de la réalisation des travaux, aucune faute ne peut être relevée à l'encontre de la société Egis International du fait de sa mission d'assistance laboratoire. La seule faute fondant la garantie à hauteur de 10 % de la société Egis International résulte d'une méconnaissance partielle de ses obligations de direction de l'exécution des travaux en application du contrat de maîtrise d'œuvre conclu parallèlement avec la société Autoroutes du Sud de la France et auquel le CETE n'était pas partie.

37. Par ailleurs, il résulte de l'expertise qu'un premier article en langue française avait été publié en 1998 dans le Bulletin de liaison des laboratoires des ponts et chaussées évoquant la réaction sulfatique interne. Néanmoins, si du fait de cette publication, le CETE, relevant du Laboratoire régional des Ponts et Chaussées d'Angers ne pouvait être regardé comme ayant légitimement ignoré l'existence même du phénomène, il résulte également de l'expertise que les premières recommandations ayant pour but de définir les moyens d'éviter ce phénomène n'ont été publiées qu'en novembre 2003. Dans ces conditions, et alors que le CETE n'était chargé, au vu du marché d'assistance laboratoire, que de réaliser des essais non destructifs, par radiographies et magnétoscopie, la société Demathieu Bard Construction n'est pas fondée à soutenir que le CETE aurait commis des fautes en ne signalant pas d'éventuelles erreurs dans le CCTP, qu'il s'agisse du choix du ciment de remplacement, à tout le moins de l'absence d'opposition à ce remplacement, de la surveillance des modalités de bétonnage, laquelle ne relevait aucunement des missions confiées au CETE, de la validation du dosage eau/ciment, et de l'absence d'information de la société Autoroutes du Sud de la France et des constructeurs sur le phénomène chimique, ou en tout état de cause en n'ayant pas préconisé la réalisation d'une inspection détaillée du viaduc avant la réception.

38. Il résulte de ce qui précède que la société Demathieu Bard Construction n'est pas fondée à demander la condamnation de l'Etat, venant aux droits du CETE, à la garantir en tout ou partie des préjudices résultant du phénomène de réaction sulfatique interne.

3. L'appel en garantie de la société Demathieu Bard Construction contre la société Ciments Calcia :

39. Ainsi qu'il a été rappelé au point 7 de l'arrêt, les conclusions de la société Demathieu Bard Construction dirigées contre la société Ciments Calcia, dont la qualité de simple fournisseur n'est d'ailleurs aucunement remise en cause, relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire et doivent donc être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaitre.

Quant à la responsabilité contractuelle des constructeurs :

40. Compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus et de l'engagement de la responsabilité de la société Demathieu Bard Construction sur le fondement de la responsabilité décennale, l'argumentation de la société appelante sur l'absence d'engagement de sa responsabilité contractuelle, non retenue par les premiers juges, apparait sans incidence.

S'agissant des désordres résultant du défaut de ferraillage :

Quant à la responsabilité décennale des constructeurs :

A. La prescription :

41. L'article 1792-4-1 du code civil dispose que : " Toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 du présent code est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après dix ans à compter de la réception des travaux ou, en application de l'article 1792-3, à l'expiration du délai visé à cet article ". Par ailleurs, aux termes de l'article 2241 du code civil : " La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. / Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure ". Il résulte de ces dispositions, applicables à la responsabilité décennale des architectes et des entrepreneurs à l'égard des maîtres d'ouvrage publics, que, pour les désordres qui y sont expressément visés, une action en justice n'interrompt la prescription qu'à la condition d'émaner de celui qui a qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et de viser celui-là même qui en bénéficierait.

42. Il résulte de l'instruction que la réception des travaux de construction du A... a été prononcée avec effet au 26 septembre 2000 et que le 17 septembre 2010, quelques jours avant l'écoulement du délai de garantie décennale, la société Autoroutes du Sud de la France a déposé une requête en référé expertise devant le tribunal administratif de Nantes. La société Demathieu Bard Construction soutient que cette citation en justice, qui était explicitement dirigée contre elle et la société Egis International, venant aux droits de la SCETAUROUTE, n'a pu interrompre le délai de garantie décennale en ce qui concerne le second désordre relatif à l'insuffisance de ferraillage, ce désordre n'ayant pas été désigné dans la requête de la société Autoroutes du Sud de la France. Néanmoins, il résulte de l'instruction, notamment de la lecture de la requête en référé introduite devant le tribunal administratif de Nantes le 17 septembre 2010, que la société Autoroutes du Sud de la France a invoqué la présence de fissures notamment sur les chevêtres du viaduc. Si la société concessionnaire a relevé, en utilisant le conditionnel, qu'un phénomène de réaction sulfatique interne pourrait être à l'origine de ces fissures, elle n'a aucunement exclu d'autres origines possibles et a explicitement prévu, dans ses conclusions, la possibilité d'une pluralité de causes. Dans ces conditions et contrairement à ce que soutient la société Demathieu Bard Construction, une telle demande a eu pour effet d'interrompre le délai de dix ans, et de faire courir un nouveau délai d'une durée analogue à compter du dépôt du rapport d'expertise. Il s'ensuit que l'action en garantie décennale contre la société Demathieu Bard Construction n'était pas prescrite le 2 juillet 2018, date de l'enregistrement de la requête au fond de la société Autoroutes du Sud de la France. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la société appelante, le jugement attaqué n'est nullement entaché de contradictions de motifs en ce qui concerne l'interprétation de la requête en référé expertise présentée par la société Autoroutes du Sud de la France en septembre 2010.

B. La nature des désordres :

43. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 17 de l'arrêt, les fissurations affectant le A..., qu'elles aient pour origine le phénomène chimique décrit ci-dessus ou l'insuffisance de ferraillage, sont apparues et ont été découvertes en 2004. Il ne résulte de l'instruction ni que les désordres auraient été apparents à la date de réception de l'ouvrage, ni que le maître d'ouvrage aurait commis une faute en n'organisant pas d'inspection détaillée, dont la société appelante n'explicite en outre pas la teneur ou les caractéristiques.

44. En second lieu, un défaut de conformité d'un ouvrage aux normes de sécurité applicables à la date de sa construction est susceptible de constituer un désordre de nature à le rendre impropre à sa destination. Si ce défaut n'est pas apparent à la date de la réception des travaux, il est susceptible d'engager la responsabilité décennale des constructeurs.

45. Il résulte des constatations opérées par l'expert nommé par le juge des référés du tribunal administratif que le ferraillage mis en place dans le viaduc n'assure pas la sécurité structurelle de l'ouvrage telle qu'elle est exigée par la réglementation applicable et qu'il exige la mise en place d'un renforcement des chevêtres. Si l'expert a estimé que dans l'attente de ces travaux de renforcement, la circulation pouvait continuer d'être autorisée sur le viaduc, il a précisé que cette circulation ne pouvait s'effectuer que sous condition d'interdiction du stockage sur l'ouvrage non seulement des véhicules poids lourds mais aussi des véhicules légers. Il a également relevé que la structure du ferraillage avant les travaux de renforcement ne permettait à aucun moment de faire passer les deux sens de circulation sur une seule des chaussées, ce qui interdisait concrètement toute opération d'entretien de la voie du viaduc. Dans ces conditions, la société Demathieu Bard Construction n'est pas fondée à soutenir que les désordres résultant du défaut de ferraillage ne rendraient pas l'ouvrage impropre à sa destination et ne seraient donc pas de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs.

C. L'imputabilité des désordres :

46. Il résulte de l'instruction que le défaut de ferraillage affectant le A... provient de la coupure des armatures principales HA40, qui coupées à 6 mètres sont trop courtes pour reprendre les charges ce qui entraine un transfert des efforts depuis ces armatures principales vers des armatures HA 32 qui quant à elles n'arrivent pas jusqu'à l'axe de la pile. Il est également constant que les plans d'exécution du ferraillage, qui comportaient ce raccourcissement des barres HA40, ont été établis par la société COGECI, bureau d'études chargé des études d'exécution des appuis du viaduc. Dès lors que cette dernière était la sous-traitante de la société Demathieu Bard Construction, celle-ci ne peut utilement soutenir que le désordre ne lui serait pas imputable au motif qu'il serait imputable à sa sous-traitante dès lors qu'elle doit répondre de l'action de son sous-traitant à l'égard du maître d'ouvrage.

D. L'invocation de la faute du maître d'ouvrage :

47. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit aux points 21 et 22, les dispositions de l'article R. 111-38 du code de la construction et l'habitation, dans leur rédaction applicable à la date des marchés litigieux, n'obligeaient aucunement la société Autoroutes du Sud de la France à faire appel aux services d'un contrôleur technique. La société Demathieu Bard Construction n'invoque par ailleurs aucune autre disposition créant une telle obligation à la charge du maître d'ouvrage, en se bornant à affirmer que la société Autoroutes du Sud de la France aurait commis une faute en ne faisant pas appel à un contrôleur technique.

48. En second lieu, contrairement à ce que soutient la société Demathieu Bard Construction, il ne résulte aucunement de l'instruction, notamment des constatations de l'expert qui n'impute aucune responsabilité à la société Autoroutes du Sud de la France dans la survenue de ce second désordre, que la demande de cette société d'intégrer des accès permettant l'entretien de l'ouvrage, dits " trous d'homme ", dans le viaduc aurait eu une quelconque incidence sur le plan de ferraillage et sur le raccourcissement à 6 mètres des armatures HA40. La société appelante qui se borne à invoquer l'existence d'une faute exonératoire du maître d'ouvrage ne produit également aucune démonstration de l'incidence de cette exigence du maître d'ouvrage sur le ferraillage de l'ouvrage. Dans ces conditions, la société Demathieu Bard Construction n'est pas fondée à soutenir que la société Autoroutes du Sud de la France aurait ainsi commis une faute de nature à l'exonérer en tout ou partie de sa responsabilité décennale.

E. Le préjudice subi par la société Autoroutes du Sud de la France :

49. Il résulte de l'instruction que l'expert a estimé nécessaire, pour remédier à l'insuffisance des ferraillages des chevêtres de traiter ces parties d'ouvrage par une opération de renforcement par précontrainte. Ces travaux ont été effectués pour un montant de 1 285 975 euros HT. Les premiers juges ont mis cette somme à la charge solidaire de la société Demathieu Bard Construction et de la société Egis International, ainsi qu'une somme de 4 000 euros HT au titre du suivi de la tension des câbles de précontrainte pendant une période de deux ans et une somme de 197 616, 38 euros HT au titre des dépenses engagées par le maître d'ouvrage pour procéder aux travaux d'étanchéification des chevêtres et aux travaux liés à la résolution de la défaillance du ferraillage, qui n'ont pas été affectées par l'expert à l'une ou l'autre de ces opérations.

50. En premier lieu, l'expert, à l'issue des opérations d'expertise et de longs débats avec l'ensemble des parties, a estimé que pour remédier à l'insuffisance de ferraillage, le béton des chevêtres du viaduc devait être précontraint par l'apposition de câbles de précontrainte enserrant les chevêtres. La circonstance que la précontrainte du béton pourrait avoir des conséquences sur les fissures et entrainer une moindre pénétration de l'eau à l'intérieur du béton n'est pas de nature à donner un caractère redondant aux travaux préconisés par l'expert pour les deux sortes de désordres atteignant le A..., dès lors notamment qu'il n'est aucunement établi que l'apposition de câbles de précontrainte en vue de renforcer la structure de l'ouvrage aurait pour effet d'étancher le béton aussi efficacement que la méthode préconisée par l'expert pour le traitement de la réaction sulfatique interne. Il suit de là que la société Demathieu Bard Construction n'est pas fondée à invoquer l'inutilité des travaux retenus par l'expert, dont le coût a été mis à sa charge par les premiers juges.

51. En second lieu, compte tenu de la date d'apparition des désordres, moins de quatre ans après la réception de l'ouvrage, et de la durée de vie d'une telle construction, la société Demathieu Bard Construction n'est pas non plus fondée à soutenir que l'indemnisation due au maître d'ouvrage devrait être diminuée d'un abattement de vétusté ou que les travaux de renforcement auraient eu pour effet de remettre à neuf un ouvrage ancien.

52. Ainsi, la société Demathieu Bard Construction n'est pas fondée à remettre en cause l'évaluation du préjudice effectuée par les premiers juges, ni à demander à titre subsidiaire à être condamnée au versement d'une somme de 412 393, 17 euros déterminée par l'expert.

D. Les appels en garantie de la société Demathieu Bard Construction :

1. L'appel en garantie de la société Demathieu Bard Construction contre la société Egis International :

53. Les premiers juges ont condamné la société Egis International à garantir la société Demathieu Bard Construction à hauteur de 30 % du montant des désordres résultant de l'insuffisance du ferraillage. Il résulte en effet du marché de maîtrise d'œuvre signé en août 1997 que la SCETAUROUTE, aux droits de laquelle vient la société Egis International, s'était notamment vu confier une mission VISA et une mission DET en ce qui concerne le A.... Néanmoins, le maître d'œuvre n'a aucunement décelé le raccourcissement fautif des armatures HA40 ni à l'examen des plans d'exécution dressés par COGECI, ni lors de l'exécution des travaux. Si la société Demathieu Bard Construction invoque d'autres fautes à l'encontre de la société Egis International pour solliciter que cette dernière la garantisse à un niveau supérieur, d'une part, la responsabilité de l'intéressée est retenue au titre de ses missions de maitrise d'œuvre et non au titre du contrat parallèle d'assistance laboratoire qui lui avait été confié et qui ne portait pas sur les armatures en fer de l'ouvrage. D'autre part, ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, il ne résulte aucunement de l'instruction que la demande de la société Autoroutes du Sud de la France d'ajouter des " trous d'homme " à la construction serait à l'origine en tout ou partie du désordre affectant le ferraillage de l'ouvrage. Dès lors, la société Demathieu Bard Construction n'est pas fondée à invoquer, à l'appui de son appel en garantie, la faute qu'aurait commise le maître d'œuvre en n'avertissant pas les parties sur les conséquences de la demande du maître d'ouvrage.

54. Il résulte de ce qui précède que la société Demathieu Bard Construction n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont limité à 30 % la part de la garantie de la société Egis International à son profit.

2. L'appel en garantie de la société Demathieu Bard Construction contre l'Etat :

55. Ainsi qu'il a été rappelé, le CETE, aux droits duquel vient l'Etat, ne s'était vu confier par le marché d'assistance laboratoire que la mission de pratiquer des essais non intrusifs sur le béton au moyen de radioscopies et de magnétoscopie. Il n'avait donc aucune mission relative à l'établissement du plan de ferraillage ou à la réalisation de ce dernier. Il suit de là que la société Demathieu Bard Construction n'est pas fondée à demander la condamnation de l'Etat à la garantir de la somme mise à sa charge au titre de la réparation du désordre résultant de l'insuffisance de ferraillage.

Quant à la responsabilité contractuelle des constructeurs :

56. Compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus et de l'engagement de la responsabilité de la société Demathieu Bard Construction sur le fondement de la responsabilité décennale, l'argumentation de la société appelante sur l'absence d'engagement de sa responsabilité contractuelle, non retenue par les premiers juges, apparait sans incidence.

Sur l'appel incident de la société Autoroutes du Sud de la France :

57. En premier lieu, la société Autoroutes du Sud de la France sollicite la réformation du jugement attaqué en demandant la condamnation in solidum de la société Demathieu Bard Construction et de la société Egis International à lui verser les sommes supplémentaires de 100 228 euros HT au titre de travaux de réfection de la chaussée du viaduc en 2014, 45 540 euros HT au titre d'études complémentaires réalisées par le LERM et de 4 935 euros HT au titre de prestations de mesures réalisées par Argotech. De telles conclusions, en ce qu'elles visent solidairement, outre la société appelante, une société intimée, sont dirigées contre une personne autre que l'appelant principal et ne sont pas provoquées par l'appel principal. Par suite, elles ne sont pas recevables. Il en va de même des conclusions d'appel provoqué de la société Autoroutes du Sud de la France tendant à la condamnation de la société Egis International à lui verser une somme supérieure en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre de l'instance devant le tribunal administratif de Nantes.

58. En second lieu, le tribunal administratif a mis à la charge de la société Demathieu Bard Construction la somme de 2 000 euros à verser à la société Autoroutes du Sud de la France en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Si cette dernière conteste ce montant, elle n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause l'appréciation des juges du fond sur ce point.

Sur les conclusions d'appels incident et provoqué de la société Ciments Calcia :

59. Ainsi qu'il a été rappelé au point 7, les conclusions de la société Demathieu Bard Construction dirigées contre la société Ciments Calcia, dont la qualité de simple fournisseur n'est aucunement remise en cause, relèvent de la juridiction judiciaire et doivent donc être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaitre. En tout état de cause, le tribunal administratif de Nantes ayant rejeté les conclusions d'appel en garantie de la société Demathieu Bard Construction dirigées à l'encontre de la société Ciments Calcia, et n'ayant aucunement condamné cette dernière à garantir la société Egis International, les conclusions d'appels incident et provoqué de cette dernière sont sans objet.

Sur les appels incident et provoqué de la SAS Unibéton :

En ce qui concerne l'appel incident de la SAS Unibéton dirigé contre la société Demathieu Bard Construction :

60. Ainsi qu'il a été rappelé au point 5, la société Demathieu Bard Construction n'avait présenté aucune conclusion d'appel en garantie contre la SAS Unibéton avec laquelle elle était unie par un contrat de droit privé. Dans ces conditions, ainsi qu'il a été rappelé plus haut, le jugement attaqué du tribunal administratif de Nantes doit, ainsi que le souligne la SAS Unibéton, être annulé comme irrégulier, le tribunal ayant méconnu la compétence de la juridiction administrative, en tant qu'il l'a condamnée à garantir la société Demathieu Bard Construction à hauteur de 20 % de la réparation des désordres résultant de la réaction sulfatique interne.

En ce qui concerne l'appel provoqué de la SAS Unibéton dirigé contre la société Egis International :

61. La SAS Unibéton présente des conclusions en réformation du jugement en ce qu'il l'a condamnée à garantir non seulement la société Demathieu Bard Construction, mais également la société Egis International à hauteur de 20 % des désordres résultant de la réaction sulfatique interne. Ces secondes conclusions sont dirigées non contre l'appelante mais contre un autre intimé et s'analysent ainsi comme des conclusions d'appel provoqué. Or ce qui est jugé sur l'appel principal n'aggrave pas la situation de la SAS Unibéton. Par suite, ses conclusions d'appel provoqué ne peuvent qu'être rejetées comme irrecevables, y compris et en tout état de cause, les conclusions tendant à la condamnation de la société Egis International à lui verser une somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Sur les appels incident et provoqué de la société Egis International :

62. La société Egis International dirige ses conclusions non seulement contre la société Demathieu Bard Construction mais également solidairement contre, d'une part, la SAS Unibéton, la société Ciments Calcia et l'Etat pour le désordre résultant de la réaction sulfatique interne et, d'autre part, contre la société COGECI et l'Etat au titre du désordre résultant de l'insuffisance de ferraillage. De telles conclusions, en ce qu'elles visent solidairement, outre la société appelante, plusieurs sociétés intimées, sont dirigées contre des personnes autres que l'appelant principal et ne sont pas provoquées par l'appel principal. Par suite, elles ne sont pas recevables.

63. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le jugement du tribunal administratif de Nantes doit être annulé en tant qu'il a condamné la SAS Unibéton à garantir la société Demathieu Bard Construction à hauteur de 20 % de la condamnation prononcée à son encontre au titre des désordres résultant de la réaction sulfatique interne et, d'autre part, que les conclusions d'appel principal de la société Demathieu Bard Construction et les conclusions incidentes présentées par la société Autoroutes du Sud de la France, la société Ciments Calcia, et la société Egis International doivent être rejetées.

Sur les frais du litige :

64. En premier lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Autoroutes du Sud de la France, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les sommes que la société Demathieu Bard Construction et la société Egis International demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

65. En second lieu, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Demathieu Bard Construction le versement de la somme de 1 500 euros à la société Ciments Calcia.

66. En troisième lieu, il y a également lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de la société Egis International le versement à la société Ciments Calcia et à la société Unibéton de la somme de 750 euros chacune.

67. En dernier lieu, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Demathieu Bard Construction le versement de la somme de 1 500 euros à la société Autoroute du Sud de la France.

DECIDE :

Article 1er : Les conclusions de la société Demathieu Bard Construction et de la société Egis International dirigées contre la SAS Unibéton et la société Ciments Calcia sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaitre.

Article 2 : L'article 5 du jugement du tribunal administratif de Nantes du 7 octobre 2020 est annulé.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Demathieu Bard Construction est rejeté.

Article 4 : La société Demathieu Bard Construction versera, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros chacune à la société Ciments Calcia et à la société Autoroute du Sud de la France.

Article 5 : La société Egis International versera, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 750 euros chacune à la société Ciments Calcia et à la société Unibéton.

Article 6 : Les conclusions d'appel incident et provoqué de la société Autoroutes du Sud de la France, de la société Egis International et le surplus des conclusions de la société Ciments Calcia et de la SAS Unibéton sont rejetés.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la société Demathieu Bard Construction, la société Ciments Calcia, la société Egis International, la SAS Unibéton, la société COGECI, la société Autoroutes du Sud de la France et la ministre de la transition écologique et solidaire.

Copies en seront adressées, pour information, au préfet de Maine-et-Loire et à l'expert.

Délibéré après l'audience du 22 mars 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président,

- M. Rivas, président-assesseur,

- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 avril 2022.

La rapporteure,

M. BÉRIA-GUILLAUMIELe président,

L. LAINÉ

La greffière,

S. LEVANT

La République mande et ordonne au préfet de Maine-et-Loire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 20NT03819

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT03819
Date de la décision : 08/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Marie BERIA-GUILLAUMIE
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : SELARL DELAGE BEDON LAURIEN HAMON

Origine de la décision
Date de l'import : 19/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-04-08;20nt03819 ?
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